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Récit poétique
Cyrill : Au théâtre ce soir
 Publié le 28/07/24  -  7 commentaires  -  4979 caractères  -  92 lectures    Autres textes du même auteur

Un clin d’œil amusé vers un antique programme de l'ORTF.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Au_th%C3%A9%C3%A2tre_ce_soir


Au théâtre ce soir



Tous les quatre matins lui venait le goût de chercher querelle.
Il ne s’encombrait ni de bonne foi ni de prévenance mais se gargarisait de miel pour échauffer sa voix, forçait l’ampleur du geste pour qu’ondulât son vêtement.


« Que ton saint fondement se heurte à ma main leste
et que la peste soit de ton air désarmant
si je n’ai sans attendre et séance tenante
explications sonnantes et raison pertinente à ce sérieux souci de sous,
Très-Gracieuse mon chou. »

D’elle il supputait pis que pendre. Une fois de plus elle avait gâché l’argent du ménage. L’épargne avait filé, dilapidée en maquillage, engloutie sous maintes perruques.
Liasses envolées, fondu le pécule ! Volatilisé en coquetteries, mises en plis caduques et cache-grimace, onguents à se peinturlurer la face et chapeaux ridicules.
Il en était certain.
Vain qu’elle argumente en alexandrins, qu’elle bonimente en fumisteries ; superfétatoire qu’elle lui fasse valoir un solde bouffi, un bas de laine rebondi.
Elle avait un train bien trop dispendieux.
Preuves en étaient d’ailleurs s’il en était besoin, agissant comme un leurre ce feint laisser-aller et l’aspect négligent qu’affichait Très-Gracieuse,
ce soin méticuleux dans le relâchement grâce auquel elle taisait sa prodigalité.
Céans ne tenant plus – séant d’elle pas plus – il jurait devant Dieu et le public complice de lui faire gorge rendre et boire le calice.
Et de ficher le camp dans le noir des coulisses.


« Oui, de ficher le camp, Très-Gracieuse ma tendre,
de partir sur le champ, définitivement »,
martelait-il haussant le ton, usant de variations. Puis il sortait furieux mais sans qu’un sou lui fût rendu.


Bien vite il revenait, c’était chose entendue, trop prompt à se vautrer dans son bourbier bilieux. Mathématiquement elle haussait les épaules en peaufinant son rôle.


« Prends garde »,
disait-elle,

« prends garde mon Très-Vieux que je n’aie de patience ni mansuétude
pour ta petite âme minable
et tes stances interminables.
Que verbe acrimonieux ne tourne en habitude ! »

Suivaient en chapelets d’infâmes mufleries et verve inamicale. Outrances langagières et matière objectale fusaient en fendant l’air.
Les passes d’armes allaient bon train, embellissant la geste en rivières de larmes ; laissant enfants et chiens se disputer les restes.
Qui la lippe pendue lapant au sol un postillon du drame, qui l’oreille tendue happant au vol un résidu de l’âme.

… Après la tempête, l’accablement…

Tarie la source des reproches, la mère était marrie du bazar contingent, de l’incurie des mioches et de l’émoi des bêtes.


« Et de la charge mentale »,
finaude ajoutait-elle, docte et pointant le doigt en direction d’un ciel qui saurait apprécier et faire la part des choses.
Le père pénitent pépiait doucereux :


« Pleure pas Très-Gracieuse.
Sur mon chef sur quoi tout repose, on va arranger ça.
Pas plus tard que fissa notre fief sentira la rose.
Je te veux insoucieuse et je sais quelque chose de l’ouvrage à abattre. »

Et Très-Vieux de se mettre en quatre, Très-Gracieuse d’ordonner.
Les chiards à moucher, mouchoirs à frotter, étendre et sécher, dépendre et repasser.
Chiens à promener.
Cuisine et ménage, poussière et ménage, crasse à nettoyer et chiards à doucher.


« Et la charge mentale, du réveil au coucher »,
espiègle pouffait-elle derrière son journal.

Et Très-Vieux se repentait, Très-Vieux se lamentait, regrettait ses soupçons et ses emportements.
Et Très-vieux demandait pardon pour la fessade envisagée.


« Une fessée promise est une fessée due, faut-il que je le dise ?
Navrant individu qui fait talent de couardise »,
sage professait-elle par-dessus le journal et veillant aux faux-plis sur la blanche percale.

Puis hilare, elle braillait :

« Enfants mes chers baveux, mes tout petits morveux,
voyez donc votre père qu’il vous nettoie le blair ! »

Alors Très-Vieux, posant le fer, de susurrer :

« Très-Gracieuse ma mie, je me charge de tout.
De la ménagerie, de la marmaille itou !
Cesse en plein d’encombrer ton mental enfiévré. »


°°°


Signature sienne brûlée sur la batiste immaculée, c’était au tour du fer d’allumer l’étincelle.
Et c’était reparti dans un rythme d’enfer.
De belle et de rebelle on recroisait le fer en donnant d’une voix qui allait crescendo, se battant comme plâtre sous les jappements et les gazouillis de la maisonnée.
Puis comme à contrecœur on tirait le rideau.

