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Poésie contemporaine
Edgard : Ravine
 Publié le 27/11/20  -  7 commentaires  -  1090 caractères  -  136 lectures    Autres textes du même auteur

C'est Haïti. Ça pourrait être Caracas, Bombay ou Rio… Les ravines transportent les ordures de riches, en Haut, vers les cabanes des pauvres, en bas.


Ravine



Ma douleur longe la ravine
Qui serpente entre les ordures,
Parmi les chiens qui s’aventurent.
Pour mille maux que l’on devine ;
Elle s’est comme ouvert les veines
Et son sang noir dégoutte à peine.

En bas la mer empoisonnée…
Ainsi s’épanche en plaies le pus ;
Ma douleur longe la ravine
Entre les porcs, fouisseurs têtus.
Île en tenure, écartelée,
Quel feu chaque jour te calcine ?

Où es-tu Suze ma frangine ?
Entre les taudis bigarrés
Où ton petit est enterré ?
Comme un toit qui s’est envolé,
Ma douleur longe la ravine
Où les corps vont, désemparés.

Dans les flaques, les illusions.
Ma Laura, rieuse, gamine,
Sous le soleil coulant son plomb
Au bonheur tu tendais la main
Une balle, un sale matin,
T’a bousculée vers la ravine.

Errant parmi les détritus,
Elle s’est comme ouvert les veines,
Entre les pieds des gosses nus.
Ma douleur longe la ravine
Vois ! Son sang noir dégoutte à peine…
Un jasmin fleurit la colline.


 
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   Anonyme   
11/11/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Je trouve bien vue la descente progressive du vers « signature » du poème : de strophe en strophe il se déplace vers le bas, comme les ordures descendant en longeant la ravine. Vous n'avez pas poursuivi ce schéma jusqu'au bout, ce n'est peut-être pas plus mal ; l'inachevé, le désordre du mouvement, répond à celui de l'injustice perpétuée.

Je relève un vers que je trouve fort expressif, réussi :
Ainsi s’épanche en plaies le pus

Cela dit, je trouve aussi dans l'ensemble confuse la trajectoire du poème. Interviennent ainsi Suze, Laura, victimes de drames révoltants mais trop imprécis pour que je m'attache vraiment à leur douleur. Les notations foisonnent sans ordre et je m'y perds un peu. Par exemple, vous parlez dès le septième vers de la mer empoisonnée tout en bas, alors qu'il reste encore bien du chemin à parcourir le long de la ravine... En revanche, les deux derniers vers me semblent bien à leur place.

En relisant, je me dis que le schéma incertain des rimes (jamais le même d'une strophe à l'autre) conforte en moi cette impression de manque de rigueur dans la construction. Je suis d'accord que vous ne décrivez pas un jardin à la française, mais il me semble qu'une structure plus régulière, jointe à une progression narrative plus nette, n'aurait pas nui.

   Anonyme   
19/11/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

J'aime le mot "ravine" et donc suis entrée pleine d'espoir dans ce poème.
L'exergue m'a un peu inquiétée, j'avoue. Par la véracité du propos. Demain Ravine en Occident ?

Le poème, contemporain, est fluide à lire, harmonieux dans sa construction. Pas un vers ne dépasse, pour moi qui ne connais que si peu les règles du contemporain.
La répartition des rimes (ce procédé a-t-il un nom ?) est judicieuse et se fond bien dans l'ensemble.
Le vocabulaire est adapté au propos.
Un bémol pour le dernier paragraphe, le mot "comme" me gâche un peu le plaisir (c'est perso et Arielle, onirienne, qui m'a appris à ne pas trop aimer le mot "comme" en poésie) et le jasmin est peut être un peu trop odorant, trop ostentatoire, surtout qu'il est originaire de Chine et a des rapports étroits avec la Perse, la Tunisie et plus récemment avec la ville de Grasse.

Merci de ce partage,
Éclaircie

   Gemini   
19/11/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Ces octosyllabes donnent un rythme un peu lancinant qui convient parfaitement au sujet.

J'ai trouvé excellent ce premier vers : "Ma douleur longe la ravine" qui longe, comme une complainte, le cours du texte (sauf la quatrième strophe). On retrouve dans celui-ci un champ lexical liquide : "ravine, serpente, sang (et veines), s'épanche, flaque, coulant, dégoutte" auquel s'adjoint un autre, fangeux : "ordure, chiens, empoisonnée, porcs, taudis, gosses nus, détritus...".
L'un semble charrier l'autre, donnant ainsi plus de force au récit.

