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Récit poétique
Cyrill : Pierre, Paule, Jacques et le printemps suivant [concours]
 Publié le 10/05/22  -  7 commentaires  -  4829 caractères  -  109 lectures    Autres textes du même auteur

Le temps de se retourner.


Pierre, Paule, Jacques et le printemps suivant [concours]



Ce texte est une participation au concours n°32 : Le temps dans tous ses états
(informations sur ce concours).





J’eus vent de ces trois-là après bien des évènements, d’inutiles débats à chercher le pourquoi du comment.
Les hivers s’étaient empilés, fondant l’un dessus l’autre, radotant comme patenôtre en un bégaiement dérisoire.
Chacun de nous bon an mal an avait suivi sa route et le temps de se retourner les bleus flocons de la mémoire voltigeaient en disparaissant dans les ambiguïtés du doute.



Pierre avait aperçu Paule un matin de janvier dans les rues du quartier, qui marchait solitaire et les deux yeux vissés sur sa paire de pieds.
Elle ne se souciait pas de là d’où elle venait, elle ne regardait guère où elle se dirigeait.
Elle observait ses pieds, puis en se retournant la marque que ses pieds, comme une périphrase, imprimaient à la neige.
Elle observait la neige impeccable de blanc juste l’instant d’avant que son pas ne l’écrase, arrachant des arpèges aux cristaux entassés. Paule était instrument.
Geignant assidûment, telle une âme qui boite, la neige recevait la peine de son corps claudiquant de la droite puis se redressant à la bonne fortune du port.
Un port qui trahissait le pesant des saisons et des désillusions.
Pierre avait suivi Paule d’un élan machinal, et chemin se faisant il avait emprunté tout amicalement – écho d’un madrigal à la geste de Paule – l’hésitation légère, cette allure éphémère, et le fret de la vie juché sur ses épaules.
Comme un tout indivis, de concert ils marchaient en regardant la neige imbécile de blanc juste l’instant d’avant que leurs pas ne l’écrasent.
Pierre dans l’ombre de Paule et Paule, ombre du vent que le silence envase, silhouettes dansant la danse des années, fantômes folâtrant dans la brume du temps.
La première se retournant, de même faisait le second comme dans un rebond, dans une affinité gracieuse, une fraternité de l’âge et l’adhésion soucieuse à celle qui allait devant.
Ce devant sans visage, devant inexistant, devant évanoui dans le retournement, que ce retournement a soudain excusé, subitement transi.
Pierre avait adopté le langage des mains que Paule avait fouissant, retournant le destin, l’invisible demain de ses poches profondes.
Pierre avait épousé la marche vagabonde d’un hère survivant que Paule initiait d’un pas lent.



Jacques les avait croisés au cœur de la bourrasque.
Dans un ballet de masques et d’un étrange ensemble, l’un aux basques de l’autre et réciproquement, chacun brinquebalé dans la même cadence, affligé de la même transe, l’amble se retournant, ce faisant s’ignorant l’un l’autre et réciproquement.
Leurs deux yeux vissés sur leurs pieds, ce faisant ignorant le monde, comme rejetés de la ronde et d’eux seuls étant les apôtres.
Jacques s’éloigna d’eux passé ce croisement.
Mais doucettement mû par jamais il ne sut quel dérangement de raison, quel retournement de situation, il fit une révolution, leur emboîta le pas, fendant le dur frimas, la figure ballant à de vains horizons.
Dernier dans la tourmente et la fuite du temps, démarche pantelante, il régla sa posture sur celle des précédents.
Un train de sarabande agitait le charroi, laissant poindre parfois un frisson d’aventure, un goût de contrebande.
La première se retournant, le second en faisait autant et le troisième, équidistant, rejouait la chorégraphie, des vents contraires faisant fi.



J’eus vent des trois compères au tournant du printemps suivant.
Sortant de mes pénates afin d’humer le temps et l’odeur du bitume, j’avisai au lointain ces curieux acrobates, incroyables pantins d’un tango sans costume.
Rejoignant le convoi comme ultime wagon, je me mis d’emblée sur la voie en dernier parangon d’une vertu commune.
La première se retournant, le deuxième en fit tout autant, le troisième pareillement.
Quatrième et dernier du rang j’opérai le retournement dans un habile mouvement.



Mais le vent, ce vent de misère et ce traître temps décadent firent sans autre manière un sort à notre mascarade.
Souvenirs d’anciens camarades ou futur de potes d’antan, espérances ou regrets cuisants, tout fut noyé dans le présent, avalé dans un maintenant qui n’en finit pas de finir, perdu dans un bonheur béant.
Nous-mêmes dans la bousculade, égarés, êtres aberrants, retournés de cette panade, n’en finissons pas de mourir au seuil absurde du néant.


___________________________________________
Ce texte a été publié avec un mot protégé par PTS.


 
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   Pouet   
10/5/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Slt

quand trois âmes vont au chant, l'aphonie suit claudiquant...

