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Récit poétique
Damy : Sous la gloriette des passeroses
 Publié le 04/08/21  -  14 commentaires  -  2446 caractères  -  284 lectures    Autres textes du même auteur

Du sauvage au jardiné.


Sous la gloriette des passeroses



Je…

– Je…
– Tu ?
– Je…
– Mais encore ?
– Je…
– Tu quoi, au juste ?
– Je…
– C’est du narcissisme !
– … ?…
– Tu ne penses qu’à ta petite personne.



– Je… Je ne vois plus dans les buissons ces passereaux au plumage élégant, feu écarlate et noir de jais à la tête, aux ailes rayées soleil. Je n’entends plus leurs gazouillis fluides et répétés des « sticlitt » et des « didelitt » que la flûte du concerto n°3, « Le chardonneret », de Vivaldi a sublimés. Je… Je ne vois plus les vols planés des machaons dans les prairies fleuries, pharaons bigarrés de délicates dentelles au royaume jaune des papillons. Je… Je ne vois plus du bocage que des lambeaux de boqueteaux, bornes des horizons remembrés où s’érigent des banlieues.


Je… J’ai honte de l’accueil donné bras ouverts, dos tournés, aux affamés ou persécutés des terres brûlées par ceux-là même qui attisent les braises du climat et annexent des territoires insoumis pour les besoins des matières dernières dont la Terre épuisée rend l’âme. Je… Je…


Alors oui, je… moi je… J’ai la mélancolie cérébralement douloureuse et mentalement abattue qui ne peut plus exprimer sa révolte, recroquevillée dans un bloc de sel pressé dans un étau. Les mots m’échappent, réduits à des plaintes et des râles impuissants que plus personne n’écoute.
Je… J’en ai marre.



– Je… Je te propose de descendre dans le parc déambuler à ton rythme sous l’allée ombragée des platanes majestueux puis sous celle des lagerstroemia violets après la charmille ; nous cheminerions sous la tonnelle des glycines mauves et la pergola des trompettes orange de bignones ; nous traverserions le verger, les pruniers regorgent de fruits mûrs puis nous prendrions l’allée sinueuse des parterres tendres de la bleutée des agapanthes ; nous nous accouderions à la balustrade du pont de bois enjambant le ruisseau au calme clapotis qui alimente l’étang des lotus et nymphéas ; nous nous reposerions sur un banc sous la gloriette des passeroses. Alors je te lirais des poèmes, de « Mignonne… » de Ronsard, à « La fleur » de Prévert :

« la fleur aux couleurs éclatantes et qui éclate n’importe où
quand n’importe où c’est partout
éclate de vivre
éclate de rire
et d’inquiétude
et de détresse aussi ».


– Je…


Je te suis.


 
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   Corto   
4/8/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
Beau texte que je qualifierais "d'ambiance".
"Je" ne se situe plus, ne sait pas trop comment recevoir les impressions qui lui arrivent.
L'environnement est à la fois flou, mystérieux, disparu mais pas vraiment.
Les sentiments se mêlent à un réel qui s'échappe, à une culpabilité imprécise, à un passé qui a dû être riche mais participant à un avenir de plus en plus incertain.

"n’importe où c’est partout"
"vivre"
"rire"
"inquiétude"
"détresse aussi".

Un maelstrom qui prend aux tripes.
Bravo.

   hersen   
4/8/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Etonnant comme ce récit poétique arrive à couvrir toute une palette de ce qui reste parfois inexpressible, tant notre impuissance semble mener le monde.

l'idée est très très belle, et je ne peux que la suivre, qu'y adhérer : l'espoir sort du plus noir.

La construction du poème est à mon sens magnifique. Car on ne s'en prend même pas plein la figure, il y a une douceur par laquelle on se laisse mener, qui nous berce. Et qui nous ressource.


« la fleur aux couleurs éclatantes et qui éclate n’importe où
quand n’importe où c’est partout
éclate de vivre
éclate de rire
et d’inquiétude
et de détresse aussi ».

Moi aussi je te suis, dans cette promenade sous la gloriette des passeroses et des passereaux qui reforgera des idées, des attitudes positives.

Un très grand merci !

   papipoete   
4/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
bonjour Damy
Allez, je recommence tout ! mon commentaire ne veut pas partir !
Je vois, je vois...un personnage qui n'a hélas plus toutes ses facultés intellectuelles ; mais quand celles-ci à nouveau brillent dans son cerveau, elles sont très sensées allant même jusqu'à juger ce monde qui lui fait honte devant l'inhumain de certaines situations.
Et il évoque des senteurs de jardin, des couleurs de paysage, des bruits d'oiseaux pépiant...Mais, quand à nouveau sa tête " fout le camp ", le héros est désemparé§
NB c'est le dernier " je... te suis " qui me fait penser à ce scénario, qui m'évoque le film " n'oublie jamais " ; cet homme si lucide, au chevet de celle qu'il a toujours aimé, qui ne se rappelle plus...
Pardon Damy, si je me suis égaré loin de ton idée, mais c'est ce que tes lignes m'inspirent, comme celles de l'avant-dernière strophe, si belles...

