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Poésie en prose
Eskisse : À la fille d'Ariane
 Publié le 16/08/24  -  9 commentaires  -  799 caractères  -  255 lectures    Autres textes du même auteur

Variation libre ou fabulée sur des personnages mythologiques.

« Le monde n'est plus magique, on t'a quitté. » J. L. Borgès, Poèmes d'amour


À la fille d'Ariane



Alanguie au labyrinthe, tu enserres ton mal de tes bras de vivifiante. Et ton corps, lové au fond des parois froissées, se souvient. Reste le haut défi de tes mains.
Proie de l’aride passé, tu chéris ta prison de langueur blanche, quadrillée par les aléas du Temps.

Tu confonds Thésée. Les fils te soutiennent. Ils viennent du matin de ta naissance, célèbrent ta clairvoyance de fille en héritage, déclinent tes heures à venir où l’île de Naxos recueille l’œil se pelotonnant de fatigue d’Ariane.

La vengeance t’étreint. Ton rêve attend d’atténuer encore le poids de son abandon. Toi, tu vas agiter les fils autrefois vainqueurs. Ils vont entourer, enlacer, enrouler, étouffer, dans la noire voile du destin.

Un parricide palpite sur l’antique perron.


 
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   EtienneNorvins   
16/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Comme indiqué dans l’incipit, une « broderie » quasi pénélopienne, quelque part au carrefour des Moralités Légendaires de Laforgue, par sa reprise "libre ou fabulée" des mythes, et de The Bloody Chamber d’Angela Carter, par leur actualisation « féministe », sous les auspices d’un maître des métamorphoses, Borges.

Pénélope, Ariane et Clytemnestre se réincarnent dans une locutrice qui semble se parler à elle-même, au fond d’un labyrinthe aux « parois froissées » qui est donc peut-être un lit. Le thème de l’Absence amoureuse (citation du recueil de Borges, « lovée »), déçue (« abandon »), trahie (« vengeance ») est filé tout au long du texte. Le jeu sur fil, fils et filles fait entrevoir un horizon final d’Oreste et d’Electre sur fond de violentes morts de rois ("la noire voile du destin", celle d'Egée ; "un parricide", celle d'Agamemnon ?) : en Thésée, leur pouvoir illusoire a été entre temps "confondu" (jeu de mots ?), et leurs descendants mâles réduits à des vainqueurs d'"autrefois". Ce sont les filles qui deviennent "héritage".

Mais on note que Naxos n’est qu’un lieu de contemplation vide (d’ « oeil » recueilli et fatigué), et de ruminations amères, sans ouverture vers la possible rencontre, pourtant « vivifiante », avec Dionysos.

Sans bouder mon plaisir de lecteur, j’avoue m’être parfois un peu perdu dans le dédale de ces points serrés : c’est qu’ils n’ont pas été tissés pour mes gros sabots de Minotaure…

   ALDO   
16/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
L'abandon de la danseuse a quelque chose qui fait peur...

De son corps trop enlacé par les fils de l'ombre, ne reste que gestes de mains.

La musique et le viscéral, le labyrinthe est biologique,
comme dans Flash , quelque chose palpite
dans les couloirs du ventre.

" Fille en héritage, décline tes heures à venir... "
et le trivial "Aléas du temps" comme un relief.

Je vous suis, porté par la "noire voile du destin"...

Bravo

   Provencao   
16/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Eskisse,

"La vengeance t’étreint. Ton rêve attend d’atténuer encore le poids de son abandon. Toi, tu vas agiter les fils autrefois vainqueurs. Ils vont entourer, enlacer, enrouler, étouffer, dans la noire voile du destin."

J'ai bien aimé ce rêve en dépassement de la conscience.
Cette vengeance en conception herméneutique dans la noire voile du destin exprime fort bien le rapport de l’illusion au temps, aux parois froissées.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   papipoete   
16/8/2024
bonjour Eskisse
Toute publication espère commentaire... aussi viens-je écrire un mot.
Il est des textes ne demandant, aucune richesse d'érudition : rien que dévider d'une bobine le fil, d'un début, développement puis conclusion.
Ici, tel n'est pas le cas et un minimum de savoir en histoire, mieux en mythologie est exigé.
NB je retiens que la vengeance est un plat qui... et déjà en ces temps-là, tant qu'elle n'était consumée point de salut ne fallait escompter !
En ignare que je suis, je m'emmêle entre les fil ( s ) et les fils ( fices ) qui ne facilitent pas mon aisance.
Un reproche que j'eus coutume de lire, sous mon humble poésie ( trop narratif ) pourrait s'appliquer à vos 4 strophes...
Je ne noterai point, risquant de nuire à l'estimation globale du lectorat.

