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Poésie contemporaine
Cox : Introversion
 Publié le 01/07/16  -  10 commentaires  -  3244 caractères  -  133 lectures    Autres textes du même auteur

Je me tais ; loué sois-je.


Introversion



À la fin du dîner, lorsque le soir digère
De concert avec nous la journée écoulée
Et que, passant sur moi comme une brise amère,
Le silence convie mon âme à l'envolée,
Je lis dans ton œil sombre et tes traits torturés :
"Ce que goûte ton cœur, tout en moi le redoute !"
L'étrange mélodie de cet ange éthéré
Qui chante en se taisant, te souffle in petto : "Doute !"


Et comme pour couvrir son murmure insidieux,
Tu lances jusqu'à moi ta voix moite de peur :
"Tu restes dans tes joies muet comme les cieux,
Secret comme l'abîme en tes sombres douleurs ;
Pourquoi ? Joues-tu le lac tout embrumé d'aurore
Aux éclats noyés dans l'énigme du brouillard ?
Parle-moi, oh ! Dis-toi ! Pourquoi te taire encore ?
Es-tu trop fier ? Es-tu trop creux ? Es-tu trop couard ?"


Pauvre môme, on pourrait t'en servir des refrains !
T'évoquer la caverne et son haleine d'ombre,
L'obscure volupté, reine des fonds marins :
Peindre la profondeur qui rêve de pénombre
Et clamer qu'on ne peut mêler le gouffre au jour.
Je peux aussi parler de ces plantes d'Afrique
Qui, pour peu qu'on les touche avec un doigt trop lourd,
Se replient pour mieux fuir le rustre tyrannique.


Je pourrais t'inviter à jouer du flûtiau
Comme le fit Hamlet : tes sifflets si stridents
Défendraient à tes doigts, pour mes trous trop patauds,
De tirer les accords secrets d'un cœur ardent.
Je pourrais dire enfin que si la Terre entière
Aime tant babiller – on fait pire défaut –
Quelqu'un doit tout au moins, pour l'écouter, se taire.
Je dirais tout cela, et rien ne serait faux.


Mais le vrai est ailleurs : mes deux lèvres fermées
Sont les sombres battants des portes de l'enfer.
Toi qui vis de douceur, vous qui aimez aimer,
Priez pour ne jamais trouver l'abîme ouvert !
Car il ouvre en râlant sur un marais qui pue.
Penchez-vous sur ses flots, tenez votre nausée ;
Vous y verrez fumer des océans de pus
Et de fiel. Il y flotte un corps décomposé.


C'est le vôtre. Un corbeau pince l'œil en son bec
Comme on presse un raisin pour que le jus ruisselle.
Un singe, un peu plus loin, viole les restes secs
D'un cygne pourrissant et dévore ses ailes.
Un rasoir fouit la chair pâle de l'Innocence
Et taillant dans sa cuisse, un boucher, vieux, obèse,
Arrache des lambeaux sous ses cris d'impuissance.
Il les coudra demain sur la putain qu'il baise.


Quatre vers échappés aux infâmes sonnets
Qui s'écrivent là-bas vous écartèleraient.
Ils parlent tous de vous. Leur rime empoisonnée
Ferait se putréfier votre esprit déchiré.
Et dans cette infection, un bubon purulent
Porté par l'air fétide en ce royaume hideux
Vous dévore le ventre, et ses sombres relents
En vous crevant la peau vous déchirent en deux !




Lors pour toute réponse aux questions qui te pressent,
Tu auras, échappant à cette pestilence,
Un murmure évasif, tombé comme une pièce
Qui ride à peine l'eau du noir puits de silence.



 
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   Anonyme   
13/6/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
À partir de
Mais le vrai est ailleurs
je trouve que le poème a vraiment de l'allure dans le genre gerbatoire assumé : le singe qui viole des cygnes crevés, oui ! Le boucher qui va coudre des lambeaux de chair sur la putain qu'il baise, miam ! La rime empoisonnée, le bubon purulent adoucissent un poil le propos, vous sortez le train d'atterrissage et revenez à l'ambiance du début. J'ai apprécié le quatrain final, solennel et bien fichu pour moi.

Cette ambiance plus feutrée à l'entrée de la galerie des horreurs, je n'ai rien contre, mais à mon avis vous vous attardez trop dessus (les quatre premiers huitains) sans progression notable (à mon avis). Du coup, j'ai l'impression d'un ronron sur plus de la moitié du poème, tout en romantisme noir, et d'un essor brutal dans l'horreur, presque sans transition, juste après. Je trouve que ce mouvement nuit à la montée en puissance de l'ensemble, j'aurais pour ma part préféré une intensification progressive.

Cela dit, rien que pour le singe nécrophile et charognard, j'ai aimé !

   MissNeko   
1/7/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour

Comme Socque, je préfère votre poème à partir de "mais le vrai est ailleurs ".
La première moitié me parle beaucoup moins : je trouve certains vers lourds et on ne voit pas bien où vous voulez en venir.
La suite bascule superbement dans l horreur.

   troupi   
1/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Ouf !! là ça envoie du lourd.
Mais habilement envoyé.

Les 4 derniers paragraphes sont d'une puissance peu commune et les images, sordides parfois ne sont pourtant pas choquantes et c'est sûrement dû à la qualité de l'écriture.

"Un singe, un peu plus loin, viole les restes secs
D'un cygne pourrissant et dévore ses ailes.
Un rasoir fouit la chair pâle de l'Innocence
Et taillant dans sa cuisse, un boucher, vieux, obèse,
Arrache des lambeaux sous ses cris d'impuissance.
Il les coudra demain sur la putain qu'il baise."

