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Poésie contemporaine
Camlai : Sganarelle
 Publié le 27/11/15  -  5 commentaires  -  21007 caractères  -  68 lectures    Autres textes du même auteur

Sganarelle, ou les vicissitudes d'un faquin. Recueil de dix poèmes formant un seul grand poème narratif, relatant l'histoire de Sganarelle, célèbre valet chez Molière, et de sa rencontre cruciale avec Dom Juan.


Sganarelle



I
LE VAGABOND DES BOIS

« Lorsque parmi les porcs je naquis dans la boue
Un matin de ribote, au pied d’un débauché,
Dans le ciel silencieux de l’hiver le plus doux,
Le soleil fulgurait mais n’osait me toucher.

Ne sachant de quel ventre on m’avait arraché,
N’ayant ni famille, ni patrie, ni valeur,
J’errais sur les sentiers comme un lépreux taché
Qu’on fuit pour échapper au venin et aux pleurs.

Et si, dans certains bourgs, on ne me fuyait plus,
C’est à coups de harpon, de balais de mégère,
Que la vie me chassait jusqu’aux lointains talus
D’où je dégringolais jusqu’aux bois de fougères.

Les turbulentes nuits, quand les arbres chahutent
Et que le vent dans les feuillages se larmoie,
J’écoutais en pleurant, du fond de ma cahute,
Le cri de la corneille aussi triste que moi.

Mais les temps ont passé, les étés, les hivers,
Donnant aux voyageurs une nouvelle chance.
Et qui sait, si sur l’un de ces chemins d’errance,
Un ami au grand cœur m’attend les bras ouverts ?

~

Je suis Sganarelle, l’esclave du trottoir
Qui va, sans plus tarder, vous narrer son histoire. »



II
L’AUBERGE DES HARPIES

I
Sganarelle une nuit, ayant trouvé refuge
Dans une auberge close, à l’abri des grands froids,
Tentait de dérober, par un fin subterfuge,
Quelques croûtes de pain pour son festin de roi.

Il chercha la cave, survolant le plancher
Tel un spectre effacé qui répand sa frayeur
À travers le sommeil des vagabonds couchés,
Mais la peur et la faim le guidèrent ailleurs.

Dans une salle obscure il entra pas à pas
Pensant trouver alors de quoi faire ripaille
Mais au lieu du cellier et du copieux repas
Il surprit deux amants copulant dans la paille.

« Que n’ai-je mis le pied dans la chambre du diable,
Ce lupanar crasseux aux démones de fer !
Moi qui voulais le vin et la briffe à ma table,
Voilà que l’on me sert le venin des enfers !

Parfois le cœur des hommes est gorgé d’un liquide
Que l’on ne peut goûter tant il est venimeux,
Mais les femmes d’ici, que l’on dit si candides,
S’obstinent à sucer ces organes bréneux !

Admirez ces harpies qui rongent les carcasses
Des garçons les plus sots pour en trouver la moelle
Et ainsi étouffer l’amour qui les tracasse
Avant de s’envoler à jamais aux étoiles. »

L’étreinte interrompue par le long monologue
Et les vers indignés que récitait l’esclave
L’amant put se lever, de son air le plus rogue
Et gronda le maraud de sa voix la plus grave :

« Qui trouble mon dortoir par des mots si vulgaires ?
Est-ce un rat qui couine ? Un crapaud qui coasse ?
Et dont le jugement ne m’affectera guère !
Je n’aime à me mirer que dans mes propres glaces.

Sa langue cependant, semblable à la vipère,
Derrière sa rangée de canines noircies,
S’attaque sans pitié à l’honneur de nos pères !
Comment peut-on juger le cœur d’un homme ainsi ?

Allez ! Va ! Tes yeux laids me rendent pudibond,
Et le vent du couloir s’engouffre dans mes draps !
Ma proie se refroidit ; or le repas n’est bon
Que si la viande est cuite et que le foie est gras. »

II
Quand l’aube vint planter ses rayons scélérats
Dans les yeux du rêveur, affamé, sans paillasse,
Entre les scarabées, les mouches et les rats,
Il sentit comme un bras agripper sa tignasse.

