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Poésie libre
hersen : La chaise
 Publié le 21/02/18  -  28 commentaires  -  2192 caractères  -  703 lectures    Autres textes du même auteur


La chaise



attifée d'une jupe bariolée
on lui a dit Attendez

elle s'assoit sur la chaise

elle n'est pas gaie, la chaise la mine d'un triste gris on voit bien qu'elle passe un sale moment
son skaï
étoilé de cicatrices
elle en a vu d'autres avec ses quatre béquilles d'acier

un dossier raide
pour poser un dos quand
la nuque en déconfiture
lentement se démuscle
il faut un dossier pour se poser avec une référence en haut à gauche

436 J
Vous faisiez quoi, madame quand il vous a

(soi-disant )

agressée ? elle s'adosse, elle s'adosse

(soi-disant )

ça aide. Répondez, madame. Dossier n° 436 J

la chaise n'a pas d'accoudoirs

les mains libres

de pianoter de trembler de se tordre
triturent la jupe bariolée


les cordes du violon grincent 436J 436J 436J
elle
se
bouche les oreilles.
... ils étaient plusieurs... monsieur…




Pouvez-vous prouver vos accusations, madame, redites-nous, c'était où et quand et à quelle heure ?
Ils étaient combien ?
Décrivez-les.
Parlez, madame !
Que faisiez-vous à cet endroit à cette heure-là ? répondez madame



la chaise racle le sol
renâcle

le carrelage glacé remonte par les tubulures inoxydables et cimente une âme tordue

je... je ne sais pas… monsieur…



la chaise se décolle de la jupe bariolée
la libère sur non-parole
et
elle
attifée part dans le ciel violet de sa nuit d'un long cauchemar sans plainte

tandis que le skaï
se redonne du gonflant
effaçant l'empreinte de l'assise


 
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   Brume   
4/2/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour

Je ne sais trop quoi en penser de votre texte.
En faite je me pose la question sur sa place dans les colonnes de la poésie.

Je ne suis pas fan du traitement de votre poème.

Ici la victime est un fragment: Elle est un n° de dossier, une jupe bariolée, un geste, une parole.

Tout ce qui importe est cette chaise personnifiée, et ces voix; l'une agressive, envahissante, l'autre mal à l'aise, discrète.

Vous me faites respirer cette atmosphère dérangeante, glaciale et triste. Terriblement saisissante.

   Mokhtar   
5/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
"Une jupe bariolée...N'est-ce pas un peu provocateur...Au fonds, vous l'avez un peu cherché...Et puis, que faisiez vous là...
Savez vous, 436, le temps que vous me faites perdre, alors que j'ai tant de travail."
Et elle s'en va, sans plaintes, sans plainte.
On peut pour défendre des causes justes rejoindre le rang des gueulardes haineuses et totalitaires.
Mais on aura jamais l'efficacité de ce texte épuré, qui dit tout.

   Gouelan   
14/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

Étonnant.

Toute la tension est figée sur cette chaise d'acier froide et grinçante, de skaï collant à la peau.
Elle "s'empreinte" de la mémoire, puis, le dossier classé, oublie.

Violence dans les mots de l'interrogatoire comme une seconde agression, un déni.

La femme apparaît ainsi comme invisible, incomprise, invisible.
Abandonnée à son cauchemar sans plainte.
Elle retournera dans le silence du chaos.

Original et efficace.

   BeL13ver   
14/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Ce poème a vraiment l'air d'un "violon qui grince" et c'est cela sa plus grande réussite.
Les saccades, l'interrogatoire, ce dépôt de plainte, ce dossier presque inhumain... L'auteur évoque avec un texte puissant, même si nullement lyrique, toute l'injustice qui est faite aux femmes qui portent plainte. Elles sont perdues, et les policiers, eux, sont tenues à l'efficacité, et ne peuvent pas grand chose.
Ce texte est presque électrique.

BeL13ver, en Espace Lecture.

   Damy   
21/2/2018
Plus que vraiment poème, "La Chaise" me fait penser à une scène d'un acte d'une pièce de théâtre.
Seul ce passage contient ce qu'il faut de poésie (ce n'est que mon humble avis):

et
elle
attifée part dans le ciel violet de sa nuit d'un long cauchemar sans plainte

Mais il est vrai que ce texte suffit à lui seul pour me plonger entièrement dans le drame. Il n'a besoin ni d'introduction (les faits) ni de dénouement (le réquisitoire et le jugement).