Le dernier quatrain clôt cette histoire de belle manière et je comprends également l'intérêt de l'incipit, bref mais explicite.

Si je devais apporter une critique elle porterait sur la longueur des 4 premiers huitains qui en étant diminués concentreraient encore plus l'effet saisissant de ce texte.

Merci pour cette lecture.

   plumette   
1/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Cox,

oui, il vaut mieux se taire lorsque son monde intérieur charrie des images de l'enfer!
C'est la "leçon " que je tire de ce poème aux images fortes, dérangeantes.

j'ai bien aimé la progression "narrative" : d'abord le questionnement silencieux sur le silence de l'autre, puis l'autre qui n'en peut plus et implore une parole " Parle-moi,oh! Dis-toi!"

puis, un premier niveau pour expliquer le silence, puis le déversement de ces images de l'enfer.l'enfer c'est l'autre!

texte étonnant, puissant, de la poésie pure sur un sujet qui m'a touchée,

Merci!

   Noran   
1/7/2016
 a aimé ce texte 
Bien
J'apprécie votre texte, d'autant plus quand il sombre dans l'horreur.
Cependant cette vision se suffit, peut être, à elle même lorsqu'il s'agit d'en peindre la vérité qui l'anime.
Ce que vous faites brillamment.
Ne vous taisez plus jamais...

   LenineBosquet   
1/7/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
C'est carrément le meilleur texte que j'ai lu ici depuis que j'y suis.
J'ai adoré la longueur monotone du quotidien des premières strophes jusqu'au basculement dans l'horreur qui m'a estomaqué.
Il y aurait beaucoup de choses à dire tant votre poème me cause, comme un direct en pleine tête. J'ai beaucoup aimé le "Pauvre môme, on pourrait t'en servir des refrains", et tant d'autres encore.
Le final en quatrain est superbe, il préfère se taire, tu m'étonnes!!
Merci beaucoup.

   archibald   
2/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J’adhère aux commentaires précédents : le début du texte est un rien longuet et ça peine à démarrer. Après, c’est très prégnant et on ne s’ennuie pas. On pense à la Ballade de Villon (“Pies, corbeaux vous ont les yeux caver”) et bien sûr à la Charogne de Baudelaire. Mais ça va plus loin dans l’esthétique macabre, et les images sont davantage surréalistes. Un bémol : le poème aurait eu à mon goût plus d’allure en néo-classique : il y a quelques élisions de “e” muets (“Le silence convie mon âme…”, “L’étrange mélodie de cet ange…”), un défaut d’alternance des rimes masculines / féminines, voire des rimes féminines qui riment avec des masculines (“fermées / aimer”, “pue / pus”,…). Je me doute de ce que tu répondrais (de ce que tu répondras ?) : que ce n’était pas ton problème et que tu ne souhaitais pas engoncer ta littérature dans ce cadre contraignant. Soit, mais je trouve que la modernité du thème et du style contrastant avec le classicisme de la forme aurait donné à ton texte une élégance supplémentaire.
En tout cas, j’ai pris plaisir à cette lecture.
Merci et à bientôt.

   Vincente   
2/7/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Bonsoir Cox,

Traiter cette vision si étrange et douloureuse avec une si belle écriture rend votre plat nauséabond très goûteux. Vous accomplissez là une démonstration alchimique.
Les 4 premières strophes installent le malaise, la description des sensations ne paraît pas métaphorique, les images semblent réelles, dites avec des mots simples.
A partir de la 5ème strophe, très forte dans sa première moitié : "Mais le vrai est ailleurs : mes deux lèvres fermées - Sont les sombres battants des portes de l'enfer - Toi qui vis de douceur, vous qui aimez aimer, - Priez pour ne jamais trouver l'abîme ouvert !" on se trouve au cœur du sujet, puis l’écœurement s'immisce dans l'évocation hyperréaliste de la magistrale 6ème strophe !

Le dédoublement narrateur/personnage va s'estomper jusqu'à cette 6ème strophe, ils ne sont alors plus qu'un. Ils associent le lecteur et chacun de ceux qui sauront le voir, l'entendre "aux questions qui te pressent..."

Le final est libérateur, mais sans résolution parce qu'il est évitement, le trouble reste enfoui "Un murmure évasif, tombé comme une pièce - Qui ride à peine l'eau du noir puits de silence."

Le développé narratif est élaboré, le lecteur comprend, il est atteint de la douleur du sujet, il arrive avec lui à l'évidence conclusive : pas de guérison envisageable, continuer à se taire et garder le plus loin possible le mal... Ou alors parler, redresser les distorsions des images grâce au kaléidoscope poétique !

Au plaisir de vous lire à nouveau.

   Pouet   
5/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bjr,

J'ai lu l'évocation d'un avortement ou d'une césarienne qui se passe mal mais je suis sans doute, comme souvent, à côté de la plaque...

Je trouve en tout cas que ce poème monte en puissance et qu'à partir de "Mais le vrai est ailleurs", on est vraiment dans une espèce de "gore romantique" assez peu commun.

L'ensemble reste réellement bien écrit, il y a plein de beaux vers, de tournures intéressantes. Un poème de qualité qui ne m'a pas laissé indifférent.

Bravo à vous.

   dom1   
23/7/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Voilà que la noirceur a des airs de ballade. On y puise le monde comme il est, comme il va, avec des goûts amers et l'odeur des chiottes... Bravo !

Dominique


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