Ce bras, fier et vengeur, comme le tronc des chênes
Le souleva d’un coup sans même crier gare ;
Il s’aperçut alors, dans une peur soudaine,
Que l’homme revenait réclamer sa bagarre.

« Fuyons maraud ! Fuyons ! La gueuse est hystérique !
Et ma présence ici n’engendre que folie ! »
Sganarelle, éperdu, exigea qu’il s’explique :
« Quelle envie peut pousser un amant hors du lit ? »

« La Honte pauvre idiot ! La honte de la Gloire !
J’ai remué violemment pareil à l’hydre antique
Avec tant de vigueur, de bonté, de pouvoir,
Que mon âme a doublé dans le ciel romantique.

Sans frontière, la femme est semblable à Grenade,
Cet infime lopin où les gens se mélangent,
Car sans être aperçues, ces mégères malades
Transforment leur plaisir en une fièvre étrange !

Quitte cette auberge ! Comprends-tu ? Sauve-toi !
La grosse crie au viol et jure ignominie
Car insultée ce soir par tes mots peu courtois
Elle se sent blessée par ta misogynie. »

Ignorant bien tous deux ce mot fort peu commun,
Faute de n’avoir lu aucun ouvrage grec,
Ils partirent ensemble au milieu des chemins
Sur les sentiers fleuris, et sur les pavés secs.


III
CHEZ DOM JUAN

Sir Dom Juan n’avait pas de belle forteresse
Ni de fier pont-levis, ni de solide mur
Mais des lits, des divans, des gardes sans armure
Dont la forte poitrine attirait les caresses.

Jour et nuit dans ses draps, Dom Juan se prélassait
Escorté par la Femme aussi douce et câline
Qu’un félin ronronnant à la langue maline ;
Et quand il ne jouait pas, ce beau roi rêvassait.

Dans le grand gynécée où fourmillaient les belles,
Le valet malicieux, qui avait pour mission
De garder le bétail, en proie aux tentations
Répondait humblement au nom de Sganarelle.

Il agaçait Dom Juan, qui voulait le tuer
S’il se voyait hardi, ou s’il haussait la voix
Mais le cœur d’un valet compte plus pour un roi
Que les corps enflammés de mille prostituées.


IV
LA CHUTE DE DOM JUAN

Ces années de débauche et d’étreintes torrides,
Donnant au cœur un poids et à la peau des rides
De blafardes couleurs amochant le faciès,
Menèrent le beau prince au seuil de la vieillesse.
Il avait sur sa lèvre alourdie et usée
L’amer sel déposé par le flot des baisers
Et ses yeux ayant vu, trop de fois le soleil,
Éclatante poitrine, à l’horizon vermeil,
Se plissaient désormais pour observer la Lune ;
Seule amie, dernier sou de toute sa fortune.
« Puisque ma lumière, grand soleil sur son char,
Me fuit comme une reine aurait fui un clochard ;
Puisque ce qui m’avait jusque-là indiqué
Les bons chemins à prendre et les gens à moquer
Disparaît maintenant, me laissant dans le noir
Je tournerai mes yeux vers un autre allumoir.
Ô Lune ! amie du soir, n’étais-je pas risible
À vouloir tout gagner pour être plus visible ?
Et ce que je croyais être mon beau reflet
N’était qu’un astre infâme qui me ressemblait.
Lune ! douce pupille, étais-je ridicule
À vouloir caresser ce galbe qui nous brûle ?
Ce sein rouge et gonflé que j’aimais ô combien !
Cet attrayant soleil que l’on nomme le Bien ?
Maintenant tu es là. Je crois avoir compris
Car je sens dans ton ciel s’élever mon esprit,
Perçant de sa lueur la douce obscurité
Qui jusqu’ici alors ne m’avait exalté. »
Dès lors il eut pour but de trouver en Espagne
Dans les villes, les bourgs, les cités, les campagnes,
Un amour simple et doux, une femme opportune,
Mais les femmes se rient des vieux fous sur la Lune.


V
LE CHASTE

« Je me sens un cœur à aimer toute la terre »,
Disait Dom Juan naguère à son valet confus ;
Toujours dans le désir, et toujours à l’affût
De la moindre beauté maquillée de mystère.