Je suis en tout cas très embarrassé pour noter la valeur ajoutée poétique. Je m'abstiens.

   Perle-Hingaud   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai beaucoup aimé, tout:
le point de vue, surtout,
le travail sur les mots (le dossier...), le rythme, les sonorités,
la déshumanisation,
l'aspect visuel extrêmement précis.
Il est vraiment difficile de traiter ce sujet sans tomber dans la répétition, la facilité. Cette pierre à l'édifice est une réussite, sorte de court-métrage avec gros plans successifs sur des morceaux de corps, d'objets, sans jamais de perspective entière. Tout est éclaté, morcelé, jusqu'à la mise en page, au service de l'idée de fond. C'est très efficace selon moi, bravo !

   troupi   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
"tandis que le skaï
se redonne du gonflant
effaçant l'empreinte de l'assise"
Il n'en restera même pas une trace, et que voilà une affaire rondement menée, avec sûrement le sentiment d'avoir bien fait son boulot et de mériter son salaire et bla bla bla etc.
C'est rigolo.
Enfin ça le serait si cette saynète ne décrivait pas la triste (écœurante) réalité pas si ancienne, car j'ose espérer que ça commence à changer.
Et utiliser la chaise comme personnage (presque) principal de la scène est une excellente - même si farfelue - idée.
Pas grand-chose à dire sur ce texte tout est extrêmement, précisément relaté et il est aisé de comprendre pourquoi la chaise se libère.
merci hersen pour ce texte.

   Queribus   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

J'avoue que j'ai été un peu décontenancé par votre texte, mélange de poésie moderne, de sketch et de théâtre mais ne manquant pas toutefois d'intérêt; l'écriture m'a fait pensé à certaines pièces des années 70.

Le fonds m'a paru intéressant et bien traité de façon originale; vous avez su éviter la facilité du texte passe-partout et les lieux communs.

En résumé, en ce qui me concerne, j'ai trouvé votre écrit ni bon ni mauvais mais ne manquant pas d'un certain intérêt.

   Anonyme   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Cela pourrait être une scène du procès de Joseph K. de Kafka.

   papipoete   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
bonjour hersen
je connaissais l'image que l'on pouvait faire d'une femme, " potiche " et " même porte-manteau " auxquels nul ne prête la moindre attention . Là, madame s'apparente à une chaise ; elle est d'un vulgaire avec son skaï et ses béquilles écartées ; et cette jupe bariolée ! << N° 436, allez parlez, ils étaient combien ! Avez-vous des preuves ? >>
Et une invective trop violente la fait sortir de son cauchemar ; elle rêvait !
NB ceci est mon interprétation, mais les images du film sont si réalistes, que ce scénario put s'appliquer à la vraie vie, entre les murs d'un bureau de police ( plus en France ), mais à Kaboul, ou bien Alep ...

   Anonyme   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très intéressante, cette idée de rendre l'atmosphèe de l'endoit par le biais de cette " chaise ".
Impersonnel, froid, triste et sans âme, ce commissariat (je suppose).
Les rôles sont inversés ; l'attention se porte sur la chaise afin de mieux définir l'angoisse de la personne que l'on ne croit pas.
" la chaise n'a pas d'accoudoirs
les mains libres
de pianoter de trembler de se tordre
triturent la jupe bariolée ".
" le carrelage glacé remonte par les tubulures inoxydables et cimente une âme tordue "

" tandis que le skaï
se redonne du gonflant
effaçant l'empreinte de l'assise " la plaignante est déjà oubliée...

   fugace   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Cette chaise devient l'élément central d'un drame, c'est très bien pensé. J'ai retrouvé dans ce texte, aussi bousculé que la plaignante, toute l'indifférence administrative, son souci de rendement (il faut un numéro de dossier pour accéder à la chaise...), voire même une tentative de culpabilisation de la victime: "que faisiez-vous à cet endroit, à cette heure-là?".
C'est hélas beaucoup plus fréquent que ce que l'on croit.
Bravo pour un écrit aussi original, qui garde toute sa puissance.

   plumette   
21/2/2018
Bonjour Hersen,

j'ai eu besoin d'éditer ce texte, de le voir sur papier, tant sa présentation m'a déroutée.
ça commence très fort, avec cette chaise au centre, et sa description est très réussie avec ce télescopage voulu: "on voit bien qu'elle passe un sale moment "

je butte ensuite une première fois sur la nuque qui se "démuscle" Dans un texte court, où tout est précis pour faire passer une atmosphère, le choix des mots est vraiment difficile et pointu. Et ce mot là m'a emmené ailleurs, dans une salle de sport peut-être...

