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Poésie libre
Eskisse : Un ciel
 Publié le 26/02/23  -  10 commentaires  -  778 caractères  -  289 lectures    Autres textes du même auteur

Fin d’un idéal.


Un ciel



Il n’y a qu’un ciel entre mes années
à peine visible
des rives du présent

Il n’a plus pour mes yeux sa lumière nomade
il a jeté le lest de son immensité
en éclats mats et froids qu’il enfouit sous le temps

Il n’a plus pour mes yeux que l’acquiescement
d’un très long banc de sable où nous cachions nos joies
que les dunes élancées vers les espoirs du vent
l’écume éphémère de nos sommeils côtiers
Témoins
de liens
d’envols
d’yeux fascinés

Je pourrais entrouvrir un cœur simple et tenace,
me soumettre au pouvoir irradiant des ocelles,
jamais je ne verrai s’agréger de couleurs
à l’estampe choyée qui lentement s’estompe

Et mon ciel sans ocelle aisément m’abandonne


 
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   Provencao   
26/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Eskisse,


"Je pourrais entrouvrir un cœur simple et tenace,
me soumettre au pouvoir irradiant des ocelles,
jamais je ne verrai s’agréger de couleurs
à l’estampe choyée qui lentement s’estompe "

J'aime bien cette conscience de ce ciel qui ne nous donne aucune promesse de couleur, aucune visibilité ; par ailleurs, le ciel est un défi, un signe qui, pour la poésie, est aussi mémoire .

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Donaldo75   
26/2/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Salut Eskisse,

Quand j’ai lu ce poème en Espace Lecture – désolé, j’ai eu la flemme de le commenter sur le moment – je me suis dit que c’était de la belle poésie. Le relire a confirmé cette première impression. Je ne vais pas entamer un commentaire composé avec de l’analyse technique et tout ça tout ça, comme tu t’en doutes. Je dirais que déjà au niveau spatial – soit la place du texte sur la page – le découpage a de la gueule, il expose bien le texte aux yeux du lecteur. C’est aéré, ce qui va bien avec le titre. Le champ lexical ne pèse pas des tonnes, au contraire et ça continue à rendre le tableau pictural. Le rythme est doux mais pas vaporeux. Et surtout, je n’ai pas l’impression d’embrouiller mes neurones lors de ma lecture, risque souvent avéré dans le libre quand il devient cryptique.

Bravo !

   Cyrill   
26/2/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Salut Eskisse,

J’ai aimé ce poème pour son rythme au départ très libre de vers irréguliers qui se résolvent en dodécasyllabes. Le désenchantement est abordé par superbes métaphores qui effleurent le sens sans s’appesantir.
Rien de concret dans tout cela mais cette déception parle fort, chante même je dirais. Je pourrais citer mais je ne sais choisir, l’émotion générée à la lecture est un tout que je ne voudrais pas tailler en morceaux !

   papipoete   
26/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour Eskisse
" Il " n'a plus pour moi, qu'un regard lointain aussi perdu que ces nuages qui passent sans me voir ; je pourrais tenter de le conquérir, maintenant que je ne suis plus qu'à ces yeux, " une " parmi tant d'autres...
NB les mots pour le dire, telle cette estampe qu'il fit de moi, qui se délite, perd ses couleurs ; bientôt, ile ne restera plus que l'encadrement...
ma vision de vos vers...

   Edgard   
26/2/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Eskisse,
La nostalgie est ici évoquée par l'idée d'un lent, inexorable effacement.
Chaque mot est choisi avec précision, chaque mot est juste. Si juste qu'il paraît couler de source, et le travail ne se voit pas. C'est l'exigence de la poésie libre. C'est l'art de l'écriture.
L'impression qui reste est aussi juste que tenace, on entre dans votre "paysage" et une fois quitté, on y est toujours.
Délicatesse. Celle d'un ciel vu des rives du présent est très belle.
La rythmique des derniers vers ""Je pourrais... Côtiers" qui revient aux alexandrins apporte une musique, un rythme lent qui clôt le poème avec ce qu'il faut de langueur.
Pourquoi avez vous repris le mot "Ocelle"? (hihi)
Je me souviens d'avoir donné à mes étudiants autrefois, un extrait d'un texte de Flaubert avec la question: peut-on changer un mot, une virgule? Impossible. Le mot juste partout... alors ma question est peut-être nulle.
Bravo pour ce moment.

