I LE VAGABOND DES BOIS
« Lorsque parmi les porcs je naquis dans la boue Un matin de ribote, au pied d’un débauché, Dans le ciel silencieux de l’hiver le plus doux, Le soleil fulgurait mais n’osait me toucher.
Ne sachant de quel ventre on m’avait arraché, N’ayant ni famille, ni patrie, ni valeur, J’errais sur les sentiers comme un lépreux taché Qu’on fuit pour échapper au venin et aux pleurs.
Et si, dans certains bourgs, on ne me fuyait plus, C’est à coups de harpon, de balais de mégère, Que la vie me chassait jusqu’aux lointains talus D’où je dégringolais jusqu’aux bois de fougères.
Les turbulentes nuits, quand les arbres chahutent Et que le vent dans les feuillages se larmoie, J’écoutais en pleurant, du fond de ma cahute, Le cri de la corneille aussi triste que moi.
Mais les temps ont passé, les étés, les hivers, Donnant aux voyageurs une nouvelle chance. Et qui sait, si sur l’un de ces chemins d’errance, Un ami au grand cœur m’attend les bras ouverts ?
~
Je suis Sganarelle, l’esclave du trottoir Qui va, sans plus tarder, vous narrer son histoire. »
II L’AUBERGE DES HARPIES
I Sganarelle une nuit, ayant trouvé refuge Dans une auberge close, à l’abri des grands froids, Tentait de dérober, par un fin subterfuge, Quelques croûtes de pain pour son festin de roi.
Il chercha la cave, survolant le plancher Tel un spectre effacé qui répand sa frayeur À travers le sommeil des vagabonds couchés, Mais la peur et la faim le guidèrent ailleurs.
Dans une salle obscure il entra pas à pas Pensant trouver alors de quoi faire ripaille Mais au lieu du cellier et du copieux repas Il surprit deux amants copulant dans la paille.
« Que n’ai-je mis le pied dans la chambre du diable, Ce lupanar crasseux aux démones de fer ! Moi qui voulais le vin et la briffe à ma table, Voilà que l’on me sert le venin des enfers !
Parfois le cœur des hommes est gorgé d’un liquide Que l’on ne peut goûter tant il est venimeux, Mais les femmes d’ici, que l’on dit si candides, S’obstinent à sucer ces organes bréneux !
Admirez ces harpies qui rongent les carcasses Des garçons les plus sots pour en trouver la moelle Et ainsi étouffer l’amour qui les tracasse Avant de s’envoler à jamais aux étoiles. »
L’étreinte interrompue par le long monologue Et les vers indignés que récitait l’esclave L’amant put se lever, de son air le plus rogue Et gronda le maraud de sa voix la plus grave :
« Qui trouble mon dortoir par des mots si vulgaires ? Est-ce un rat qui couine ? Un crapaud qui coasse ? Et dont le jugement ne m’affectera guère ! Je n’aime à me mirer que dans mes propres glaces.
Sa langue cependant, semblable à la vipère, Derrière sa rangée de canines noircies, S’attaque sans pitié à l’honneur de nos pères ! Comment peut-on juger le cœur d’un homme ainsi ?
Allez ! Va ! Tes yeux laids me rendent pudibond, Et le vent du couloir s’engouffre dans mes draps ! Ma proie se refroidit ; or le repas n’est bon Que si la viande est cuite et que le foie est gras. »
II Quand l’aube vint planter ses rayons scélérats Dans les yeux du rêveur, affamé, sans paillasse, Entre les scarabées, les mouches et les rats, Il sentit comme un bras agripper sa tignasse.
Ce bras, fier et vengeur, comme le tronc des chênes Le souleva d’un coup sans même crier gare ; Il s’aperçut alors, dans une peur soudaine, Que l’homme revenait réclamer sa bagarre.
« Fuyons maraud ! Fuyons ! La gueuse est hystérique ! Et ma présence ici n’engendre que folie ! » Sganarelle, éperdu, exigea qu’il s’explique : « Quelle envie peut pousser un amant hors du lit ? »
« La Honte pauvre idiot ! La honte de la Gloire ! J’ai remué violemment pareil à l’hydre antique Avec tant de vigueur, de bonté, de pouvoir, Que mon âme a doublé dans le ciel romantique.
