Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Poésie libre
ALDO : Èves
 Publié le 13/07/24  -  6 commentaires  -  1756 caractères  -  237 lectures    Autres textes du même auteur

Des voix, dehors, dans le jardin…
Oh, j'espère qu'elles sont dehors !


Èves



« Ô Toi que l’on dit le serpent d’hypnose,
Chante pour nous le lieu nommé Château !

Est-il pareil à ces villes d’eaux
Où dorment et s’enlisent
Les grands deuils colorés de rose ?

Ô Toi qui connais l’usage
Double de la langue, ose
Révéler le portail d’entrée,
Le fruit, la ronce sur l’allée
Du beau labyrinthe des choses !

Ô syntaxe de prédation !
Et nous, grammaire d’innocence,

Consentantes victimes d’un jardin sans sommeil,
Nous t’attendons…



– Mes amies,
Je ne sais rien de ce haut lieu.

Il faut me croire, il est trop tôt.

Je me cache encore dans les reflets du marais.

Le soir me débarrasse de mes noms
comme de peaux mortes,

et sous l’arc tendu des lunes
je rêve à la mi-nuit
la grande mue comme je rêve,

à même l’ombre du temps et de l’espace,
une musique nue :




Somnieuses délices
Qu’en un rêve familier
Lentement le plongeur

Aveugle de l’abysse,
Remonte par paliers
Aux tout premiers bonheurs.

Dans le ciel des hélices
Survolent le noyé
Au large d’équateurs…





– Oh déjà, déjà nous recouvrent les herbes d’abandon…

Mais toi qu’on dit bifide,
Encore, s’il te plaît, langue,
Une chanson !



– Ce soir le vent
Déjà la nuit
Et le sable du dormeur.

Il a bu le jour
À même le calice
Le secret a gorgé son cœur.

Sous l’étoile
Brillante se retire
La vague des morts

Et la mer s’illumine…



– Qui berce nos corps… »


 
Inscrivez-vous pour commenter cette poésie sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Polza   
1/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

Si l’on me le demandait, il me serait bien impossible de résumer ce poème ni même de dire de quoi il parle tellement je n’en ai pas saisi le sens !

Pourtant, et c’est ce qui fait sa force en ce qui me concerne, il m’a évoqué un tas de souvenirs (la chanson The end du groupe The Doors et son serpent chevauché par exemple), un tas d’images en plus d’être imprégné d’une indicible poésie, une poésie quasi mystique serais-je presque tenté d’écrire !

Déjà, ça parle d’Èves et de serpent, on baigne dans le religieux (en apparence du moins).

Dès l’exergue je me suis mis à me poser des questions et elles ne m’ont pas quitté et même s’accumulaient au fur et à mesure que je lisais.

« Des voix, dehors dans le jardin… (d’éden)
Oh j’espère qu’elles sont dehors ! » je me suis demandé si cela évoquait une personne qui aurait entendu des voix dans le jardin, mais qui, peut-être incertaine quant à ses facultés de perception ou facultés mentales, se demandait si ces voix venaient bien de dehors ou si c’est sa psyché qui lui jouait des tours.

« Ô toi que l’on dit le serpent d’hypnose, » je me suis demandé si la narratrice (j’imagine qu’il n’y a que des femmes dans ce poème, à part le dormeur) voulait parler du cobra.

Si oui, cela ouvrirait une multitude de champs des possibles quant à l’imagination et l’interprétation (les interprétations) proposées au lecteur (au voyageur ai-je envie d’écrire, tant c’est un voyage métaphysico-cosmique à travers lequel j’ai eu l’impression de vagabonder !).

Je pourrais aller du côté de l’hindouisme et des nãgas et par extension de la kundalini ou m’aventurer dans un tas d’autres possibilités, mais je me perdrai sûrement en route et j’en perdrai le sens et l’essence de votre poème.

« Chante pour nous le lieu nommé Château » d’un côté il y a le serpent qui est parfois synonyme de danger, de l’autre le Château qui lui est plutôt synonyme de forteresse, de sécurité, la mort d’un côté, la vie de l’autre…

« Les grands deuils colorés de rose ? » encore une fois, une opposition, les grands deuils teintés de noir sombre opposés à cette couleur lumineuse qu’est le rose.

« Ô Toi qui connais l’usage/Double de la langue, ose » ici la langue est double, peut-être par extension ce passage souligne la dualité entre le bien et le mal, la vie et la mort (encore). Bien sûr (enfin je crois), il s’agit aussi d’un double sens entre l’usage de la langue double au sens propre pour le serpent bifide comme au figuré pour le double langage.

« Consentantes victimes d’un jardin sans sommeil, » ce passage laisse entrevoir qu’il s’agit d’une cérémonie funéraire, d’un funeste rituel où chacun sait quelle est sa place, une sorte d’indissoluble procession. Le jardin où l’on peut d’habitude se reposer devient un jardin sans sommeil.

