Acte III : La résistance
(Arishem) — Ce que tu me décris paraît trop fantastique. Me dis-tu vraiment tout ?
(Thanos) aaaaaaaaaaaaaaaaa— Seigneur, il y a un risque. Car l'humain fait parfois preuve d'intelligence. Et certains ont compris à quel degré d'urgence Il fallait réagir. Alors les cris d'alarme Se multiplient. Dessous l'assourdissant vacarme Des médias, d'Internet, de la télévision, De maints jeux du cirque exaltant la cohésion Nationale, du matraquage dont l'action Pousse toujours plus loin la surconsommation, Des réseaux sociaux propageant les rumeurs – Mais aussi par leur biais – s'élève une clameur.
Ce n'est pas un chorus, c'est une multitude. Des voix s'interrogeant, priant un interlude Dans l'expansion sans frein des multinationales, Et prônant une action internationale. Des voix scientifiques : climatologues, GIEC, Mais aussi sociologues, alertant sur l'échec Patent du compromis climat et capital, Prédisant pour bientôt l'emballement fatal : Sécheresses, famines, élévation des mers, Émigrations massives, et menaces de guerres.
Les voix d'économistes, une minorité, En rupture avec ceux qui font autorité : Les prêtres vigilants du dogme libéral, Les fidèles servants de la trilatérale. Cette minorité donc constate, atterrée, L'économie mondiale en l'impasse enferrée ; La clarté du bons sens dissociée par le prisme Du déni absolu, l'ordolibéralisme, Et prédit les effets d'une telle amaurose : L'enchaînement des crises vers l'apothéose.
Les voix d'associations environnementales, Qui ont résisté au supplice de Tantale : Investir dans des activités lucratives, Une telle démarche étant impérative Puisqu'on ne peut lutter sans des fonds conséquents. Mais les profits ne viennent qu'en hypothéquant En partie les principes qui sous-tendent la cause. Ainsi, par une sorte de métempsycose, Ceux qui hier condamnaient les firmes qui polluent Sur leurs activités jettent leur dévolu Parce que plus profitables, et, ainsi déconfits, Souillent l'écosystème pour faire des profits. Ceux qui ont résisté, à l'instar de Greenpeace, Depuis longtemps ont vu le bord du précipice, Et, prenant de la force, impulsent des actions, Dont la portée fait naître la stupéfaction.
Les voix de journalistes ; oh ! un tout petit nombre ! Qui prennent le risque de demeurer dans l'ombre, Mais ils font leur métier, fouillant sans complaisance, Démythifiant la « Mystique de la croissance », Entretenant l'espoir qu'enfin « Tout peut changer », Pour peu que les humains, unis face au danger, Prennent le grand virage qui peut changer leur sort, Au prix d'un abandon : détendre le ressort D'une économie devenue incontrôlable, Renoncer à un train de vie invraisemblable, Et penser autrement. Patiemment, ils enquêtent, Accumulent les faits, les idées, les requêtes, Compilés en essais, articles, reportages. Ils font que peu à peu la rumeur se propage.
Et par-dessus cela, la clameur des victimes, Effets collatéraux de fins illégitimes. Toujours en anoxie, l'industrie du pétrole Étend ses débouchés, sans tenue ni contrôle. Sables bitumineux ou pétroles de schiste, Extractions sauvages, sondages anarchistes, Forages abyssaux, forages en arctique, Extrativisme extrême, et pour seule tactique : Toujours plus de profits, réduction des dépenses, L'argument de l'emploi en guise de dispense. À cette insanité il y a un corollaire : Incidents, accidents, désastres planétaires, Explosions de trains, eau qui brûle, marées noires, Cours d'eau Kalamazoo changé en dépotoir… À ces joyeux lurons se joignent des compères : L'industrie chimique, les lobbies nucléaires, Amiante, A.Z.F., P.C.B., Mox, dioxine, Scandales sanitaires, coulées d'alumine, Fukushima, Tchernobyl, et demain ? Marcoule ?
