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Poésie contemporaine
Cox : Ode à la médiocrité [Sélection GL]
 Publié le 22/08/14  -  10 commentaires  -  3468 caractères  -  204 lectures    Autres textes du même auteur

Éloge du médiocre dans son sens vieilli – et étendu pour l'occasion ; le moyen, le sans éclat, le gagne-petit de la gloire, le banal…


Ode à la médiocrité [Sélection GL]



I -Invocation

Toi, ô médiocrité qui fuis toute grandeur
Et qui te moques bien des noblesses si fières,
Dépêche à mes côtés tes muses coutumières
Qui flatteront mon chant de leurs molles ardeurs.

N’éclaire pas mes mots d’une flamme superbe,
Une ampoule à dix watts saura me contenter.
Ne trempe pas ma plume aux flots noirs du Léthé
Mais prête-moi ton bic qui me va mieux au verbe.

À toi et à toi seul, diable sans avocat
Fustigé du poète en ses songes sublimes,
Moi qui rêve plus bas, j’offre ces quelques rimes ;
Parfait anti-héraut, je chante tes appas.



II -Pouvoir et Bravoure

Qu’Attila et ses Huns se prosternent, défaits
Par-devant le tyran, le maître en toute ville
Qui broie la Terre entière en sa poigne débile
Et s’impose à chacun en souverain parfait.

Gloire à toi, ô médiocre, humble et morne bedeau
Qui déploies chaque jour un courage indomptable
Pour lutter à la mort contre un monstre effroyable
Que les plus grands héros fuient en tournant le dos

Et toi, banalité, contemple tes sujets :
Sans que tu ne déploies de force ou de menaces
Rien ne semble entamer leur loyauté tenace
Tant est grand le respect dont tu restes l’objet !



III -Lumières et Vérité

Quotidien sans prestige, insondable creuset
Où vient se distiller le suc même de l’Homme !
On lit dans tes reflets un étrange sérum
De péchés et de vie, et d’espoirs enlisés.

Tu es seul à savoir révéler notre essence
Et l’Homme ne se lit qu’à ta faible lumière
Loin des feux éclatants, loin des gloires altières
Il exprime son goût comme un vieil alcool rance.

Les légendes naissant sous les coups de tambour
M’impressionnent bien moins que l’obscur anonyme
Qui en trente ans de vie banale mais intime
N’accrocha nulle larme aux yeux de son amour.



IV -Douceur et Fidélité

Et tu es toujours là, assise à nos côtés
Ainsi qu’une dryade amicale et sereine
Qui sait nous insuffler et ses joies et ses peines
Et nous réconforter de sa fidélité.

Ton bonheur est plus vrai, qui nous apparaît nu,
Non grimé d’importance ou paré d’artifices,
Et l’on goûte avec joie tes douceurs sans malice
Rafraîchissant nos vies de leur souffle ténu.

Et si Racine rit de tes drames moyens
Que la bassesse enferme entre ses parenthèses,
J’aurai versé bien moins de ces larmes qui pèsent
À la mort d’Athalie qu’à celle de mon chien !



V -Ode à la Grandeur

Sois enfin remerciée de fuir toute splendeur
Et de nourrir ainsi nos quêtes insensées ;
De nous pousser au rêve, aux fièvres empressées
Et d’être le parfait écrin de la grandeur.

Nul poète n’aurait – indescriptible horreur –
Cartographié pour nous le royaume des songes
S’il n’avait dû te fuir, toi qui toujours le ronges ;
Ses ailes ne sont nées que de ta pesanteur.

Et le noir souvenir de ton spectre indistinct
Pousse chacun de nous à rechercher les cimes
Et à jouir enfin du Noble et du Sublime,
Car même ton absence est pour nous un festin !


 
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   Anonyme   
9/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Alors là, chapeau. Dès ces vers :
"Ne trempe pas ma plume aux flots noirs du Léthé
Mais prête-moi ton bic qui me va mieux au verbe."
je me suis dit que j'allais passer un bon moment, et je n'ai pas été déçue, ou à peine un peu. J'y reviendrai.

J'ai trouvé touchant cet hymne à l'ordinaire, ce refus du flamboyant ; j'ai particulièrement aimé l'idée exprimée ici :
"Les légendes naissant sous les coups de tambour
M’impressionnent bien moins que l’obscur anonyme
Qui en trente ans de vie banale mais intime
N’accrocha nulle larme aux yeux de son amour."

Les titres des chapitres sont très bien vus aussi, je trouve, ils renvoient au dérisoire de l'emphase.

Je regrette toutefois la fin en forme d'antithèse : tiens ben, finalement, la médiocrité (au sens des Romains antiques qui parlaient d'"aurea mediocritas", de "voie moyenne dorée") se justifie en ce qu'elle se fait le nid de la grandeur, point de départ et faire-valoir ? Après la bonne claque qu'elle s'est prise dans le museau, la grandeur, la voilà réhabilitée, l'ordre "poétique" des choses rétabli ? Bah, je voyais pas les choses comme ça... Je préfère retenir les quatre premiers chapitres du poème.

   margueritec   
10/8/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime bien cet éloge du banal, qui emplit tout un chacun.
J'aime beaucoup la deuxième strophe par le contraste du banal (ampoule à dix watts, bic) et du sublime (aux flots noirs du Léthé).

J'apprécie aussi cette opposition du médiocre

"Qui déploie chaque jour un courage indomptable
Pour lutter à la mort contre un monstre effroyable"

finalement plus courageux qu'"Attila et ses Huns".

