Au clair d'un ciel d'azur, dans un coin de rivière,
Une belle fario rêvassait au soleil
Profitant du confort de son lit de gravière
Et du doux chant des eaux si propice au sommeil.

Un œil toujours ouvert sur son joli domaine
Pour en chasser l’intrus ou gober le vairon,
Elle se réjouissait d'avoir saisi l'aubaine
De quitter, au plus tôt, le modeste giron.

Et se remémorant ses premiers sauts de truite
Près de ses feus parents restés dans le ruisseau,
Elle ne manqua pas de poster dans un tweet
Que la clé du succès était à son trousseau.

D'aucuns auraient, ici, coulé des jours heureux
En se satisfaisant de la situation
Mais c'était sans compter l'ardeur des mille feux
Qui dévorent l'esprit quand vous tient l'ambition.

Elle voyait plus grand, plus beau, plus luxueux,
Le criant haut et fort à qui voulait l'entendre.
Sa voix fut entendue par le Prince des lieux
Troublé par ce raffut heurtant son ouïe tendre.

C'est ainsi qu'un matin l'invita le Brochet :
« Venez donc jusqu’au fleuve où vivent les notables,
Vous verrez des palais d'un tout autre cachet
Et serez, dès ce soir, bien servie à nos tables. »

Heureuse que son rang fût enfin reconnu,
La Belle se rendit au dîner carnassier.
Mais, devant l'assemblée, elle apparut « menu ».
Et mourut aux palais… des mâchoires d'acier.

La chance, nous dit-on, sourit aux audacieux.
Voilà un contre-exemple à regarder en face.
Quand l'estime de soi vient tutoyer les cieux
Il faut lester ses pieds pour bien peser sa place !