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Poésie libre
Aconcagua : Le détenu et… le gardien de la peur
 Publié le 14/10/19  -  9 commentaires  -  3427 caractères  -  85 lectures    Autres textes du même auteur

Le quotidien de certaines prisons françaises avec le regard du détenu puis celui du gardien.


Le détenu et… le gardien de la peur



Le détenu et…


Le salpêtre s’étirait avec nonchalance
sur le dernier mur libre,
il dessinait au doigt
une longue tache couleur d’Argentine
avec les traînées blanches de la Cordillère
et plus à l’est, le sombre venteux de la pampa.

Nous sommes quatre à regarder passer le temps,
cinq avec les hoquets obsédants de la musique,
six avec les hurlements des condamnés à vivre,
sept avec la puanteur cloacale du coin toilettes.

Les bruits métalliques
détruisent avec une belle ivresse
les éclosions de silence,
ils patinent la vie comme une obsession virulente.

Le temps s’étale
avec la puissance d’une tache de sang,
il promène ses quatorze heures de rien
dans les recoins de la cellule.
C’est le primaire de la vie,
ici c’est un pastel d’angoisse,
de violences explosives
et de mille morts qui désagrègent mon corps
avec l’insistance d’un insecte.

La petite journée déambule
comme un passant pressé,
c’est le ressac du vide,
c’est toujours le qui-vive.
Je fais semblant de respirer,
de monter un mur de haine,
de faire peur
pour enrober mes terreurs.

Je suis un petit voleur
perdu dans mes pulsions de récidives.
Les bouffées de vengeance me harcèlent,
j’en ai oublié de rêver.

Je ne sais plus ce que j’attends,
peut-être simplement d’être un homme,
d’avoir un sourire, un mot, une vraie phrase,
la peau douce de l’amour.

Dans ce ciel bouché par les murs
on me vole mes haillons d’espoir.
J’ai oublié le vent et les orages,
l’odeur du pain chaud,
le tanin du vin et le rugueux des arbres,
le brouhaha cristallin
des cours de récréation,
l’odeur poivrée de la sueur
dans la cohue du métro,
le défi à la pesanteur des glycines,
le mal des montagnes
et la peur du vide,
l’ivresse de se perdre.

Je n’arrive plus à me perdre,
je peux juste supplier la mort.


Mane le 26 août 2019


… et le gardien de la peur

Je sais il a peur,
mais je ne sais quoi faire de la mienne,
elle monte du ventre,
avec la douceur d’une vague
et l’ivresse des mauvaises fièvres.

Je sais, il a peur.
J’ai du mal à lui dire bonjour,
mon regard masque mal ma détresse,
il se noie dans la houle des pensées mortifères.
Mes mots chevrotent dans ma gorge
ou décident de rester là,
impuissants et dérisoires.
Mes mains répètent les mêmes gestes
que seules les portes semblent apprécier,
elles ont la faiblesse des feuilles de hêtre
et les frémissements des vieillards.

Je sais, il a peur.
La journée, les insultes
fleurissent comme les herbes folles,
elles me laissent des traînées dans la tête
qui moisissent mes pensées.

Je sais, il a peur.
Ses menaces me pétrifient,
il sait où j’habite,
je n’ai plus de refuge,
plus d’endroit pour me laver
plus d’amour pour mes enfants,
juste un regard absent.

Je sais, il a peur.
Je voudrais être vieux,
ou bien juste un rien,
un oubli, une absence,
une fuite, une renaissance.



Mane le 28 août 2019


 
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   Provencao   
29/9/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
"Je sais, il a peur.
Ses menaces me pétrifient,
il sait où j’habite,
je n’ai plus de refuge,
plus d’endroit pour me laver
plus d’amour pour mes enfants,
juste un regard absent ."

Quelle sublime strophe, où tout est dit...."Je sais il a peur...."j'ai beaucoup aimé ce passage où l'autre est réduit à un objet d'emprise, et séparé de l'âme qui l'habite.


Un véritable champ de bataille pour le détenu et le gardien où ; se révolter, se défendre deviennent des actes d’affirmation libre de propriété.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Gabrielle   
3/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Deux témoignages poignants...

Le thème abordé est la quête de la perte de sa propre identité, sujet douloureux et tabou.

Le lecteur est invité à partager le ressenti des deux personnages, le détenu et le gardien, et peut constater que pour chacune d'entre elles, il s'agit de la même recherche, de la même volonté de fuir la réalité et de devenir autre.

Un vrai talent marque le texte qui dévoile les pensées les plus intimes et donne l'impression au lecteur qu'il est devenu détenu, puis gardien.

Au plaisir de vous lire...

   leni   
14/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
bonjour
L'auteur met le lecteur dans la position du détenu ensuite du gardien
Ils ont tous deux leur rôle Ce qui m'a frappé d'emblée est la force du
style Les mots martèlent les situations et vous acceptez de jouer les deux rôles TOUT CELA PARMI DES IMAGES qui sont des touches
impressionnistes BRAVO!
Le salpêtre dessine....
Nous sommes 4 5 6 7 CE passage est superbe de réalisme UNE TROUVAILLE
Le temps est un figurant

Je ne sais plus ce que j’attends,
peut-être simplement d’être un homme,


C'est troublant de vérité!

