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Zorba : L'intrus
 Publié le 07/12/21  -  8 commentaires  -  3087 caractères  -  64 lectures    Autres textes du même auteur

« Et de nouveau, on frappe à la porte. La main insiste.

– C’est qui ?
– C’est moi. Je peux entrer ?
– C’est qui ?
–C’est moi, papa, ta fille. Je peux entrer ?

Quelques pas approchent. Au milieu de la chambre, Maria et son amour diluvien.

– Papa, je suis là. C’est moi, ta fille. Ta petite Maria… Papa… ?
– Maria ?… Ah… Et depuis quand j’ai une fille ? demande l’intrus. »


L'intrus


Dès l’abord de la vie, au premier cri poussé en salle d’accouchement, l’intrus façonne son œuvre habitable : vous ! Fécondé dans le silence du sang, il insuffle un langage somatique dans les abysses de votre cerveau, éduque les différents stades ondulatoires qui font lien, se diffuse parmi les circuits neuronaux, organise la plasticité cérébrale. Sa secrète entreprise, un sans-faute n’ayant rien à redouter de la difformité des êtres et qui prend soin de tenir à l’écart les flux d’une conscience besogneuse, étriquée. Juste bonne à perpétuer la circulation de ragots humains. Celle-ci a beau survoler les méninges, simuler un avion fantôme affecté au décollage de la pensée, quelles que soient ses intentions réflexives louables ou non, pour l’intrus, elle n’est qu’une figure de style tapageuse, un procédé de métaphore spatiale qui, à chaque sortie dans le monde, navigue à vue dans un monoplace à réaction.

Et puis un jour, les premiers symptômes apparaissent. Une série de tests se manifeste à l’improviste, un jeu de cache-cache s’instaure. Un malicieux manège tourne autour de vous. C’est lui, c’est l’intrus. Votre fêlure, son domicile fixe. Complice d’un élan trompeusement taquin, un pas de trop, une main entremetteuse qui vous retarde, il se plaît à déposer, ici et là, de banals accessoires du quotidien : lunettes, pull, paperasse, téléphone portable, clés de voiture… Une somme d’éléments égarés vous précède, vous devance, à tout moment, une répétition de rendez-vous ratés vous guette. De plus en plus près.

C’est alors que, durant une conversation, un souvenir languissant sur le bout de la langue, l’intrus décide de vous faire bredouiller un nom, biffer un mot, gommer un anniversaire, un paysage, la voix d’un proche. De jaunir une photo récente, détourner un voyage de sa destination. D’enjamber des années entières d’une vie qui s’achève sans existence. Jusqu’à dissiper un visage aimé dans l’oubli et fixer à jamais son regard sur vos yeux.

Un dernier soleil en chemin, aujourd’hui, le jour ne se lèvera pas. Dissimulé sous des lésions qui vous arrachent à la réalité, vous ne l’entendez pas, mais l’intrus exulte. Jamais, vous ne saurez que sa mission si bien accomplie n’était qu’une feinte experte car votre heure a toujours été sienne.

Désormais, vous n’êtes plus chez vous. Vous ne vous appartenez plus. Vous n’êtes plus vous-même depuis que sa force supérieure vous a fait basculer dans un monde sans secours, un purgatoire où vous êtes déjà là et pas encore. Un entre-deux où il est trop tôt pour mourir, trop tard pour revivre. Une chambre médicalisée où le triomphe de l’intrus se reflète sur votre visage perdu, dépouillé. Sans miroir.


***


Et de nouveau, on frappe à la porte. La main insiste.


– C’est qui ?

– C’est moi. Je peux entrer ?

– C’est qui ?

– C’est moi, papa, ta fille. Je peux entrer ?


Quelques pas approchent. Au milieu de la chambre, Maria et son amour diluvien.


– Papa, je suis là. C’est moi, ta fille. Ta petite Maria… Papa… ?

– Maria ?… Ah… Et depuis quand j’ai une fille ? demande l’intrus.


 
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   Cyrill   
9/11/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J’ai été intéressé par l’idée de ce personnage, qui fait intrusion en nous et mène la danse dès qu’on voit le jour.
Le premier paragraphe et un peu perché, j’ai du mal à suivre. Jusqu’à ce qu’on me parle par métaphore avionesque, où là je raccroche les wagons.
Les petits détails de dysfonctionnement sont amusants malgré la gravité du sujet, ça reste léger et j’apprécie.
Ça monte progressivement en intensité dramatique. Je me sens concerné, l’auteur me parle d’un truc qui pourrait fort bien m’arriver et c’est inquiétant. J’y crois, à cet être, cet autre importun.
Le dialogue m’a mis mal à l’aise comme quand on surprend une scène intime mais il me fallait ce plus concret. Et la répétition mot pour mot de l’exergue est bien vue, c’est l’instant indéfiniment recommencé.
Au final, l’intrus a pris toute la place de « papa », il a en effet triomphé.
Merci pour cette lecture.
Cyrill, débutant en commentaire du genre réflexion/dissertation.