Ensuite, le traitement de l'interrogatoire n'a pas fonctionné pour moi. Trop manichéen, et même si sur le fond c'est crédible, la forme concentrée me semble nuire au propos.

Après, lorsque la chaise revient au centre, je retrouve tout mon intérêt pour ce texte, pour cette manière si singulière, très visuelle et intéressante de traiter ce sujet.

Je me suis tout de même demandée si ce texte était bien à sa place en poésie.
Je suggère de faire une nouvelle catégorie sur Oniris qui s'intitulerait "fragments". Evidemment pour que ce ne soit pas fourre tout, il faudrait définir quelques règles !

A te relire bien sûr

Plumette

   Anonyme   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J’aime, l’existentialité de ce témoin muet (la chaise), est aussi puissamment et subtilement rendue qu’un auto portrait de Rembrandt...tiens, je vais m’asseoir...mais ce ne sera pas tout à fait pareil...

   Luz   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Hersen,

Rien de spécial à ajouter aux commentaires précédents.
C'est vraiment un poème d'une grande inventivité, puissant, simple et terrible.
On dirait un morceau de pièce de théâtre, un micro-nouvelle ; mais c'est un vraiment poème, qui sort de l’ordinaire et qui me plait énormément.
Merci.

Luz

   Anonyme   
21/2/2018
 a aimé ce texte 
Pas
J'ai fait plusieurs lectures de votre écrit, celui-ci interpelle, autant par la forme que par le fond.

Je suis déconcerté par une ponctuation irrégulière, tantôt absente, tantôt présente ...

De la "poésie libre", je n'en ai nullement trouvé à ce texte, il m'apparait plus comme une nouvelle très théâtrale où mieux encore, le scénario d'une action filmée, avec par instant des arrêts sur image. Je ne sais trop comment lui donner une interprétation.

L'objet "la chaise" occupe une place prédominante. Celle-ci volant largement la vedette à la personne. C'est étrangement singulier, et cela apporte une certaine atmosphère troublante, face au drame qui s'est joué, le minimisant, quelque peu.

Je reste très "troublé" par ma lecture, le sujet n'ayant rien d'anodin.

   Donaldo75   
21/2/2018
Salut hersen,

On peut dire une chose: tu m'as filé un bon vieux mal de crâne tellement j'ai cherché à me faire un avis sur ce poème.

Pour moi, il y a du théâtre dans ce texte, et c'est même uniquement comme ça que je le lis. La force de la scène, son côté visuel, mis en place, avec des sons, un public, un décor, il ne manque plus que le souffleur, prend le pas sur la poésie, à mon goût.

C'est quand même fort, je l'avoue.

Bravo !

Don

   Azedien   
22/2/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Comme toujours, les remarques négatives en premier, parce qu'osef un peu :

"elle en a vu d'autres avec ses quatre béquilles d'acier"
Je saisis l'intention des quatre béquilles, elles rendent à mes yeux le passage boiteux : "son skaï/étoilé de cicatrices/elle en a vu d'autres/un dossier raide/[...]"
me semble encore plus efficace, inexorable, laissent un peu plus de place à la suggestion du ton~

Précis lexical : "accoudoirs" , le terme exact est "accotoirs", mais personne ne le sait. :) Les accoudoirs sont au-dessus du dossier, et servent à prier, regarder par-dessus l'épaule des personnes qui joueraient, ou se joindre à une conversation de salon, selon le siège.
EDIT : bon ben, il paraît que l'époque moderne a eu raison de ce terme, tout comme de "soulier". Je laisse le petit précis parce que ben, voilà.
______________________

Maintenant pour le positif.

La personnification du skaï est fantastique et plante l'ambiance au millimètre, au début comme à la fin.


"le carrelage glacé remonte par les tubulures inoxydables et cimente une âme tordue"
Apex

Tout le reste autour est excellent.