   Lebarde   
16/8/2024
La poésie est partout et c’est tant mieux, même dans des récits d’inspiration mythologique édulcorée qui peuvent désorienter le lecteur qui peut ne pas connaître ou avoir quelque peu oublié ses classiques ( il y en a aussi);
A titre personnel ( qui pourrait me le reprocher) je préfère la poésie avec des vers et les rimes.
Vous comprendrez que je ne suis guère fan et surtout ne m’en veillez pas.
Au risque de passer pour un rustre ignare , je le dis mais pour une fois je ne note pas.

   jfmoods   
17/8/2024
"... de quel amour blessée,
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !" ("Phèdre", Jean Racine)



Certes, la tentation était grande de combler ce vide incompréhensible du monde mythologique. Une telle trahison méritait sans aucun doute un châtiment exemplaire. Alors oui ! Pourquoi ne pas fonder une descendance pour éliminer le félon ?

I) Chronique d'une mort annoncée

Comme il se doit dans le monde tragique, l'histoire traversée par la mère est portée dès les premiers instants de la vie ("ton corps [...] se souvient", "Les fils te soutiennent. Ils viennent du matin de ta naissance, célèbrent ta croyance de fille en héritage, déclinent tes heures à venir..."). La raison d'être de la fille est de purger le crime du père ("Tu confonds Thésée.") quand la mère se trouve anéantie par l'inconcevable abandon ("l'île de Naxos recueille l'oeil se pelotonnant de fatigue d'Ariane"). L'enfant n'est né que pour accomplir cet acte libératoire ("tu enserres ton mal", "La vengeance t'étreint", "Un parricide palpite sur l'antique perron.").

II) D'un fil à l'autre

Le fil qui a porté secours, qui a - si inutilement - sauvé Thésée d'une mort certaine dans le labyrinthe, doit maintenant devenir l'instrument de son élimination ("Reste le haut défi de tes mains", "tu vas agiter les fils autrefois vainqueurs"). Voici la tâche assignée à une héritière totalement engrenée, totalement investie dans la machinerie tragique ("Proie de l'aride passé, tu chéris ta prison de langueur blanche, quadrillée par les aléas du Temps"). Et la femme devient alors une araignée qui, dans le réseau serré de ses fils, va froidement exécuter le traître ("Ils vont entourer, enlacer, enrouler, étouffer, dans la noire voile du destin.").

Merci pour ce partage !

   Louis   
20/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Ce texte poétique s’adresse à un allocutaire, "tu", alors que le "je" s’efface, ou n’est que présupposé.
Cette allocution donne vie à un personnage fictif, la fille d’Ariane, absente de la réalité des textes mythiques où apparaît la figure d’Ariane.
Ce personnage ne reçoit pas de nom, ce qui indique qu’il n’a pas d’existence indépendante ou autonome par rapport à sa mère ; qu’il n’est que "fille de", "héritière" en tout de sa célèbre et mythique génitrice.

Le personnage de cette "fille" est présenté de façon paradoxale : « alanguie au labyrinthe » et « bras de vivifiante ».
En elle s’associent la langueur d’un dépérissement et la vivacité d’une force vitale, d’une fougue, d’une véhémence.
C’est qu’elle est en attente de vie.

Elle se tient dans le labyrinthe, là où tout a commencé, là où tout doit prendre fin pour que tout recommence.
Ariane est partie, elle n’agit pas, lasse, « pelotonnée de fatigue » à Naxos. Elle a quitté le labyrinthe, pelote passive, alors que sa fille est restée, pelote ardente, prête à se déchaîner, parce que là, à la porte du labyrinthe, se trouve le lieu d’un accomplissement.

Le corps de la jeune fille apparaît « lové », replié sur lui-même, boule de fil, en attente d’un dépli ; son corps : bobine de dépit, de rancune et de douleur.
À la fois fil et fille d’Ariane, elle « enserre » son « mal », enlace sa douleur, une boule de douleur ; elle traîne le boulet d’une existence.
Les parois aussi, celles du labyrinthe où elle se tient, sont « froissées » : non pas lisses, mais plissées.
« La vie dans les plis » comme l’écrivait H. Michaux, convient au personnage.
Michaux ajoutait encore : « l’enfant naît avec vingt-deux plis. Il s’agit de les déplier. » C’est bien en quoi consiste l’attente de la fille d’Ariane, le dépli.

