Binoclo n’a jamais raconté son histoire,
Mais de nombreuses personnes il risque de décevoir,
Si, oublieux du passé, il vit dans l'instant,
Il vit dans la minute qui suit, indolemment.

Vous vous attendiez à toute autre personne,
Vous dites : « Ce bouffon ? Que Dieu me harponne ! »
Seulement voilà : je crache des vers en abondance
Peu me chaut qu'ils appellent votre seule indifférence !

Cette chanson est pour les idiots qui ne l'aimeront pas,
Mais aussi les benêts qui s'en délecteront,
Oui, à l'instant je paraphrase un de mes maîtres :
L'illustre Desproges, le plus cynique des êtres...

Non, je ne vous ferai pas mariner plus longtemps,
Trêve de digressions, allons toujours de l'avant !
Souffrez seulement que par « tu » je vous apostrophe,
Car nous nous côtoyons depuis bien seize strophes...

***

(La scène se déroule dans un joli boqueteau :
Binoclo batifole dans un bois de bouleaux.)

Un jour, austère, je marchais sous les frondaisons
Quand un étrange terrier retint mon attention
Intrigué, j’y poussais une main insouciante,
Et la retirais, en une douleur térébrante :

Une vieille taupe dégarnie et mutante m’a mordu !

La première nuit fut horrible, pleine de cauchemars,
Toute ma chambre semblait flotter dans un brouillard,
Au petit matin la surprise fut immense,
Quand devant la glace, je voulus faire une danse.

Je me rendis compte qu’une myopie m’avait saisi,
Pour mon corps, je crus d’abord à une plaisanterie ;
Des pectoraux aux biceps un changement si brusque :
J’avais bien pris dans la nuit dix kilos de muscles.

Face aux pouvoirs qui m’avaient été octroyés
Je vis mon ancienne vie comme celle d’un timoré,
Ainsi, j’eus souvenance d’un mot du paternel,
Qui changeait si bien de ces vieilles ritournelles :

« Pas besoin de drogue, la musique seule fait planer ! »

***

Je décidai alors d'écrire,
Me composant un personnage,
Double ridicule, pince-sans rire,
Je le ferai à mon image...

Bouffon à souhait, bête, binoclard :
Le concept est bien nouveau n'est-ce pas ?
Cela nous fera bien du chambard :
La provocation est toujours là...

Des lettres : tu peux te faire le sigisbée (« Oh j'aime la chorée, la trochée et le spondée ! » (voix off))

Mais ne crois pas qu'elles vont te ménager,
Que cette voie est aisée, qu'elle offre tout :
La vie, injuste y accumule pour nous
L'emmerde, l'emmerde, toujours recommencée...
(Oh récompense après une torchée,
Qu'un long regard sur la calme banlieue !)

Le mutisme de l'obtuse muse m'use, et muselle
Le plus patenté des poètes papuleux...
Bon d'accord : prétextant l'allitération
Je fais des vers débiles, qui ne riment même plus,
Dans l'hendécasyllabe, je me suis perdu !

***

Il faut que je te parle de ce double maléfique,
De ce Mr Hyde, ô combien horrifique :

Ainsi, je sens poindre en moi B.E, l’insolent,
Archétype du rappeur machiste et décadent,
Éléphant dans un magasin de porcelaine,
Il n’y a que le tumulte, le chaos qu’il sème,
Grossier personnage : je te jette l’anathème !

Il paraît que les insultes font vraiment viril,
Qu’un rappeur doit être vulgaire, c’est une clause de style…
Mais des fois c’en est trop, ça devient une antienne,
Certains sombrent dans une « frigidité citoyenne » !

Tu peux rire de mon mot, il n’est pas si terrible,
Or je me présente nullement comme infaillible,
Je tombe, me redresse et disparais de nouveau,
L’édifice est bancal ? Je tente toujours plus haut !

Ne crois cependant pas que je chante du Carla :
Bien souvent - surtout quand tu ne t’y attends pas -,
Mes vers si paisibles deviennent subitement hastés,
L’effet de surprise en est ainsi redoublé.

D’expressions effrontées, de syntagmes cinglants
J’ai fait mon fiel : les mots s’agglutinent méchamment,
Je cherche à m’en faire une véritable garde-robe,
À ce qu’aucun, vraiment aucun, ne se dérobe
J’ajoute, je soustrais, je polis, je cohobe.

Tu diras : « Ceci manque de spontanéité :
Épiphanie est bien l’autre nom de la Beauté »
Une belle qualité, apanage du vrai génie,
Onques ne serait capable d’écrire comme Shady !

***

Je regarde sans trop y croire mes vers floculer,
Des constellations de mots je dois visiter,
Je n’aime pas les enchaîner les uns aux autres,
Mais recherche la tournure qui soudain m’emporte…

Et toujours me mène au-delà du texte lui-même.