« Le soir me débarrasse de mes noms/comme de peaux mortes, » le serpent encore et toujours présent tout au long de ce poème, les peaux mortes évoquant la mue, le changement, un nouveau monde peut-être. « la grande mue comme je rêve, » c’est d’ailleurs repris quelques vers plus loin dans ce passage.

« Ce soir le vent/Déjà la nuit/Et le sable du dormeur. » j’ai dans ce passage pensé à Dune et au dormeur qui doit se réveiller. « Il a bu le jour/À même le calice/Le secret a gorgé son cœur. » cela va dans la continuité de mon impression, l’épice, la boisson à même le calice, le secret qui est révélé par une vision, une montée (prise) de conscience…

« Sous l’étoile/Brillante se retire/La vague des morts/Et la mer s’illumine…/-Qui berce nos corps… » même si je n’ai pas tout saisi dans votre poème (comme je le souligne au début de mon commentaire), il est cependant empli d’instants de grâce comme celui-ci, poétique et magnifique à souhait !

Ce poème est rempli de secrets qui ne me sont pas tous accessibles et j’aurais pu être tenté de rester à la surface et de ne tenir compte que du côté obscur, sans aller plus loin ou en ne l’appréciant que moyennement. Mais c’eût été dommage, je trouve, l’hermétisme (pour moi en tout cas) de votre poème est peut-être ce qui fait toute sa force poétique et créatrice.

Polza en EL






   Hiraeth   
13/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Mon cerveau est encore trop embrumé ce matin pour ne serait-ce que tenter une exégèse de cet obscur poème, mais il est suffisamment vif pour en apprécier la puissance incantatoire et en percevoir la richesse sémantique. Comme toujours, ai-je envie de dire, en poésie libre l'excellence s'atteint avec une certaine dose de contrainte formelle, ce qui est le cas ici.

Je ne sais pas si vous connaissez ce poète, je suppose que oui, mais votre texte pue le Saint John Perse à plein nez (v11-14 ou 19-25 notamment, ou encore le "oh déjà, déjà nous recouvrent les herbes d'abandon") et c'est l'un des plus beaux compliments que je puisse faire.

À relire quand je serai plus réveillé.

Merci

   Provencao   
13/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour ALDO,

Merveilleux écrit avec une vibration mystique forte.

Plusieurs lectures...j'y ai lu du Monchanin avec cette rencontre de l'un et du multiple : en ces vers "Ce soir le vent
Déjà la nuit
Et le sable du dormeur.

Il a bu le jour
À même le calice
Le secret a gorgé son cœur.

Sous l’étoile
Brillante se retire
La vague des morts

Et la mer s’illumine…"

Belle signification du monde et de soi-même.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Eskisse   
13/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour ALDO,

Je remarque que l'auteur délaisse ici le singulier de sa série de poèmes titrés de prénoms. Est-ce à dire qu'il donne à celui-ci une place à part ?
Nul n'est besoin de comprendre ce poème pour apprécier sa grande musicalité mais il nous invite tout de même à en percer le mystère alors voici ce que produit sur mon cerveau ce poème dialogique.

Je remarque que l'auteur procède à des inversions grammaticales qui accompagnent, sur le fond, des renversements de valeur.
Le poème commence comme une épopée par une invocation non à la muse-déesse mais au serpent-muse: " Chante pour nous le lieu nommé Château !"
Ce sont ici les femmes qui demandent le chant et non un aède.
Le serpent ne doit pas chanter un héros mais un lieu féérique qui ne recèle pas la belle au bois dormant mais qui appelle un " dormeur".
Ce sont les Eves qui attendent le serpent et non l'inverse.
Le serpent n'a pas l'air de symboliser le Mal. Il chante non pour envoûter ou hypnotiser mais pour délivrer un savoir.
Pardonnez ce mélange de mythologies qui a imprégné mon esprit et ces inversions, impromptues...

Les vers sont doux et chantent eux aussi.

Un poème qui célèbre nos mues, nos métamorphoses.

Merci du partage.

   EtienneNorvins   
15/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Le titre intrigue d’abord par le pluriel. « Celle qui donne la vie » est unique dans le récit de la Genèse ; mais on se souvient que ce récit est double (1 :27 / 2 :7 et suivants).

On se rappelle aussi que la tradition talmudique semble avoir tiré d’Isaie la figure d’une « anti-Eve » : Lilith, la « nocturne ». On peut donc s’attendre à une figure double, une sorte de Janus bifrons féminin ?

Cette dualité, et le fait qu’Eve est aussi un palindrome, invite enfin à lire le titre dans les « deux sens » : SEVE apparaît, qui suggère l’Arbre, celui de la Vie, ou de la Connaissance, l’Arbre du Jardin dont le Fruit est source de perdition ? Les Eves attendues seraient donc le « principe vital » qui circule dans l’Arbre, ce qui l’anime (lui donne une anima, une « âme »?).