Le labyrinthe constitue le lieu de sa douleur, le topos d’une souffrance qui n’a pas trouvé d’issue. Baudelaire déjà assimilait douleur et labyrinthe : « douleur profonde, sinueuse, sans issue, comme un labyrinthe » ( dans Traduction De Quincey )
Le labyrinthe est sa douleur, et sa prison.
« Tu chéris ta prison de langueur blanche » : affirme la locuteur effacé, admettant une complaisance chez la jeune femme pour sa situation douloureuse. Elle « chérit » une prison qui, aussi, sera l’instrument d’une libération.

Un labyrinthe le plus souvent est associé à l’obscurité ( « le noir illimité » de Baudelaire, par exemple), mais ici la langueur subie dans le labyrinthe est « blanche », associée au vide, sans doute.
« Langueur blanche », parois « froissées » comme du papier, prison « quadrillée » comme un cahier d’écolier : le labyrinthe pourrait n’être que de papier et l’écriture son dédale spatio-temporel, en attente de l’accomplissement, en des voies "tortueuses’" mais à juste raison, du châtiment de Thésée, d’une "réparation" du tort subi.
Au fil des mots, elle accomplira ce pourquoi elle est née, pour réparer une infamie.

L’adresse se poursuit :
« Tu confonds Thésée », elle le « confond » en ce qu’elle le remplit de "confusion", par sa présence même au sein du labyrinthe, par son existence de veille douloureuse ; le confondre au sens de le dérouter, le désorienter, le troubler, comme pour lui ôter ce qu’il a reçu de sa mère, ce pouvoir dans le labyrinthe de s’y retrouver. La vengeance sera de l’ordre du talion.

Fille d’Ariane, elle est l’héritière d’une infamie, d’une flétrissure, d’une ingratitude. Elle subit plutôt une hérédité biologique. Par sa naissance, en effet, dans ses gènes mêmes, elle est porteuse de ce manque douloureux de l’homme aimé, et du désir de vengeance de la mère abandonnée.
« Les fils te soutiennent » lui lance le locuteur, mais elle n’est pas la "marionnette" soumise d’une fatalité, plutôt la "marionnettiste" : « toi, tu vas agiter les fils autrefois vainqueurs » ; fille d’Ariane, nouvelle Parque, elle tissera la « noire voile du destin ».

Les fils de l’accomplissement de ce destin viseront à « entourer, enlacer, enrouler, étouffer » ; ils seront les fils enchevêtrés d’un brouillage ; ils insèreront à jamais Thésée dans un labyrinthe. Ainsi, la fille d’Ariane et Thésée cèderont leur place, dans une sorte de permutation. Son dépli à elle, son déploiement, sera le repli de Thésée.
La fille d’Ariane se veut une tragédienne.

Merci Eskisse pour ce texte court, mais subtil et bien écrit.

   Rosaura   
23/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Une nouvelle version prophétique plus lapidaire du destin de la fille d’Ariane. Tout le poids de sa lignée pèse sur le « haut défi de tes mains » (très beau) où les fils cette fois se retourneront implacables contre Thésée. « Ton rêve attend encore d’atténuer le poids de son abandon » (Superbe). En quelques lignes, le sort en est jeté et la tragédie tisse son labyrinthe de vengeance avec brio.

   Lariviere   
24/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Salut Eskisse,

J'ai beaucoup aimé ce poème. Dire que j'ai compris le thème dans mes multiples lectures serait mentir (j'ai compris qu'il s'agissait de la vengeance de la fille imaginé d'ariane en lisant ton post d'explication) mais la perte de sens ne me gène pas en poésie. Ce qui compte c'est l'impact poétique de la réalisation. La musicalité, le rythme, les images qu'elles véhiculent, le ton du poème.

Pour ça je ne suis pas déçu, le mystère reste entier pour moi, mais l'émotion et l'atmosphère pleine de charme et de gravité mon fait voyager au delà même de cette tragédie antique. J'aime particulièrement le percutant de la dernière phrase.

Merci pour cette lecture et bonne continuation.


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