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Récit poétique
Cyrill : Circonstances assassines
 Publié le 13/08/22  -  9 commentaires  -  6131 caractères  -  125 lectures    Autres textes du même auteur

À suivre…


Circonstances assassines



C’est l’ombre du mal qui colle à la peau comme une moiteur en fin de soirée,
le spectre lilial d’un destin brisé que l’on se trimbale comme un drapeau.
L’amidon du col taché de sueur, la respiration courte, difficile.
Un retour de bile, un funeste augure, une vomissure de mégalopole
quand on imagine la reddition d’un être à ses pieds,
une vie qu’on vole à cette gamine.
Quand on extrapole.


Vous l’avez croisée au printemps d’un jour, un instant trop court, une éternité.
Et ses cheveux lourds, ses dents carnassières, ses sales manières, sa respiration, son corps, sa jeunesse,
votre désarroi, son port de déesse au sein de la foule.
Ses yeux qui vous blessent et vous assassinent
et sa gorge pleine de votre effroi, son rire qui coule et vous élimine comme un insecte
et qui vous affecte et qui vous rend fou.
Un ange agrippé à votre faiblesse.

Le matin suivant rien n’est plus pareil, vous êtes amoureux,
vaincu sans combat contre le soleil.
Vous vous sentez soûl, agité, fiévreux, votre position noyée dans la boue,
dans le branle-bas, le chambardement.
Passent les passants, votre for flageole, flottent les déchets comme des tourments le long des rigoles.
Vos essoufflements lorsque vous allez sous le poids des ans de petit problème en décrépitude.
Dansent en vitrine des mannequins blêmes dont luxe d’effets sont inopérants sur votre hébétude.
Grignote le temps contre la pendule qui vous fait un pull couleur de suaire,
hoquette l’aiguille comme un préambule.

Âme suspendue, la circulation ôte à votre vue la fille arbitraire.
La suffocation qui n’a d’autre issue que votre visage en poire talée où l’instinct surnage.
Elle a traversé, geste conquérant, en dehors des clous.
La ville se fige sur son passage, nul ne la corrige.
Si j’avais votre âge, monsieur, voyez-vous, c’est une fessée qu’elle aurait reçue.

Vétuste fossile usé par le train de vos obsessions, Vous l’avez revue cet autre matin.
Scories de la nuit vous collent aux cils
et le battement des souliers vernis heurtant la chaussée.
La robe à volants, mousse d’organdi.
Léger papillon, sa traînée de poudre hache l’air du temps, arrache un rictus à votre expression.
Sa respiration comme un coup de foudre sur infarctus.
Elle n’est plus très loin. Elle est à côté. Elle est devant vous.
Vous êtes à genoux.
Elle est devant vous, jaillie d’une prose,
débauchée d’un rêve où le paysage se décompose en secondes brèves.

Elle vient de passer, son allure fière.
N’y a plus personne.
Un chat de gouttière au pauvre pelage, vous avez son âge, son obsolescence.
Une cloche sonne, d’un patient suicide vous avez les rides et la sénescence.
C’est une inquiétude après tant d’années qui revient nouer ses lianes au ventre,
une liturgie dont elle est le chantre.
Vous vous protégiez des ardeurs précaires.
Sage solitude, rituels rassis pour toute habitude, une vie rangée sur une étagère.
Vous vous gardiez fort d’humeurs délétères – le feu des passions dort sous la censure, Éros est en en cage.
Mais le marécage à venir encore, la fuite en avant, cette démesure, vos halètements, vos aspirations.

Ombre sans vergogne, votre main fortuite.
Le désir qui cogne.
Formes capiteuses sous le tissu qui broient en lambeaux toutes les vertus.
Le grain de sa peau, sa respiration comme une phalène dans la morne haleine d’un réverbère
dont elle s’époumone à crever le voile.
Galop délirant, le temps déraisonne.
Palpite le sang le long de l’artère, battent les paupières, portes entrouvertes sur les étoiles.
Sa respiration, sa respiration, sa démarche alerte, sa beauté gracile extraite du nombre
et sa course folle et le bas qui file, ardente luciole dans la pénombre.
Crissent les gravats quand la mauvaise herbe envahit le sol et spolie la ville où suivre est un art,
vivre un désespoir que l’on met en gerbe,
faisant chavirer chaque demoiselle, sitôt aperçue dans le grand bordel, sitôt disparue.

Sa respiration qui hante vos nuits, encore vous poursuit chaque lendemain.
Sa respiration, mouvement humain qu’elle a volontaire, qui signe sa vie.
Votre jalousie, le malentendu de votre embonpoint.
La douleur vous point.
Cravate nouée sur vos congestions et votre débâcle,
votre cœur gémit, c’est le réceptacle de vos blessures.
Sa respiration comme une aventure dans votre sillage,
ses enfantillages, vos pas dans ses pas, son parfum tenace et ses purs appâts.
La sourde morsure à vos sens meurtris, le croquant du fruit, sa respiration dans vos déchirures.
Cette reptation qui sans fin menace et vous avilit.
Vous l’avez suivie encore aujourd’hui.