   Vincente   
26/2/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime beaucoup
J'ai beaucoup aimé la "matière poétique" et l'écriture qui s'y voue.

L'idée de voir la relation longue, usée, avec un brin de dépit, comme un ciel, avec sa permanence, son étendue, ses radiations, mais aussi ses turbulences, et sa variabilité, est très judicieuse.

Si l'atmosphère qui s'installe très vite au cours de la lecture ne manque pas de charme et de force pour révéler toute la fragilité de l'état d'esprit du narrateur un brin déprimé, j'ai tout de même était un peu gêné par certaines options de formulation.
Première strophe, le "à peine visible ", qui se rapporte donc au ciel puisqu'il est au singulier, fait un peu "oublier" que l'expression "mes années / des rives du présent" que ce qui est pourtant suggéré est "années passées" qui vient contre celles de la rive des années présentes… Je sens une sensation inverse à la lecture que ce qui est suggéré…
Strophe suivante, l'être aimé dans sa présence est/était un ciel. J'aime beaucoup l'ensemble de la strophe en ce qu'elle instille (en particulière cette inspiration : "sa lumière nomade") et pourtant, j'ai l'impression que le "jeté [de] lest" suggère un ancre mouillée (registre marin vu le champ lexical requis juste dans la strophe suivante) de par aussi "l'enfouissement" sous le temps (très jolie idée !). Mais pourtant "jeté le lest" est plutôt utilisé sur les ballons et montgolfières, et du coup permet de se maintenir en suspension dans le ciel, pas du tout enfoui donc… Peut-être à remplacer "lest" par "charge" ?

Très joli ce passage : "… l’acquiescement /
d’un très long banc de sable où nous cachions nos joies
"

Une petite réserve également sur le dernier vers :
"Et mon ciel sans ocelle aisément m'abandonne"
Je suis étonné d'une sorte de double négation sémantique. Le "ciel au pouvoir irradiant des ocelles" était celui qui enchantait le narrateur, mais ce qui est suggéré dans le vers indique le contraire, celui qui manque et le frustre serait celui sans ocelle, bizarre que ce soit celui-ci qu'il regrette de voir disparaître, non ?

Je regrette d'avoir senti ces discordances dans un ensemble de très belle inspiration ; ce sont donc simplement quelques petits (ou moyens) achoppements formels.

   EtienneNorvins   
26/2/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un texte intensément pudique...

L'incipit prévient d'une désillusion - la tonalité sera donc mélancolique.

Tout est dans le rapport à ce ciel - comme un pont "entre les années" mais de plus en plus estompé (vers 2 et 3). Il a perdu ce qui faisait sa 'chatoyance' sans doute trompeuse ("sa lumière nomade", propice au dépaysement, à la rêverie, à la sortie du quotidien 'sédentaire' ?), et son épaisseur, son importance qui le faisait apparaître comme infini ("le lest de son immensité" - en désaccord avec Vincente, je trouve "lest" très bien trouvé :) ).

Cette épaisseur s'est révélée 'à l'usage ou à l'usure' n'être qu'un amas de fragments de surfaces (et elles sont nombreuses tout à coup : "éclats", "long banc de sable", "dunes élancées", "écume éphémère") - comme autant de miroirs aux alouettes : la "lumière nomade" devient "éclats mats et froids" - décolorés ? ou incolores ? ; les "liens" et "envols" n'étaient que dans des "yeux fascinés"...

Pour autant, quelque chose survit dans cette platitude : "joie cachée", des "espoirs" - autant de "témoins" ("ça" ne fut donc pas un rêve), fussent-ils fragiles comme le vent ou l'écume...

Le ciel est alors devenu paysage de bord de mer (où sans doute il semble se fondre, se lier à l'horizon), probablement le lieu où "ça" s'est passé - une promesse qui finalement n'a pas été tenue et ne sera bientôt plus qu'un souvenir "enfoui sous le temps".

Mais nul reproche : le "moi-qui-parle-ici" revendique un "acquiescement" à ces "joies", "sommeils", "liens", "envols"... et l'on peut penser bien sûr à une relation amoureuse plus ou moins clandestine, mais il est tant d'autres possibilités...