   Luz   
4/8/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour Damy,

Magnifique !
Pas d'autres mots ne me viennent : poème-cri, subtil, terrible...
J'aimerais bien pouvoir dormir encore, une dernière fois, sous le vol des Azurés du serpolet et d'autres papillons..., mais où aller ?
Je te suis.
Merci !

Luz

   Anonyme   
4/8/2021
Le lyrisme, c'est je. Rien d'autre.
Il y a du lyrique dans l'il, dans l'elle, du je parmi, et des elles, des ils dans le je, mais le lyrisme embrasse toujours je.

*

Non seulement ce texte image superbement ce petit aphorisme, le déroule, le montre sans avoir à le formuler si petitement, l'expose avec une intelligence et une sensibilité remarquables — il a la magnificence de ses plaintes sues vaines mais ne se tait pas. C'est une envie de silence impossible face au désastre du monde qui pousse ces mots hors du néant, avec sa part de contingence et son morceau d'éternité.

Lorsque le beau ne se contente pas du sensuel mais vêt une pareille robe d'intelligence, la prose n'est pas seulement poétique mais virtuose, et je n'ai aucun conseil à donner à son auteur pour améliorer la moindre ligne, sinon de n'y plus toucher.

Merci pour ce partage, et merci d'être au monde, poète que je ne connaîtrai pas et qui pourtant foulez le même sol que moi. Vous donnez à l'existence une dignité qu'elle ne porte pas toujours. Merci.

   Cyrill   
4/8/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Damy,

Je veux bien aussi suivre ces deux-là, entre la détresse liée peut-être à la disparition de la nature, peut-être à la disparition des souvenirs on ne sait trop en fait, mais on ressent ce désespoir, d'autant plus criant que la description qui en est faite (de cette nature et de cette disparition) est de toute beauté.
Je veux bien qu'on me guide vers cet optimisme entre les tonnelles et les gloriettes...
Que de jolis mots venant accueillir ce que l'homme sait si bien cultiver. Un baume pour l'âme ? Pas si sur tant le mal est profond.

Grand merci Damy pour ce superbe opus !

   embellie   
4/8/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Le titre et l'incipit donnent à croire que nous allons lire un texte poétique, descriptif.
C'est le cas, mais pas seulement.
Sous la forme d'un dialogue, l'auteur nous montre toutes les beautés que nous perdrons, que nous perdons, que nous avons déjà perdues et le regret, la nostalgie, voire la colère qui en découlent.
Colère envers les hommes qui ont une grande part de responsabilité dans le déclin, le début de la fin de notre civilisation.
Au constat qui est fait de la disparition de nombreux oiseaux et papillons, il ne peut opposer que son impuissance « les mots m'échappent, réduits à des râles et des plaintes impuissants que plus personne n'écoute. »
La citation de Prévert, très belle, résume exactement le sujet.
Un petit happy end tout de même, pour terminer sur une note optimiste, la proposition d'une ballade dans un parc rempli de fleurs et de fruits, dont on ne sait s'il est réel (ce que je souhaite) ou fictif. J'ai beaucoup apprécié cet écrit.

   Cristale   
5/8/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Je...suis subjuguée par ce regard hurlant son desespoir face à la destruction de la nature, l'extinction des espèces, les bouleversements du climat sans doutes irrémédiables.
La deuxième strophe (je ne sais pas si l'on parle de strophe en récit poétique...bref...) donc la deuxième strophe est d'une poésie inouïe.
Je ne peux recopier le tout mais entre autres mots :

"Je n’entends plus leurs gazouillis fluides et répétés des « sticlitt » et des « didelitt »..."

Un cri silencieux que trop d'émotions négatives étouffent :

"Alors oui, je… moi je… J’ai la mélancolie cérébralement douloureuse et mentalement abattue qui ne peut plus exprimer sa révolte, recroquevillée dans un bloc de sel pressé dans un étau. Les mots m’échappent, réduits à des plaintes et des râles impuissants que plus personne n’écoute.
Je… J’en ai marre."


Quand la main de l'Homme a tout détruit, elle recrée des jardins artificiels peuplés de créatures et plantes vivantes comme l'a fait le peintre Monet pour immortaliser "sa" nature.
Je...j'ai suivi le poète "sous la tonnelle des glycines", je...suis passée sous "la pergola des bignones", "le verger", où j'ai goûté les prunes, frôlé "les agapanthes", me suis accoudée "à la balustrade du pont de bois enjambant le ruisseau", j'ai vu "les lotus et nymphéas" de l'étang, me suis reposée "sous la gloriette des passeroses"....je...j'ai l'impression d'avoir réellement vécu dans cette poésie aux côtés du poète.

