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Récit poétique
Cyrill : Deux trains de vie
 Publié le 19/05/21  -  7 commentaires  -  8551 caractères  -  152 lectures    Autres textes du même auteur

Du simple voisinage à la mise en demeure.


Deux trains de vie




– 1 –



Juste derrière chez moi
j’entends passer le train que je ne prends jamais.



C’est au rez-de-chaussée qu’habite mon voisin qui dès potron-minet invite le vin blanc à coté du café.
Moi je loge au premier mais j’ai quelque raison de juger du tableau.
Descendant l’escalier de bonne heure au matin, je m’arroge le droit de jeter quelquefois un œil inquisiteur à travers les carreaux qui laissent deviner – loin d’un godelureau – l’homme dans ses pénates et son logis spartiate.
C’est en vain que j’essaie de ne pas me montrer quand en catimini j’observe ainsi son nid et ses frustres manières.
Car il est aux aguets.
Mais ne prend pas ombrage de mes nombreux passages.
C’est bien tout le contraire : il semble guilleret.

Jeune femme racée, j’aime assez néanmoins m’encanailler parfois.
Et taper la belote au soir avec les potes aguerris et rompus du voisin de palier du voisin de dessous.
Qui a bu tout son saoul et fait triste ripaille avant que les copains, escarpes avinées, arrivent sur la rive où s’échoue d’ordinaire un rebut, dix de der, et tout dernier compère à qui faire ma cour.

Doubles waters sur cour.
Quand au lever du jour je vais faire pipi, légère et peu vêtue, je hume les urines dont les hommes tapissent le petit endroit.
Je n’ai pas d’autre choix, la demeure est pourvue d’une seule cabine.

Je fume le cigare, pareil à George Sand. Pas n’est question de mode ni de contrebande : ainsi je m’accommode des relents de pisse.
Et si je tombe en panne un dimanche à midi, jamais je ne recule à taper les amis, ni sauvage ni crâne.
Quand je toque chez lui mon voisin de dessous se meut et gesticule, ouvre tout grand sa porte et gentil me propose en quatre mots de prose exempts de fatuité une Boyard maïs.
C’est pure gratuité, que j’en sois garantie.
Je ne suis pas bégueule.
N’ai cure du dit-on et que fumera-t-on.

Ne suis-je comme lui seule que vent emporte ?

Moitié écervelée je m’exprime parfois au mépris de l’usage ;
m’épanche volontiers ;
me donne à regarder aux passants de passage et autres familiers de la propriétaire.

Ainsi coule la vie aux accents de cocagne en cet humble logis qu’elle offre sans souci contre trois francs six sous : du moment que ça gagne elle ferme son huis, les yeux et les ouïes dès que tombe la nuit.
Encaisse en fin de mois le rapport du loyer.
Laisse s’acoquiner filles et sapajous puis s’en va se coucher.


Juste derrière chez moi
j’entends passer le train que je ne prends jamais.



Ayant un train de vie quelque peu incertain, il se put qu’en chemin – comme une parodie en guise de merci pour services rendus – je reçusse soumise, au quatre tiers mi-nue, un peu sotte un rien grise, le poids de mon voisin, l’aumône de son vit.

Mais lequel néanmoins ?

J’oubliai sur le champ.

Le voisin de palier de celui qui habite le rez-de-chaussée ?
Ou celui du dessous du premier ?
Le bilieux, le méchant ?
Ou celui du dessus du panier ?

Après tout qu’importait !


Juste derrière chez moi
j’entends passer le train que je ne prends jamais.




– 2 –




Ce fut un jour d’hiver où la douceur de l’air était particulière que d’une âme légère et d’un cœur brimborion je décidai enfin de boucler mon bagage.
Abandonnant sans un regret et sans plus de façon – inutile déchet – le tableau, triste cage d’un long célibat.


Et ce train que j’entends
depuis la nuit des temps
passer près de chez moi
enfilera les rails de la belle aventure.



