Qu’importe le printemps et les longs soirs d’été ; Qu’importe la nature et cet air qu’on respire ; Qu’importe la montagne, étalant sa beauté ; Certains jours, c’est ainsi, se perd ce qui inspire.
Un jeune homme esseulé, ressentant tout le poids Des maux du monde entier alourdir ses épaules, Parcourait des sentiers que recouvrait un bois, Concédant sa pensée à la crainte frivole.
Tandis que le soleil, juché parmi les cieux, Éclairait son chemin et l’aveuglait de peine, Il ne pouvait pas voir que l’épiait un vieux Regard, ayant connu maintes et maintes scènes.
Une voix l’appela, une voix de vieillard ; Et il se retourna afin de l’observer. Il se tint droit, debout, affrontant ce regard, Recelant la sagesse antique des années.
Le vieillard : Qu’y a-t-il mon enfant ? Pourquoi cette souffrance Que je vois envahir, un à un tous tes pas ? Pourquoi ce regard vide ? À quoi bon cette errance ? Jamais nul n’a perçu aussi grand désarroi.
Quel est ainsi ce mal dont le feu te consume ? Dans quel âtre t’es-tu jeté les yeux fermés ? Quel souffle a attisé de tes doutes la brume ? Quel est donc cet enfer dont tu vis le foyer ?
Le jeune homme : Mon père, ta sagesse aurait dû le comprendre ; Toi qui vécus longtemps en ce vaste brasier. Ne dit-on pas que l’âge est meilleur conseiller ? Que grâce à lui l’on peut remonter des méandres, De l’ignare jeunesse aux immenses secrets Que la vie dévoile en petits tas de cendres ?
Le vieillard : Mon enfant, quel malheur t’a fait perdre la route ? Empoisonné, ton cœur ne voit plus que la nuit Qui s’abat sur ton monde et en brise la voûte Que tenait fermement ton tout premier répit.
Je ne te savais pas naïf au point de croire Chacune des rumeurs que débitent les gens ; C’est une vérité dont le prix dérisoire Ne vaut nul sacrifice et ne fait point gagnant.
Je ne suis ni savant, ni un puits de sagesse, Mais je peux t’affirmer, en toute humilité, Que s’il y a une chose ainsi qui te tracasse, Parles-en mon enfant, tu seras soulagé.
Le jeune homme : Mon père, je suis las de ce monstre qu’est l’homme, Fatigué de le voir, chaque jour un peu plus, Assassiner, détruire et piller de surplus Ses semblables, sa terre, éveillant les fantômes D’un ignoble endormi que l’esprit a déchu Et que seuls évoquaient les récits des péplums. Le voilà qui revit au milieu des arômes Du sang qui se répand des cœurs qu’on a connus.
Le vieillard : Mon pauvre enfant, sais-tu que ce mal qui te ronge A déjà eu raison d’un bon millier de cœurs ? Beaucoup ont succombé à leurs sordides songes, Pensant qu’ici et là il n’y a que l’horreur.
Mais sache, mon enfant, qu’il est dans sa nature Que l’homme ainsi se meut en son triste caveau. Entre vile bassesse et louable droiture, Son cœur commet le pire et connaît le repos.
Ne te laisse aveugler par certains de leurs actes Qui ne leur sont dictés que par leur seul orgueil ; Parfois en oubliant qu’il a signé un pacte, L’homme se précipite au fond de son cercueil.
Sa main construit le monde, achève des miracles, De merveille en merveille, il bâtit le meilleur ; Mais il est tout autant capable de débâcle, Ses pires sentiments évoquant la noirceur.
Le jeune homme : Mon père, c’est assez ! Je ne peux pas comprendre… Malgré cette misère et ce sort qui est tien, Comment ignores-tu la douleur en ton sein ? Comment taire ce mal qui me réduit en cendre ? Comme toi, j’ai vécu parmi ceux que je plains, Seulement je n’ai su, de ces monstres qu’entendre Un douloureux écho remonter des méandres De leur cœur saccagé par leur esprit mal saint.
Le vieillard : Mon enfant, je comprends, maintenant, ton problème : Tes yeux sont aveuglés par l’obscure rancœur Qui anime tout homme affligé de dilemmes ; L’ignorance de soi enfante le malheur.
Je comprends, maintenant, la source de ta haine, Cette fleur qui se meurt, baptisée en douleur ; L’inconnu est son père et la peur sa marraine ; Nul ne peut se jouer de leurs viles ardeurs.
Si un jour, par sa faute, il entretint ta peine, Sois sage, mon enfant, dévoile ta grandeur ; Le pardon est divin et l’erreur est humaine, Chacun de tes oublis rapprochera vos cœurs.
Le jeune homme : Oh, mon père ! Et l’amour, n’est-ce qu’une légende ? A-t-il donc existé ? Est-il donc révolu, Comme un mythe d’antan ? Car je ne l’ai connu Et personne d’ailleurs, que nul ne s’en défende ! Mes jours comme mes nuits ne se sont dévolus Qu’à me montrer ce mal que nos âmes se tendent.
Le vieillard : Mon enfant, c’est ainsi ! Je ne puis rien te dire. Si tu n’as rien trouvé, ne baisse pas le bras Et cherche sans relâche un simple souvenir – car j’en suis convaincu, ton âme guérira.
C’est dans ces instants-là, d’une douleur intense, De ses doutes, ses pleurs, que l’homme apprend l’amour. C’est quand arrive l’aube abrégeant ses souffrances Que son humanité lui vient enfin au jour.
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