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Poésie en prose
Cyrill : Question d'eau
 Publié le 22/06/18  -  16 commentaires  -  3780 caractères  -  171 lectures    Autres textes du même auteur

Qu’en ces larmes ondées le souvenir de moi irrigue ses mouchoirs !


Question d'eau



Il avait pris le pli, quand il voulait me voir, de ne me visiter que les jours où la pluie fracassait les trottoirs, et les toits, et les rues.
Où les averses drues s’abattaient sur le sol comme des femmes folles, flaques de désespoir et colère des nues.
Postée à ma fenêtre à regarder les eaux se transformer en rus, croisements de rigoles à l’infernal débit, je le voyais paraître, homme courbant le dos, à demi protégé sous un vieux parapluie.
Un oiseau dont les ailes, noires et disloquées, arpentaient la ruelle où je tenais logis.

Évitant les débris dégorgés des poubelles, il tâchait d’esquiver l’avalanche de gouttes écervelées du ciel.

Arrivé sous la voûte où la porte baillait, que je tenais ouverte pour cette occasion, il grimpait l’escalier puis se désencombrait de cette chose inerte, inutile accessoire, dans un coin de palier.
Cette toile percée par la rage des vents et l’usure des ans tenait plus du haillon que de l’entendement.
Cependant, la passion qu’il semblait lui porter, certes démesurée, ne souffrait discussion.

J’avais comme mission, pour éviter sa perte, de la sécher de suite et vite la rentrer.

C’est alors que monsieur consentait à s’asseoir, à occuper les lieux que je tenais garnis de fort jolie manière, simplement pour lui plaire.
Trônant sur le buffet, quelque bouquet de fleurs aux subtiles fragrances.
Fragiles bibelots, napperons de dentelle sur la cheminée.
Et moi, en abondance au creux de l’escarcelle.

Qu’il réclamât à boire ou désirât manger, je lui servais toujours de quoi le contenter. Une bière, un café, des tartines de beurre, un fruit de mon verger dont je tendais les grappes, mon cœur sur un plateau.

Ainsi agrémentées de ces menues agapes, se déroulaient les heures, les journées, les saisons.
Dès que tombait la pluie, le même parapluie occupait ma maison, appuyé contre un mur, tenu bien à l’abri de mauvaises rencontres, de tristes aventures.

Je ne surveillais pas la course de ma montre, mais la couleur des cieux, accalmies et courroux.
Craignant par-dessus tout qu’une trouée de bleu reflète dans ses yeux le désir impérieux de soudain s’en aller : c’était à la faveur d’un rayon de soleil qu’il me disait adieu.
Il fallait que je veille.
J’implorais le gros temps qui faisait mon bonheur.
Je suppliais les dieux afin que les orages succèdent aux orages.
Me nourrissais le cœur des rages du tonnerre, espérant à part moi qu’il gronde davantage.



Je l’avais rencontré au hasard d’un crachin qui cinglait mon visage et mouillait mes cheveux.
Muni de son pépin, il jugea opportun de me couvrir un peu, pour me raccompagner jusque dans mes quartiers.
Un étage plus haut, mille adresses après, mon corsage trempé pendait à l’étendage.
Je n’eus pas le loisir de songer au mariage.
Le temps vira au beau, il s’enfuit aussitôt, me donnant rendez-vous à la prochaine pluie.

Toujours il tint promesse, je pris mes habitudes.
Maudissais l’éclaircie signant ma solitude, me privant de tendresse.
Je n’aimais pas l’été, ses trop longs interludes.
J’attendais dans ma chambre que reviennent novembre et ses inondations – inénarrables dons, caprices de nature à rompre l’abandon où je m’amenuisais.



Puis vint ce jour de mars, où le ciel hésitait.
Les giboulées sont farces !
N’ont cure de l’amour et de ses conditions.
Mon amant se sauva au gré d’un arc-en-ciel, oubliant, dans sa hâte, la passion de sa vie.

Je ne le revis pas.



En souvenir de lui, me reste un parapluie qui m’aime à la façon d’un mainate sans aile.


 
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   BlaseSaintLuc   
10/6/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très intéressant poème, improbable visiteur de la pluie, ce sont les averses du cœur très singulières saisons, j'aime beaucoup, c'est tout sauf ordinaire, c'est une belle histoire, je n'ai pas d'autre commentaires pour aider que de dire, encore, continué comme ça
!

   Queribus   
11/6/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Un texte à la forme très originale, peut-être un peu long, avec des paragraphes de diverses longueurs mais qui forme un tout. Les mots sont simples, la lecture aisée et ne redemande pas d'autres relectures. J'ai particulièrement aimé la chute: "Je ne le revis pas. "En souvenir de lui, me reste un parapluie qui m'aime à la façon d'un mainate sans aile" qui tranche par sa brièveté avec la longueur de ce qui précède. Un parapluie, la pluie et une présence humaine réconfortante. En un mot de la belle ouvrage dans une forme très originale. De la poésie en prose de qualité..