Quand il ne restera que des ersatz pour atténuer les larmes d'une réalité éclaboussée, saurons nous encore tenir les pinceaux pour les rendre immortels et infinis ?
On ne sort pas indemne de cette écriture où la pensée met ses couleurs émotionnelles sur des mots percutants mais exprimés avec une grande douceur, presqu'avec langueur. Faire du beau avec le laid pour le rendre supportable, me plais-je à dire...et c'est ce que je viens de lire.

"L’homme est fou. Il adore un Dieu invisible et détruit une nature visible, inconscient que la Nature qu’il détruit est le Dieu qu’il vénère."
Hubert Reeves

Et une note joyeuse pour retrouver le sourire :
https://www.youtube.com/watch?v=vYrvOQiCx4I

   Myo   
5/8/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
C'est un "je" désespérément tourné vers le nous et ce questionnement du devenir de l'humanité.
Mais c'est un je conscients de ses limites, non, ce n'est pas du narcissisme.

Une détresse tournée malgré tout vers la source essentielle de la vie.
On ne peut que se laisser embarquer par cette invitation champêtre en toute conscience.

Un grand bravo pour le style très original et le fond d'une réflexion intense.

   emilia   
5/8/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
Une poésie engagée qui revendique le « Je… » dans une mise en scène pertinente faisant entrer le lecteur dans un dialogue théâtral entre « Je et Tu… » en insinuant la fausse piste du « narcissisme », de l’égoïsme… pour mieux les dénoncer par la suite… ; un « Je… » qui déplore ce qu’il ne voit plus et n’entend plus dans la nature sauvage et les jardins…, qui exprime un sentiment de « honte » face aux « dos tournés » devant les réfugiés climatiques qui en sont victimes et la détresse d’une « Terre épuisée »…, un sentiment de révolte et de lassitude face aux « râles impuissants que plus personne n’écoute… », un « Je… » qui invite en dernière partie à une agréable déambulation à partager et que tous devraient pouvoir goûter, la beauté, le calme et le repos de cette nature dans ce qu’elle offre de ressourçant, agrémentés de la lecture de poèmes autour de la fleur que tant de poètes ont pu chanter, de Ronsard à Prévert, afin de clore par cette belle citation de ce dernier auquel il rend hommage, et révélatrice d’un cri authentique et émotionnel, sous la forme d’une prose poétique plus apte semble-t-il à faire ressentir sa sensibilité, en éveillant le lecteur pour le faire réagir… ; merci à vous pour avoir concrétisé le rôle le plus noble à attribuer à la poésie…

   Anonyme   
6/8/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Je... reste sans voix devant ce texte somptueux de poésie et de beauté. Que dire de plus, sinon déposer ici :

« La beauté est partout dans la nature, la moindre petite fleur, les reflets harmonieux de la lumière à la surface de l’eau, la force tranquille des arbres majestueux, tout rayonne de la beauté naturelle du monde. » Mais « la nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril, et nous en sommes tous responsables ».

« Le silence de la nature hurle ses vérités. »

   Damy   
7/8/2021

   Anonyme   
26/9/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Oh, moi, dès qu'on parle jardin, pergola et charmille, je suis de la promenade « sous l'allée ombragée des platanes majestueux » ! ^^

Mon passionnément flèche en haut n'apportera rien de plus à tout ce qui a été déjà dit ici, mais il fallait néanmoins que je dise combien je trouve ce poème superbe.

À ce jeu du ''je'' au ''tu'' magistralement mené, tout n'est qu'apothéose autour de la beauté du monde qu'il faut savoir apprécier et protéger, au moins tout autant que le concerto d'une belle Poésie.

Merci, Damy pour cette douceur à dire la tristesse du saccage. Mais il faut garder présent à l'esprit que si des hommes sont capables du pire, d'autres ont fait et feront encore des merveilles qui toujours nous éblouiront.


Cat

   Eki   
30/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Poème bucolique et délicat avec beaucoup de profondeur...
Le déclin des oiseaux...Oui, certains ont disparu.
L'indifférence entre les hommes est aussi évoqué.
Notre joli monde dégringole et avec lui son humanité.
On se console avec ce que la nature sait encore offrir...mais pour combien de temps.
La poésie est là comme lotion douce, baume calmant...et berce les âmes.

Et ce titre "Sous la gloriette des passeroses"....joli !
Par votre poème, j'ai appris que les passeroses étaient l'autre nom de roses trémières.

Eki sans main verte mais aime le jardinage


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