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Poésie en prose
Goelette : Marcher
 Publié le 14/02/18  -  17 commentaires  -  1880 caractères  -  255 lectures    Autres textes du même auteur

"Je marche dans un jardin de braises fraîches..." Philippe Jaccottet.


Marcher



Marcher vers l'écrit pour avancer vers soi, dans la soie ou le soir des mots.

Marcher comme marchent les arbres, immobiles et vibrants de mille vies ; comme vont les marées montant pour redescendre sans fin ou demeurant étales sous le soleil de trop d'images ; comme chemine la mémoire au gré d'un lieu, d'un moment, d'une musique, d'une photo.

Marcher sur le probable en cherchant l'improbable, cette immensité ensemencée d'infinis ; sur les costumes si étriqués de l'existence qui nous étouffe ; sur son ras-le-cœur des limites, du petit, du médiocre, du mesquin.

Marcher malgré les sentes empierrées de l'ubac pour à nouveau grimper vers la clémence de l’adret ; malgré la solitude aride qui s'enrichit de l'inconnu des ailleurs ; malgré l'illusoire d'un absolu à portée de cœur mais toujours insaisissable ; malgré les échecs, les chutes, la douleur, les rocailles.

Marcher contre le temps qui nous dénude, l'hiver guettant l'âme, les strates glacées de l'indifférence ; contre les cicatrices d'une enfance décapitée qui saigne à reculons ; contre la peur de ne savoir où replanter ses moignons de racines.

Marcher dans les salles des pas perdus, des pages perdues, pas à page semées ; dans les opiniâtres erreurs de l'errance où se jardine l'inaccessible ; dans l'essentiel entr'aperçu, si lointain et si proche ; dans la source qui se fera ru, rivière, fleuve, estuaire, océan.

Marcher sous la déferlante de l'orage vivifiant où germent les brins d'à venir ; sous les voiles blancs d'épousailles inaccomplies, célébrées cependant aux bras d'amours jamais défleuries ; sous les promesses solaires et silencieuses de la VIE.

Marcher vers là où vont tous les êtres en marche.



Marcher


 
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   Provencao   
5/2/2018
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai bien aimé cette construction de poésie en prose où "marcher" devient finalement que le souci de soi ne s’attachant pas à définir un sujet désengagé dans une pureté liée à la solitude et séparée des autres, mais à constituer un sujet déferlant d’action, un sujet de la promesse, un sujet solaire qui s’investit dans le monde et les autres, en disposant d’un critère qui lui permette de maintenir ses actions dans des concepts et des limites ajustées, comme vous le dites si bien en cette phrase:

"Marcher vers là où vont tous les êtres en marche."

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Anonyme   
14/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Goelette,

Une prose vivifiante, aux images si bien choisies.
Jamais "Marcher" ne lasse à vos côtés. Je me régale des allitérations, de ce chemin à travers le réel et l'imaginé, le supposé, le pressenti, l'aimé comme le "craint".
On sent tout au long de la prose, l'importance de l'eau source de vie, de "VIE".
Cette marche est celle de chacun, être composé de son passé visant un futur, cependant ancré dans un présent accepté.

La version sonore est un plus, la voix est posée avec ce qu'il faut de cette lenteur qui permet d'éprouver le chemin, d'être élément du paysage, acteur de cette progression.

Merci de cette belle lecture.

La citation de Jacottet en exergue est tout à fait approprié et très belle.

   Marite   
14/2/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
Rien ou presque rien n'a été oublié dans ce poème en prose. De plus c'est admirablement exprimé, sans expression redondante, chaque phrase exprime à merveille la "marche" de chaque être humain dans cette vie. La forme donnée à cette réflexion poétique permet d'entrecouper la lecture avec des pauses méditatives dans lesquelles il est aisé de retrouver les étapes de notre propre chemin ...
La phrase de conclusion me plaît tout particulièrement :
" Marcher vers là où vont tous les êtres en marche."

   papipoete   
14/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Goelette
Vous lire et songer ...
Vous écouter et comprendre ...
Marcher tranquillement sur des sentiers doux aux pieds
Marcher à l'affût de la pierre, du trou cachés
Marcher coûte que coûte " vers là où vont tous les êtres en marche "
NB je lis en ce moment les " premiers pas " de l'Abbé Pierre dans son noviciat, et je l'imagine bien prononcer votre prose, en plein choeur du monastère .
Chaque strophe est lumineuse, mais celle des " sentes empierrées " a ma préférence .

   Damy   
14/2/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Dès l'incipit et la première phrase de ton poème, je me suis laissé embarquer sur ton chemin ô combien poétique, Goëlette.

