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Poésie libre
EllApostrophe : Palétuvier, tu vois quoi ?
 Publié le 12/08/21  -  11 commentaires  -  2126 caractères  -  177 lectures    Autres textes du même auteur

Réflexions acides d'un arbre séculaire en danger.


Palétuvier, tu vois quoi ?



Dans la langueur vivide d’une lagune, j’ai glissé ma racine
Dont on ne voit plus, ni d’où elle vient, ni où elle se termine.
Mes doigts crispés en aqueducs à la rencontre de deux eaux,
Aspirent le sel de la Terre, dévots. Voici mon antre.
C'est ici qu'est mon domicile.


Émergée au tronc lisse, tombée en torpille du calice de ma plante-mère,
J’habite une terre qui se délite, et je l’enserre quand elle s’affole.
Là-bas, où dorment des mondes anciens et des vestiges de Pangée,
J'étire mes membres multiples et solitaires
Desquels j’étreins, j’enlace et j'enracine
La rive qui voudrait m’échapper.
Et puis la vase qui cache le sable et puis la lave sous le plancher,
La croûte sur laquelle je feuillis.


Au fond de la faille, sous l'archipel en chapelet, la pulsion lente,
Lancinante, viscérale, du minéral chauffé à rouge
Qui bouge et gronde et tourbillonne
Alangui, entre mes mains plombées qui ploient alourdies,
Mais qui ne cassent pas.

Dessus, l’eau file en douce et vise l'estuaire.
Dévalant les vallons, les versants, les ravines.
Parfois captive, parfois captée, elle se faufile et mousse
Dans les méandres des sources qui ralentissent sa course,
Suçant les sèves empoisonnées, léchant les pierres,
Transportant des chimères.
Frémissant sur les rochers que certains gravaient, naguère.
Tandis que d’autres se gavaient d’or et de fruits esthétiques autochtones.
Jaillissant du pays, dévidant nos entrailles, déboulant jusqu’à moi.
Dans la forêt transtropicale de l’île d'Amérique, amère,
Dont je suis les côtes, dont j'essuie les bords.


La mer autour de moi se marre, à bout.
Je la vois s’enfuir au gré des marées,
Enfarinée de résidus,
Vomis de fonte d’îles tenaces
Aux antipodes. Nos sœurs de glace,
Vaincues par profit.
Vendues à bas prix.
Englouties par la même bouche féroce,
Aux dents d’argent,
Qui, un jour, dévorera les vôtres, goulûment.
Si ce n’est pas déjà fait.


 
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   hersen   
12/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aime beaucoup ce poème sur la mangrove, il y a en même temps de la botanique et le délitement des côtes, il y a tout un vocabulaire qui colle parfaitement, qui nous donne une image réelle, tout en philosophant.
Que voit le palétuvier ? Sans doute voit-il plus clairement que nous !

Il s'insère, s'emmêle, habille les côtes.

Une dernière strophe que j'aime beaucoup, si ce n'est "marre, à bout," que je trouve très dommageable ici par sa facilité.

Merci de cette lecture !

   papipoete   
12/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
bonjour EllApostrophe ( très original pseudo ! )
Le cri " au secours " d'un arbre sous lequel, la terre nourricière se dérobe, où il se cramponne de toutes ses racines, comme mains agrippées au bastingage d'un Titanic...où la terre tout entière semble s'engloutir sous la montée des eaux.
NB un texte riche et bien tourné, dont le sujet écologique est lancé de cette mangrove, jusqu'aux deux pôles de la planète bleue !
On voit tantôt quelqu'un se débattre pour ne pas couler, comme attiré par un monstre abyssal, tantôt un Robinson sur son ile hurler " faites quelque chose avant qu'il ne soit trop tard ! "
Un premier texte de notre p'tit nouveau, qui laisse ébahi devant ces lignes !
la seconde strophe l'emporte pour moi, et dans la 4e ce vers " dont je suis les côtes, dont j'essuie les bords " est si bien trouvé !

   Recanatese   
12/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

un poème d'une grande force évocatrice, les images foisonnent, il y a du rythme. La magnificence de la nature est fort bien rendue et la fin du texte, dénonciatrice de la cupidité humaine, n'en est que plus percutante.
Deux petits bémols: le jeu de mots "marre, à bouts" qui pour moi, comme l'a évoqué un précédent commentateur, ne fonctionne pas (je n'ai pourtant rien contre les calembours, bien au contraire).
Et enfin le "C'est ici qu'est mon domicile" du début qui, je pense, est de trop. "Voici mon antre" me semble se suffire à lui-même et achèverait de belle manière cette première strophe.
Hormis ces menus détails, c'est un très bon texte me concernant.

Au plaisir de vous relire

Recanatese

   Vincendix   
12/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour L'
Je ne suis pas vraiment adepte de la poésie dite libre mais ce texte mérite mon intérêt.
La mangrove fait partie des merveilles de ce monde et il serait regrettable qu'elle disparaisse.
Chaque vision de cet écosystème remarquable me fascinait, la nature est réellement vivante...
Merci de me le rappeler dans cette supplique bien écrite.
Vincent

   Anonyme   
12/8/2021
C'est bien écrit, pour sûr, et les images sont pleines de contradictions élégantes et rares, d'un clair-obscur baroque oxymorique à souhait, ce qui rend excellement le sentiment d'un foisonnement sauvage à la lecture, mais j'ai du mal à saisir de pente à votre propos, un angle d'attaque, et trouvé-je que les mots ne vont nulle part mais décrivent quelque chose de trop inerte (les plantes vont lentement, il est vrai) pour mon goût de la foudre, de la violence, de l'éblouissement vif des flammes. La dernière strophe tient un peu lieu de morale, mais je la trouve très artificiellement liée à ce qui la précède, faisant un pas depuis un poème sans jambes ; l'impression m'est celle du collage de deux positions incompatibles autour du sujet commun de la nature.
L'écriture est généreuse et preuve d'un maniement adroit de la langue, reprend des motifs musicaux intéressants malgré une longueur parfois difficile des vers et une espèce d'aléa asymétrique et l'exigence élevée de caducs que l'on devine devoir prononcer de temps en temps sans que je trouve la clef de la partition.