Des corps pantelants au-delà du mur, décor transparent.
Un jeune imbécile, bête malhabile aux mains qui la touchent.
L’ourlet de sa bouche, avide putain !
Ses lèvres carmin.
C’est au crépuscule aux teintes violettes, aux tons malhonnêtes, aux reflets d’étain,
que le sort bascule, que vous écoutez sa respiration.
Mais elle n’est pas là, c’est pure folie, hallucination.
Mais vous surprenez sa voix qui murmure : le vieux m’a suivie encore aujourd’hui.
Mais ce n’est pas elle, mais c’est bien sa voix, mais vous l’entendez par-delà le mur, lascive femelle.
Rire, moquerie, babil et soupir comme autant d’injures.
Sa respiration, ces gémissements, cet infâme cri, une moue perlée de ses commissures, le dadais se tire.
Infime est la part qui vous mène au crime.
Le diable a posé son dernier rencard, sombre sa victime au puits du regard mais c’est à jamais.
Son inspiration, son expiration, l’ultime forfait.


Il est une ornière au bout de l’impasse,
rouge la rivière qui s’y fracasse.
Un souffle qui cesse et passe un souci dans les détritus comme un chien fourbu qui traîne sa laisse.


 
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   Vilmon   
8/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,
Je suis d’abord aller me rafraichir la mémoire à propos du récit poétique. Il y a une histoire, un vieil homme en tentation pour une belle femme, il est jaloux de toutes les conquêtes de celle-ci, il la punit en la tuant et son souvenir le hante tant qu’il se suicide. La forme est plutôt celle de la poésie par l’utilisation de métaphores, d’expressions recherchées et imagées. Il y a quelques rimes, il y a une certaine structure particulière de présenter les phrases comme des vers et des strophes. C’est bien mené et c’est original et intéressant. Cependant, j’ai trouvé long toute cette description pour montrer comment cette femme le répugne et le tente à la fois. C’est comme si on a insisté à mainte reprises de l’expliquer sur plusieurs facette, alors que les remords et finalement la mort ne sont décrits que sur quelques paragraphes. Pour l’équilibre, je crois qu’il aurait été intéressant de reprendre quelques-uns des paragraphes de la premières sections pour les ajouter à la seconde comme souvenir qui le ronge et qui explique ses remords.
J’ai bien apprécié.

   Provencao   
13/8/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Cyrill,

"Âme suspendue, la circulation ôte à votre vue la fille arbitraire.
La suffocation qui n’a d’autre issue que votre visage en poire talée où l’instinct surnage.
Elle a traversé, geste conquérant, en dehors des clous.
La ville se fige sur son passage, nul ne la corrige.
Si j’avais votre âge, monsieur, voyez-vous, c’est une fessée qu’elle aurait reçue"


Tous ces mots, des plus abjects aux plus éthérés , lorsqu’ils s'offrent dans ce puits sans fond de la conscience accomplie, égarent leur caractère humain, trop humain, en même temps que s'abroge complètement leur contrariété partagée . Ces mots, sont comme mués dans cette acuité endiablée et oscillante ,infiniment ébrouée et infiniment émue en même temps.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   papipoete   
13/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Cyrill
Elle n'eut pas grand-chose à faire, un sourire enjôleur, pas un mot et pourtant cette femme parmi des milliers, tomba dans le regard du héros... qui n'avait plus, au milieu du millier d'autres, d'yeux que pour elle ! Il la lui fallait, coûte que coûte... Elle, la sirène des trottoirs, la Vouivre des boulevards, allait jouir de sa proie... sauf que sur un Jack-l'Eventreur, la belle était tombée...
NB le cheminement du chasseur-chassé, va crescendo avec moult allusions macabres, malgré la beauté envoutante de la Belle, qui pourrait dévorer cet amoureux éperdu ; mais c'est sur elle que se refermeront les crocs de cet ogre, cet homme bien ordinaire...
Ce texte ( long ) ne ménage pas le lecteur, qui craint pour ce quidam ( oh non, il vient de tomber dans le piège de cette mygale ! ) et finalement songe " jamais je n'aurais cru que toutes ces circonstances n'étaient qu'assassines ! "
Force détails et décors, images anodines ou terrifiantes, ménagent un suspense dont on ne jurerait point de l'issue !
" du Cyrill certes, mais au vocabulaire presque naturel... )

