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Horreur/Épouvante
Zalbac : L'époque des Croisades
 Publié le 01/03/13  -  15 commentaires  -  5310 caractères  -  247 lectures    Autres textes du même auteur

Se croiser ou croire il est "fou" : choisir...


L'époque des Croisades


Un geste si commun, répété des centaines de fois par jour comme celui de se croiser peut selon les circonstances être amusant. « Tiens, je viens de croiser un gars qui avait exactement le même pull que moi. » voire troublant : « J'ai croisé un gars habillé comme moi, de la tête aux pieds ! » ou atteindre le paroxysme de l'angoisse :

« Ce matin en allant au travail, je me suis croisé... »


Cela s'est passé lundi douze…. pour la première fois, entre le Col de M. et les premiers virages de la zone boisée sur la route de S. En cette saison les phares sont encore nécessaires à sept heures trente pour dissiper les dernières brumes nocturnes ; il y a peu de véhicules si tôt et distinguer au loin une Supercinq blanche comme la mienne était en soi amusant ; puis le fait qu'elle soit du même modèle, surprenant. Le pare-chocs abîmé au même endroit ne pouvait pourtant pas me laisser croire ce que je voyais. À moins de quatre vingt à l'heure impossible de me tromper, le conducteur en sens inverse n'était autre que moi !

Le choc que je ressentis eût l'intensité d'une catastrophe ; le cœur battant à tout rompre, je parvins à me garer, tremblant des quatre membres et calai sur le bas côté.

Haletant… « je » me vis m'éloigner et disparaître dans le rétroviseur. J'avais été le seul à constater le phénomène, mon double n'avait même pas jeté un œil de mon côté, mais j'ai la prétention de me reconnaître, à jeun, à si faible distance.

Je restai quelques minutes à récupérer mon souffle puis repris la route plongé dans une profonde confusion.

Au bureau, on me demanda plusieurs fois si ça allait... J’essuyai quelques constats inquiets sur ma santé et rassurai tant bien que mal mes collègues.


— Des petits tracas familiaux, rien d'important... merci.


À midi, je déjeunai seul, comme à mon habitude et après le café, conclus à une illusion. Finalement, le rationnel prenant le dessus je repris mon poste rassuré.

Sur le chemin du retour, je ralentis, amusé à l'endroit où le matin j'avais été victime de mes sens.

Je vis seul depuis des années, trop ceci ou pas assez cela pour entretenir une relation de couple. Mes chats m’accueillirent avec force caresses, l'intérêt des félins a le mérite d'être franc et je leur servis une abondante ration de boulettes qu'ils engloutirent tandis que je sirotais une vodka très tassée.

Dire que deux lignes tracées sur un morceau de papier suffisent à tromper l’œil humain, cette merveille considérée comme d'origine forcément divine par les créationnistes. Quelle blague !


La soirée se déroula paisiblement et le lendemain, l'incident de la veille s'était presque totalement estompé.

Je traînai, écoutant d'une oreille distraite la propagande justifier l'intervention de nos troupes en Afrique et c'est avec un peu de retard que je pris la route.

Je passai à vive allure à l'endroit où la veille j'avais stupidement trop fait confiance à mes sens. L'absence d'une hypothétique voiture semblable à la mienne acheva de me conforter. Je négociai les premiers virages, un peu rapidement je l'avoue lorsqu'elle surgit d'une courbe, me croisant comme une fusée.

Malgré la vitesse excessive, il n'y avait aucun doute sur la voiture ou le conducteur. J'ai horreur de me regarder de profil et l'espace d'un instant, je constatais la pertinence de cette aversion.

Je parcourus quelques kilomètres en état de stupeur, cherchant désespérément une réponse logique à ce phénomène.

Le passage en revue des rares explications fut rapide et je finis par me résoudre à accepter la sentence. Psychose hallucinatoire.


Les jours qui suivirent, le même événement se reproduisit dans une zone limitée que je baptisais « L'époque des Croisades ». Un fait vint mettre à mal mon diagnostic, grâce à mon appareil numérique je réussis après deux essais infructueux une splendide photo de moi, de profil qui me laissa perplexe mais indifféra mon entourage.

Je n'avais nul besoin de consulter un psychiatre pour m'entendre confirmer qu'une hallucination n'impressionne que celui qui en est victime et aucun appareil, fut-il numérique ou à pellicule ne pouvait fixer une vue de l'esprit.

J'envisageais de faire demi-tour après une « croisade » et me poursuivre. La perspective d'apercevoir à quelques mètres ma voiture dans mon allée alors que j'étais au volant me terrifia. Que ferais-je ? Grimperais-je la volée de marches pour me découvrir en train de nourrir mes chats ou de confectionner un café ? Je manquais du courage nécessaire à une telle action.

Prévenir la gendarmerie était le plus court chemin vers la cellule d'isolement et les hommes en blanc qui s'occuperaient de moi ne seraient certainement pas des peintres en bâtiment.


Cette situation dura presque un mois. Le week-end, je ne recevais aucune visite de ma part et je finis par m'habituer à ce rituel, je me lançais des appels de phares sans réponse et projetais même d'accrocher les véhicules ; la perspective d'un choc matière contre antimatière ou un phénomène physique terrifiant m'en empêcha.