   Davide   
13/8/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour EllApostrophe,

Dans ce pamphlet écologique entre passé, présent et futur, entre terre, mer et ciel – la mangrove est un espace sérieusement menacé par le dérèglement climatique –, un palétuvier observe le déclin de notre planète, nostalgique "des mondes anciens et des vestiges de Pangée". L’arbre est ici un symbole, il porte en lui la mémoire de ces ancêtres, de tout ce qui l’a précédé depuis la nuit des temps, depuis l’éclosion de la vie sur Terre jusqu’à son épanouissement, il porte également toutes les émotions enracinées depuis l’aube de l’humanité, de la quiétude des temps anciens à la colère d’aujourd’hui, et se fait porte-parole, mais il nous parle aussi, et surtout, de la fragilité inhérente à toute forme de vie, son impermanence et son sacré, des réalités sensibles que le mercantilisme du monde contemporain a oublié quelque part sur le chemin, bien loin derrière lui... Quoi de plus convaincant, en effet, que la sagesse séculaire d’un palétuvier pour "voir" et témoigner de ce qu’il voit ?

J’ai donc bien aimé ce libre très aéré, très respirant en dépit du contexte, une amplitude formelle qui profite au propos, à la progression narrative et donne toute sa pertinence à cette impétueuse prosopopée (= fait de faire parler un arbre). Il n’y a vraiment que l’avant-dernière strophe que j'ai trouvée en-deçà du reste, moins impactante à mon sens. Hormis ses deux derniers vers peut-être, intéressants, je mets en doute sa nécessité au sein du poème.

Sur l’ensemble, de superbes passages, où l’on sent avec émotion toute "l’humanité" de cet arbre, son désir protecteur et son courage à toute épreuve ; comme dans la légende du colibri, lui aussi fait sa part pour éviter la catastrophe :

"J’habite une terre qui se délite, et je l’enserre quand elle s’affole."

"J’étire mes membres multiples et solitaires
Desquels j’étreins, j’enlace et j’enracine
La rive qui voudrait m’échapper.
"

"…mes mains plombées qui ploient alourdies,
Mais qui ne cassent pas.
"

Enfin, la dernière strophe, amère et tranchante, qui fait le constat terrible de nos égarements et replace dans sa perspective fondamentale l’ineffable beauté de cet arbre et de toute la nature, dont nous aussi, êtres humains, faisons partie intégrante.

   Queribus   
16/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

La bonne surprise du matin: un texte en catégorie libre(pas la plus facile) sous forme d'un habile pamphlet contre le délitement de la nature au travers d'un cas spécifique; le tout comporte de très belles images poétiques: "Dans la langueur vivide d'une lagune", "mes doigts crispés en aqueducs", "Aspirent le sel de la terre, dévots", "Tombés en torpille du calice de ma plante-mère", etc. L'écriture est soignée, la ponctuation bien à sa place, les lignes s'enchainent de façon harmonieuse; seul bémol peut-être: le texte est un peu long mais je ne vois pas comment le raccourcir: tout me semble à sa place et nécessaire.

En résumé, un gros travail qui porte ses fruits avec un résultat prometteur pour l'avenir (je crois que vous êtes nouveau sur le site).

Bien à vous.

   Miguel   
16/8/2021
Je me suis arrêté au titre. Sans doute ai-je beaucoup perdu, mais ce massacre de la forme interrogative m'a découragé d'aller plus loin.

   Robot   
16/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je crains souvent les vers longs et j'appréhende de m'y confronter. Ici je me suis surpris à apprécier la lecture. En fait, plutôt que du libre, il s'agit d'une prose découpée en vers. Je l'ai d'ailleurs mise en forme ainsi aprés une première lecture et mon plaisir de lecture s'en est trouvé conforté.
Belles vision d'un lieu idyllique, d'une terre vivante qui bouillonne mais qui semble hélas risquer d'être mis à mal par "les dents d'argent"

   Cyrill   
17/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
C'est une description très vivante, grâce à la personnification de l'arbre.
J'ai suivi ses méandres avec bonheur, c'est très visuel.
Je me suis régalé des allitérations qui émaillent le texte et lui confèrent sa force.
J'ai beaucoup apprécié la "bouche féroce,
Aux dents d’argent, " et ce paragraphe qui conclut le texte en apportant le + de votre réflexion.
Un petit bémol pour le "marre, à bout", tout de même !

   Yannblev   
21/8/2021
Bonjour EllApostrophe,

Une bien belle et très originale façon d’évoquer la mangrove. Connaissant assez bien ce milieu si particulier et me baladant souvent dans les mangroves tropicales je n’avais jamais songé qu’aux palétuviers dans leur pléthore, entremêlés dans une eau saumâtre, et voilà que vous parvenez à me faire songer que je ne les ai peut-être jamais vues comme j’aurais pu ou dû aussi les connaître. Quand on a lu vos réflexions on ne peut s’empêcher de les relire pour être sûr de n’avoir rien laissé du spectacle si précieusement et magistralement relaté. Et le palétuvier prend une autre dimension.

Merci de la balade


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