Pour la énième fois l’on pouvait annuler la sortie au théâtre ourdie sur l’oreiller.


 
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   Polza   
17/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

J’ai trouvé votre récit très bien écrit, vous maniez la langue française de fort belle manière, c’est indéniable.

C’est riche de bonnes idées et j’ai lu l’histoire d’une seule traite, sans avoir à revenir sur un mot ou une tournure bancale.

Après, j’aurais lu ce texte dans le coin des nouvelles que je n’aurais pas été plus choqué que cela.

Je ne sais que dire de constructif, le clin d’œil est réussi et il m’a amusé, c’est réussi en ce qui me concerne.

Polza en EL

   hersen   
26/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Il y a dans ce texte une truculence poético-comique qui me fait penser à Molière. Et ceci d'autant plus qu'on est ici dans un véritable théâtre familial, et ça a la pêche !
L'écriture est juste ce qu'il faut de surannée, de pétillante, et ça se lit tout seul. C'est une lecture sautillante !
Bravo !

   Provencao   
28/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Cyrill,

Un grand bravo pour votre écrit magnifiquement composé avec un vocabulaire un tantinet désuet et avec une aisance sublime.

Belle ardeur d'inspiration, une transparence de légèreté rutilante dans l'allégresse du mot, une grandeur de vision, une fidélité de pensée en tableau dans son apparition originale.

J'ai été sous le charme...

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Myndie   
28/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Cyrill,

S'il était besoin de nous démontrer que la vie conjugale est parfois un vrai théâtre, ce brillant exercice vient à point nommé pour le faire.
J'ai lu un texte cocasse et inventif ; il fallait y penser à mélanger dans une même marmite théâtre et poésie, malice et parodie, style déclamatoire et langage populaire.
C'est un joli clin d'oeil à cet antique programme télévisé que ma mère aimait beaucoup et dont je garde quelques souvenirs amusés « Au théâtre ce soir ».
Les costumes sont-ils de Donald Cardwell ? En tout cas la mise en scène est de Cyrill ;) qui, comme le veut la tradition du théâtre de boulevard, fait habilement se succéder plusieurs tableaux .
On passe du cabotinage d'un comédien qui se chauffe la voix à l'étalage de ses pensées rageuses, de son obsession pécuniaire et de son ressentiment envers la « Très Gracieuse » ;
on passe de la scène de ménage aussi grandiloquente que violente :
« Suivaient en chapelets d’infâmes mufleries et verve inamicale. Outrances langagières et matière objectale fusaient en fendant l’air. »
à la réconciliation aussi dramaturgique que le reste (et pas sur l'oreiller:).
Quant au portrait que tu brosses des deux personnages, il est tout aussi jubilatoire : elle femme « finaude » et « marrie du bazar » qui sait tirer profit sans scrupules de la situation et lui bien résumé par cette phrase «  Navrant individu qui fait talent de couardise ».
Et quand même un peu obsédé par la fessée non ?
Il y a beaucoup de drôlerie dans ce mariage (!) de soliloque introspectif, de langage pompeux, déclamatif, de jargon trivial et de poésie (les alexandrins ne sont parfois pas très loin).

S'il te reste encore des billets pour la pièce, je suis preneuse !

   papipoete   
28/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Cyrill
" Cyrill le retour ", pouvons-nous clamer !
Je ne sais pas du tout commenter ce genre, qu'est Récit Poétique, mais la trame que l'auteur étire au fil de ses lignes, me fait tant sourire ( rire jaune pourrait être sa teinte, si ma mie ainsi se comporta... )
Ne serait-de que pour les appellatifs des héros
" Très Gracieuse "
et
" Très Vieux "
me rappellent mon ex-belle-mère, s'adressant à son mari que par
" Chéri "
en toute circonstance ; simplement l'intonation de ce diminutif, variait en douceur, gentillesse mais fureur quand ça bardait !
Le thème m'évoque un peu " le chat ", entre Gabin et Signoret, quand ces deux-là se " parlaient " par petits-mots, sans jamais prononcer un mot ; et se supportaient, jusqu'à ce que ce matou provoque à l'insu de son plain-gré, l'impardonnable.
NB j'aime particulièrement le ton du récit ; écrit en vocabulaire joli ( précieux comme celui de Cristale, en alexandrins classiques mais si sâle de crasse dans Momo )
et sans jamais désarmer, le couple après une énième bataille, ira se coucher et ruminer sous l'oreiller. ( il ne semble pas que l'un ou l'autre fasse " chambre à part " )
des phrases lumineuses, qui purent dire
" tu la vois celle-là ? "
se muer en
" que ton saint fondement se heurte à ma main leste... "
et ainsi de suite ; les passages évoquant les enfants façon " Groseille " sont à se détacher la mâchoire
J'imagine la somme de réflexion, de justesse qu'il fallut à l'auteur pour nous écrire ce bijou, valant toutes les joutes orales !

   Cristale   
31/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Cyrill,

Tout est bon pour rire et sourire dans ces dialogues succulents, ces phrasés délectables.
L'art sous-entendu de la fessée érotique n'a rien perdu de sa coquinerie.

Vous causez bien dites donc !
C'est exquis.

   Cyrill   
31/7/2024


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