Sans frontière, la femme est semblable à Grenade, Cet infime lopin où les gens se mélangent, Car sans être aperçues, ces mégères malades Transforment leur plaisir en une fièvre étrange !
Quitte cette auberge ! Comprends-tu ? Sauve-toi ! La grosse crie au viol et jure ignominie Car insultée ce soir par tes mots peu courtois Elle se sent blessée par ta misogynie. »
Ignorant bien tous deux ce mot fort peu commun, Faute de n’avoir lu aucun ouvrage grec, Ils partirent ensemble au milieu des chemins Sur les sentiers fleuris, et sur les pavés secs.
III CHEZ DOM JUAN
Sir Dom Juan n’avait pas de belle forteresse Ni de fier pont-levis, ni de solide mur Mais des lits, des divans, des gardes sans armure Dont la forte poitrine attirait les caresses.
Jour et nuit dans ses draps, Dom Juan se prélassait Escorté par la Femme aussi douce et câline Qu’un félin ronronnant à la langue maline ; Et quand il ne jouait pas, ce beau roi rêvassait.
Dans le grand gynécée où fourmillaient les belles, Le valet malicieux, qui avait pour mission De garder le bétail, en proie aux tentations Répondait humblement au nom de Sganarelle.
Il agaçait Dom Juan, qui voulait le tuer S’il se voyait hardi, ou s’il haussait la voix Mais le cœur d’un valet compte plus pour un roi Que les corps enflammés de mille prostituées.
IV LA CHUTE DE DOM JUAN
Ces années de débauche et d’étreintes torrides, Donnant au cœur un poids et à la peau des rides De blafardes couleurs amochant le faciès, Menèrent le beau prince au seuil de la vieillesse. Il avait sur sa lèvre alourdie et usée L’amer sel déposé par le flot des baisers Et ses yeux ayant vu, trop de fois le soleil, Éclatante poitrine, à l’horizon vermeil, Se plissaient désormais pour observer la Lune ; Seule amie, dernier sou de toute sa fortune. « Puisque ma lumière, grand soleil sur son char, Me fuit comme une reine aurait fui un clochard ; Puisque ce qui m’avait jusque-là indiqué Les bons chemins à prendre et les gens à moquer Disparaît maintenant, me laissant dans le noir Je tournerai mes yeux vers un autre allumoir. Ô Lune ! amie du soir, n’étais-je pas risible À vouloir tout gagner pour être plus visible ? Et ce que je croyais être mon beau reflet N’était qu’un astre infâme qui me ressemblait. Lune ! douce pupille, étais-je ridicule À vouloir caresser ce galbe qui nous brûle ? Ce sein rouge et gonflé que j’aimais ô combien ! Cet attrayant soleil que l’on nomme le Bien ? Maintenant tu es là. Je crois avoir compris Car je sens dans ton ciel s’élever mon esprit, Perçant de sa lueur la douce obscurité Qui jusqu’ici alors ne m’avait exalté. » Dès lors il eut pour but de trouver en Espagne Dans les villes, les bourgs, les cités, les campagnes, Un amour simple et doux, une femme opportune, Mais les femmes se rient des vieux fous sur la Lune.
V LE CHASTE
« Je me sens un cœur à aimer toute la terre », Disait Dom Juan naguère à son valet confus ; Toujours dans le désir, et toujours à l’affût De la moindre beauté maquillée de mystère.
Mais bien vite il cessa ses caprices profanes, Ses charnelles façons, ses lascives manières Et comme l’ours qui dort six mois dans sa tanière, Il s’abstint quelque temps, loin de ses courtisanes.
Or il est dangereux d’être à jeun de tout vice Pour quiconque a grandi, tétant la cantharide Poison des amoureux, lait vital et putride, Puisée au sein gonflé de l’impure Nourrice.
Pendant quarante nuits, ce bon roi résolu, Se prit pour un ascète, angélique et vertueux, Sans jamais remarquer que se formait un nœud Autour de ses atouts qu’il n’utilisait plus.
