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Poésie contemporaine
czerny31 : Rudyard Kipling de profundis
 Publié le 06/08/15  -  4 commentaires  -  5726 caractères  -  78 lectures    Autres textes du même auteur

Rudyard Kipling revient nous alerter... (fiction)


Rudyard Kipling de profundis



Avertissement : ce texte n’est que pure fiction. Si j’ai pu choquer en osant me glisser dans la peau de M. Kipling, je m’en excuse bien humblement.
J’ai imaginé Rudyard Kipling, venant apporter sa perception de son superbe texte : "Alors tu seras un homme mon fils" à la lumière de la tragique disparition de celui-ci, mort au combat à l’âge de 17 ou 18 ans selon les sources.



Kipling de profundis

« Alors tu seras un homme, mon fils »
Dans ces versets, j’ai mis mes tripes, mon amour paternel, mes intimes pensées.
Je vous ai entendus vous exclamer sur la grandeur de ces idées
Je vous ai vus vibrer, et prêts à vous lever, brandissant mes cahiers.
Mais mes écrits sont assassins et je devais vous alerter.
Humblement me voici donc, de profundis.

« Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie, et sans dire un seul mot, te mettre à rebâtir »
Mais quelle prétention avait vicié mes mots, mes rimes, mes écrits !
C’est bien plus que cela qui a été détruit, j’en saisis l’importance, aujourd’hui, d’où je suis.
Point de reconstruction ne pansera les plaies qu’a creusées ma folie,
Ma prose aura détruit le centre de ma vie, la chair de mon sang, mon Jack, mon tout petit.
Voici mes mots ruinés, vidés de tout leur sens, et moi, pauvre Tartufe, qui ne sais que souffrir.

« Si tu peux être amant, sans être fou d’amour, si tu peux être fort sans cesser d’être tendre »
Je n’avais pas compris, ou avais oublié, que l’on doit respecter un temps à chaque chose
Tes treize ans sont le temps de vivre la folie, de vivre l’insouciance, à de très fortes doses
J’ai été trop pressé de te voir être un homme, de calquer ma vision, de te mettre en osmose.
J’ai voulu te voler l’amour et la tendresse, ne pas te laisser maître de ta métamorphose.
Quand je t’aurai trouvé, mes mots seront changés, vole, cours, aime, et sois fou sans attendre.

« Si tu peux supporter d’entendre tes paroles, travesties par des gueux, pour exciter des sots »
Ces vers-là sonnent bien, je dois le reconnaître et se feront plagier par toutes politiques.
Les gueux, les sots les feront leurs, et se les enverront sans besoin de réplique.
Ces chants qui gargarisent les âmes des battants, pour une idée, une terre ou pour une Amérique,
Ces chants-là m’ont laissé te pousser et te faire tomber dans une boue toute patriotique.
Mon gamin, ma fierté, je te rechercherai et te ramènerai des fosses des héros.

« Si tu peux être dur sans jamais être en rage, si tu peux être brave et jamais imprudent »
Mais quel aveugle étais-je de t’avoir confronté à cette cruauté, à la méchanceté
Alors même que j’étais le garant de ta fragilité, que mon devoir n’était que de te protéger ?
Moi l’écrivain de contes et de fables, je n’ai pas su te lire, encore moins te garder.
Pire, je t’ai dicté, par mes mots insensés, d’affronter la mitraille et de t’y faire tuer.
J’envisageais ainsi flatter mes idéaux, j’étais devenu sourd à entendre mes mots, en parfait arrogant.

« Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire, seront à tout jamais tes esclaves soumis »
Premier jour de combat, à peine dix-sept ans et te voilà tombé, tu as crié « papa ! »
Tes yeux se sont fermés, ta mémoire résonne toujours de ces mots-là, et tu y crois,
On pourrait disserter longuement sur ces divinités qui poussent au combat, je ne le ferai pas.
Mes doigts, mes ongles te recherchent, et ne cesseront pas, dans la terre du trépas.
Je te ramènerai, je te l’ai promis, et je t’arracherai de ces « connus de Dieu », jusqu’à la fin des nuits.

Depuis lors, ma plume assassine à jamais s’est éteinte
Si ce n’est pour t’écrire une ode, une complainte.
Comme un phare dans le brouillard, si tu la perçois,
Sans attendre, marche vite vers moi.
Pardonne-moi.






My Boy Jack

“Have you news of my boy Jack ?”
Not this tide.
“When d’you think that he’ll come back ?”
Not with this wind blowing, and this tide.

“Has any one else had word of him ?”
Not this tide.
For what is sunk will hardly swim,
Not with this wind blowing, and this tide.

“Oh, dear, what comfort can I find ?”
None this tide,
Nor any tide,
Except he did not shame his kind —
Not even with that wind blowing, and that tide.

Then hold your head up all the more,
This tide,
And every tide ;
Because he was the son you bore,
And gave to that wind blowing and that tide !

Rudyard Kipling – septembre 1915



Son père lui avait écrit le poème « Alors tu seras un homme, mon fils » alors qu’il était âgé de 13 ans.

Très myope, son engagement dans les troupes britanniques lui fut plusieurs fois refusé au début de la première guerre mondiale. Grâce à l’intervention de son père, il fut admis dans les Irish Guards. Lieutenant au 2e bataillon, il fut tué, lors de son premier assaut, durant l’attaque de Chalk Pit Wood à la bataille de Loos et son corps ne fut pas retrouvé. Son nom fut gravé sur le mémorial de l’armée britannique de Loos.