Et mon petit train-train et mes petits tracas je les laisserai là, à portée de voisins.
Ceux-là trouveront bien une autre partenaire afin de compenser mon absence au tripot, stripteasant le poker bien autrement que moi.
Et ma propriétaire conviendra c’est certain qu’une autre locataire brasse le jeu de cartes ou lise les tarots.
Ce serait à propos, il faut que je m’écarte.


Et ce train que j’entends
depuis la nuit des temps
passer près de chez moi
enfilera les rails de la belle aventure.



Reléguant au rebut quelques objets témoins de mes années perdues, je pliai à la hâte quantité de choses : un peu de linge fin, dentelles délicates, mouchoirs brodés de roses.

Et ce long fourreau noir qu’un espoir m’inspira : il me fallut surseoir à sa destination.

J’hésitai jusqu’au soir parmi tout ce fatras devant trois bibelots interlopes.
Ils ne sauraient encor me seoir et rallièrent les ordures entre les épluchures et les vieux horoscopes.
Foin des antiquités !
Adieu la populace, Madame a de l’audace et de l’alacrité.


Et ce train que j’entends
depuis la nuit des temps
passer près de chez moi
enfilera les rails de la belle aventure.



Je m’espérais souvent, parfois m’imaginais, là, arpentant le quai un matin de rupture avec mon voisinage, si par un pur hasard je trouvais le courage de combler mon retard et songer au futur, à d’autres paysages.


Et ce train que j’entends
depuis la nuit des temps
passer près de chez moi
enfilera les rails de la belle aventure,



fendant à toute allure des contrées champêtres.

Je ne tiens pas en place et vais à la fenêtre.
J’aspire l’air qui vibre,
me parle d’être libre.
Une brume fugace fraîchit mon visage.

Je vois l’étroit couloir allant comme un prélude à mon compartiment.
J’entends mes escarpins frappant de certitude le plancher du train qui scelle mon voyage à renfort de wagons.

Puis ce salon mondain où s’allonge mon pas, que j’adopte d’emblée pour ma restauration.

Ainsi qu’un vis-à-vis m’offrant place et café, charmant et mal rasé, bohème de passage.

Rencontre d’un hasard un peu prémédité, à qui dois-je avouer je me vois bien d’humeur à conter sans compter ma vie et mes déboires, mes amours, mes cigares.


Et ce train que j’entends
depuis la nuit des temps
passer près de chez moi
enfilera les rails de la belle aventure.



J’aurai – prudence pure – bien soigné ma toilette, fiché quelques barrettes dans ma chevelure ;
chassé l’imperfection de mon vocabulaire, de l’expression canaille au plus petit juron.

Parfaire mon allure !
Très peu de maquillage, je veux sembler mon âge.

À même la peau ce lainage et ses quatre boutons défaits. Ne subodorons pas d’outrage, il fait si chaud dans ce wagon !

Mon encombrant bagage est d’un luxe modeste, invite à faire un geste.
Il me donne la main afin de le hisser au-dessus de nos têtes, jusque dans le filet où s’ennuie sa valise.
Il n’y a guère d’espace et pas plus de frontière, ce sera sans manières.

On se gênera simplement pour ménager du temps aux aléas d’un beau voyage.

On s’excuse pourtant, béjaunes dans ce jeu.
Après tout nom de Dieu ! ne sommes-nous voisins installés face à face, genou contre genou pour un bout de trajet ?

Lors d’un prochain arrêt on se fera la bise, on se dira adieu.
À moins qu’un brin d’audace ou qu’un poil d’entreprise…

Et qu’un seul quai suffise à notre destinée.


Et ce train qui se taille en glissant sur les rails
ainsi que se défont les mailles d’un tricot
déposera bientôt
comme des goémons échoués sur la grève
deux simples créatures affublées de leurs rêves.



Quelques pas sur l’asphalte,
une halte en chemin, de timides murmures.

Une ombre d’aventure, espoir d’un lendemain.

Une conversation au café de la ville, des mouvements légers, habileté des mains.

Une autre invitation.

Une question civile.

Un oui qui attendait le moment de se dire.

Un logis, un empire loin de la voie ferrée, pour deux cœurs solitaires, qu’une propriétaire attendait de louer.