Marcher seul avec soi-même et son contraire, avec ses certitudes et ses craintes, avec ses illusions et ses désillusions, oui je suis en marche " vers là où vont tous les êtres en marche", sans trop savoir où je vais.

"Marcher sous les promesses solaires et silencieuses de la VIE". Arf... je suis assez lunatique sur les bords et puisse la Lune m'éclairer suffisamment sur le chemin des promesses dont la plus importante, effectivement, est celle de la VIE, malgré tous les attraits mélancoliques de la MORT.

Je ne dis rien sur la forme, je suis béat d'admiration devant une telle maitrise de l'art d'écrire.

Merci, Goelette, pour ce poème essentiel que je mets dans le jardin secret de mes morceaux choisis.

   Anonyme   
14/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
" Marcher contre le temps qui nous dénude, l'hiver guettant l'âme, les strates glacées de l'indifférence ; contre les cicatrices d'une enfance décapitée qui saigne à reculons ; contre la peur de ne savoir où replanter ses moignons de racines."
C'est le passage que je préfère dans cette prose aux images justes pour définir cette " marche " ce parcours pour avancer " vers soi ", malgré toutes les embûches que la vie nous dispense.

J'ai laissé ma lecture, pour écouter cette diction douce et précise.

   Pouet   
15/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bjr,

Une très belle écriture pour ce texte qui sait sortir talentueusement des sentiers battus du fond grâce à une forme fort joliment poétisée.

Particulièrement apprécié le "Marcher comme marchent les arbres" discrètement surréaliste.

Voilà, de belles images, de bons jeux sur les mots.

Une réussite, selon moi.

   Anonyme   
15/2/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
J'ai lu, j'ai écouté, j'ai aimé...tout passionnément.

   Lylah   
15/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Goelette,

Merci pour cette belle invitation au voyage vers soi à travers des images puissantes telles que " les cicatrices d'une enfance décapitée qui saigne à reculons" ou "les opiniâtres erreurs de l'errance où se jardine l'inaccessible". Entre autres.

J'ai moins apprécié le premier vers avec le soi/soie/soir de même que les "pas/pages/pas à pas" qui entament la 6ème partie, pour moi c'est un "effet d'écriture" qui n'apporte rien de plus à ce beau texte, au contraire.

Mais l'ensemble est vraiment très réussi !

   plumette   
15/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très belle densité de ce texte qui garde pourtant une forme de légèreté, peut-être parce qu'il nous conduit de l'intériorité de l'être qui se cherche ( se chercher semble être une souffrance) à une sorte d'extériorité du monde qui permet de rencontrer la vie.
On marche vers ( soi) le chemin semble long, on marche comme, on marche sur, malgré, dans, sous et à nouveau vers mais il semble qu'une voie ( voix) a été trouvée.

A lire et relire, à déguster

Merci de ce partage,

   jfmoods   
16/2/2018
Ce poème en prose, marqué du sceau métaphorique de l'obstination (anaphore : "Marcher"), nous parle de l'espace d'écriture (champ lexical : "l'écrit", "mots", "pages", "page").

Les première et dernière phrases du texte en circonscrivent l'enjeu.

Écrire, c'est apprendre à défricher le domaine intérieur (complément de but : "pour avancer vers soi"), les lumières et les ombres de l'âme (métaphore : "la soie ou le soir des mots"). C'est apprendre à affronter l'épreuve de la chair périssable (périphrase désignant la mort : "là où vont tous les êtres en marche").

Le chemin à emprunter n'est pas dépourvu d'obstacles.

Il faut être à l'écoute, accueillir tout ce qui bruisse en soi (métaphore : "arbres... immobiles et vibrants", hyperbole : "mille vies", alternative : "marées montant pour redescendre sans fin ou demeurant étales sous le soleil de trop d'images", énumération : "au gré d'un lieu, d'un moment, d'une musique, d'une photo").

Il faut surmonter l'encalminage du quotidien (jeu antithétique : "probable" / "improbable", "immensité ensemencée d'infinis" / "limites", "sentes empierrées de l'ubac" / "clémence de l’adret", métaphores : "costumes si étriqués de l'existence", "strates glacées de l'indifférence", gradation : "du petit, du médiocre, du mesquin", allégories : "le temps qui nous dénude", "l'hiver guettant l'âme").

Il faut faire face à ses démons (allégorie : "une enfance décapitée qui saigne à reculons", métaphore : "replanter ses moignons de racines"), affronter ses aspérités (énumération : "les échecs, les chutes, la douleur, les rocailles").