   Anonyme   
13/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Hello Cyrill

Déjà, j’aime bien le titre, d’aucuns considéreraient ça du domaine du détail, moi j’y attache une petite importance même s’il nous dévoile ze bitter end d’emblée. Un sujet qui a été beaucoup traité en littérature comme au cinéma, l’appétence du prédateur édenté pour la chair fraîche. On se laisse porter parce qu’on connaît l’écriture rodée de l’auteur qui arrive à bien nous peintre la psychologie du vieux porc tout en gardant une retenue pour nous éviter le sordide et le gore. J’ai juste tiqué sur la fin et la jalousie envers les jeunes hommes qui me paraît trop téléphonée et attendue, mais bon ce n’est pas moi qui écrit mais Cyrill. On aurait quasiment pu inscrire le récit dans la catégorie nouvelle tant il en a les caractéristiques à mon goût.

Bref, c’est du bel ouvrage.

Anna

   senglar   
13/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Cyrill,


Le destin tragique d'une jeune femme qui a le malheur d'être jolie et de ne pas le cacher, un peu idiote aussi pour se moquer d'un admirateur bedonnant
Le parcours fantasmagorique d'un homme mûr trop imaginatif éconduit.

- Et alors j'ai le droit de me promener toute nue Monsieur et de ne pas vous aimer.
- Ben non Mademoiselle, moi j'ai biberonné aux princesses de Walt Disney et puisque vous vous moquez de moi je ne vais pas jouer le prince charmant mais Barbe Bleue.

C'est ainsi que les chemins de vie seront toujours dangereux aux carrefours !

   Vincente   
13/8/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Quelle écriture (bonne, pertinente !) inondée de surajouts et autres envahissements stylistiques et émotionnels, quelle saturation de séquences toutes plus abondantes de regards, de perceptions, de volontés de vivre et d'aimer, de fantasmer une réalité qui s'échappe, où le narrateur ne sait plus où donner de l'excitation, du plaisir, de la tendresse, du sexe,… et tout ça meurtri dans une frustration si délétère que la pauvre vieillesse y paraît à la fois démunie, peu sage, et formidablement désireuse.
Ce récit poétique mène le narrateur par l'inacceptation de son état vieilli dans une impasse que trahira la chute ; ça ne pouvait pas bien finir, mais la fin, insolite, est très bien amenée, à la fois logique et surprenante ; la facilité aurait envisagé un épuisement puis un lâcher-prise, et enfin la mort dans l'âme et le corps du locuteur. Mais son refus, cette soif de prolonger toujours et encore la vigueur de ses passions aura versé dans l'absurde, un dernier "signe" en forme de suicide d'un "vieux", mais un suicide tueur d'une "innocente".

J'ai trouvé l'ensemble bien mené où le traitement, comme le thème, présente une juste singularité. L'on pourrait remettre en cause la relative surabondance des évocations qui tournoient autour du sujet, en cours de lecture la saturation de leurs cas de figures frôle le trop-plein, pourtant, c'est bien celui-ci qui est en œuvre dans le récit et qui mènera le vieillard amoureux et frustré au désespoir au point de "disjoncter".

Le dernier paragraphe peut être lu au sens premier, comme racontant le lieu de "l'ultime forfait", mais c'est bien aussi celui qui nous guette tous dans les moments de nos fins de vie où le désir n'a plus les moyens de ses envies et de ses projets "en impasse" !

   Quistero   
14/8/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↓
J’ai bien vu qu' ‘il s‘agissait d’un récit poétique, qui à donc besoin d’une certaine épaisseur, et non d’un poème mais je trouve que si l’on soustrait l’ampleur du lexique déprimant, ou sombre, il ne reste plus grand-chose à ce récit, sinon la trame brute d’une dramaturgie. En résumé, le gras des mots qui me semblent faciles entourent et affectent l’ossature de ce récit, ossature pourtant intéressante et sans doute autrement à mon sens, parlante J’aurais aimé une certaine gradation dans l’écriture, ou plus de subtilité dans l’expression. Merci.

   Tiramisu   
15/8/2022
Bonjour Cyrill,

J'ai bien aimé les mots, j'ai bien aimé le rythme, et les images qui en découlent. L'écriture est forte.

Cela m'a semblé un peu trop long, plus court cela aurait gagné en force, un peu trop de mots à mon goût malgré leurs qualités. Cela a tendance a noyé la force de chacun des mots.

Sur le fond, je regrette que cela soit une histoire tellement vue et revue malheureusement depuis Jack l'éventreur et sans doute avant. Même si il y a aussi dans le fil du texte le rapport de la vieillesse à la jeunesse qui est assez bien rendu, au delà du désir d'un corps, le désir de vie.

Je n'aime pas connaitre une chute dés le départ d'un texte, j'aurais aimé un dérapage, un virage, bref, un ailleurs.

Merci pour cette lecture.

   Cyrill   
17/8/2022


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