En 1915, Rudyard Kipling écrivit le poème My Boy Jack à la mémoire de son fils. Jusqu’à sa mort en 1936, son père procéda à des fouilles dans la région pour retrouver les preuves de sa mort ou sa dépouille.

Rudyard Kipling inventa aussi l’inscription qui figure sur la tombe des soldats inconnus britanniques : Known unto God (Connu de Dieu).

Source Wikipédia


 
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   margueritec   
26/7/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Merci de votre point de vue qui tranche avec ce que chacun fait de ce texte de Rudyard Kipling et le brandit en avant comme un credo. Par expérience, je sais que ce texte peut être plus dévastateur et mortifère que moteur.
J'ai donc bien aimé les remords et regrets d'un père que vous avez su exprimer (je ne reprendrai pas tout votre texte) et particulièrement le constat que l'écriture, par conviction, idéologie, aboutit à la mort de l'innocent/ce (cf. les deux derniers vers des 6 premières strophes).

Quant à la dernière strophe, poignante face au désespoir d'un père étreint par la culpabilité, elle humanise Kipling et redonne à l'écriture sa vocation de guide mais non plus un guide orgueilleux, arrogant, destructeur, fier et sûr de lui, mais un guide humble, d'amour, de lumière et de tendresse. Peut-être la véritable raison de l'écriture ?

Merci de cette autre lecture. Au plaisir de vous lire à nouveau.

   CassandreB   
6/8/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour Czerny.
Tu nous as habitués à de la poésie peu classique lors de tes premières publications et j’avoue que cette fois encore, celle ci est novatrice pour bien des raisons.
La forme. Avec la reprise de chaque vers pour le commenter, le compléter, le critiquer, le déchirer.
Le fond. J’ai la sensation que Czerny a été à l’origine pleinement du choix de la forme mais que le fond est un mélange de son infinie sensibilité de poète et de la puissante émotion, de la colère incommensurable qui est en Kipling. Je dis qui est, bien qu’il soit mort, parce qu’en lisant tes vers, je l’ai entendu hurler, sa rage, sa douleur, son impuissance.
Lire tes lignes en cette page, c’est lire Kipling qui implore le pardon. C’est respecter sa douleur dans la dignité et c’est prolonger infiniment les mots de ce père fou de chagrin, probablement exsangue de trop de souffrance. Comment dépasser le deuil de son enfant quand on n’a pas été capable de le retenir ?
Je t’imagine torturé par cette même souffrance tant tu l’as transcendée pour Kipling.
Tu as fait tienne sa raison de dire ces mots. Tu sais ce qu’il a ressenti et ce qu’il a voulu transmettre. En écrivant ces vers pour lui, tu exorcises vos épreuves, vos maux et la désolation d’un monde qui tue ses enfants de trop vouloir les utiliser au dessein d’hommes entrés en inhumanité.

Cet écrit est racé, d’une rare élégance. Merci de nous l’avoir transmis.

   Anonyme   
6/8/2015
Bonjour czerny

Le poème de Kipling célèbre les vertus du stoïcisme à une époque où il était noble de retenir ses émotions et de dominer ses passions. Il a fait grandir et vibrer bien des ados. En premier lieu, son destinataire, le propre fils de l'auteur, qui a pris tous les risques pour être à la hauteur.

Vous imaginez que l'auteur du « Livre de la jungle » commente son propre poème et lui prêtez votre plume en usant de ces « doubles dodécasyllabes » qui vous sont coutumiers.
C'est un exercice d'autant plus périlleux que le registre des excuses et des lamentations n'est pas celui de Kipling.
Je ne pense pas que, même pour exprimer sa douleur, il ait emprunté votre ton qui est celui d'un poète d'une époque où il est au contraire impératif de lâcher prise à ses émotions.

Mais je n'en ai pas moins vivement apprécié votre initiative.

Merci Czerny

   Anonyme   
6/8/2015
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour

l'idée est originale et la forme aussi : alterner certains vers de Kippling et les vôtres, reproduire une chanson en anglais et un article Wikipédia…c'est un peu étonnant je trouve.
Je ne suis pas fan du procédé. J'ai quand même apprécié votre texte pour l'idée de base et pour les informations qu'il apporte. Jusqu'à ce jour je ne connaissais que le poème "Alors tu seras un homme mon fils" et encore je croyais que le titre était 'If'.

Au début vous avertissez de vos bonnes intentions et du respect que vous portez à Kippling et donc on ne peut que vous excuser d'avance, car au fond il y a une dose de partialité dans ce que vous en dites, mais sur le fond la seule chose qui doit turlupiner Kippling c'est d'avoir appuyé la candidature de son fils pour le faire admettre au front, pas son poème, qui est très fort.
Et c'est plus peut-être de n'avoir pas suivi lui-même les règles qu'il avait édictées, car dans le texte de 'If' il y a pas mal de maximes qui militent contre la guerre (pour faire simple).

Par exemple en appliquant à la lettre :
« Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu peux être bon, si tu sais être sage »
on ne peut qu'être non-violent, ou du moins ne pas partir au combat myope comme une taupe, et surtout bien sûr ne pas encourager son fils à aller au casse-pipe, non?

Mais je ne connais pas assez l'œuvre et la vie de l'auteur pour en juger valablement, je suppose c'est tout.

Votre texte fait aussi penser à 'Mourir pour des idées' de Brassens.

Globalement je trouve le style de votre texte, je parle de vos mots, assez peu poétiques, c'est de la prose, et pas très stimulante pour moi, sauf le fond qui est intéressant, je me répète.

Avis très subjectif of course, et donc à vous relire.

Cordialement

Corbivan


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