… Et puis quelques voisins.


 
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   hersen   
19/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aime beaucoup ce récit poétique, avant tout pour ses images, pour les descriptions qui vont plus loin que ce qu'elles sont, mais qui traduisent aussi un portrait psychologique.
On s'amuse à suivre cette femme parmi ses voisins.
On s'amuse, et pourtant... c'est plutôt noir.
Le deuxième train part sur les chapeaux de roues, si on peut dire, l'accroche est facile... et on recommence.
C'est une texte qui est beau par sa désespérance, mais contée tout en légèreté. Ne pas plomber le lecteur, c'est un peu aussi je pense grâce à la poésie qui se dégage du texte, ces vers intercalés qui donnent une respiration, qui fait entrevoir ce train de l'espoir.

merci pour cette lecture, et encore une fois, bravo pour l'ambiance si bien décrite.

   papipoete   
19/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Cyrill
Moi qui n'ai guère pris le train, plutôt des auto stopeuses ( même celles qui partaient dans l'autre sens ), je suis monté dans ces 2 trains, train de vie et train tout court pour finir.
Le premier qui situe l'histoire, manie le langage avec " audace ", et même si ça ne sent pas bon, le film est très touchant, on pardonne à cette femme si généreuse en tout...
Le second, où elle décide d'abandonner cette misérable vie, en partance dans ce wagon pleine d'entrain ; elle rêve, et pourrait-on venir l'attendre sur un quai... un homme en costume chic ?
Non elle n'aura pas droit de changer sa condition, et retrouvera son train de vie d'avant...
NB on sourit parfois, surtout dans le premier " tome ", devant cette femme au grand coeur, à grande gueule, et prête à consoler un chagrin masculin au creux de ses reins.
On la soutient quand elle décide de devenir une autre, mais c'est peine perdue ; elle n'est pas faite pour " faire semblant " !
j'aime particulièrement le dernier refrain aux cinq lignes si tendres !
Je ne suis pas fan des textes longs, il me fallut persévérer dans ma lecture ( sans m'y ennuyer ) pour tirer mon chapeau à l'auteur, qui se mit dans la peau d'une femme, de surcroit !

   Damy   
19/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
D’habitude je n’aime pas lire les textes longs sur écran, mes yeux fatiguent, mais celui-ci est parfaitement aéré et ne m’a pas posé de difficultés. J’ai ainsi apprécié les refrains.
Je suis toujours embarrassé pour commenter les textes longs, leur déroulement me fait quelque peu oublier les saveurs de ce qui précède.
Mais j’ai beaucoup aimé cette intrigue de l’héroïne qui mène un train de vie banal tout en étant sensible aux détresses des voisins qui ne le lui rendent pas, jusqu’à ce que, lasse, elle se décide à prendre le train, espérant une aventure, peut-être avec ce voisin de wagon que les genoux effleurent. La fin est triste mais pas larmoyante. On se fait peut-être une raison de sa destinée.
Le texte fourmille d’accents poétiques avec, notamment, ses assonances qui émaillent la prose. Il s’agit bien d’un récit poétique et non d’une nouvelle.

Merci pour cette lecture, Cyrill, qui me laisse un état d’âme empreint de mélancolie.

   Anonyme   
20/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Cyrill,

En préambule, je suis allée voir votre "recueil" sur Oniris, beaucoup de poèmes publiés en contemporain - et une interruption de publication assez longue, vous avez bien fait (à mes yeux) de revenir.
Huit mille et quelques signes, depuis que la rubrique récit poétique existe, nous avons parfois de plus ou moins longs textes.
La mise en page aérée, n'effraie pas, cependant.
Et rapport au sujet, insérer des parties en vers est très habile, un peu comme le chant d'un train, quand on est dans le train.
J'ai beaucoup aimé le titre, original.
J'ai beaucoup aimé ma lecture avec cet humour, cette auto-dérision de la part de la narratrice.
(Je ne vais pas parler de ce récit par une femme, d'un auteur qui me semble homme, mais si, j'en parle, il sonne très juste, et ce n'est pas évident, à priori).
Ensuite la forme, j'ai lu un long poème plutôt en alexandrins, avec rimes et bonnes césures.
Et ces poèmes intercalés dans le texte, qui affichent alors leur "catégorie" (quel vilain mot) leur style contemporain sont un plus dans leur évolution.
Longtemps
"Juste derrière chez moi
j’entends passer le train que je ne prends jamais."
Pour parvenir au dernier, grand ouvert sur l'avenir.
La première partie hyperréaliste et poétique est frappante, la suite aussi.
Et l'exergue, j'allais oublier, savoureux, merci !
Et les allitérations et autres figures de style, très appréciées
Un sacré beau voyage en poésie.