Mais bien vite il cessa ses caprices profanes,
Ses charnelles façons, ses lascives manières
Et comme l’ours qui dort six mois dans sa tanière,
Il s’abstint quelque temps, loin de ses courtisanes.

Or il est dangereux d’être à jeun de tout vice
Pour quiconque a grandi, tétant la cantharide
Poison des amoureux, lait vital et putride,
Puisée au sein gonflé de l’impure Nourrice.

Pendant quarante nuits, ce bon roi résolu,
Se prit pour un ascète, angélique et vertueux,
Sans jamais remarquer que se formait un nœud
Autour de ses atouts qu’il n’utilisait plus.

Et il alla ainsi, l’entrejambe noué,
Trouver remède sous les robes de sa belle.
Mais sa belle avait fui en un battement d’aile,
Comme un corbeau des champs regagnant ses nuées.



VI
LE CHARITABLE

Afin d’éradiquer toutes les alvéoles
Qui forment en lui-même un poumon détestable,
Et pour mieux arborer la divine Auréole,
L’homme se prête au jeu des secours charitables.

Cependant, si les lois punissent tous les crimes
Les crimes, quant à eux, punissent les vertus,
Car quiconque voudra se montrer magnanime
Ne devra pas se fier aux pleurs des combattus.

Dom Juan vagabondait de ruelle en ruelle
Un matin de juillet, dans les bourgs sévillans
Lorsque surgit un gueux dont l’étrange gestuelle
Lui rappela l’aumône et les mains des mendiants.

Momentanément pris d’une fausse pitié
En voyant sa lenteur et ses doigts squelettiques
Notre crédule roi fit don de la moitié
De sa précieuse bourse à ce paralytique.

Mais sachez que le vin donne un air misérable
Et que même les ducs s’enivrent en public.
On apprit que Dom Juan, par cet acte admirable
Avait donné son or à un riche alcoolique !



VII
LE FLEGMATIQUE

Une nuit que Dom Juan pleurait sa solitude
Alors que le valet, comme à son habitude,
Sympathique et fourbu, venait tendre la joue
Afin d’y accueillir la lame de son joug,

Il ne lui infligea qu’un soupir plein de fiel
Ainsi qu’un aquilon qui traverse le ciel,
Puis, plongeant son regard dans celui du bouffon
Il fit part, tout honteux, de son chagrin profond :

« Pourquoi ? Maraud ? Pourquoi ? Le monde change encore…
La fatidique nuit m’a mené vers l’aurore,
Le tumulte des mers m’a conduit au naufrage
Tandis que je noyais mes derniers cris de rage.

Naguère c’était moi le seigneur des tempêtes
Qui faisait couiner l’orgue et siffler les trompettes,
Qui déchaînait les eaux, grondait les mariniers
Pour voir tanguer les mâts des bateaux fourvoyés.

Mais dès lors que Monsieur s’est arrêté de rire
Je ne suis plus admis au bal des hétaïres,
Car j’ai cessé le stupre et redressé l’échine,
À croire que mon corps n’était qu’une machine ! »

Le vilain fredonna ce chant un peu discret :
« Toutes les femmes qui, jadis, le vénéraient
Le fuient dorénavant, pour sûr, ça les amuse…
Et ainsi va l’été, et ainsi vont les muses.

Et ainsi vont les muses, après ce bel été,
Mais son larbin toujours était à ses côtés,
Et c’est dans la forêt, loin des capharnaüms,
Qu’il mourut sans un mot. Grand seigneur méchant homme. »

« L’univers tout entier a beau s’être effacé,
Reprit Dom Juan vexé, quinteux et agacé,
J’entends cependant geindre, au loin, mon barde odieux
Qui ânonne son chant si miséricordieux !

Il a fallu qu’un rat s’agrippe à mon linceul
Et vienne y promener la laideur de sa gueule,
Avant de pénétrer mes intestins poreux
Afin que, même mort, l’on me croie dangereux ! »

Et ainsi revenue d’un souvenir lointain,
Sa Colère subite, empourprant tout son teint,
S’abattit sur le gueux, qui, heureux, répondit :
« Je ne vois, dans ce cri, rien de nouveau, pardi ! »


VIII
LE PROCÈS DE SGANARELLE

Extirpé du sommeil par un songe troublant
Notre triste seigneur se confia à la lune :
« Berces-tu mon repos, Ô toi ! Astre si blanc ?
Ou bien l’excites-tu tels les lacs de Neptune ?