Une dernière piste est purement visuelle : par sa forme, le S ressemble à un serpent dressé, et voici donc EVE/S, la compagne d’Adam à côté du reptile fatal…

Et puis … rien ne se passe comme prévu. Ou plutôt : tout semble aller de travers.

Ainsi que souligné par Eskisse, du Mal(e), il n’est question nulle part dans le texte. Les Eves sont des voix plurielles (comme indiqué dans l’incipit et confirmé dans la première réponse du serpent : « Mes amies… »), et ce sont elles qui semblent « charmer » le serpent – avec cette dimension phallique : les voix, rendues par des strophes rimées, suggèrent les douceurs langoureuses d’un frisson amoureux ? Le serpent est-il invité à se « délover » et à se dresser pour dire, comme un cobra royal sous la puissance d’une flûte ?

Une autre image s’impose alors bientôt : celle d’Ulysse, attaché à son mât (phallique, lui aussi), assailli par les voix des sirènes. Et l’on note au centre d’Ulysse, l’homme aux mille ruses comme le rusé serpent, une lettre qui ressemble furieusement à la langue bifide de ce dernier :)…

Cette dimension homérique est renforcée par le deuxième vers qui évoque tant le début de l’Iliade que celui de l’Odyssée… Le serpent est donc aède et les Eves, son auditoire ?

C’est du serpent qu’on attend une « vérité » : il « connaît » (v.6), on lui demande de « révéler » (v.8). Mais celle-ci semble très ambivalente : en même temps, le serpent est dit « d’hypnose » (v.1), sa langue (au sens de l’organe et du langage) est deux fois « double » (v.7 / v.36). Le Verbe est avec Dieu et il est Dieu ; mais il peut aussi devenir Parole Vaine et passer au service du Tentateur… Étymologiquement, charme et chant ne sont qu’un.

On est donc, lecteur, dans plusieurs entre-deux :
- entre les Eves et le serpent, lequel insiste dans sa première reponse, qu’il est à mi-chemin (mi-nuit, mues, plongeur quelque part entre profondeur et surface, près d’équateurs, lignes qui partagent le monde en deux demi-sphères égales) ;
- entre le rêve (échos dès le v.1, filé au v.13, des Jardins d’Hypnos de Char?) et la veille (le Jardin est dit « sans sommeil »), victime consentante d’une hallucination ?
On frise une folie, qui était déjà suggérée dans la crainte qu’on lit entre les deux lignes de l’incipit…

Et bien sûr, dans l’incertitude du message délivré. On note deux requêtes des Eves, la seconde très courte et qui a des allures de supplication, deux réponses du serpent, et un vers conclusif qui est à la charnière puisqu’il semble continuer et prolonger dans une suspension l’illumination : « … / - Qui… »

Mais de quoi est-il question ? D’un château d’eau, qui fait songer à Ys, au Roi pêcheur… près d'un Jardin qui est peut être d'Eden, avec portail, fruit et ronce... D’un plongeur, qui évoque la célèbre fresque de Paestum… D’une illumination finale - aux échos rimbaldiens : dernière oeuvre de l'ambivalent Arthur, et dernière phrase de sa Saison ("la vérité dans une âme et un corps")… On peut y lire un lieu entre vie et mort, entre rêve et réalité (ce "labyrinthe des choses"), la lente recherche du mot juste, l’acte poétique lui-même...

Ou, comme vous l’avez souligné en forum, comme des voix adultes, qui rassurent à l’étage un enfant qui s’endort. Nous sommes tous issus d'une fille d'Eve...

Hiraeth a souligné une certaine parenté avec Saint John Perse : elle est en effet à nouveau manifeste, par cette matérialité riche, dense et fluide de vos métaphores. Merci Aldo pour ce 10è Opus !

   Rosaura   
21/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonjour ALDO,

Des passages superbes :

"Est-il pareil à ces villes d'eaux
Où dorment et s'enlisent
Les grands deuils colorés de roses?"

"L'arc tendu des lunes"

"Et la mer s'illumine ...

-Qui berce nos corps"...

Superbe !
Plusieurs voix se répondent comme une tragédie grecque. Celle des Èves qui chante leur attente. Celle du serpent, de sa langue fluide au plus près des secrets de la vie primitive, celle distanciée d une sorte de chœur qui dit le mystère du serpent tapi dans les remous de la mer ou des marais et sa souplesse insaisissable.

Vous avez un réel talent pour faire vibrer la langue. Une musique secrète et fugitive des choses primordiales à la façon de la mue du serpent déjà fondu en des paliers supérieurs ...

Cependant il me manque quelques petits cailloux blancs pour harmoniser ces différents mouvements même si la concentration de ces reflets rend la mer si lumineuse.

La cousine du petit Poucet.


Oniris Copyright © 2007-2023