Les 4+1 derniers vers sont en rupture par leur métrique même. On revient à du classique (du "sûr", du "traditionnel" - back to normalcy, stark reality ?). Ou est-ce pour marquer le moment où le dire poétique devient possible - où le flou, le vague du ressenti cristallise soudain en mots rythmés qu'il sera possible de transmettre - ou de prendre acte ?

Un adieu est nettement exprimé dans les quatre premiers vers : même à accepter d'être le jouet de l'illusoire (se "soumettre" à ces "irradiants ocelles" - j'avoue que je suis plus riche d'un nouveau mot : comme ces yeux qui semblent dessinés sur les plumes de paon, c'est bien ça ?) - la force comme envoûtante du ciel est perdue : "jamais" - il n'est plus qu'un artefact, dont on assume qu'il est fait de main humaine et complaisante ("estampe choyée") - ce qui ramène à l'acquiescement du vers 7. Il n'est pas question de rendre au ciel "toute sa pûreté" (oui, cela te fera sans doute rosir un peu, mais à la fin de ma lecture, c'est "Soleil je te viens voir pour la dernière fois" qui m'est venu en écho...)

Et vient la conclusion, qui, sous son rythme nonchalant, est assez douloureuse : car ce ciel est finalement indifférent - lui ne souffre pas d'être dépouillé de ses charmes ("sans ocelles") et abandonné ; au contraire, il "abandonne aisément", laisse là en plan - et je note qu'il n'est pas de point final, alors qu'une ponctuation est ailleurs présente. Les vraies douleurs sont muettes ?

Bref, une nouvelle fois, ... j'aime beaucoup ce que tu fais.
Merci donc pour ce nouveau partage.

   Pouet   
26/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Slt,

il y a du ciel dans les yeux ou des yeux dans le ciel, peut-être quelques ocelles de curieux papillons se posant sur les branches de la mélancolie ?
Le souvenir semble s'estomper et demeurer dans l'instant, comme s'il ne fallait pas, malgré tout, se quitter des cieux.

J'ai beaucoup aimé certains passages dont les trois premiers vers et

"l’écume éphémère de nos sommeils côtiers
Témoins
de liens
d’envols
d’yeux fascinés"

L'ensemble est très beau.

Je ne suis pas forcément fan des répétitions ("ciel", "yeux", "ocelle"), mais bon ce n'est que mon goût personnel ou mon TOC des répétitions...

   Louis   
3/3/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
L’avant dernier vers semble résumer le contenu du poème :

estampe choyée qui lentement s’estompe

Deux mots, rapprochés par leur sonorité voisine : « estampes / estompes », ont un effet de sens. Ils semblent confondre, en même temps que leur son, les idées auxquelles ils renvoient, dans le sens que cette estampe ne peut être représentée sinon dans le mouvement même qui l’estompe ; image se donnant à voir exclusivement dans le processus qui, avec le temps, peu à peu l’efface.
« Estampe choyée », l’éclipse de sa représentation ne peut qu’attrister la locutrice, ou le locuteur.
Sur cette tonalité mélancolique débute le poème.

La première strophe commence par tirer un peu le rideau sur l' estampe, pour ainsi la dévoiler :

Il n’y a qu’un ciel entre mes années
À peine visible
Des rives du présent

Figuration d’un ciel. Juste un ciel sans indications de couleur. Il prend place dans les intervalles « entre les années », leur assurant une continuité. Ces « années », tout un passé, celui personnel de la narratrice, ou du narrateur, « mes années », comme dimension temporelle ne peuvent être figurées. Elles pourraient être rendues sensibles par des nuages, visibles dans leur passage, ou d’autres formes symboliques, mais la locutrice n’éprouve pas le besoin de leur donner une figuration, pas même le moindre ‘visage’. Figuratif et non figuratif ainsi se mêlent, et ce mixte l’ ‘estampille’ de telle sorte que l’image apparaît avant tout une image mentale, gravée dans la mémoire.
Un ciel est donné à voir, sans caractères, ni teinte ni nuages ; un pur ciel, une dimension purement céleste, si bien qu’il apparaît avant tout comme une figure allégorique. Le ciel s’associe à ce qui est élevé, à ce qui possède une supériorité, une éminence et se prête donc bien à la figuration de ce qui est évoqué dans l’exergue : un idéal.
Comme ce « un grand ciel, dont parlait Flaubert, immuable et subtil dont les rayonnements qui nous arrivent suffisent à animer des mondes. »
Les années écoulées sont donc les années d’un passé personnel liées par un ciel idéal.
L’idéal : ce vers quoi l’on tend, imaginaire de ce qu’il y a de mieux, de plus élevé, de plus céleste donc ; ce vers quoi encore nous pousse une tendance profonde, nous pousse notre désir. L’idéal, que l’on oppose au réel, est posé le plus souvent comme hors d’atteinte, ne pouvant être qu’approché, et souvent projeté vers un avenir. Ici pourtant l’idéal ne prend pas place dans le futur, mais dans un passé, comme déjà réalisé.
Un passé s’estompe, et le ciel est « à peine visible ». L’idéal n’est pas devant soi, mais derrière soi. En cours d’évanouissement.