Car me voilà ballant, sorti de mon tombeau,
Traversé ça et là de pensées oniriques.
Veux-tu tendre l’oreille, Ô toi ! Astre si beau ?
Et ouïr mon récit, fantasque et chimérique ?

Je me trouvais debout, au cœur d’un tribunal
À la barre, accoudé, faisant face à la Cour ;
À gauche un échevin, à droite un cardinal,
Puis mille et un jurés bredouillant des discours.

À la vue de certains, dont les trognes en sueur
S’enfonçaient lourdement sous des perruques grasses,
J’en déduis que Bacchus avait souillé sans peur
Le théâtre des lois, de vin rouge et de crasse.

Le juge bedonnant ordonna le silence,
Et se tournant vers moi, prononça le verdict :
« Au nom de la Thémis, trônant sur sa balance,
Votre vicieux grison ne fuira la vindicte !

La Nature a voulu l’exempter de la Peur,
De l’Angoisse infinie qui hante les gens libres,
Qui engendre l’orgueil dans les plus humbles cœurs,
Rêvant de gouverner avant même de vivre.

Ainsi votre valet, puits de farce ambulant,
Restera enchaîné au sol de vos humeurs,
Et ce bouton de haine irritera vos flancs
Comme une indestructible et visqueuse tumeur ! »

L’on s’apprêta à voir jaillir de mon gosier
Le plaidoyer vainqueur des âmes miséreuses :
« Votre honneur, je savais que vous refuseriez
Ma demande insensée, ma requête audacieuse,

Mais je sens que du doigt, je frôle mon pardon ;
Qu’en libérant ce fou j’aurais les mains lavées,
Du sang qu’a fait couler un ancien Céladon,
Et des larmes versées au nom d’un dépravé.

Ni loi, ni tribunal, ni justicier en robe,
Ne sauraient empêcher un homme d’être preux,
Et je sais que même les plus sales microbes
Trouvent un peu d’amour en dehors des lépreux ! »

L’assemblée m’applaudit, provoquant mon sursaut
Dans ce palais lugubre où nul ne m’apprécie,
Si ce n’est toi, Ô Lune ! Aux remords abyssaux,
Dont le regard me pousse à partir loin d’ici…




IX
DOM JUAN AUX ENFERS

Déshonorer l’étoile au-dessus de nos têtes
C’est amener un homme aux portes des enfers.
Rappelons-le, c’est vrai, l’humain est une bête
Sur la Terre, égaré, ne sachant trop que faire.

Un jour de grands tourments, à peine ensoleillé,
Dom Juan, le cœur lourd et, les poumons pleins d’orgueil,
Voulut se libérer de son corps ennuyé
Qui gisait sur un lit comme au fond d’un cercueil.

Oh oui ! Il regrettait, nostalgique étincelle
L’époque où les serpents se tortillaient sur lui,
L’époque des orgies, l’époque des pucelles
Enceintes de leur mal qui gargouillait la nuit.

Il se leva, perçant sa bulle de rancœur,
Attela les chevaux à une diligence,
Et crispa les deux poings d’un air fier et vainqueur
Comme pour annoncer aux dieux une vengeance.

Sur la place publique une bande de gueux
Buvant quelques godets en trempant leur moustache
Paniqua quand, au loin, des chevaux peu fougueux
Hennirent de douleur sous des coups de cravache.

Mais arrivé près d’eux, le prince ridicule
Comme un triste bouffon tout habillé de loques,
Les fixa, l’œil hagard, depuis son véhicule
Et de sa grave voix, débuta le colloque :

« Paysans sans destin ! Écoutez le message
D’un dieu tombé du ciel, père des plus beaux anges,
Et dont le cœur brisé par cet atterrissage
S’est réveillé en sang, avec la peur étrange

De ne jamais revoir les sourires du ciel,
Ni sentir sur sa joue les baisers des nuages,
Car au-dessus de vous, les sanctions officielles
S’abattent comme un joug, plus grondant que l’orage !

Me voilà donc mortel ainsi que vous, marauds !
À redouter le Temps plus que l’Éternité.
Le Temps sur l’échafaud, ce malicieux bourreau,
Qui par sa tendre bouche aspire ma beauté.