Voilà ce qu'on me vole..... et je peux juste supplier la mort

ET le gardien

Je sais, il a peur.
Ses menaces me pétrifient,
il sait où j’habite,
je n’ai plus de refuge,


JE VOUDRAIS

un rien,
un oubli, une absence

ce texte me plait beaucoup il est taillé à la serpe
Bravissimo et grand merci
Salut cordial LENI

   Vincente   
14/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Le regard ne manque pas de pertinence, l'écriture est souple, attentive à dire la crue réalité de l'état d'esprit du narrateur prisonnier. Et puis de nombreuses images singulières jalonnent l'évocation et lui apportent cette attractivité nécessaire pour adopter le point de vue mais aussi pour supporter la longueur du poème.

Cette longueur semble une volonté de l'auteur de signifier la longueur des jours de détention, où la moindre petite chose prend de l'importance, dans ce que l'œil capte de son horizon terne et dans le relationnel des humains qui y cohabitent, détenus et gardiens. J'ai senti des mots qui parlaient vrai, ce n'est pas depuis une expérience personnelle du milieu carcéral, je n'en ai aucune, je parle ici du souci qu'à eu l'auteur de se plonger avec générosité (je dirais presque avec militantisme social) dans l'âpreté de la vie pénitentiaire.

Je trouve très appréciable, aussi, que l'auteur se soit projeté dans la tête de son personnage au point de soutenir son humanité en lui prêtant une attention à son "gardien de la peur" (très judicieuse expression). Il le grandit ainsi humainement, lui dont le moral est au bas fond, lui qui se sent un moins que rien ; c'est comme si l'auteur venait le réconforter en l'invitant dans cette ouverture de l'esprit.

J'ai beaucoup aimé la première strophe "voyageuse", ainsi que dans la deuxième, cette singulière " augmentation" du nombre d'entités qui "occupent la cellule". Et puis de très nombreuses expressions (par exemple : "C'est le primaire de la vie " – "un pastel d'angoisse" – "…peur…monte…avec la douceur de la vague" – "moisissent mes pensées").
Dans la deuxième partie, je trouve très opportun le choix de l'anaphore "Je sais, il a peur," pour signifier la récurrence de la sensation.

L'auteur a su avec beaucoup de pudeur éviter l'écueil de la facilité démagogique, la force de l'évocation a pu s'affirmer sans cette entrave si fréquente dans le traitement de ce genre de propos dénonciateur.

   Anonyme   
14/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Beaucoup de force dans cette poésie.
Deux hommes que la situation unit et oppose simultanément.
Mais le même sentiment pour chacun d'eux : leur vie qui leur échappe.
Et la peur qui les tenaille.

Un beau texte, sans parti pris, empreint d'humanité.

   troupi   
15/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Il y a dans ce long texte de très belles images poétiques. Parler de beauté avec un tel sujet peut paraître incongru.
"Le salpêtre s’étirait avec nonchalance"
"Le temps s’étale
avec la puissance d’une tache de sang,
il promène ses quatorze heures de rien
dans les recoins de la cellule."
"J’ai oublié le vent et les orages,
l’odeur du pain chaud,
le tanin du vin et le rugueux des arbres,"
J’arrête là, je pourrais recopier presque tout le poème.

"Mes mains répètent les mêmes gestes
que seules les portes semblent apprécier,
elles ont la faiblesse des feuilles de hêtre
et les frémissements des vieillards."
Voila, cette fois c'est sûr j'arrête.

La vision du poète je l'espère n'a rien à voir avec la réalité car si c'est le cas il faut vite que le gardien change de métier, son sort est aussi déprimant que celui du prisonnier et je ne pense pas que ce soit le cas.
Donc la vision du gardien ne me semble pas crédible mais on ne demande surtout pas à un poème d'être crédible mais empreint de poésie et là ça fonctionne très bien.

   josy   
15/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
les mots sont justes.....et malgré le sort du prisonnier cernés de poésie
"il a oublié de rêver"
quoi de plus poignant
"les éclosions du silence "
me font mourir un peu
"Je ne sais plus ce que j’attends,
peut-être simplement d’être un homme,
d’avoir un sourire, un mot, une vraie phrase,
la peau douce de l’amour."
un poésie qui transperce l 'âme ...


merci ........

   krish   
17/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je trouve que tout y est. C'est à se demander si ce n'est pas autobiographique. J'y retrouve tout ce que je connais du monde carcéral avec en plus cette double vision qui donne au lecteur le recul nécessaire pour mesurer toute l'horreur de l'incarcération.
Un texte fort, émouvant et d'une humanité rare
La seule chose que je ne comprends pas est la forme. La présentation de ce texte, qui aurait presque la consistance d'une nouvelle n'apporte, à mon sens, rien de plus au fond.

   Anonyme   
19/10/2019
 a aimé ce texte 
Bien
J'aurais parlé d'un criminel, car un petit voleur n'implore pas la mort pour un temps réduit en prison. De longues peines peuvent mener au désespoir, mais SES délits sont du domaine de la "correctionnelle", pas des Assises... Ensuite j'ai imaginé un triptyque : criminel -(sa) victime-geôlier-
Ceci dit, je pense à une biographie, donc pourquoi ne pas avoir développer une "nouvelle" avec les raisons qui ont mené le narrateur en prison, et les affres de l'univers carcéral.
De beaux passages :

Les bruits métalliques (les clés?)
détruisent avec une belle ivresse
les éclosions de silence,
ils patinent la vie comme une obsession virulente.
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Mes mains répètent les mêmes gestes
que seules les portes semblent apprécier,
elles ont la faiblesse des feuilles de hêtre
et les frémissements des vieillards.


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