Et il alla ainsi, l’entrejambe noué, Trouver remède sous les robes de sa belle. Mais sa belle avait fui en un battement d’aile, Comme un corbeau des champs regagnant ses nuées.
VI LE CHARITABLE
Afin d’éradiquer toutes les alvéoles Qui forment en lui-même un poumon détestable, Et pour mieux arborer la divine Auréole, L’homme se prête au jeu des secours charitables.
Cependant, si les lois punissent tous les crimes Les crimes, quant à eux, punissent les vertus, Car quiconque voudra se montrer magnanime Ne devra pas se fier aux pleurs des combattus.
Dom Juan vagabondait de ruelle en ruelle Un matin de juillet, dans les bourgs sévillans Lorsque surgit un gueux dont l’étrange gestuelle Lui rappela l’aumône et les mains des mendiants.
Momentanément pris d’une fausse pitié En voyant sa lenteur et ses doigts squelettiques Notre crédule roi fit don de la moitié De sa précieuse bourse à ce paralytique.
Mais sachez que le vin donne un air misérable Et que même les ducs s’enivrent en public. On apprit que Dom Juan, par cet acte admirable Avait donné son or à un riche alcoolique !
VII LE FLEGMATIQUE
Une nuit que Dom Juan pleurait sa solitude Alors que le valet, comme à son habitude, Sympathique et fourbu, venait tendre la joue Afin d’y accueillir la lame de son joug,
Il ne lui infligea qu’un soupir plein de fiel Ainsi qu’un aquilon qui traverse le ciel, Puis, plongeant son regard dans celui du bouffon Il fit part, tout honteux, de son chagrin profond :
« Pourquoi ? Maraud ? Pourquoi ? Le monde change encore… La fatidique nuit m’a mené vers l’aurore, Le tumulte des mers m’a conduit au naufrage Tandis que je noyais mes derniers cris de rage.
Naguère c’était moi le seigneur des tempêtes Qui faisait couiner l’orgue et siffler les trompettes, Qui déchaînait les eaux, grondait les mariniers Pour voir tanguer les mâts des bateaux fourvoyés.
Mais dès lors que Monsieur s’est arrêté de rire Je ne suis plus admis au bal des hétaïres, Car j’ai cessé le stupre et redressé l’échine, À croire que mon corps n’était qu’une machine ! »
Le vilain fredonna ce chant un peu discret : « Toutes les femmes qui, jadis, le vénéraient Le fuient dorénavant, pour sûr, ça les amuse… Et ainsi va l’été, et ainsi vont les muses.
Et ainsi vont les muses, après ce bel été, Mais son larbin toujours était à ses côtés, Et c’est dans la forêt, loin des capharnaüms, Qu’il mourut sans un mot. Grand seigneur méchant homme. »
« L’univers tout entier a beau s’être effacé, Reprit Dom Juan vexé, quinteux et agacé, J’entends cependant geindre, au loin, mon barde odieux Qui ânonne son chant si miséricordieux !
Il a fallu qu’un rat s’agrippe à mon linceul Et vienne y promener la laideur de sa gueule, Avant de pénétrer mes intestins poreux Afin que, même mort, l’on me croie dangereux ! »
Et ainsi revenue d’un souvenir lointain, Sa Colère subite, empourprant tout son teint, S’abattit sur le gueux, qui, heureux, répondit : « Je ne vois, dans ce cri, rien de nouveau, pardi ! »
VIII LE PROCÈS DE SGANARELLE
Extirpé du sommeil par un songe troublant Notre triste seigneur se confia à la lune : « Berces-tu mon repos, Ô toi ! Astre si blanc ? Ou bien l’excites-tu tels les lacs de Neptune ?
Car me voilà ballant, sorti de mon tombeau, Traversé ça et là de pensées oniriques. Veux-tu tendre l’oreille, Ô toi ! Astre si beau ? Et ouïr mon récit, fantasque et chimérique ?
Je me trouvais debout, au cœur d’un tribunal À la barre, accoudé, faisant face à la Cour ; À gauche un échevin, à droite un cardinal, Puis mille et un jurés bredouillant des discours.
À la vue de certains, dont les trognes en sueur S’enfonçaient lourdement sous des perruques grasses, J’en déduis que Bacchus avait souillé sans peur Le théâtre des lois, de vin rouge et de crasse.
