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Poésie libre
Aconcagua : L'enfant soldat
 Publié le 04/06/19  -  14 commentaires  -  1406 caractères  -  207 lectures    Autres textes du même auteur

Enfance et violence en République démocratique du Congo.


L'enfant soldat



La latérite ne semblait pas si rouge
et la pluie, lourde et chaude
dans cette terre sauvage,
traçait de petits ruisseaux
qui palpitaient dans la folie en tenue de soirée.

Ils étaient là, immenses et fiers
avec l'acier de leurs armes
comme unique offrande,
avec au coin des yeux
un éclatant délire.

La latérite ne semblait pas si rouge.
Le sang de mon père grignotait l'espace
et son sourire embrassait la mort.
Ma mère avait cessé ses bouquets de hurlements,
son corps dessinait l'alphabet de la souffrance
et son visage pleurait ses arrachements
dans l'épaisseur du ciel.

Ils m'ont volé, engagé, transformé, appris l'abîme
je suis devenu un vieillard à onze ans.
La latérite est devenue d'un beau rouge carmin.
Chaque jour j'ai tué, torturé, mutilé
j'ai obéi, commandé,
chaque nuit j'ai sucé mon pouce,
arraché mes cauchemars,
détricoté mes larmes.

Aujourd'hui, je suis un fugitif des rêves,
mes hallucinations me grignotent
avec la constance des innocents
et la cruauté des feux-follets.

Aujourd'hui je suis en Ouganda
mon village a peur de moi,
je suis la dépouille des morts
la grimace des monstres.

Aujourd'hui j'apprends à lire
je suis presque un enfant
et je sais écrire « latérite ».


 
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   Corto   
6/5/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Thème terrible, poème sans concession.
Ici on ne cherchera pas le beauté ou la délicatesse des senteurs.

Les couleurs se résument à celle du sang qui se mélange à la latérite.
Nous sommes au royaume de l'horreur où "Le sang de mon père grignotait l'espace et son sourire embrassait la mort".

L'enfant capturé par les fous de mort a fini par "Chaque jour j'ai tué, torturé, mutilé j'ai obéi, commandé, chaque nuit j'ai sucé mon pouce".
Et même quand on croit en avoir fini "Aujourd'hui je suis en Ouganda
mon village a peur de moi...et je sais écrire « latérite »".

Ce poème bien construit nous rappelle que l'humanité n'en a pas fini avec sa folie.
Voilà un très brusque retour au réel.

   VictorO   
10/5/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
"La latérite ne semblait pas si rouge" mais un jour "est devenue d'un beau rouge carmin". Le sang a coulé. Au lieu d'aller à l'école, d'avoir des rêves de son âge, l'enfant est devenu un soldat sanguinaire.
Poème convaincant, cruel et réaliste. J'ai apprécié le mélange, les images, les ambiguïtés qui montrent que tout est chaotique en cet enfant. Il est devenu un assassin, mais est au fond toujours un enfant "chaque nuit j'ai sucé mon pouce", "mes hallucinations me grignotent", "la cruauté des feux-follets". J'y ai ainsi ressenti de l'espoir dans la dernière strophe.

   Gabrielle   
13/5/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Un témoignage poignant dans cette narration qui fait froid dans le dos.

Un sujet tabou à peine abordé en général par le poète qui préfère faire rêver.

Devant ce massacre que faisons-nous ?

Les enfants soldats sont partout.
Que faire de leurs vies volées, de ces victimes appelées à devenir adultes ?

Ici, l'auteur(e) nous dirige vers un sujet épineux qui mérite bien qu'on s'interroge.

Bien à vous.

