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Récit poétique
EtienneNorvins : Dit d’Alâ ud-Dîn
 Publié le 30/07/24  -  6 commentaires  -  2768 caractères  -  111 lectures    Autres textes du même auteur

« Pleurant, je voyais de l’or – et ne pus boire. »
A.R., Une saison en enfer

Librement inspiré par le Padmaavat (1540) de Malik Muhammad Jayasi, tel que cinématographié par S. L. Bhansali (2018).

Alâ-ud Dîn Khalji fut Sultan de Delhi ; selon la Chronique, c’est vers 1303 qu’il assiégea Chittor, capitale de l’État rajpoute du Mewar, dont, selon la légende, il s’était épris de la reine, la très belle Padmavati – laquelle s’immola par le feu pour échapper au vainqueur.


Dit d’Alâ ud-Dîn



Plus rien ne barrait mon désir. Mienne enfin tu étais dans ta Ville assiégée, ô Reine de Mewar ! Toi qu’ambassadeurs, loyaux espions, marchands et mendiants, savants, saltimbanques, peintres, poètes… tous, les yeux encore étincelants des chatoiements de tes parures, disaient être la Beauté même ; et nul ne s’était dédit, même sous la torture – mais moi j’avais faim de bien plus que de voiles et de mots…

Trop chaste ou trop fière, hélas ! tu nias d’être ma féale pour obstinément me refuser ta présence – tu osas te refuser à moi dont les Chroniques, à chaque page, doivent louanger une conquête, à moi qui, pour prix d’une étreinte, t’aurais faite Impératrice du Monde – moi, Akbar, dont tu méprisas jusqu’à la supplique…

Mes machines ont déchiré tes murailles ; une à une les portes ferrées de tes palais ont cédé sous mes coups – bientôt ne t’est plus resté que le refuge dérisoire d’un temple ; mais c’est là, impitoyable, qu’à jamais tu me volas ta Face dans un cercle de feu… À peine si, dans la blancheur du brasier, mon œil épouvanté crut discerner une ombre qui semblait sourire parmi des éclats de sindoor et d’or. À genoux j’ai imploré la cendre. Elle m’a brûlé les mains, empli ma bouche et ma poitrine à n’en plus pouvoir hurler de rage ni de douleur. À m’en sécher le cœur. Le monde était défiguré.

Soit.

J’ai ordonné la mise à mort des survivants de Chittor : leurs yeux qui L'avaient vue m’étaient insupportables ; mais les autres ne valent pas mieux – là, tous, avec leur Rêve !…

Abrutis-les de sueur, de larmes, et d’alcool ou de sang. Par l’impôt. Par le fouet. Emplis sans pitié tes greniers et tes coffres. Qu’ils craquent, à seule fin d’empiffrer des roitelets imbéciles, ou d’alimenter avec les barbares la guerre, sa vermine et ses pestilences. Paie la délation. Fais pendre les rebelles – et supplicier plus lentement quiconque aura supplié que Dieu est Miséricorde…

Sois patient. Parmi les formes du jour ou celles de la nuit, une silhouette suffit encore – et ils ont tendu la main en balbutiant Son nom, prêts à pardonner ; mais non. Les ciels sont vraiment vides et noirs les horizons, au point d’en maudire jusqu’à l’idée de descendance. Alors ils deviendront aussi cruels, brûlant à leur tour de brûler le soleil, d’aveugler les étoiles, et ils erreront l’insulte perpétuellement à la bouche et la pierre qui lapide en main…

Là sera le signe que tu tiens ta victoire… Enfin sur le trône voué au chaos ou à la tyrannie, le poignard pourra t’atteindre, ou le poison, car triomphalement tu pourras bercer ton agonie de l’unisson des poitrines dans ce cri sourd d’inextinguible exécration pour cette Terre, dont la Beauté osa se détourner de toi.


 
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   Polza   
17/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

Je ne connaissais pas le Padmaavat. Je connais le Mahabharata et par extension la Bhagavad-Gita, mais pas le Padmaavat !

Je me suis donc laissé porter par l’histoire sans chercher à en connaître la véracité historique ou artistique, il est bien précisé dans l’exergue, selon la Légende…

En parlant d’exergue, j’ai trouvé que les vers de Rimbaud tirés d’une saison en enfer collaient admirablement bien au récit.

Le Soit qui se trouve en milieu de poème coupe parfaitement l’histoire en deux. La convoitise, l’envie, le refus, le sacrifice dans la première partie et l’esprit de vengeance, d’injustice, de haine, d’humiliation dans l’autre (j’ai dû en oublier dans les deux parties).

L’écriture est celle d’une plume aguerrie, sûre d’elle, le récit m’a paru presque trop court à la fin, j’en redemandais !

« A genoux j’ai imploré la cendre. Elle m’a brûlé les mains, empli ma bouche et ma poitrine à n’en plus pouvoir hurler de rage ni de douleur. A m’en sécher le cœur. Le monde était défiguré. » j’ai trouvé ce passage magnifique et indubitablement tragique (mais je vois que vous êtes fâché avec les accents sur le A majuscule !)