Le juge bedonnant ordonna le silence, Et se tournant vers moi, prononça le verdict : « Au nom de la Thémis, trônant sur sa balance, Votre vicieux grison ne fuira la vindicte !
La Nature a voulu l’exempter de la Peur, De l’Angoisse infinie qui hante les gens libres, Qui engendre l’orgueil dans les plus humbles cœurs, Rêvant de gouverner avant même de vivre.
Ainsi votre valet, puits de farce ambulant, Restera enchaîné au sol de vos humeurs, Et ce bouton de haine irritera vos flancs Comme une indestructible et visqueuse tumeur ! »
L’on s’apprêta à voir jaillir de mon gosier Le plaidoyer vainqueur des âmes miséreuses : « Votre honneur, je savais que vous refuseriez Ma demande insensée, ma requête audacieuse,
Mais je sens que du doigt, je frôle mon pardon ; Qu’en libérant ce fou j’aurais les mains lavées, Du sang qu’a fait couler un ancien Céladon, Et des larmes versées au nom d’un dépravé.
Ni loi, ni tribunal, ni justicier en robe, Ne sauraient empêcher un homme d’être preux, Et je sais que même les plus sales microbes Trouvent un peu d’amour en dehors des lépreux ! »
L’assemblée m’applaudit, provoquant mon sursaut Dans ce palais lugubre où nul ne m’apprécie, Si ce n’est toi, Ô Lune ! Aux remords abyssaux, Dont le regard me pousse à partir loin d’ici…
IX DOM JUAN AUX ENFERS
Déshonorer l’étoile au-dessus de nos têtes C’est amener un homme aux portes des enfers. Rappelons-le, c’est vrai, l’humain est une bête Sur la Terre, égaré, ne sachant trop que faire.
Un jour de grands tourments, à peine ensoleillé, Dom Juan, le cœur lourd et, les poumons pleins d’orgueil, Voulut se libérer de son corps ennuyé Qui gisait sur un lit comme au fond d’un cercueil.
Oh oui ! Il regrettait, nostalgique étincelle L’époque où les serpents se tortillaient sur lui, L’époque des orgies, l’époque des pucelles Enceintes de leur mal qui gargouillait la nuit.
Il se leva, perçant sa bulle de rancœur, Attela les chevaux à une diligence, Et crispa les deux poings d’un air fier et vainqueur Comme pour annoncer aux dieux une vengeance.
Sur la place publique une bande de gueux Buvant quelques godets en trempant leur moustache Paniqua quand, au loin, des chevaux peu fougueux Hennirent de douleur sous des coups de cravache.
Mais arrivé près d’eux, le prince ridicule Comme un triste bouffon tout habillé de loques, Les fixa, l’œil hagard, depuis son véhicule Et de sa grave voix, débuta le colloque :
« Paysans sans destin ! Écoutez le message D’un dieu tombé du ciel, père des plus beaux anges, Et dont le cœur brisé par cet atterrissage S’est réveillé en sang, avec la peur étrange
De ne jamais revoir les sourires du ciel, Ni sentir sur sa joue les baisers des nuages, Car au-dessus de vous, les sanctions officielles S’abattent comme un joug, plus grondant que l’orage !
Me voilà donc mortel ainsi que vous, marauds ! À redouter le Temps plus que l’Éternité. Le Temps sur l’échafaud, ce malicieux bourreau, Qui par sa tendre bouche aspire ma beauté.
Mais j’ai su, comme un mort, m’échapper de mon trou, Et saisir en moi même une énergie nouvelle Qui me prouvera que par-delà le courroux, La sagesse et la paix ensemble se révèlent.
Alors pardonnez-moi, ivrognes sans mépris, D’avoir sali vos cœurs et câliné vos femmes. Maintenant que les vents ont détruit mon esprit Je suis prêt à bâtir et reforger mon âme.
Aidez-moi à finir ce nouvel assemblage ! Vous êtes bien les seuls à posséder en vous Les matériaux qui font un homme bon et sage Et vos mains sont plus drues que mes mains, je l’avoue !