   Myndie   
14/5/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour,

c’est magnifique.
Il est bien que le thème de l’enfant-soldat, grande cause de l’Unicef, souvent traité en littérature (je pense notamment au roman « Johnny chien méchant »), soit aussi évoqué en poésie.
Poème dont le fil conducteur est rouge, dans la multiplicité de ses nuances, :
le sang des hommes bien sûr, la pluie qu’on imagine couler en ruisseaux de larmes d’un sang noir, et bien sûr la latérite qui revient de manière lancinante et obsessionnelle le hanter comme sans doute le hantent les images de tueries - allégorie de la culpabilité ? -

L’écriture, sans fioriture inutile, suggère les situations et en reflète la caractère sordide. Elle les met en scène. Pourtant, dans ce poème noir, une douceur enfantine affleure, pareille à de petites fleurs bleues poussées au milieu d’un bourbier. Et là, on se prend l’émotion de plein fouet :

« Chaque nuit j’ai sucé mon pouce,
arraché mes cauchemars, détricoté mes larmes »

« Aujourd’hui je suis un fugitif des rêves »

« Aujourd’hui j’apprends à lire
je suis presque un enfant
et je sais écrire « latérite »

Est-il encore un enfant celui que vous décrivez si bien, celui qui a vu la mort des sien, a tué de ses propres mains lui-même ? Ou bien l’enfance est-elle morte à jamais ?
Ce sont les trois derniers vers qui apportent une réponse à ces interrogations.
La violence guerrière paroxystique n’est pas sans issue pour lui en fin de compte. Vous lui offrez la reconquête de son humanité, le parcours de la rédemption et l’accès à l’instruction.

J’aime votre poème ; il est pure émotion, tout en nous mettant face à la violence de la réalité.

Merci pour le partage.

   STEPHANIE90   
4/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Merci Aconcagua !
pour ce texte poignant sur les enfants soldats comme il y en a encore trop de part le monde.
"chaque nuit j'ai sucé mon pouce,
arraché mes cauchemars,
détricoté mes larmes."
Oui, derrière chaque enfant soldat et ses actes de guerre, il y a toujours cet enfant qui ne demande qu'à vivre... Où plutôt qu'à survivre à l'enfer de ses combats.

Félicitation pour cette poésie très réussi, la latérite rouge à plusieurs nuances, est le fil conducteur parfait de cette folie destructrice d'enfants du Congo... J'ai été touché,

StéphaNIe

   poldutor   
4/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Aconcagua

Terrible, terrible poésie et terriblement vraie...
Faire des enfants, des tueurs sanguinaires, alors qu'ils sont incapables d'écrire leur nom ; quelle responsabilité.
Quand donc l'humanité sortira-t-ellle de la barbarie ?
Sans doute jamais...quelque part en Asie des barbus enseignent à des bambins en couches comment égorger leur nounours...
Triste époque !
Pourra-t-on sauver l'âme de ces enfants ?

Cette poésie provoque un électro-choc, elle montre en peu de vers que l'humanité n'est pas encore sortie de la sauvagerie...

Merci de nous avoir rappelé que la bestialité est toujours présente.

Cordialement.

poldutor

   Robot   
4/6/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Comment exprimer mon ressenti ? C'est à la fois terrible beau. Terrible dans le thème mais tellement beau dans les sentiments. Le texte commence par situer un paysage pour ensuite nous faire entrer dans la tragédie vécue par cet enfant conduit bien malgré lui sur des chemins qu'il n'avait pas choisi et qui en ont fait chez lui un paria. Mais reste l'espoir d'une reconstruction par la culture, l'apprentissage, la connaissance comme le tercet final l'exprime.

Parvenir à exprimer par la poésie présente dans ce texte un contexte tel que celui-ci, bravo et merci. Même sur des sujets aussi sombres, la poésie n'est-elle pas faite pour transcender le réel, tout comme un tableau. Dirait-on de Picasso qu'il a exagérer Guernica ? Tout le contraire d'une description

   Davide   
4/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Aconcagua,

Ce que j'aime chez l'auteur(e), c'est ce talent de nous faire voir, d'entrelacer, de mettre en parallèle les deux pôles d'un même monde... comme dans "Captive" (où se conjuguent amour et haine) et ses précédentes publications sur le site.
Un regard cru, vrai, mais admirablement poétisé...