J’ai aimé comme Ala-ud Din Khalji se parle à lui-même dans la seconde moitié du récit, comme atteint de folie depuis le sacrifice de la très belle Padmavati.

Puisque je ne peux être heureux avec la femme que je désirais ardemment, plus personne dans mon royaume ne le sera, il faudra qu’ils souffrent tous, jusqu’au dernier et je pourrai mourir satisfait de ma terrible vengeance contre cette Beauté qui osa se détourner de moi…

Je ne sais que dire de plus de constructif, j’ai aimé l’histoire, j’ai aimé le style, j’ai aimé la poésie, si cruelle fût-elle. Un superbe récit poétique…

Polza en EL émerveillé par l’histoire qu’il vient de lire

   ALDO   
30/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Quelle surprise !
Un Arbre dont chaque feuille est différente...
Et pourtant belle !

Dont chaque chant diffère
et respecte à la perfection la règle qu'il s'impose...

Le léger de l'oiseau,
Le chemin philosophique aux mains qui poussent !

Et là...

Si nous étions encore Romantiques , Orientalistes,
nous pourrions penser l'image du poète
comme amer devant la beauté à jamais inaccessible.

Et à quoi bon citer une phrase ?

Elles doivent toutes rester ensemble pour
dire et redire le récit , la pensée terribles.

Et avec quelle maîtrise !



Veuillez excuser le commentaire-réflexe
et superficiel, du chien de l'aube,

admiratif...

Les vacances sont un tel vacarme...

Je le relirai et ce sera alors un beau silence, plein de sang, de feu et de violence.

Un grand merci

   Cyrill   
30/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bjr Etienne
J'ai beaucoup aimé ce récit, il m’a littéralement pris par la main.
On est dans la tragédie, et les sentiments exacerbés qui l’accompagnent. Amour rejeté, douleur sans dérivatif. La plainte et la supplique qui s’exprime se transforment en désir d’en découdre.
La vengeance rendue possible par un pouvoir sans limite fait d'une peine personnelle le destin d'un peuple et la raison de la vie sur terre.
Le dédoublement de personnalité par lequel le narrateur se parle à la deuxième personne, l'écriture théâtrale et le ton déclamatoire, qui évoquent un démiurge faiseur et destructeur d'humanité... tout cela à mon avis rehausse le récit d'une dimension poético-lyrique, et mythologique à la fois.
Bravo ! À vous relire.

   embellie   
30/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
En lisant ce texte j'ai pensé immédiatement au regretté Henri Gougaud qui a su composer des contes et légendes si riches et agréables à lire.
Ce n'est pas exempt de cruauté mais les contes sont rarement parfumés à l'eau de rose. C'est très bien écrit, avec le style qui sied parfaitement aux contes et légendes.
Merci pour ce plaisir de lecture.

   Hiraeth   
30/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Wow, ça claque !

Votre plume, ici brûlante d'un romantisme noir, halluciné, ne laisse pas l'esprit indemne. Je garderai sans doute en moi longtemps certaines de vos images ou tournures de phrases.

D'aucuns crieront sans doute au péché d'orientalisme, fustigeront votre regard occidental figeant l'Orient dans un fantasme uniforme de cruauté et de sensualité. Mais il me paraît clair que vous êtes un homme cultivé et que votre poème, dans ses excès mêmes, est conscient de son artificialité. D'ailleurs vous précisez je crois, de mémoire, qu'il est "librement" inspiré. Du reste, il se peut, je n'en sais rien, que factuellement les civilisations orientales plus que les autres offrirent des scènes de ce genre. Mais au fond on s'en fout.

Je retiendrai le souffle épique et dramatique, les images puissantes, et les phrases bien ciselées qui, comme dirait l'autre, ont su donner un sens plus pur aux mots de la tribu (notamment le "abrutis" où il faut entendre l'étymologie ou l'ancien sens du mot "brute").

Seule la dernière phrase me semble, certes riche, mais un peu lourde. Vous pourriez peut-être réussir à la dégraisser.

Merci pour ce partage.

   Eskisse   
30/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Etienne,

Le sujet choisi n'est pourtant pas de ceux qui parviennent à m'émouvoir. ( L'émotion chez moi passe souvent par la souffrance certes, l'enfance aussi parfois et/ou l'émerveillement. ) Peut-être à cause de cet excès des sentiments, portés à leur paroxysme... Cette démesure doit m'effrayer.

Alors si ce n'est pas le sujet, c'est l'écriture, qui charrie avec elle la force d'un courant, la gravité d'un chant , la douleur d'un cri. Alors, oui, émerveillement il y a devant ce récit poétique.
Et je sais que l'on est dans l'exaltation de l'écriture lorsqu'on est passionné par son sujet.

Juste, je partage l'avis de ma camarade de commentaire à propos de la dernière phrase.


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