Bien à vous.

   Louison   
14/6/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
J'ai aimé lire et relire cette poésie, son rythme agréable m'a emportée et quelle jolie histoire, tellement bien racontée.

"Puis vint ce jour de mars, où le ciel hésitait.
Les giboulées sont farces !
N’ont cure de l’amour et de ses conditions.
Mon amant se sauva au gré d’un arc-en-ciel, oubliant, dans sa hâte, la passion de sa vie. " Très beau !

Merci pour ce très joli moment.

   papipoete   
22/6/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
bonjour Cyrill
Que n'entend-on pas lorsque le ciel vire à la pluie, même après des jours de chaleur à maugréer contre l'humeur du temps !
Il y a ceux qui voient dans l'alternance soleil/pluie, un régime salutaire sans lequel notre pauvre Terre depuis longtemps agoniserait ; et puis il y a cette femme qui grâce à un crachin, rencontra celui qui changea le cours de sa vie, grâce à la pluie ...
Le Dieu Râ devint alors son pire ennemi, l'objet de ses tendres tourments, ne venant rejoindre sa mie que par temps de pluie ...
NB l'auteur porte sa plume de bien belle façon, pour raconter cette histoire si touchante ; avec des images tendres où l'on sourit, mais bien vite imaginant le visage blême de l'héroïne, nous voudrions qu'il pleuve averse pour qu'en son coeur brille la joie de revoir son cher amant !
Très ému par ce récit, et la fin qu'un parapluie posé là clôt au goût amer .

   Annick   
22/6/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
Ce texte poétique est particulièrement bien écrit. Il y a du travail derrière ce poème en prose mais je n'ai pas senti de labeur besogneux. Rien ne vient heurter l'oreille, le rythme berce et emmène le lecteur jusqu'au bout du rêve. J'aime cette idée d'un amant né de la pluie et disparu à la faveur d'un arc-en-ciel. Et ce parapluie comme un oiseau sans aile, (quelle belle image !), preuve à l'appui que ce n'est pas un rêve quoiqu'on en pense.

Superbe !

   Anonyme   
22/6/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une idée autant originale qu'insolite. C'est écrit simplement mais de façon efficace.
On ne saura pas pourquoi l'étrange personnage avait choisi les jours de pluie ; mais cela renforce le mystère de la situation.

Le presque asservissement de la narratrice à ce " Monsieur " est bien rendu.
" à occuper les lieux que je tenais garnis de fort jolie manière, simplement pour lui plaire ".
"Qu’il réclamât à boire ou désirât manger, je lui servais toujours de quoi le contenter ".

"Et moi, en abondance au creux de l’escarcelle." Image forte, entre autres.
J'ai beaucoup aimé ce récit, à l'allure de nouvelle.

   Luz   
22/6/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C'est vraiment très bien.
Je ne sais pas si c'est un poème en prose ou une nouvelle poétique (je ne saurai jamais faire la différence.)
J'ai ressenti un peu l'atmosphère de la chanson de Georges Brassens "L'orage" :
"Par un soir de novembre, à cheval sur les toits,
Un vrai tonnerr' de Brest, avec des cris d' putois,
Allumait ses feux d'artifice.
Bondissant de sa couche en costume de nuit,
Ma voisine affolée vint cogner à mon huis...

En tout cas, bravo.

Luz

   Curwwod   
22/6/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un texte remarquable d'une grande poésie grâce à de superbes images "Un oiseau dont les ailes, noires et disloquées" "En souvenir de lui, me reste un parapluie qui m’aime à la façon d’un mainate sans aile", d'une grande musicalité grâce à l'alexandrin omniprésent, grâce à une écriture pleine d'élégance aux tournures parfois un peu passéiste "arpentait la ruelle où je tenais logis" "Arrivé sous la voûte où la porte baillait" "Les giboulées sont farces !..."
L'idée de départ est charmante, le ton mi-résigné mi-nostagique suggère une sorte de recul qui donne beaucoup de légèreté et de fantaisie.
Bref c'est aussi beau que "le parapluie" de Brassens. J'adore.

   jfmoods   
23/6/2018
"Un oiseau dont les ailes, noires et disloquées, arpentait la ruelle où je tenais logis." -> Un oiseau dont les ailes, noires et disloquées, arpentaient la ruelle où je tenais logis.

Ce texte attachant n'est pas sans rappeler une chanson de Brassens intitulée "L'orage" et son entame ramène à la mémoire un poème de Victor Hugo.

Le rythme (principalement hexassyllabique) confère à l'ensemble du propos une grâce particulière et le jeu des rimes enchante l'oreille.