Je me suis interrogé sur la présence des prénoms : Personnages proches de l'auteur ? Scène fictionnelle ? Fait réel advenu à Haïti ?
En tout cas, personnifier le texte lui donne plus d’épaisseur humaine, comme le meurtre (accidentel ?) de l'enfant rajoute au sordide de la scène.

Le mélange de rimes plates croisées et embrassées est à peine perceptible, signe, pour moi, que le texte l'a emporté sur l'écriture.

PS : Merci pour le mot "tenure" que j'ignorais.

   Anonyme   
19/11/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je pense qu’avant tout l’ambition de l’auteur est de nous faire prendre la température de ces pays dont les maux séculaires sont loin d’être résolus, en dévoilant crument l’impensable d’une vraie réalité qu’il faut bien admettre. Il évoque, pour ce faire, « les intouchables » dont le microcosme renvoie fidèlement à la sociologie des classes défavorisées de ces pays afin de nous rendre sensible à leur sort, et pour lesquels la mort, face au malheur toujours omniprésent, n’est qu’une heureuse délivrance. Car, bien au-delà de la vision des ordures, des chairs meurtries et du sang, on aimerait que cette poésie tente d’exorciser l’horreur et le désespoir des déshérités de ces mondes, en livrant à ceux qui sont encore capables d’entendre quelque chose, des faits qui disent ce qu’il en est de ceux qui parmi eux n’obéissent qu’à la pulsion et s’enorgueillissent d’être au-delà de toute humanité.
Quant à l’apparition soudaine du jasmin sur la colline, souvent considéré comme la fleur de l’extase, je trouve qu’il clôt admirablement ce poème, car il fait comme un rempart entre les gens du Haut, les nantis et les oubliés du Bas ; et en même temps, il faut savoir que les cueilleuses se pressent en d'interminables heures, pour une bouchée de pain bien avant l’aube pour récolter les boutons de ces fleurs merveilleuses uniquement destinées aux gens aisés (parfums très chers) bien avant leur éclosion et que ces femmes-là font partie de « la fange ».

« Un jasmin fleurit la colline. » Superbe !
Merci à l’auteur pour cette triste réalité.

dream en EL

   papipoete   
27/11/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
bonjour Edgard
Inexorablement, votre plume dégringole du haut du dépotoir, vers les abysses de cette mer empoisonnée, et " votre douleur longe la ravine "
Comme si la misère ne suffisait pas à cette vie, une balle assassine tue une innocente...
NB un récit qui va crescendo dans cette pauvreté, tout près d'un palais de Radjah, aux environs de casinos ou de terrains de polo...
ce texte n'est-il pas une sorte de " panthoum ? "
vos octosyllabes ( métrique que j'affectionne ) me semblent tenir la route ?
Des strophes si noires ; mais qui n'inventent pas ; disent seulement une réalité... comment l'on survit près d'une ravine...

   RomainT   
13/12/2020
Modéré : Commentaire trop peu argumenté.

   ANIMAL   
5/12/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Mettre de la beauté sur ce qui est laid, c’est ce que vous avez réussi avec vos mots.
Car sur la forme, ce poème est délicat, pur, le rythme en est harmonieux. Je crois que c’était nécessaire pour en décrire le fond : une réalité si sordide qu’elle ne devrait pas exister. Et pourtant même dans les favellas où coulent les ravines, des gens rient, des enfants s’amusent. Pas pour longtemps, hélas, car très vite la vie les rattrappe et les broie. Des enfants victimes dont peu arrivent à l’âge adulte : le bébé de Suze, mort-né ou décédé de maladie, de pollution… ou pire s’il était une bouche de trop à nourrir. La petite Laura, victime collatérale d’un règlement de comptes alors qu’elle ne demandait qu’à grandir.
Votre texte observe et ne juge pas, ce qui le rend encore plus intense. Comment l’être humain peut-il tolérer que de tels lieux de misère existent alors que d’autre part les milliards coulent à flot ? C’est le questionnement que m’inspire votre poème, et un grand mystère.


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