Merci du partage,
Éclaircie

   Corto   
20/5/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Cyrill,
J'ai beaucoup aimé votre texte, vrai récit tissé de vraie poésie.

En première partie on ne chipote pas: la vie est parfois crue c'est donc ainsi que vous la décrivez. Il n'y a pas des gentils et des méchants, des beaux ou des vilains, il y a du vrai, du cru, du voisinage, de la misère, du temps à passer, chacun y allant à sa façon.
Une chanson de Jean Ferrat s'est invitée dans mes méninges: "Ma môme, ell' joue pas les starlettes"...

Dès le début vous avez piqué notre curiosité avec le beau refrain
"Juste derrière chez moi
j’entends passer le train que je ne prends jamais".

Il fallait bien qu'on finisse par monter dans ce train...
En toute complicité le lecteur prépare avec la narratrice ce déménagement hâtif et sans complaisance pour les symboles du passé. L'aventure est dans
"ce train que j’entends
depuis la nuit des temps"
car "Madame a de l’audace et de l’alacrité".

Le jeu des personnages dans le compartiment exigu est bien rendu, on se côtoie sans trop en faire, et puis rien n'est ni certain ni obligatoire. Encore une fois c'est l'aventure qui compte, celle qui fait bouger, avancer, espérer, il n'est pas bon de trop calculer son avenir même si
"deux simples créatures affublées de leurs rêves"...

Ce texte réaliste en restant dans le flou de la vie incertaine est de toute beauté.
La mise en page est excellente. Les refrains à la fois introductions et conclusions sonnent comme le cheminement d'une vie qui emprunte des rails dont on ne sait guère vers où ils nous mènent.

Grand bravo.

   Louis   
21/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La narratrice ne mène pas grand train dans son immeuble misérable, qui ne manque pas pourtant, entre les résidents, d’humanité.

Elle ne se sent pas vraiment chez elle, pas intégrée dans ces lieux qu’elle dépeint, selon son propre terme, comme un « tableau » : «Moi je loge au premier, mais j’ai quelque raison de juger du tableau».
Elle ne se sent pas "fondue dans le décor", et adopte une position extérieure au monde qui l’environne, une position d’observatrice : «c’est en vain que j’essaie de ne pas me montrer quand en catimini j’observe ainsi son nid et ses frustres manières »
Elle voudrait voir sans être vue, n’être que le fantôme invisible qui hante les lieux, mais sa présence ne reste pas inaperçue, et il lui faut tisser la trame interrelationnelle sur laquelle se peint le tableau d’un monde peu reluisant.
Elle consent à se laisser voir parfois, comme un don, l’offre généreuse de sa personne féminine : « me donne à regarder aux passants de passage ».
Mais essentiellement, elle reste spectatrice, spectatrice d’un monde dans lequel elle se sent étrangère ; spectatrice aussi de sa propre vie.

Les liens avec la population, surtout masculine de l’immeuble, restent lâches et distants. Pas de véritables amis ou amants, mais une cohabitation avec des « voisins », et les « potes » des voisins.
Si elle adopte une allure masculine, dans cet univers d’hommes, fumant le cigare « pareil à George Sand », elle ne peut néanmoins échapper à sa condition féminine.
C’est un tableau odorant qu’elle dresse encore de cet environnement, où elle hume les relents masculins de l’urine, du sexe, de l’alcool et des Boyard maïs.