Un concentré d'individuel et de social. J'ai adoré. Bravo et grand merci.

   leni   
22/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour HERSEN
après plusieurs lecture j'ai admis que c'était un SCOOP Une bande de lancement d'un film C'est glacial La chaise son dossier et le siège tiennent leur rôle avec la référence à haut et à gauche Et les questions s'enchainent C'est inhumain Et pourtant cette caricature est encore de nos jours les terrifiants pépins de la réalité ET à la fin le skaï se redonne
du gonflant Une belle idée étonnante superbement traitée
MERCI Mon salut très cordial Leni

   Pouet   
22/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bjr,

Mieux vaut s'asseoir sur ses préjugés concernant la poésie pour lire ceci.

Certainement que les agresseurs, violeurs peut-être, échapperont à la cour d'Assise.

Personnellement, je n'ai pas le cul entre deux chaises, j'aime beaucoup.

Un texte sur les préjugés, les victimes qui "doivent prouver que", les femmes qui certainement "aguichent" et des policiers parfois un brin "circonspects". Enfin, ce que j'en comprends hein.

Comme le disait Pierre Dac: "Pour s'asseoir on ne doit compter que sur ses fesses".

   jfmoods   
23/2/2018
La question s'impose, légitime : pourquoi cette chaise ? Personnifiée (pronom cataphorique : "elle n'est pas gaie, la chaise", métonymie : "son skaï étoilé de cicatrices", "la mine d'un triste gris", "elle passe un sale moment", "elle en a vu d'autres", "la chaise se décolle de la jupe bariolée"), elle apparaît comme l'unique signe d'empathie d'une scène marquée du sceau de l'indifférence (pronom personnel : "on lui a dit", "Dossier n° 436 J", double sens des mots "dossier" et "plainte"). La chaise et la femme vont être, au sens propre comme au sens figuré, solidaires dans l'épreuve ("un dossier raide pour poser un dos quand / la nuque en déconfiture / lentement se démuscle", "elle s'adosse, elle s'adosse", "la chaise racle le sol / renâcle").

Au traumatisme premier du viol s'ajoute un second traumatisme : celui de devoir, par le dépôt d'une plainte, en attester les faits. Celui de devoir retraverser l'enfer, donner sa détresse en spectacle ("les mains libres / de pianoter de trembler de se tordre / triturent la jupe bariolée", "les cordes du violon grincent", "elle / se bouche les oreilles", "le carrelage glacé remonte par les tubulures inoxydables et cimente une âme tordue").

Ce genre de situation exigerait, évidemment, de la part de l'interlocuteur, un minimum de psychologie. Or, si celui-ci est poli ("madame"), son air dubitatif ("soi-disant") et son attitude directive (impératifs : "Attendez là", "Répondez", "Redîtes-nous", "Décrivez-les", "Parlez") plombent irrémédiablement l'atmosphère.

Aux trois premières questions, qui semblent assez légitimes ("Vous faisiez quoi, madame quand il vous a / agressée ?", "Ils étaient combien ?", "c'était où et quand et à quelle heure ?"), viennent s'ajouter une quatrième, à charge ("Pouvez-vous prouver vos accusations") et une cinquième, passablement indélicate ("Que faisiez-vous à cet endroit à cette heure-là ?").

De victime, la femme passe insidieusement au rang de suspecte.

La jupe bariolée convoque, immanquablement, l'image mythique de la tentatrice.

Si tu es belle, attirante, désirable, c'est de ta faute.

"Tout fout l'camp ! Les femmes ! Faudrait les dresser mieux que ça ! Incapables de faire profil bas ! Incapables de rester à leur place ! Se promener dans cette tenue, à cet endroit et à cette heure-là ! Elle l'a bien cherché, non ?"

C'est sur un second viol que se clôt le poème, sur le cri de détresse d'une femme que l'on a emmurée vivante dans son enfer ("non-parole", métaphore : "le ciel violet de sa nuit d'un long cauchemar sans plainte", participiale : "effaçant l'empreinte de l'assise").

Merci pour ce partage !

   Louis   
23/2/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
J’arrive un peu tard, et des commentaires très pertinents ont déjà été faits sur ce superbe texte.
J’ajouterai juste quelques remarques pour éviter les redites.