Mais j’ai su, comme un mort, m’échapper de mon trou,
Et saisir en moi même une énergie nouvelle
Qui me prouvera que par-delà le courroux,
La sagesse et la paix ensemble se révèlent.

Alors pardonnez-moi, ivrognes sans mépris,
D’avoir sali vos cœurs et câliné vos femmes.
Maintenant que les vents ont détruit mon esprit
Je suis prêt à bâtir et reforger mon âme.

Aidez-moi à finir ce nouvel assemblage !
Vous êtes bien les seuls à posséder en vous
Les matériaux qui font un homme bon et sage
Et vos mains sont plus drues que mes mains, je l’avoue !

Croyez-moi, j’ai changé ! J’aime à présent les fleurs
Et je ne suis plus sale, à présent je me lave !
J’ai vidé mon sérail, aboli mes valeurs,
Et libéré le gueux qui me servait d’esclave ! »

À ces cris le public, qui connaissait l’idiot
Pour s’être tant battu à grands coups de binette,
S’esclaffa haut et fort en crachant des glaviots
Au visage indigné du Dom Juan malhonnête.

On se railla de lui avec hilarité :
Les plus faibles lançaient des lazzis, des sarcasmes,
D’amères allusions afin de l’irriter
El les plus saouls jouissaient d’un maupiteux orgasme !

Et soudain, ces faquins, comme un troupeau de rats
Qui entoure sa proie, sa belle et tendre moelle,
Saisirent le seigneur qui vers les cieux jura :
« Je ne joue plus avec le dessein des étoiles ! »

Ils agrippèrent tous, avec rudesse et rage
Ses jambes ou ses bras, son buste gigotant,
Pour l’amener à l’eau d’un sombre marécage
Où des crapauds chantaient pour oublier le temps.

On descendit Dom Juan vers l’onde souterraine
Où l’attendait déjà une barque émergée
Prête à quitter la rive et l’existence humaine
Vers un monde d’ennui qu’il avait négligé.

« Ainsi donc les hommes, perdus dans leurs mystères,
Ne se contentent pas de leur propre bassesse.
Ils ont creusé jusqu’aux intestins de la Terre
Pour y baigner leur corps et noyer leur tristesse.

Dans ce fleuve indolent je trouverai la Mort
Et mon pâle reflet fuira dans l’Achéron…
Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Vous resterez des porcs
À jouir et forniquer dans votre propre étron ! »

Parmi les grimaceux qui l’embaumaient d’opprobre
Il crut apercevoir le plus laid des visages,
Abîmé par le froid et la brume d’octobre,
Celui de son valet, qui réclamait ses gages.

Son cœur alors s’emplit de honte et d’amertume
Si bien qu’on le lâcha avant d’atteindre l’onde,
Car si l’Amour se veut léger comme la plume,
Le chagrin, quant à lui, est plus lourd que le monde.




X
LA MORT DE SGANARELLE

Après avoir reçu l’humiliation publique,
Dom Juan rentra chez lui, dans son morne château,
Où dormait sagement le larbin diabolique,
Qu’il pensait avoir vu dans sa peur de tantôt.

Le despote furieux étrangla son valet :
« Sganarelle ! Ah maraud ! Bougre de scélérat !
Si le vice s’imprègne autant en mon palais,
Si la lubricité s’invite dans mes draps,

Si ce violent poison ruisselle dans mes veines,
C’est que tes yeux sanglants m’inspirent le dégoût
Source inépuisable des fleuves de ma haine,
Tu mérites, coquin, qu’on te tranche le cou !

Tu n’as été pour moi qu’un encombrant fardeau,
Que je devais traîner jour et nuit, où que j’aille.
Ta hantise éternelle a fait courber mon dos,
Et fait fuir les catins des lits de mon sérail.

Mais toi, tu n’en sais rien ! Tu ne penses qu’aux sous
Quand bien même ton maître effleurerait la Mort !
Puisque tu es un lâche, un traître immonde et saoul,
Je brûlerai tes yeux sans peine et sans remord ! »

Sur ces mots le laquais versa un hideux rire
Comme un enfant puni verserait une larme,
N’ayant jamais songé à la peur de mourir
Il ne vit pas Dom Juan se saisir de son arme.