Mais il faut nous méfier de ce qui en découle : Le lot des victimes ne cesse de s'étendre ; Alors elles se rebellent et veulent se défendre. Alors que la Terre devient un vrai gruyère Un contre-mouvement lentement se fédère. Il s'agissait d'abord d'actions isolées, Endroits lointains et peuples marginalisés. Nez-Percés, Ijaw, Elsipogtog, Ogonis, Passamaquoddys, Iñupiat, Inuits, Lummis, Skouries et Pungesti, Nauru et Balcombe, Qui donc connaît ces noms, qui connaît l'hécatombe, Qu'ils ont dû affronter dans une haute lutte ? Certains nomment un peuple vivant dans des cahutes, D'autres nomment des lieux et leur écosystème. Mais dans chacun des cas, les buts étaient les mêmes : Préserver l'eau saine et préserver la nature, Préserver l'habitat, préserver les cultures, Préserver les enfants, adultes et vieillards, Contre l'insanité des chasseurs de dollars, Des enfants de Cortés, du rêve de Midas ! Ceux qui se sont battus, comme Léonidas, Vainqueur aux Thermopyles, ont obtenu victoire Sans doute temporaire. Qu'importe ! L'espoir Qu'ils ont fait naître crée une émulation, Et pour le monde entier c'est la révélation : David contre Goliath gagne, finalement. La fronde frappe au front les grands, légalement.
Tous ceux qui ont compris l'enjeu pour la planète Trouvent des stratégies, inventent des concepts. Les gardiens du passé guident leur avenir. On voit d'anciens savoirs peu à peu revenir Mêlés à la technique, harmonieusement, Éclairant les possibles, insidieusement. Un million de révolutions tranquilles Se déploient, sur terre, les îles ou presqu'îles ; Des idées insensées tout en étant profondes S'échangent, se propagent à l'échelle du monde. La mondialisation, cause de tant de maux, Connecte les Dadjo avec les Esquimaux, Et chacun peut parler des choses qui l'atterrent. Terre est une femme, les femmes sont la Terre : Ce qui prive le sol de sa fertilité A aussi un impact sur la natalité. Il n'y a pas entre elles de dichotomie. Quand la Terre subit une hystérectomie, La survie des humains, leur reproduction, Est aussi menacée. Et cette déduction, Le souhait d'en finir avec la pollution, Fait enfler la colère et la révolution.
Cette vague qui enfle, elle est notre ennemie ; Aujourd'hui clapotis. Et demain ? Tsunami ?
Acte IV : La répression
(Arishem) — Ce que tu dis m'ennuie. Cela peut les sauver. Si l'humanité prend ce virage mauvais, De notre Armageddon nous pouvons faire le deuil.
(Thanos) — Le sort de l'être humain se joue entre deux seuils : L'un qui détermine l'enchaînement fatal Où le climat s'emballe et devient létal Conduisant à la fin de l'Homme et de l'anthropocène. L'autre, où les humains fatigués par l'obscène Bacchanale des grands et leurs fausses réformes S'éloignent du conforme et puis du non conforme, Refusent de souscrire au sort inéluctable, Assument leur destin et retournent la table. Ces deux seuils décident deux bouleversements. Le premier est certain, une question de temps ; Le second, contingent, peut mettre très longtemps, Ne jamais voir le jour, ou s'embraser demain.
Pour que l'humanité n'ait pas de lendemain, Il nous faut retarder ce qui est incertain Tout en facilitant la venue du certain. Il suffit de pousser dans le sens de la pente Et faire accélérer la horde galopante Vers le gouffre sans fond où elle veut s'abîmer. Les leviers sont multiples, faciles à animer.