I) Une merveilleuse rencontre

1) Un chevalier servant

Des circonstances particulières ont présidé à la naissance d'une histoire d'amour ("Je l’avais rencontré au hasard d’un crachin qui cinglait mon visage et mouillait mes cheveux. Muni de son pépin, il jugea opportun de me couvrir un peu, pour me raccompagner jusque dans mes quartiers.") aux rapides péripéties ("Un étage plus haut, mille adresses après, mon corsage trempé pendait à l’étendage. Je n’eus pas le loisir de songer au mariage. Le temps vira au beau, il s’enfuit aussitôt").

2) Une femme accueillante

L'hôtesse offre à l'homme qu'elle aime un cocon doux et enchanteur ("les lieux que je tenais garnis de fort jolie manière, simplement pour lui plaire", "quelque bouquet de fleurs aux subtiles fragrances.", "Fragiles bibelots, napperons", "Et moi, en abondance au creux de l’escarcelle.", "Qu’il réclamât à boire ou désirât manger, je lui servais toujours de quoi le contenter. Une bière, un café, des tartines de beurre, un fruit de mon verger dont je tendais les grappes, mon cœur sur un plateau.").

II) Une parabole sur la fugacité des amours

1) Une météo par nature capricieuse

La locutrice ne vit plus que dans une l'attente douloureuse, fiévreuse. Que l'Aimé soit présent ou absent, elle se trouve toujours condamnée à espérer, à anticiper les fluctuations du temps. Elle doit fixer sans cesse le ciel ("Je ne surveillais pas la course de ma montre mais la couleur des cieux, accalmies et courroux.", "Craignant par-dessus tout qu’une trouée de bleu", "Il fallait que je veille.", "J’implorais le gros temps qui faisait mon bonheur.", "Je suppliais les dieux afin que les orages succèdent aux orages.").

2) Un parapluie défraîchi

L'objet support à la relation ne paie pas de mine ("Cette toile percée par la rage des vents et l’usure des ans tenait plus du haillon que de l’entendement."). Sa conservation exige une attention particulière ("J’avais comme mission, pour éviter sa perte, de la sécher de suite et vite la rentrer."). Il est la métaphore de l'usure du temps amoureux et demeurera le témoin muet de histoire ("En souvenir de lui, me reste un parapluie qui m’aime à la façon d’un mainate sans aile.").

Merci pour ce partage !

   fried   
23/6/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aime la philosophie de la dame qui prend ce qui vient et offre beaucoup. C'est très agréable à lire et me rappel également Brassens dans "L'orage" ou "Le parapluie" avec des mots simples et de beaux moments de partage.

   Robot   
24/6/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Il est bien rare de trouver un texte en prose qui s'adapte à la fois à une structure poétique et au développement d'un récit. Ici les deux aspects sont parfaitement liés. L'écriture, les images, l'histoire qui nous est racontée forment un bel ensemble.

   Quidonc   
24/6/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Femme qui sacrifie tout à son aimé, même le soleil. Amour inconditionnel, sans question mais oh combien dangereux car finalement sans réponses.
Il y dans cet amour un jeu de domination et de soumission un peu malsain
"Qu’il réclamât à boire ou désirât manger, je lui servais toujours de quoi le contenter. Une bière, un café, des tartines de beurre, un fruit de mon verger dont je tendais les grappes, mon cœur sur un plateau."
Mais le tout est tourné de si jolie manière et les images sont tellement évocatrices que l'on ne peut blâmer personne. Ni elle ni lui, lui dont on ne connaît finalement que son vieux parapluie.

   Pouet   
25/6/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bjr,

j'avais grandement apprécié le précédent: "Parenthèse pieds nus", celui-ci me convainc tout autant côté écriture. Je suis peut-être un peu moins sensible au romantisme exacerbé qui se dégage du texte, mais côté talent d'écriture, franchement, j'adhère.

Bravo, encore une fois.

   Vanessa   
2/7/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour,
Votre texte est d'une élégance qui lui confère un charme fou.
(Le titre m'a renvoyé à "Histoire d'ô ", le roman de Pauline Réage. Le lien pourrait se faire dans l'idée que par Amour, il est possible d'accepter des situations qui font souffrir.)
Vous décrivez l'environnement de façon très poétique, vos images sont " ensoleillées ".
:-)
J'ai adoré.

   Tychillios   
15/7/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Que j’aime cette sublime « abondance au creux de l’escarcelle ». Les métaphores et zeugmes sont parfois hasardeux. Merci de rendre hommage à Georges Brassens, sans le nommer. Un ouvrage impromptu qui mérite d’être remis sur le métier. Bravo pour l’émotion que vous susciterez bientôt. I.G

   Brume   
9/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Cyrill

Encore une fois votre écriture est magnifique, les images sont charmantes, et si expressives. Des impressions visuelles défilent comme un film.

L'impression d'entendre la voix de la narratrice grâce à cette tonalité douce-amère, calme, pleine de sensibilité.
Et bien sûr la douce mélodie qui habille vos mots me fait passer un agréable moment de lecture.


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