   plumette   
11/11/2021
 a aimé ce texte 
Bien
le voilà donc , cet intrus qui personnifie le désordre neuronal responsable de la perte progressive de repères et de la mémoire.
intrus introduit dès la naissance selon la thèse développée ici avec un certain talent d'écriture.

un texte un peu complexe qui se simplifie de manière spectaculaire dans sa conclusion réaliste et cruelle.

puisque l'intrus est chez chacun, le narrateur se sait sans doute vulnérable aussi et nous brosse donc un tableau de ce qui peut lui arriver.

bon! à part ça, ce n'est pas une nouvelle!

Plumette

   Donaldo75   
11/12/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai bien aimé cette nouvelle; elle présente une bonne vision de la maladie et c'est un texte qui prend tout son sens sur la fin. Le format ultra court n'empêche pas la complexité du thème, en expose bien le ressenti et finalement s'appuie sur des petites touches pour emmener le lecteur.

C'est réussi.

   Marite   
7/12/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Inattendue mais très intéressante réflexion sur la progression de cette maladie dégénérative du cerveau transformée, dans ce récit, en une sorte de personnage, "intrus", présent déjà dès la naissance dans le corps humain et plus spécifiquement dans les méninges où il s'installe, en silence, prenant tout son temps, sans éveiller une quelconque inquiétude de la conscience de l'être porteur. La dernière partie de cette nouvelle, sous forme d'un dialogue minimal, nous donne une clé pour comprendre pleinement la première partie que j'avoue avoir eu de la difficulté à en saisir le sujet en première lecture.

   Anonyme   
8/12/2021
Il y a de l’originalité dans votre texte. Par le choix du « vous », vous interpellez le lecteur et l’invitez à investir le corps et l’esprit de la victime de l’intrusion. Le personnage principal est l’intrus, qui ne se trouve pas être un être humain, peut-être même pas un être vivant.

Je rapproche votre texte d’un film récent : Le père, avec Anthony Hopkins dans le rôle du père. Ce film ne m’a pas été agréable à regarder, mais je l’ai trouvé très intéressant dans son découpage et son point de vue, c’est-à-dire dans son parti pris narratif. J’ignore si vous vous en êtes inspiré, mais ce pourrait être le cas.

Un texte intéressant.

   papipoete   
12/12/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Zorba
Dès notre sortie au monde, il peut se jeter sur nous l'intrus, et attendre son heure.
Il est patient l'intrus, sait que son jour de gloire viendra : ça dépendra de son humeur... dans le corps de la vieillesse, ou celui de la jeunesse sûrement un accès de fureur !
Il viendra alors l'intrus, effacer tel un tableau d'école, tout ce que la vie nous apprit...
NB une réflexion sur Alzeimer ( j'ai oublié son prénom... ) qui glace le sang, à se dire " suis-je déjà sur sa liste d'attente ? "
Une peinture très originale de ce terrible mal, où le condamné ne semble pas souffrir, mais ceux qui l'entourent... si !
le final de votre texte est particulièrement douloureux !

   ferrandeix   
28/12/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La description d'une maladie dégénérative nerveuse suvenant avec l'âge décrite sous le symbolisme d'un intrus qui bouleverse notre psychisme. L'idée est bien traitée selon une progression qui suit les symptômes réels, jusqu'à la dépersonnalisation. Et la conversation finale clôt la nouvelle en l'explicitant pleinement.

Cette page, à mon avis, vaut aussi, et surtout, pour l'écriture elle-même qui témoigne d'une élaboration certaine sur le plan syntaxique et sur l'articulation avec l'idée, également sur l'élégance perceptible. Bravo.

   Lulu   
9/1/2022
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour Zorba,

J'ai eu un peu de mal à suivre... ayant pensé à un moment que l'intrus était ce qui allait en partie donner vie, puis à un autre qu'on évoquait peut-être la survenue d'un cancer. Ce côté flou de ce texte m'a un peu dérangée, mais comme il est court, on peut facilement y revenir, bien que je trouve dommage de ne pas saisir vraiment l'enjeu dès la première lecture.

J'ai aussi trouvé dommage que vous ayez fait le choix de mettre dans les mots de présentation ce qui clôt le récit car, du coup, ce dialogue percutant n'a plus la même force.

Cependant, j'ai trouvé dans la narration une belle écriture et une tonalité qui m'ont bien plu. Cela laisse effectivement transparaître un style sympathique...

Au plaisir de vous relire.


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