Il faut accepter de se perdre (jeu de gradation : "des pas perdus", "des pages perdues", "pas à page semées", allégorie : "les opiniâtres erreurs de l'errance où se jardine l'inaccessible") pour mieux se retrouver (gradation hyperbolique : "la source qui se fera ru, rivière, fleuve, estuaire, océan", paradoxes : "si lointain et si proche", "un absolu à portée de main, mais toujours insaisissable", "épousailles inaccomplies" / "amours jamais défleuries", métaphore : "la déferlante de l'orage vivifiant", allégories : "la solitude aride qui s'enrichit de l'inconnu des ailleurs", "les promesses solaires et silencieuses de la VIE").

L'entête du poème, formulation déroutante de Jacottet (oxymore : "Je marche dans un jardin de braises fraîches"), manifeste cette traversée infiniment féconde des apparences.

L'effet de relance des prépositions ("sur", "malgré", "contre", "dans", "sous") et de l'adverbe ("comme"), en 3 ou 4 temps séparés par des points-virgules, n'est pas étranger au charme particulier qui émane des phrases 2 à 7 de ce poème.

Merci pour ce partage !

   Mokhtar   
16/2/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
Marcher…
A la lecture de ce texte dense, on pourrait compléter par « réagir ».
Car se décline ici un réquisitoire contre l’immobilisme, la résignation, l’étroitesse, l’obstacle, l’inconnu…
Ne pas stagner. Si l’idée forte est claire, restait à la développer, l’illustrer, et à l’approfondir en proposant des variations.
Et le tout sous une forme poétique.
Proésie élégante, qui se lape à petites gorgées, et invite aux relectures. Et dont chacun prend ce qu’il veut.
Si : « …dans les opiniâtres erreurs de l’errance où se jardine l’inaccessible » est à vendre, j’achète.
Réussir à faire passer des thèmes philosophiques par une forme poétique attrayante et imagée, c’est très fort.
Ce texte est très riche, pour qui prend la peine de s’y attarder un peu.
Qui est-il, le marcheur de Goélette ?
L’homme de Giacometti qui s’extirpe de sa glaise pour avancer, regard tendu vers son avenir ?
Ou le Don Quichotte de Brel, chevauchant vers l’inaccessible étoile… ?

   Goelette   
17/2/2018
Je désire juste signaler que j'ai écrit mes réponses dans le forum espace des auteurs (désolée de ne pas savoir comment faire pour copier le lien)

   emilia   
20/2/2018
Une jolie déclinaison de la démarche poétique entre chaud et froid, orientée sur le jeu des oppositions, selon la manière immobile ou mouvante, selon l’espace à la fois infini et limité, selon les obstacles à franchir entre illusions et échecs, selon les ressentis émotionnels vécus dans cette quête de soi, dans cette fuite en avant entre « l’enfance décapitée qui saigne à reculons », à contre-temps, et la peur de ne pas savoir où s’enraciner à nouveau, selon les circonstances et le regard porté sur le monde au jardin de « l’inaccessible », du plus proche au plus lointain, « dans l’essentiel » du cycle de l’eau qui mène de la source à l’océan…, en passant par « les épousailles inaccomplies », les « bras d’amour jamais défleuries », les « promesses » offertes par la vie… ; une démarche singulière qui rejoint celle de « tous les êtres en marche » vers l’universel, où l’important reste le chemin… ; votre diction ajoute un charme supplémentaire en harmonie avec la forme et le fond…bravo à vous !

   troupi   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Goelette.

J'arrive bien tard pour laisser quelques mots sur ce poème, le chemin fut long et sans doute que je ne marche pas vite, non par handicap mais parce-que flâner est si doux, alors je me suis promené dans votre poésie douce.
la soie des mots le soir ; c'est soyeux... Délicat.

"Marcher comme marchent les arbres," alors vous le savez ? que les arbres marchent, pas comme nous bien sûr mais ils avancent, se déplacent, communiquent entre eux.

Les marées... la mémoire... tiens j'imagine Léo.

Tout le reste est ainsi, poésie rêveuse mais lucide, on ne se berce pas d'illusions mais c'est tellement bien proposé qu'il suffit de se laisser emporter par la marche en avant vers là où vont tous les êtres en marche.

Au-delà de la philosophie comme toujours avec Goelette des mots simples gorgés de poésie.

C'était très beau et la version parlée aussi.
Bravo.

   Tychillios   
15/7/2018
Modéré : commentaire trop peu argumenté.

   Ombhre   
27/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Goélette

Merci pour ce très beau texte qui m'a rassuré: je ne suis pas le seul à faire ces marches entre ailleurs et nulle part :-)
L'écriture maîtrisée a cette fluidité et cette simplicité qui sont le fruit d'un long travail. J'ai aimé me promener avant - après- avec vous et poser des questions demeurées sans réponse.
Seule l'avant dernier paragraphe me semble plus faible que le reste du texte qui est excellent.
Merci pour ce très beau partage.

Amicalement
Ombhre


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