La fin aussi est savoureuse qui montre l'importance de la médiocrité qui parce qu'elle existe incite le poète à d'autres aspirations.

   Lulu   
13/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un poème bien travaillé. Je salue le travail de l'auteur.
Si le texte se lit aisément, tant il est fluide, il donne aussi à réfléchir.
J'aime assez les idées développées dans l'ensemble.
Personnellement, j'ai été surtout touchée par le début "l'invocation" qui donne le ton à l'ensemble. Une légère touche d'humour sert le poème. Une belle ode et de bien belles idées. La fin m'interpelle. Que recherchons-nous dans nos vies ou simplement dans notre écriture en tant que poète ?

Merci d'avoir partagé ces mots si bien agencés.

   Gemini   
22/8/2014
Horace revisité ! L'aurea mediocritas sous forme d'ode bien trempée de lyrisme et avec un caractère bien trempé pour lui dire son fait. Les quatre parties sont d'égale qualité et le ton ne faiblit pas durant leur déclinaison.
Travail (oh oui) superbe, et beau texte qui fait l'éloge de la voie moyenne :
Ecarte loin de moi l'affreuse pauvreté,
Et d'un sort trop brillant la splendeur importune.

   Anonyme   
22/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Heureusement que l'auteur termine par une ode à la grandeur et par la recherche du poète à fuir cette médiocrité.
Est-ce bien le cas ?
Je me retrouve bizzarement dans les "grandes pompes" pour décrire cet état d'esprit de l'homme moyen qui les évite... le poète s'est senti pousser des ailes pour aller se poser sur les cimes.
Est-il donc sincère ou ce texte est-il écrit au second degré ?
Je ne trouve pas d'indice suffisant pour me forger une opinion, c'est vrai, tant les quelques croquis qu'il esquisse de la vie quotidienne, de l'amour qui dure sans se poser de questions, des espoirs enlisés sont d'une fine justesse.
Quelques "ô" bien classiques associés à des bic et des ampoules de dix watts... indéniablement l'auteur s'est amusé.
Moi aussi.
J'ai buté -détail- sur alcool "rance".

Vos ailes ont donné de l'apesanteur à ce texte bien pesé...

   leni   
22/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Cox
Quelle envoléeEt quel texte ciselé

Une ampoule à dix watts saura me contenter.

Gloire à toi, ô médiocre, humble et morne bedeau

Les légendes naissant sous les coups de tambour

J’aurai versé bien moins de ces larmes qui pèsent
À la mort d’Athalie qu’à celle de mon chien !


Ses ailes ne sont nées que de ta pesanteur.

Ce moment de regard sans pitié sur le monde qui nous entoure m'a amené à épingler ces vers pour leur force imagée Chapeau!!

Merci pour ce poème Salut cordial à toi Leni

   Anonyme   
22/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir Cox... Beaucoup d'humilité dans ces suites de quatrains et ça n'est pas pour me déplaire.
J'ai retenu quelques très beaux vers dont ceux-ci (entre autres):

-Ne trempe pas ma plume aux flots noirs du Léthé
-Quotidien sans prestige, insondable creuset
-Loin des feux éclatants, loin des gloires altières...

J'aime bien la chute et surtout ce dernier vers, cerise sur le gâteau...

Car même ton absence est pour nous un festin !

Je remarque, à quelques exceptions près, l'alternance des rimes M/F et me dis qu'avec un peu de persévérance on pouvait en faire un poème classique... mais ce n'est qu'une observation, pas un reproche.
Une ode qui m'a bien plu, merci Cox...

   Anonyme   
23/8/2014
Bonjour Cox

L'ode est un genre élevé, l’équivalent poétique de l’épopée.
Elle célèbre un personnage ou unévénement : un vainqueur des Jeux olympiques, par exemple.

L'idée même de faire une Ode à la médiocrité parait donc incongrue
Mais à mon goût tout à fait géniale

Et me rend horriblement jaloux de ne pas l'avoir eue

Avoir une super-idée ne suffit pas, il faut savoir l'exploiter

Pas de souci, tu assures. Ton écriture est tout, sauf médiocre.

On y relève ce diptyque de haute volée

"J’aurai versé bien moins de ces larmes qui pèsent
À la mort d’Athalie qu’à celle de mon chien !"

et ce quatrain

"Nul poète n’aurait – indescriptible horreur –
Cartographié pour nous le royaume des songes
S’il n’avait dû te fuir, toi qui toujours le ronges ;
Ses ailes ne sont nées que de ta pesanteur."

qui chambre allègrement les fameux albatros

J'aurais pu en choisir d'autres, il n'en manque pas, j'ai choisi ceux-ci car on y comprend enfin ce à quoi tu veux en venir.

Ton poème n'est pas au second degré, il ne dénonce pas la médiocrité sous couvert de l'encenser, mais au troisième,
Sa cible en effet, ce sont ces poètes qui s'estimant "enfants d'Apollon" évoluent dans la stratosphère bien au dessus des médiocres.

Merci Cox, je te tire bien pas mon chapeau, j'aurais aimé pouvoir écrire cette Ode jubilatoire

   Cox   
23/8/2014

   czerny31   
25/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
un texte fluide, musical et équilibré. Des idées développées avec originalité. Un harmonieux mélange d'un vocabulaire antique et moderne. Cet exercice est des plus difficiles et choque les oreilles la plupart du temps. C'est ici, fort réussi. Bravo, c'est un vrai travail sérieux.


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