Prisonnière du train-train quotidien, son esprit est pourtant ailleurs, et continuellement elle entend un autre train, celui qui passe et emmène dans un ailleurs auquel elle aspire : « Juste derrière chez moi / j’entends passer le train que je ne prends jamais ».

Un jour pourtant, elle finit par prendre le train du départ pour un ailleurs, abandonnant le « tableau », qui l’avait en partie absorbée, malgré elle, comme en une « triste cage ».
Elle fuit un « long célibat », des relations de voisinage dans une promiscuité sans véritable proximité.
Elle veut « enfiler les rails de la belle aventure »

Le « train » ici est associé à la vie, il est un train "de vie’', alors que de façon paradoxale, le train est symboliquement, dans les fantasmes, dans le domaine onirique, et dans nombre de représentations, lié au temps qui passe menant inexorablement à la mort.
Ainsi dans les tableaux de De Chirico, de la période dite «métaphysique », apparaissent sur chacun en arrière-plan, un petit train à vapeur. Or ces tableaux évoquent pour la plupart le temps qui passe et mène à une mort inéluctable, jusqu’aux couleurs dominantes des toiles, crépusculaires.
La narratrice en prenant le train du départ ( et « partir, c’est mourir un peu » comme l’écrivait Edmond Haraucourt) envisage de mourir à cette vie misérable qui n’en était pas une, menée jusqu’ici, pour renaître dans l’avenir à une vie nouvelle.
Elle part « un jour d’hiver », dans un geste printanier, dans une valeur d’aurore d'un jour nouveau, d'une saison nouvelle de la vie. Comme l’explique, en effet, Jankélévitch dans son livre "L’aventure, l’ennui, le sérieux", l’aventure est un commencement, ou un recommencement : « L’aventurier est un débutant » : écrit-il.
L’aventure, fait-il encore remarquer, a la mort pour enjeu : « La mésaventure de mort est l’aventureux en toute aventure » : écrit-il. D’où cette ambiguïté encore, entre vie et mort, qui consiste à partir à l’aventure dans le train qui passe, comme passe le temps.

Dans le choix de partir, s’affirme une décision libre et aventureuse de la narratrice. Elle ne sait pas où elle va, mais elle y va résolument.
Il y faut donc du courage et de l’audace, or : « Madame a de l’audace et de l’alacrité », c’est-à-dire beaucoup d’’’entrain’’, et ce n’est pas un simple jeu sur les mots.
Il lui faut trouver le moyen de réduire l’écart entre la vie et elle-même, pour ne plus être une simple spectatrice de son existence ; pour se faire actrice et surtout auteure de sa vie.

Grisée par cette nouvelle liberté, audacieuse, dans cette mise en train vers de nouveaux horizons, « J’aspire l’air qui vibre / me parle d’être libre », elle en vient à confondre liberté et hasard.
Lafcadio, le personnage des Caves du Vatican d’André Gide, veut se prouver sa liberté en donnant la mort, "gratuitement’’, sans motif, à l’un des passagers de son train de nuit entre Paris et Rome, et laisse faire le hasard, de même la narratrice veut donner la vie, et non la mort, pour se convaincre de sa nouvelle liberté, au passager de son train dans le compartiment où elle est entrée, et comme Lafcadio laisse faire le hasard d’une rencontre, qui ne pourrait être qu’une heureuse rencontre.

« Rencontre d’un hasard un peu prémédité » se dit-elle.
Mais cette « préméditation » n’est qu’un rêve, un prévisible fantasmé auquel elle veut donner chair et réalité.
Elle est dans l’illusion, prenant ses désirs pour des réalités.
Ou bien le conte de fée se réalise-t-il ?

La fin du récit reste dans le flou.
Mais il semble bien que la narratrice ait quitté un train-train, pour un autre, avec entre les deux juste « une ombre d’aventure, espoir d’un lendemain ».
Un train, dit-on, peut en cacher un autre, et il n’est pas si facile de sortir de sa condition.

Le personnage néanmoins, avec son « audace et son alacrité », même si l’expression semble teintée d’autodérision, le rend attachant et émouvant.

   Cyrill   
24/5/2021


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