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Récit poétique
Donaldo75 : Tous les nuages pleurent
 Publié le 20/10/20  -  10 commentaires  -  2794 caractères  -  112 lectures    Autres textes du même auteur

J’aimerais que tout soit vrai
J’aimerais que ça ne soit pas une histoire
Les mots m’ont tous laissé sans vie et l’espérant,
Respirant comme un homme en train de se noyer.

(Robert Smith – 1980)


Tous les nuages pleurent



Le lac s’affiche immense avec son rivage invisible bordé de gigantesques arbres noirs. L’eau reflète les faibles rayons d’un soleil mourant. Les ondes aquatiques s’élargissent en cercles infinis. Telle une invitée surprise arrivée sur le tard, une lune anémique tente de percer le ciel nuageux. Bobby nage lentement et sans fatigue. Il semble en sécurité dans cet univers, comme s’il avait toujours vécu en ces lieux, protégé par une puissance divine.

« Tu ne peux pas me trouver, Bobby ! »

Cette intonation lui rappelle sa sœur et leurs interminables parties de cache-cache, quand elle le taquine et se love dans les fissures des murs ou se fond dans les trous du jardin. Il veut lui dire qu’il ne va pas perdre cette fois-ci mais sa voix se perd dans des bulles argentées sorties de sa bouche. Bobby plonge dans les profondeurs, désireux de retrouver Maddy et gagner à son tour.

« Réveille-toi, Bobby ! »

Les cercles infinis engloutissent ces mots venus d’au-delà les arbres géants et le ciel rougeoyant. L’eau commence à frémir doucement. La lune perce enfin les nuages. Bobby fouille les entrailles du lac, soulève chaque caillou, inspecte les algues et les dépôts de vase. Il entend des rires aigus le narguer, une musique flûtée comme le chant des oiseaux. Soudain, une forme blanche et allongée apparaît devant lui. Dans un écho réverbéré en haut en bas à droite et à gauche, la voix de petite fille lui intime de poursuivre la sirène.

« Maddy n’est plus là, Bobby ! »

Bobby se retourne, intrigué par cette phrase étrange mêlée aux rires insistants. Tout au-dessus de lui, l’eau devient noire et opaque, un monde d’encre et de solitude. La sirène plonge loin dans les profondeurs. Il tend en vain le bras pour l’accrocher avant de s’enfoncer à son tour dans les ténèbres aquatiques. La voix de petite fille lui dit qu’ils sont ensemble désormais. Il écarquille les yeux mais ne voit rien d’autre qu’une étendue liquide et apaisante. La réalité lui apparaît comme une évidence. Sa sœur ne se cache pas dans un trou au fond de la vase. Maddy est le lac.

« À toi de me trouver, petite sœur ! »

Le soleil s’efface à son tour et laisse la nuit prendre le pas sur le jour. La lune affiche une mine grisâtre dans une voûte céleste avare d'étoiles. Les alentours du lac semblent encore plus tristes et désertiques. Les arbres géants entourent l’étendue d’eau de leur noirceur et cachent Maddy du reste du monde, de son frère et des autres. Bobby se demande si elle peut le reconnaître parmi les nombreux nuages éparpillés dans le ciel. Il ouvre la bouche, s’élève dans un ultime effort et crie à sa sœur de le rechercher, dans un rire de pluie et de larmes retenues pendant toutes ses années de deuil.


 
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   sauvage   
5/10/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Evocation d'un monde liquide presque vivant où Bobby cherche un sens à sa vie présente et semble enfin prêt à suivre la sirène comme dans un rêve. Mais il n'en sera rien.
Je suis touché par l'écritures qui fait que les éléments sont le poème comme "Maddy est le lac". Interpénétration de la nature et de l'âme.
La construction est fluide, facile à suivre, avec parfois des images très convaincantes comme "Les cercles infinis engloutissent ces mots venus d'au-delà les arbres géants et le ciel rougeoyant".

Merci pour ce moment.

sauvage en E.L.

   Vincente   
20/10/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Remarquable plongée (terme ne cherchant pas la facilité du jeu de mots !) dans l'engloutissement engourdissant des retrouvailles du narrateur et de sa jeune sœur décédée.
Au cœur d'un monde aqueux, où larmes, pluies et monde aquatique baignent mélancolie et nostalgie de l'être aimé disparu, se raconte l'expression subliminale du trouble mémoriel. Et à travers ce récit, où transparaissent les deux derniers vers en exergue, "Les mots m'ont tous laissé sans vie et l'espérant / Respirant comme un homme en train de se noter.", s'établit la volonté d'écrire l'abstraction du sentiment dévoué avec abnégation de son narrateur ; s'oubliant dans la noyade effective, il tente une fusion spirituelle et physique avec Maddy. Il est prêt à se rendre dans une mort virtuelle où il pourra momentanément la retrouver.

J'aime beaucoup l'état de la sœurette devenu évidence dans la phrase : "Maddy est le lac". Les deux personnages tiennent là leur mode de retrouvaille.
J'ai beaucoup aimé aussi, le parallèle entre les jeux de cache-cache enfantin et ce jeu de cache-cache existentielle, où la mort et la vie s'amusent à se croiser.