Prioritairement, le levier du déni. Ces assemblées éparses qui forment des nids De contestation et de pressante alarme, Il ne faut pas qu'elles se fédèrent. Là, l'arme Est déjà fourbie : c'est la communication. Il suffit de contrer leurs revendications Par des rapports d'experts, des avis entendus De politiciens, scientifiques, vendus ; Les marginaliser, laisser planer le doute Sur leurs affirmations et que chacun redoute Le monde qu'elles proposent : un lendemain où gît Le si précieux confort :
(Le Chœur sur un ton pressant et accusatoire) aaaaaaaaaaaaaaaaaaa« Retour à la bougie, À la tuberculose, à l'âge de la pierre, Si nous condamnons les centrales nucléaires. »
(Thanos) — Il est très aisé de nourrir le scepticisme ; Ces idées salvatrices, frapper d'ostracisme. Dans une économie mondialisée, ouverte, Rien n'est moins évident que la transition verte.
(Le Chœur cynique, sûr de lui, condescendant) « Énergies verdoyantes ? Photovoltaïque ? Biomasse ? Hydraulique ? Éolien ? Géothermique ? Mais il faut s'adapter aux rythmes naturels, Ceux-ci sont fréquemment anticonjoncturels. Souvent, quand il fait froid, il ne fait pas soleil : Votre chauffage "vert" se met donc en sommeil… Vous voudriez construire un réseau résilient Diversifié, décentralisé, conciliant Toutes ces énergies pour pallier ce défaut ? L'idée est séduisante mais le calcul est faux. Comment trouver les fonds pour ce vaste projet Quand dans le même temps vous voulez abroger Les énergies carbone qui rapportent des taxes, Qui de la société constituent le névraxe ? De fait, combien d'emplois allez-vous supprimer ? De combien la croissance sera-t-elle déprimée ? La crise de la dette empêche d'investir. Si beaux que soient vos rêves on ne peut travestir Cette réalité. Par ailleurs, le problème est mondial. Pour baisser le carbone il est donc primordial Que chacun contribue à l'effort collectif. Un processus inéquitable, sélectif. Que feront les pays en développement ? Il y a clairement là un point d'achoppement. Comment sans transition développer les bonnes Énergies, propres, en brûlant moins de carbone ? Quoi ? Alléger leur dette, leur donner les brevets ? Mais c'est de l'utopie, mon ami, vous rêvez ! Les pays développés doivent payer leur dette Historique, climatique ? Pourquoi pas une quête ? »
(Thanos) — Vous voyez, c'est facile. On peut, à l'infini, Empiler les critiques, les embrouillaminis. Puisque résident là, dans ces idées fragiles, Les seules solutions pour sortir du péril, Il faut trouver les mots les ridiculisant, Les laisser s'exprimer en les neutralisant. Pour achever cela nous avons des alliés, Certains sont raisonnables, d'autres sont fous à lier Tel ce parti politique, amateur de thé, Qu'aucune inhibition ne saurait arrêter. Le maillon stratégique de cette tactique, Notre second levier, c'est bien le politique ! Les ressorts qui l'animent sont très déterminables ; Son pouvoir de nuisance est inimaginable. Car il est plus qu'un homme, c'est un assentiment : Une ville ou un peuple, avec leurs sentiments, Leurs espoirs, leurs problèmes, acceptent de remettre En partie leur destin entre les mains d'un maître, D'un chef, d'un roi, d'un président, d'un député. Cet homme ou cette femme est alors réputé Représenter les vœux de cette multitude ; A le pouvoir d'agir en leur nom, l'aptitude D'engager un pays dans une direction En suivant des avis, ou bien ses convictions. Mais c'est aussi un Homme, il a des émotions, Celles-ci affleurent à travers ses motions. Il est manipulable : les lobbies ou affaires, Les pots-de-vin, les offrandes, les partenaires ; Autant d'expédients aidant à dériver Les voix d'un peuple vers des intérêts privés. Vous avez là l'assise du libéralisme.
Mais les politiciens font preuve de tropisme, Tournent avec le vent. Pour l'instant la plupart N'ont qu'une chose en tête : éviter le départ, Être réélu et conserver le pouvoir. Mais il n'est pas exclu que, par sens du devoir, Par un afflux de lucidité, de morale, Ils se détournent de la ligne électorale, Comprennent le danger, franchissent la barrière, Optant pour le climat, au prix de leur carrière. Il nous faut éviter un tel retournement, Qui pourrait déclencher le grand chambardement.