Quand l’estoc eut percé les os de sa poitrine
Et que son corps muet eut baigné dans le sang,
Une odeur délétère attaqua ses narines
Et coulèrent des pleurs sur ses joues d’innocent.

« Je n’ai reçu du temps ni l’amour, ni la paix
Mais seulement des gages et des coups d’épée.
Si j’ai baissé la tête avec tant de respect
C’est pour que ce tyran puisse mieux la couper !

Mais je rêve pourtant comme un docile esclave
De retrouver un cœur et des jambes légères
Afin qu’à leur balcon ces idiots m’aperçoivent
Disparaître à jamais dans un bois de fougères. »

Devant la face laide qu’il avait punie
Dom Juan confus se tut et voulut admirer
S’éteindre le valet dans sa lente agonie.
Pour la première fois il l’avait libéré.


 
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   Anonyme   
27/11/2015
Bonsoir Camlai... Dix poèmes d'une seule traite c'est beaucoup trop long ! Compte tenu du peu de visiteurs vous en payez le prix et c'est vraiment dommage car il y a de très beaux passages dans cette interminable suite...

J'avoue n'en avoir lu qu'une partie bien que je sois fan de ces poèmes en alexandrins. A ce propos j'ai relevé pas mal de petites erreurs en ce qui concerne métrique, hiatus, etc. Certes ce n'est pas du classique mais à partir du moment où vous employez l'alexandrin il y a quand même un minimum de règles à respecter ne serait-ce que pour faciliter la lecture.
Pour le reste je vais faire un tirage papier que je lirai plus tard... en plusieurs fois.
Désolé pour le peu d'écho que reçoivent ces poèmes qui valaient tout de même mieux que ça.

Edit... Tirage effectué, 9 pages ! Je vous tiendrai au courant de l'avancement des travaux (ma lecture) par mp ou en reprenant le présent commentaire.

Bonne soirée...

   Vincendix   
27/11/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je salue la performance, elle est remarquable, 21000 caractères !

Dommage que parmi ces vers, certains ne sont pas réguliers, que les rimes se sont pas alternées uniformément. Ces entorses à la prosodie peuvent se corriger en supprimant quelques prépositions, en remplaçant certains mots.
Au hasard :
Jour et nuit dans ses draps, Dom Juan se prélassait à remplacer par se vautrait ou folâtrait, l’un au l’autre remplaçant rêvassait.
Que les corps enflammés de (mille) prostituées… Avec (cent), c’est assez !
Quelques mots à changer aussi comme (amochant) qui peut être remplacé par (abimant).
Autrement, j’ai trouvé des vers harmonieux et le texte est intéressant.

   GilbertGossyen   
28/11/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
Je ne suis pas assez fort pour juger la forme. Alors je vous dit simplement: ce poème est magnifique. J'ai eu énormément de plaisir à le lire.

   Anonyme   
29/11/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Pour commencer je salue la performance d'écriture, non tant dans la longueur (qu'est-ce à côté d'une tragédie classique ou de poèmes hugoliens?) que dans le travail d'écriture: lexique souvent riche, parfois très spécifique ou savant, surprenant, jeux d'images, alliances de mots; la maîtrise du vers quoiqu'on puisse dire de la liberté avec le pur classicisme et de l'invention.
Cela dit il y a longtemps que je n'ai pas relu ces classiques, mais la fin ne me semble pas en accord avec celle de Molière dans Dom Juan. Et puis je regrette qu'on ne retrouve pas ici cette remarquable ambiguïté dans la relation entre le serviteur et son maître, cette attirance et cette crainte, cette admiration et ces doutes...
J'ai révisé mon lexique, mais je n'ai pas trouvé "briffe" avec deux f.
Admiratif tout de même!

   aldenor   
30/11/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Un travail titanesque et de grande qualité.
Au départ le sujet me rebutait, à quoi bon nous resservir du Molière sous une nouvelle sauce ? me disais-je.
Mais finalement le texte me parait original, inspiré, bien construit.
Plein de vie, de passions tortueuses, avec toute l’ambiguïté de la relation entre Sganarelle et Dom Juan, et de beaux vers, qui frappent par leur simplicité.


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