L'horreur fleurit au cœur de l'amour, au cœur de l'innocence.
Mais je crois plutôt que l'horreur naît de l'évocation de cet enfant encore "enfant", qui suce son pouce et apprend à lire.
C'est en réalité ce jeu de contrastes, ce clair-obscur, qui donne toute sa force, sa beauté, à la poésie.

Merci Aconcagua, c'est juste magnifique !

Davide

   Vincente   
4/6/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Sur le fond et sur la construction narrative, j'ai adhéré sans réserve. Sujet important, mise en lumière nécessaire, une poésie qui fait œuvre d'humanité, capable de dire l'inacceptable.

Sur le chemin d'écriture, je suis plus mitigé.
La première strophe, j'ai beaucoup aimé. Superbe premier vers, j'étais séduit et me sentais invité dans une lecture belle et pleine de sens, quand vint le "tenue de soirée". Je comprends la volonté de l'auteur, la scène est irréelle, décalée avec ces enfants soldats fiers…, le titre et l'exergue ne pouvant nous en échapper, alors pourquoi malgré tout choisir cette expression hors du champ lexical préinstallé ? Troisième strophe, très bonne reprise du premier vers. J'ai été gêné par le "grignotait" (trop trivial vu l'image tragique du sang du père mort). Très fort vers "et son sourire embrassait la mort". Mais les deux suivants "bouquets de hurlements" (oups, comment on peut dire ça ?!)

Ensuite, on est dans le narratif "pur jus" si je puis dire et puis à nouveau un "grignotent" (répétition sûrement évitable), mais plus judicieux s'agissant des hallucinations.
Très bonne, bien que dure, trouvaille, bien percutante, dans ces deux vers "je suis la dépouille des morts / la grimace des monstres."

La fin bien pensée qui retourne à la "latérite", rouge et poussiéreuse, terrible cul de sac pour ces existences gâchées !

   papipoete   
4/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Aconcagua
La latérite rouge était mon terrain de jeu, où l'eau de pluie creusait des sillons, mes ruisseaux imaginaires : et puis, ils sont arrivés armés jusqu'aux dents, et le sang de mon père a rempli mes rigoles !
Ils m'ont volé comme une poule, et enseigné à tuer, en faisant souffrir... ceux du clan de mon père ! Enfui, je reste l'assassin dont tout le village a peur, et pourtant la nuit je redeviens enfant, quand mon pouce trouve ma bouche. Et l'on m'enseigne la vie à respecter, et je saurai même bientôt écrire !
NB Un pan de vie d'enfance vu par son héros, au milieu du tourment de l'enfer sur Terre : la parole d'un petit soldat " malgré lui ", tel un alsacien en uniforme " feldgrau " qui doit obéir ou mourir...
L'avant dernière strophe est particulièrement effrayante pour ce monstre haut comme 3 pommes !

   Anonyme   
4/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
" L'enfant soldat ", un oxymore en littérature, une exaction en réalité.
Un poème qui trace de façon cinglante cette situation dan ces régions.

" Ils m'ont volé, engagé, transformé, appris l'abîme
je suis devenu un vieillard à onze ans." ces deux vers à eux seuls exposent l'inconcevable ; et pourtant...

"Chaque jour j'ai tué, torturé, mutilé
j'ai obéi, commandé, " et puis " chaque nuit j'ai sucé mon pouce,
arraché mes cauchemars,
détricoté mes larmes. "

Une poésie forte.
Bel écrit.

   Castelmore   
4/6/2019
Bonjour Aconcagua

Je me suis déjà heurté à la dénonciation de situations « inhumaines » ( Les rats, Comment) et j’imagine fort bien la charge émotionnelle qui fut la vôtre lors de l’écriture... et le poids du choix des images entre réalité et évocation « poétique », et je redoute de vous dire mes critiques...

Autant je souscris sur le fonds à votre démarche, autant je suis beaucoup plus réservé sur votre écriture ... Il me semble en effet que vous avez forcé le trait, à tout prix en quelque sorte, pour rendre artificiellement « poétique » une situation qui ne l’est pas...