Pour cela, un troisième levier : diversion ! Il faut par tous les biais détourner l'attention. Sujets légers : sport, vie des stars, les faits divers, Sujets sérieux : chômage, terrorisme, guerres ; Les lamentations et la désespérance, La danse de la pluie pour avoir la croissance. Cerise sur gâteau, il faudrait reproduire La crise économique et en cela induire Le sentiment d'urgence, pur affolement : Sauvetage des banques, irrationnellement, Une orgie de milliards donnés au détriment De tout ce qui reste et de l'environnement.
La crise est endémique, elle revient sans soutien. C'est là un processus qui s'auto-entretient. Il est donc inutile en cela qu'on s'échine : Hier, c'étaient les subprimes, aujourd'hui c'est la Chine. Si le pouvoir en place est prêt à basculer Vers le changement vert, pour le faire reculer La crise économique est le moyen idoine. La terreur qu'elle suscite proprement dédouane Les tenants du pouvoir de leurs engagements Antérieurs à agir pour l'environnement. La pression populaire pour garder l'emploi ; Sauver l'économie ; empêcher que ne ploient Les banques casinos qui détiennent les fonds Des gens – c'est la conséquence de choix qui ont De crise économique amplifié l'impact Grâce à l'invalidation des Glass-Steagall Act –, Maintenir la croissance, l'empêcher de fléchir ; Ces pernicieux effets forcent à infléchir L'action des dirigeants pour sauver « le système ». Et l'énergie verte ne reste pas le thème À la mode. On discute plutôt conjoncture, Avenir inquiétant et chacun conjecture. Alors qu'ils s'éparpillent autour de ces sujets, Confortés dans leur voie par tous leurs préjugés, Ils ne font pas les choix qui pourraient les sauver. Pendant que sur un point leur regard est rivé Approche doucement l'échéance critique.
Ce n'est pas seulement la question climatique. Un ensemble de forces mues par des mécaniques, Historiques, sociologiques, physiques, Se concentrent à présent en un point focal. Et bientôt les génies sortiront du bocal, Ou de la boîte de Pandore. Maux en « tion » : Paupérisation et marginalisation, Radicalisation et sécurisation ; Inondations, émigrations, pénétration D'émigrants qui n'ont rien à perdre ; maux en « isme » : Le racisme, fanatisme, terrorisme, Et jusqu'au-boutisme. Voilà des maux en « tique » ; Nous avons bien sûr : calamités climatiques, Mais aussi : conflits pour le pétrole en Arctique. C'est bien sûr un tableau très apocalyptique, Qui paraît impossible, irréaliste en somme. Mais est-il un défi que ne relève l'Homme ?
Acte V : Dénouement
(Arishem) — Mais c'est précisément ce point-là qui m'ennuie !!! Il peut un impossible : il s'arrache à la nuit ; Pour sauver ses enfants sort de l'infantilisme, Pour sauver la Terre sort du capitalisme Débridé, inhumain, destructeur, libéral, Sans croire au vœu pieux qu'il devienne moral.
Pourtant, je dois bien l'avouer, cela m'intrigue D'être le témoin du dénouement de l'intrigue. Après tout, tu m'en as convaincu, son histoire S'en va seule à un terme très peu aléatoire. Bien que je sois tenté de hâter l'échéance Je voudrais prolonger jusqu'au bout l'expérience Qui va se terminer dans un proche avenir. Mais en témoin passif, et sans intervenir.
Voici ma décision : laissons passer cent ans. Nous n'interviendrons pas, même si c'est tentant. L'homme aura bien du mal à se tirer d'affaire, Il a déjà pavé la route vers l'enfer. Après cette échéance, s'il est trop raisonnable Il y a suffisamment de leviers actionnables Pour le faire plonger et le perdre âme et corps. Oui, le ver est dans ses gènes.
(Thanos) aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa— Je suis d'accord. Attendons patiemment.
(Le Chœur) aaaaaaaaaaaaaaaaaa« Rendez-vous dans cent ans À la fin d'un monde… si l'Homme est consentant. »
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