Croyez-moi, j’ai changé ! J’aime à présent les fleurs Et je ne suis plus sale, à présent je me lave ! J’ai vidé mon sérail, aboli mes valeurs, Et libéré le gueux qui me servait d’esclave ! »
À ces cris le public, qui connaissait l’idiot Pour s’être tant battu à grands coups de binette, S’esclaffa haut et fort en crachant des glaviots Au visage indigné du Dom Juan malhonnête.
On se railla de lui avec hilarité : Les plus faibles lançaient des lazzis, des sarcasmes, D’amères allusions afin de l’irriter El les plus saouls jouissaient d’un maupiteux orgasme !
Et soudain, ces faquins, comme un troupeau de rats Qui entoure sa proie, sa belle et tendre moelle, Saisirent le seigneur qui vers les cieux jura : « Je ne joue plus avec le dessein des étoiles ! »
Ils agrippèrent tous, avec rudesse et rage Ses jambes ou ses bras, son buste gigotant, Pour l’amener à l’eau d’un sombre marécage Où des crapauds chantaient pour oublier le temps.
On descendit Dom Juan vers l’onde souterraine Où l’attendait déjà une barque émergée Prête à quitter la rive et l’existence humaine Vers un monde d’ennui qu’il avait négligé.
« Ainsi donc les hommes, perdus dans leurs mystères, Ne se contentent pas de leur propre bassesse. Ils ont creusé jusqu’aux intestins de la Terre Pour y baigner leur corps et noyer leur tristesse.
Dans ce fleuve indolent je trouverai la Mort Et mon pâle reflet fuira dans l’Achéron… Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Vous resterez des porcs À jouir et forniquer dans votre propre étron ! »
Parmi les grimaceux qui l’embaumaient d’opprobre Il crut apercevoir le plus laid des visages, Abîmé par le froid et la brume d’octobre, Celui de son valet, qui réclamait ses gages.
Son cœur alors s’emplit de honte et d’amertume Si bien qu’on le lâcha avant d’atteindre l’onde, Car si l’Amour se veut léger comme la plume, Le chagrin, quant à lui, est plus lourd que le monde.
X LA MORT DE SGANARELLE
Après avoir reçu l’humiliation publique, Dom Juan rentra chez lui, dans son morne château, Où dormait sagement le larbin diabolique, Qu’il pensait avoir vu dans sa peur de tantôt.
Le despote furieux étrangla son valet : « Sganarelle ! Ah maraud ! Bougre de scélérat ! Si le vice s’imprègne autant en mon palais, Si la lubricité s’invite dans mes draps,
Si ce violent poison ruisselle dans mes veines, C’est que tes yeux sanglants m’inspirent le dégoût Source inépuisable des fleuves de ma haine, Tu mérites, coquin, qu’on te tranche le cou !
Tu n’as été pour moi qu’un encombrant fardeau, Que je devais traîner jour et nuit, où que j’aille. Ta hantise éternelle a fait courber mon dos, Et fait fuir les catins des lits de mon sérail.
Mais toi, tu n’en sais rien ! Tu ne penses qu’aux sous Quand bien même ton maître effleurerait la Mort ! Puisque tu es un lâche, un traître immonde et saoul, Je brûlerai tes yeux sans peine et sans remord ! »
Sur ces mots le laquais versa un hideux rire Comme un enfant puni verserait une larme, N’ayant jamais songé à la peur de mourir Il ne vit pas Dom Juan se saisir de son arme.
Quand l’estoc eut percé les os de sa poitrine Et que son corps muet eut baigné dans le sang, Une odeur délétère attaqua ses narines Et coulèrent des pleurs sur ses joues d’innocent.
« Je n’ai reçu du temps ni l’amour, ni la paix Mais seulement des gages et des coups d’épée. Si j’ai baissé la tête avec tant de respect C’est pour que ce tyran puisse mieux la couper !
Mais je rêve pourtant comme un docile esclave De retrouver un cœur et des jambes légères Afin qu’à leur balcon ces idiots m’aperçoivent Disparaître à jamais dans un bois de fougères. »
Devant la face laide qu’il avait punie Dom Juan confus se tut et voulut admirer S’éteindre le valet dans sa lente agonie. Pour la première fois il l’avait libéré.
|