Il devient invisible « des rives du présent ».
Par une entente polysémique, « des rives » peut s’entendre en un seul mot : « dérives ».
Le présent est en dérive par rapport au passé, et s’éloigne lentement des côtes de l’idéal ancien ; en dévie, en ‘dé-vie’, en vie moins intense, moins ‘vivante,’ en vie moins heureuse.
Cette entente anticipe sur l’environnement marin qui fera suite dans une nouvelle strophe.
S’impose encore une connotation de « rives » à ‘rivages’, en ce que dans ce dernier mot s’entendent les âges et le temps, le mouvement du présent toujours changeant à l’abord d’âges d’horizons nouveaux où se perd l’idéal.

Le poème s’empreint toujours plus de mélancolie et de nostalgie, dans l’expression d’une perte :

Il n’a plus pour mes yeux sa lumière nomade

Le ciel de l’idéal était lumineux, d’une lumière « nomade ». Il n’était pas un point fixe, objet de contemplation, mais porteur d’ailleurs hallucinés, d’horizons toujours renouvelés.
Il éclairait de nouveaux mondes, ouvrait des perspectives nouvelles, décloisonnait le regard, traçait des lignes de fuite vers l’infini.
Mais voilà :

Il a jeté le lest de son immensité

Le ciel a perdu son ampleur. Il s’est rapetissé. Il a perdu sa dimension d’illimité.
Lest : « En éclats mats et froids qu’il enfouit sous le temps »
Son immensité se perd dans le délestage de son éclat et de sa chaleur.
Il s’agit aussi d’un allègement, l’idéal a moins de poids, il perd en importance et en influence.
Il pèse moins, avec les années, avec les âges.
Une importance enterrée avec le temps, « sous » le temps. Une partie de ce qui était au-dessus est passée en-dessous, dans une chute, un écroulement, et un ensevelissement.

Que reste-t-il du ciel ?

un très long banc de sable où nous cachions nos joies

Le ciel restant en mémoire, le ciel « acquiescé », en opposition au ciel rejeté devenu étriqué, mat et froid, est un ciel descendu sur terre. Non par un effondrement cette fois, mais par un effet de ciel sur la terre, ou par une transcendance du ciel idéal devenu immanent au vécu, ou par la mue du ciel confondu avec l’océan. Quand terre et ciel se joignent, dans une verticalité devenue horizontale.
Ciel et terre s’unissent dans le sable.
Le sable, là où s’effacent toutes les traces.
Lieu de « joies dissimulées ». Pourquoi et à quels yeux ? cela est tu, en toute délicatesse et discrétion, mais laissant transparaître ce paradoxe d’une dissimulation là où rien ne peut être caché, dans l’espace ouvert et transparent du banc de sable, sans arbre, sans végétation, sans aucun obstacle au regard.

Dans cet univers de sable, à l’écart des yeux indiscrets, un «nous » apparaît, quand jusqu’ici seul un « je » personnel s’exprimait.
Ce « nous » enserre-t-il soi et son idéal ? Soi et son ciel ?
Cet idéal semble s’incarner, et prendre figure humaine.
Là, un « nous » sans solitude, où se touchent le ciel, l’océan, le sable et :

les dunes élancées vers les espoirs du vent

Dunes et deux pleins d’avenirs.
Dunes élancées vers les hauteurs, aimantées par le ciel, déjà habitées par l’azur.
Mais sable fin d’un ciel friable, étalé de tout son long sur la terre.
Et cet éphémère dans « l’écume de nos sommeils côtiers ».
« Nous » noués côtes à côtes, au côté l’un de l’autre, et côtiers tous deux de la mer immense ; noués en communes joies, dans la proximité, et les connivences avec l’idéal.