Très beau texte dont rien ne me semble à redire, et tout me semble original et à propos.

   Pouet   
20/10/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Slt,

je trouve que le texte cadre parfaitement avec cette catégorie "récit poétique".

Même si je sais que l'auteur adore ça, je ne vais pas disséquer le texte et me perdre en circonvolutions cérébrales ou en le dépiautant comme une notice Ikéa... :)

Non.

L'amour en cinquième élément.

C'est émouvant, voilà.

   Davide   
20/10/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Donaldo,

L'histoire et l'atmosphère de ce récit m'ont d'emblée fait penser au film d'animation "Le Chant de la Mer".

J'ai été happé dans les profondeurs abyssales de la solitude, de ce frère à la recherche de sa sœur, morte il y a sans doute bien longtemps. Dans ce lieu fantastique, mi-rêve, mi-cauchemar, un lac, une lune maladive et glacée, tout est en éternels mouvements, entre impressions et expressions, les souvenirs jouent à cache-cache avec le temps, remontent à la surface et plongent dans l'éternité d'un gouffre insondable.

Au fil de la lecture, tout m'a surpris, chaque image est inattendue, l'émotion et le lyrisme se mêlent dans une touchante magie-poésie jusqu'à la fin, superbe de grâce et d'inventivité. L'ambiance est particulièrement bien dépeinte, jusque dans les moindres détails. J'ai trouvé ce texte très beau !

   hersen   
21/10/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Les trois premiers mots : le lac s'affiche (non, 4, en fait !) font penser à une projection, un rêve.

"Maddy est le lac" C'est probablement ici que frappe la poésie de ce récit, qui lui donne toute sa profondeur.

Le sujet par lui-même porte une grande poésie issue de la douleur, et il coule tout à fait bien.

Mais tu sais combien je m'interroge sur cette catégorie et mes questions se font de plus en plus nombreuses au fil de mes lectures dans cette catégorie.
Sans doute à tort, j'y attends de l'inattendu, dans le concept, dans les idées portées par le texte.
Alors en fait, ici, je ne sais pas trop, même si je trouve que c'est un bon texte, qui traduit bien la lourdeur de la douleur.

   Luz   
21/10/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Donaldo75,

Il ressort beaucoup de poésie dans ce texte.
Ce n'est pas une catégorie évidente, le récit poétique.
Ce qui m'a gêné un peu, au début, c'est la succession des phrases. Je me demande si sous la forme d'une nouvelle la poésie n'aurait pas pu encore mieux s'exprimer ; à voir...
En tout cas bravo pour le travail dans cette forme difficile.
Merci.

Luz

   emilia   
23/10/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Selon l’exergue signée Robert Smith : « J’aimerais que tout soit vrai … », une histoire donc qui n’est pas vraie, mais dont « la réalité apparaît comme une évidence » au narrateur. L’ambiance est sombre et émouvante en harmonie avec le décor : « les gigantesques arbres noirs/ le soleil mourant/ les cercles infinis (du souvenir)/ la lune anémique à la mine grisâtre/ la profondeur du lac » sont autant de petits cailloux blancs pour évoquer le drame familial vécu par un frère, dont la quête éperdue est de retrouver la petite sœur qu’il a perdue, et dont il ne parvient pas à faire le deuil ; il souhaite s’unir aux éléments, s’effacer à son tour pour la rejoindre « dans un rire de pluie et de larmes » libérateur des tensions exprimées dans ce récit triste et poétique…

   ferrandeix   
15/11/2020
Je n'ai pas vraiment compris l'intrigue qui me paraît assez floue. Néanmoins, une atmosphère aquatique mystérieuse évoquant les marécages: c'est le domaine des elfes et des feux follets. Je pense qu'il faudrait essayer de l'adapter à une intrigue, plus simple et évidente ou mieux perceptible

   Eskisse   
18/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Il la cherche dans les eaux mortes, son Ophélie. Puis il lui crie, à elle, de le rechercher. Il crie. Comme si frère et soeur étaient tous deux deux disparus, noyés dans leur douleur.

Disparition des corps, disparition des voix. Impuissance des voix. Anéantissement.

Le lac aux eaux dormantes s'allie au thème du rêve et du sommeil. ( Bobby , réveille-toi") Un sommeil dont on ne veut pas se réveiller.

Très beau poème où l'émotion affleure "sans rien en lui qui pèse ou qui pose."

   wancyrs   
25/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Hello Don,

Une mise en abîme comme je les aime ! T'ai-je déjà dit que ton écriture était très cinématographique ? C'est lourd, parfois, la disparition d'un être cher, surtout si les liens étaient très resserrés. Ici Bobby n'a pas accepté la disparition de sa sœur Maddy et l'a désespéramment cherché jusqu'à mourir de mélancolie ? S'est-il noyé à force de la chercher dans ce lac où elle s'est sans doute noyée ? Qu'importe ! Maintenant il est un nuage, et leur jeu de cache-cache peut continuer pour toujours...

Merci pour le partage, Don !

Wan


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