Le printemps ressemble au printemps qui ressemble à nos pas. Nous avons épuisé toutes nos villégiatures, en un cycle cranté nous tournons la douceur d'une reconnaissance, nous choyons les miroirs en leur opacité.

J'ai beaucoup aimé cette écriture à la fois simple et profonde, recherchée et non poncée.

Il y a peut-être quelque chose à situer entre Vladimir et Estragon tournant au rond point de Devos et l'éternel recommencement en ses guenilles d'humanité.

Pouet

Edit: après relecture, je souligne la grande fluidité du texte qui, au pas cadencé, dispense de bien belles images. Un texte fin et décalé juste ce qu'il faut. Bravo.

   Anonyme   
10/5/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour
Une belle écriture ma foi. À peine entachée de Yoda (les bleus flocons) et de quelques mots que je n'aurais pas mis comme équidistant ou indivis, mais ce sont des détails, l'histoire de cette camaraderie en trio, quatuor même, est bien agréable à lire.

merci et bravo !

Bonne chance pour ce concours !

Anna en EL

   papipoete   
10/5/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour
Je me rappelle de cette chenille dans la neige, que formaient Pierre, Paule et bientôt Jacques marchant à la queue-leu-leu, vers une destination que je ne connaissais pas. Comme descendues d'un Pin, ces " processionnaires " allaient, accrochant au train un puis deux puis trois puis moi, un convoi aux wagons bien singuliers...
NB souvenirs d'histoires du passé, du temps d'avant, que sont devenus ces personnages qui imprègnent la mémoire de l'auteur ?
Il me revient en tête aussi, ce genre d'équipage ; deux frères tirant une remorque à bras, qui inlassablement chaque matin partaient... je ne sais où... que sont-ils devenus ?
Un texte prêtant à sourire ( non point à moquer ) narré dans un français très riche et fort imagé ; qui sait si je n'aurais pas emboîté le pas à ce trio, en hiver puis au printemps ?

   Vilmon   
11/5/2022
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,
Le temps de se retourner…
J’ai lu une série de mots qui se suivent, qui se répètent et qui font beaucoup de mots pour raconter quelque chose de simple. Je n’ai pas senti le temps de se retourner à part ceux qui se tourne pour suivre.
Je n’ai peut-être pas tout saisi. Pour l’occasion du sujet choisi, je me serais attendu à plusieurs revirements, une série de retournements, un cycle sans de retour vers l’avant et vers l’arrière dans le temps. J’ai lu un texte qui prend beaucoup de mots pour se raconter longtemps.
Vilmon

   Eskisse   
14/5/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

Un récit poétique haut en couleurs (bien qu'il se déroule dans "la neige imbécile de blanc" ,j'aime l'expression ) où tout s'efface : le but de la marche , le temps, le langage des mains, l'amour...

Ca commence par une phrase qui détourne le topos de la rencontre amoureuse ( "Pierre avait aperçu Paule un matin de janvier dans les rues du quartier") en la transformant en association d'êtres pris, surpris et non épris dans une chorégraphie dissonante.

Il est question d'une amitié qui dessine finalement une harmonie entre ces "hères" dont la danse, le mouvement, marquent un ultime sursaut de vie dans un monde qui ne laisse place qu'à un présent déceptif.
L'homme placé dans une déréliction sans appel : "et d’eux seuls étant les apôtres."

L'écriture est indéniablement maîtrisée ( " les bleus flocons de la mémoire voltigeaient en disparaissant dans les ambiguïtés du doute.") et le texte n'est pas sans profondeur...

   Cyrill   
27/5/2022

   Donaldo75   
29/5/2022
Salut Cyrill,

En lisant le titre de ce récit poétique, je me suis dit « merde, encore un fan de Claude Sautet qui va me saouler avec son rythme à deux balles et son bavardage » tellement je déteste ce type de films et les acteurs qui jouent dedans. Puis, une fois l’anonymat levé, je me suis aperçu que ce texte était de ta plume ; en plus, ton fil de discussion m’a permis de mieux retrouver le texte, à défaut d’en comprendre le sens profond mais ça ce n’est pas nouveau quand je lis tes poèmes qui sont à la poésie ce que le Rubik’s cube l’est à la géométrie.

Bon, mon introduction me semble être plus longue que le commentaire à proprement parler vu que je ne peux que mettre en avant le risque de tenter le récit poétique, catégorie hybride et parfois génératrice de chimères, surtout avec l’intention de mener une danse dans le rythme de la narration, danse à laquelle je n’ai pas été sensible plus que ça mais dont je reconnais le travail de composition. Au final, je ne sais pas si j’ai aimé ou pas ; c’est un comble surtout après ce que j’ai écrit sur le forum concernant les appréciations. Je le trouve cependant vraiment bien écrit même si certains passages narratifs le rendent trop racontés et perdent de la poésie en cours de route.

En tout cas, bravo pour avoir pris le risque du récit poétique – j’en ai fait de même, un concours c’est le moment ou jamais de se faire mal et sortir de sa zone de confort – et d’avoir participé à ce concours dont la fréquentation m’a épaté.

Bye

Don


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