Ce matin, je ne me suis pas croisé. Au lieu de me soulager, cette absence me terrifie.

Il est huit heures, je suis à l'arrêt, les mains crispées sur le volant en bord de route, l'imminence d'un malheur me pétrifie, une certitude m'accable : je ne terminerai pas cette journée.


 
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   Anonyme   
8/2/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Joli ! C'est tout simple mais efficace, je trouve, et la conclusion me paraît bien trouvée. Pas facile de clore cette idée.
J'ai apprécié qu'on ne sache rien du phénomène, finalement, et la réaction du narrateur qui se débat entre plusieurs hypothèses.
C'est marrant, je me dis qu'il n'aurait pas fallu prolonger davantage le récit, que ce serait forcé, et en même temps la fin me laisse frustrée... Signe d'une bonne mise en suspens, peut-être bien.

   macaron   
10/2/2013
 a aimé ce texte 
Bien
La catégorie fantastique/merveilleux me semble mieux indiquée pour votre nouvelle. L'idée est excellente, une petite incursion dans la quatrième dimension, distrayante à souhait. L'ensemble est, malgré tout, peu étoffé et très linéaire, un peu juste je crois.
Corser un peu l'intrigue, engager un autre personnage, quelques dialogues mais...elle se lit aussi, agréablement, en l'état!

   Pimpette   
1/3/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Très réussi!
Rarement... croisé un sujet aussi riche dans cette catégorie...attractif , décoiffant, bizarre, il fait peur et rire en même temps!
L'écriture convient au poil...'j'ai la prétention de me reconnaître, à jeun, à si faible distance'...je ne résiste pas, à jeun, à ce genre de trouvaille!

La chute!!!!Une merveille!

   brabant   
1/3/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Zalbac,


Curieux titre qui explique mal ce qu'est le texte, en porte-à-faux avec l'histoire à mon modeste avis. De même que Macaron je pense que la catégorie n'est pas très bien choisie, "Science-fiction" m'eût semblé plus appropriée.

Ceci dit, j'ai lu sans déplaisir ce court récit plutôt attrayant/intrigant exploitant le thème du double et de la mort qui lui est attaché.

C'est parce que je suis resté sur ma faim que je mets (-) au "Bien" général de l'ensemble de ma lecture. Au plaisir de vous lire sur plus long je l'espère car le commerce de votre écrit m'a été agréable.

Merci à vous :)

   Marite   
1/3/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Très originale l'idée. Alors que le titre ne m'inspirait pas du tout, je me suis quand même lancée après avoir vu les commentaires déjà faits. En ce qui concerne la catégorie, aucune horreur ou épouvante en ce qui me concerne, je pencherais pour "réalisme ... après tout, pourquoi pas ? C'est bien vrai que l'on n'ose pas parler de choses étranges sans risquer de prendre "le plus court chemin vers la cellule d'isolement et les hommes en blanc qui s'occuperaient de moi ne seraient certainement pas des peintres en bâtiment."
Il en a de la chance finalement : être informé que bientôt ce sera l'heure du grand départ ... ça permet de laisser les choses en ordre. Très intéressant je trouve et l'écriture se fait oublier face au phénomène, donc elle doit être de bonne facture.

   aldenor   
1/3/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Le thème de se rencontrer soi-même est, me semble-t-il, assez ressassé. En tous cas, il ne surprend plus ; il y a bien ici le souci d’introduire un angle original, mais que je ne trouve pas tout à fait convaincant.
Pas compris « deux lignes tracées sur un morceau de papier suffisent à tromper l’œil humain » qui semble vouloir être une clef pour l’explication du phénomène. En tous cas, ça n’a plus d’importance dès lors que le narrateur réussit à prendre une photo de l’autre ; il ne s’agit plus d’aveuglement ou d’hallucination. Ça m’a l’air d’un coup d’épate mal fondé. Je me suis dit oh une photo, preuve matérielle ! et puis je suis resté avec mon oh de travers. Je pense que l’auteur devait aux lecteurs une forme d’explication.
Mais la chute est intéressante : si l’autre cesse de paraitre, c’est que je dois être mort moi-même. A la fois logique et mystérieuse.
Amusant le titre. Mais léger quand même, du moment qu’aucune similitude avec les croisades du Moyen Age ne finisse par paraitre.

   Anonyme   
2/3/2013
 a aimé ce texte 
Un peu
difficile à définir : trop long ou trop court, trop court ou trop long
on ne sait pas trop de quel trop il s'agit
Trop long : les boulettes des chats, la vodka bien tassée (qui suggère avec le "à jeun" un alcoolisme de bon aloi pouvant - peut-être - expliquer le comportement du narrateur... va savoir... le problème, c'est qu'on ne sait pas ! )
Trop court : croiser son double ou son "soi-même" qui mériterait plus de développements.
Incertain : les temps des verbes qui ne révèlent pas les intentions de l'auteur. Très souvent, des conditionnels, voire d'imparfaits imparfaits ("ais") où l'on attendrait des futurs ("ai") mieux adaptés, sans doute, à l'intention percutante du récit.
Un texte qui laisse un drôle de goût d'inachevé sans être échevelé ( ça, c'était une bonne idée pour l'idée, la trépidance - pas sûr que le mot existe mais il serait adapté au sujet - )
on lit sans ennui comme sans palpitations d'intérêt.
Mais, les temps mis à part, ce n'est pas mal écrit.
Bonne continuation à l'auteur.