Un amour est sensible dans ces vers pour le paysage de sable et de dunes, de mer et de ciel. Pour l’idéal incarné.
Tant il est vrai que nous n’aimons pas seulement des personnes ou des choses, mais des milieux tout entiers que le désir parcourt ; ce sont des mondes que nous aimons, l’être aimé est celui qui se ferme et s’ouvre sur des mondes plus vastes, « Votre âme est un paysage choisi » écrivait Verlaine dans « Clair de lune ».
Il n’est donc pas étonnant que le sable et la mer, le ciel et le vent soient des :

témoins
de liens
d’envols
d’yeux fascinés

Ces « envols » dans un mouvement de retour vers le ciel originel, son lieu naturel, essentiel à l’idéal.

Les paysages pourtant et le ciel de l’estampe, image d’un passé, ont déteint, se sont ternies, ont perdu leur éclat et leur couleur.
Et :

jamais je ne verrai s’agréger de couleurs
À l’estampe choyée qui lentement s’estompe

Perte à jamais, impression de perte définitive, sans aucun espoir de retour des teintes vives.
« je pourrais ouvrir un cœur simple et tenace », aimer encore, aimer à nouveau. Éventualité conditionnelle. Mais la locutrice ne croit pas au retour de la couleur, ne croit pas possible de retrouver l’éclat, la force et la teinte de l’idéal éteint et déteint. Ne croit pas pouvoir aimer au niveau de l’idéal perdu.
Éventualité déclinée dans une autre métaphore :

« me soumettre au pouvoir irradiant des ocelles »

« Ocelles » s’entend dans une proximité phonétique avec « ciel » : ocelle ; ô ciel.
Les ocelles : autant de petits ciels, taches colorées, ensoleillées.
Ces petits bouts de ciel, ces parcelles de lumière, petits cercles de couleur n’ont de sens que sur fond d’une autre teinte, ici « mate et froide » ; ressortissant sur un fond décoloré, la couleur nouvelle ne pourrait avoir la fraîcheur et la vivacité du ciel d’antan.
Combien il serait difficile, si ce n’est impossible de substituer un ciel à un autre. Chaque ciel nouveau, chaque coloration nouvelle de la vie ne pourrait prendre place que sur le fond d’un ciel idéal déteint, décoloré, mais toujours présent, indélébile. Et rien ne pourrait égaler le ciel d’autrefois.
Le dernier vers conclut :

mon ciel sans ocelle aisément m’abandonne

Un renversement s'est produit : le processus de dégradation de l’estampe se faisait dans les premières strophes « à mes yeux », en fonction donc d’une évolution interne à la locutrice, au locuteur, laissant entendre que c’est elle, ou lui, qui abandonne un ciel décevant, idéal dont la grandeur s’est perdue. Un devenir actif donc de la locutrice ; mais dans ce final, le dynamisme est du côté du ciel, c’est lui sujet qui « abandonne », délaisse la locutrice qui semble cette fois subir le mouvement.
Elle semble refuser les « ocelles », mais le ciel l’abandonne les emportant avec lui.
Le ciel, temps d’un bonheur en présence de l’idéal, ce ciel «m’abandonne ».
Ce qui a été vécu fut élevé à hauteur d’un idéal ; convaincu donc que l’on ne retrouvera rien de mieux, rien d’égal, on subit l’effet d’un abandon.
« Le poète, dit René Char, construit sa route dans le ciel » ( Fureur et mystère)

Mais à ce beau et mélancolique poème, on peut donner plutôt, pour conclure par une réflexion, cette pensée de Flaubert :

« Les grandes passions, je ne dis pas les turbulentes, mais les hautes, les larges sont celles à qui rien ne peut nuire, et dans lesquelles plusieurs autres peuvent se mouvoir. Aucun accident ne peut déranger une harmonie qui comprend en soi tous les cas particuliers ; sans un tel amour, d’autres amours même auraient pu venir : il eût été tout le cœur ! »

   solinga   
8/3/2023
Merci pour ce poème empreint de nostalgie, dans l'allusion à la sourde menace de l'éclipse et de la perte.
Merci pour la découverte, je l'avoue pour ma part, de ce petit mot scintillant, "ocelle" (qui reparaît à l'alexandrin final, comme un au revoir de refrain aux paupières basses). "Ocelle"...entre la douceur d'un pelage moucheté et le miroitement d'une vision neuve.


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