Exemples
« qui palpitaient dans la folie en tenue de soirée. »
en parlant de ruisseaux...?

Ils étaient là, immenses et fiers
avec l'acier de leurs armes
comme « unique offrande »
Offrande ?

Le sang de mon père grignotait l'espace
Grignotait ?

Ma mère avait cessé ses bouquets de hurlements,
son corps dessinait l'alphabet de la souffrance
Bouquets de hurlements ?

et son visage pleurait ses arrachements
dans l'épaisseur du ciel. ?

La suite quant à elle abandonne tout élan évocateur et devient un simple récit ...´

Trop de déséquilibres ... m'empêchent de rentrer en communion avec vos mots, malgré une très belle dernière strophe.

Je ne note pas
À une prochaine lecture.

   jfmoods   
7/1/2020
I) Un pays en proie au chaos

1) Des individus sans scrupules

Des hommes dangereux, capables du pire ("la folie en tenue de soirée", "avec au coin des yeux un éclatant délire") apparaissent, tels d'impitoyables pourvoyeurs de mort ("l'acier de leurs armes / comme unique offrande").

1) Une violence abjecte

Par sa couleur, un minerai qui abonde dans le sol de la République Démocratique du Congo finit par se confondre au bain de sang à l'oeuvre ("La latérite ne semblait pas si rouge" × 2, "La latérite est devenue d'un beau rouge carmin").

II) La destruction d'une famille

1) Le fil rompu de la transmission

Les parents doivent payer le lourd tribut de la guerre ("Le sang de mon père grignotait l'espace / et son sourire embrassait la mort", "Ma mère avait cessé ses bouquets de hurlements, / son corps dessinait l'alphabet de la souffrance").

2) La barbarie en héritage

Le narrateur, sous la coupe des milices ("Ils m'ont volé, engagé, transformé, appris l'abîme"), à présent exécuteur ("Chaque jour j'ai tué, torturé, mutilé / j'ai obéi, commandé"), se voit dépouillé de son enfance ("je suis devenu un vieillard à onze ans").

III) L'enfer d'une reconstruction intime

1) La perspective d'un relèvement ?

L'exil ("Ouganda") et la scolarisation ("j'apprends à lire", "je sais écrire "latérite"") laissent entrevoir une ouverture salvatrice mais l'adverbe ("je suis presque un enfant") signale l'impossible mise à distance des horreurs vues et commises.

2) Un passé qui vous ronge

Le sommeil demeure introuvable ("je suis un fugitif des rêves / mes hallucinations me grignotent"), aussi introuvable, pour l'enfant, que sa propre identité ("mon village a peur de moi, / je suis la dépouille des morts / la grimace des monstres").

En lisant ce poème, j'ai pensé à Wajdi Mouawad, passionnant dramaturge libanais qui fut lui-même enfant soldat. Sur Internet, vous pouvez écouter "Incendies", la seconde pièce de sa tétralogie "Le sang des Promesses"...

-> https://www.youtube.com/watch?v=hPpMXTRnyac

Merci pour ce partage !

   wancyrs   
6/6/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Salut Aconcagua,

J'aime le fond de votre texte, cette envie de dire ce qui se passe dans ce vaste pays dévasté, exploité pour que le monde entier puisse communiquer, ensuite se faire la guerre.
La forme a un manque, selon moi ; on dirait le récit de la vie d'un tiers dit par un autre, pourtant raconté par lui-même. Ce que je veux dire c'est que l'émotion qui se dégage de ce texte n'est pas au maximum, je n'arrive pas à avoir de l'empathie pour cet enfant-soldat, et la faute, selon moi, est aux mots (termes) utilisés. On a voulu faire du beau avec du laid, on a voulu faire du doux avec du rugueux ; désolé, l'expression ici n'est pas à la hauteur de l'horreur qui se déroule au Congo, et ce n'est que mon avis.
Merci néanmoins d'avoir tenté !

Wan


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