   Acratopege   
3/3/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Joli texte que je rangerais dans ma bibliothèque sur le rayon des contes philosophiques. La première lecture m'a amusé, mais la deuxième m'a fait réfléchir. A partir de ce petit récit, c'est toute la problématique du double qui est posée, et du rapport à soi-même comme autre. Effrayant de se voir vivre, peut-être, mais encore plus de perdre cette capacité à s'observer de l'extérieur. Ce sont les morts-vivants, les vampires, qui n'ont pas de reflet dans le miroir!
Pour revenir au texte, sa simplicité narrative et le style très sagement descriptif s'accordent tout à fait au sujet, faisant ressortir en même temps la banalité du thème de la rencontre avec soi-même et l'incongruité de sa mise en forme.

   AntoineJ   
1/4/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bon, ... c'est moins pire que je ne craignais compte tenu du genre choisi (je ne lis jamais cela d'habiture)

J'aurais aimé en savoir plus sur l'homme pour avoir des pistes de compréhension de sa vision (folie ? jumeau ignoré ? extraterrestre ? ami plaisantin ?) ...

Je n'ai pas compris "Dire que deux lignes tracées sur un morceau de papier suffisent à tromper l’œil humain, cette merveille considérée comme d'origine forcément divine par les créationnistes. Quelle blague !" : c'est sensé être une piste pour comprendre ?

Sinon, pourquoi la non survenue de l'un entrainerait la disparition de l'autre ? vous pourriez la encore "préparer" l'esprit de votre lecteur ... et clôturer par une chute plus percutante ...

Le style est "basique" et plaisant ..

   Pouet   
6/4/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Je m'attendais à un texte historique avec le titre... Bien trouvé.

Bon, on reste dans le flou, nous n'aurons pas de réelles explications, tant pis. On suppose juste que c'est le dernier jour de vie du narrateur, mais pourquoi?

Mais une explication est-elle possible avec le sujet? J'en doute.

Sympathique en tout les cas, j'ai lu avec plaisir.

"Horreur/épouvante", n'exagérons rien non plus hein. Gentiment décalé dirais-je.

Bonne continuation.

   Menvussa   
6/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,
Un thème qui ne me laisse pas indifférent, j'adore. tout en lisant je me demandais comment tu pourrais terminer ce récit sans tomber dans un dénouement un peu limite. Tu t'en sors très bien avec cette fin en forme d'attente d'un événement inéluctable.
Une chose m'a cependant heurté, rien à voir avec l'histoire en elle même : "confectionner un café " Faire m'aurait largement suffit et je m'y connais en café... je le fais tous les matins. Redevenons un peu plus sérieux, j'ai vraiment apprécié la lecture de ce texte qui me laisse une impression de mystère.

   Anonyme   
25/5/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Zalbac.

Avant même de développer, je tiens à dire que cette nouvelle est absolument géniale. Fervente amatrice de "l'étrange", j'ai immédiatement accroché. La simplicité de la narration s'accorde à la perfection avec les évènements de l'histoire: on est entraîné, tout comme le personnage, dans une étrange forme de psychose... Difficile de trancher: hallucination, ou bien fait surnaturel?
Tout y est pertinemment dosé, et je vais jusqu'à dire que cette nouvelle résulte d'une réelle imagination, et d'un talent duquel il faut tirer le plus de profit..

Bravo, pour cette excellente nouvelle, et bonne continuation!

   RogerAngelo   
16/6/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
une belle idée que cette rencontre avec soi et en même temps, pas suffisamment exploitée, développée. il manque de l'intensité pour amener une fin que je trouve excellente, celle qui augure d'un véritable malaise naissant.

des dialogues auraient peut-être rendu le texte plus vivant...

peut-être changer de catégorie, car il n'y a ni horreur ni épouvante dans ce texte mais une belle incursion dans le fantastique.

   carbona   
3/9/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

C'est la première fois que je lis une nouvelle dans cette catégorie.

J'ai trouvé votre écriture très agréable, fluide, imagée. J'ai aimé l'intrigue mais ai été déçue de la chute étant donné la catégorie.

La chute me convient mais n'appartient pas à l'épouvante il me semble, plutôt au surnaturel, non ?

Merci pour cette lecture.

   Anonyme   
14/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonsoir,

Je ne vais pas livrer un commentaire anthologique, je dirai juste que l'auteur fait mouche.

Un style simple, épuré, agréable à lire.
Une histoire ce qu'il faut décalée, tout en gardant une part de mystère assez bien fichue.
Une chute crédible (comme tout le déroulement d'ailleurs).
Et au final une histoire qui se laisse lire, agréable, sans excès ni circonvolutions inutiles.

Une lecture fort agréable, merci.


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