Elle entre « attifée d’une jupe bariolée ».
Le choix du vocabulaire a son importance, un mot, en poésie plus qu’ailleurs, fait miroiter des sens multiples ; il possède une puissance évocatrice dans ce qu’il fait entendre, en diverses directions, ce dont on a plus ou moins conscience.
Dans : « attifée », on entend : « fée », « tite fée », c’est une petite fée qui entre sous le projecteur du texte. Elle est jeune, elle est jolie : une petite fée.
Elle porte une jupe « bariolée », mot dans lequel s’entend « olé », comme dans l’expression « olé olé », pour dire ce qui est un peu «osé ».
« attifé » et « bariolé » indiquent encore que la petite fée n’est pas vêtue selon les normes et goûts conventionnels.

Très vite, on s’aperçoit que la jeune fille, pleine de vie et de couleur doit se plier à une démarche administrative, qu’elle doit s’asseoir-là, sur une chaise et « attendre » son tour.
Une fée n’est pas une reine.
La fée toute de couleur entre dans la grisaille administrative.

Elle prend place aussi dans un langage déstructuré, déconstruit, déchiré, et non dans des vers harmonieux, aux belles rimes bien ordonnées. Un langage en accord, non pas avec l’apparence de la jeune fille, celle d’une petite fée pleine de vie et de couleur, mais avec l’état de son être intérieur : brisé, cassé, démoli.

Un déplacement s’effectue.
La jeune fille est délaissée, et le texte concentre ses descriptions sur la chaise sur laquelle elle est assise.
Pauvre chaise ! Pas « gaie », la chaise. « La mine d’un triste gris », son skaï « étoilé de cicatrices ». La souffrance, les blessures, les cicatrices, c’est elle qui les porte, c’est elle qui s’en charge. Elle porte la souffrance en général : « elle en a vu d’autres avec ses quatre béquilles d’acier », mais la souffrance singulière de la jeune fille n’apparaît plus, noyée dans cette généralité abstraite. La petite fée, avec son histoire singulière, sa douleur propre, n’est plus visible.

Un cas anonyme. Elle n’a pas de nom, pas d’identité. On ne lui demande pas même son nom. Réduite à un numéro de « dossier », 436J. Elle est "con-fondue" avec la chaise, dans un processus déshumanisant.

À la petite fée, on demande des comptes, et des faits : Dossier 436J, « vous faisiez quoi ? Pouvez-vous prouver vos accusations ? que faisiez-vous à cet endroit à cette heure-là ?»
Le ton est inquisitorial : « Parlez, madame ! Répondez, madame redites-nous ».
Il faut parler, il faut avouer. Elle est prise dans un dispositif de pouvoir policier qui exige la production d’un discours, « il faut parler ».
Règne du soupçon.
Présupposée coupable.
La petite fée raconterait-elle des histoires ?

Discours de vérité exigé, il faut parler. Les formules claquent comme des ordres.
Le dispositif de pouvoir ne dit pas : « on ne veut pas vous entendre ! Vous n’avez pas le droit à la parole. Taisez-vous ! » Mais, tout au contraire : « Parlez-madame ».
Il lui faut se mettre à nu, la petite fée à la robe bariolée, il faut qu’elle se dé-voile.
Apparemment, de façon paradoxale, l’injonction aboutit à la « non-parole ».
Deux sortes de paroles très distinctes sont attendues, incompatibles entre elles.
La parole requise, exigée par le pouvoir policier est avant tout une parole d’aveu, la reconnaissance de quelque chose de caché, de dissimulé, de mensonger, la reconnaissance d’une culpabilité, ou la réponse à un questionnaire inquisitorial, froid et brutal.
La parole à produire, attendue par la jeune fille, est une parole libératrice, celle d’une justice, d’une compréhension, d’une réparation, celle d’un réconfort en retour.

Il en résulte un silence. Une "més-entente".
Une parole en souffrance.
Un petit être, comme une fée, en sort défait.

La place est vide sur la chaise. À qui la place ?

Bravo Hersen, pour la forme comme pour le fond.

   Arielle   
24/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Libérée sur non-parole, Dossier n° 436 J s'en retourne, incapable de supporter le second viol d'un inter-rogatoire dépourvu de toute humanité ou compassion.
Même si je ne suis pas sûre d'y avoir vu un poème, j'ai été remuée profondément par ma lecture et l'empreinte de cette "assise" n'est pas près de s'effacer de ma mémoire.

   hersen   
25/2/2018

   Eki   
4/3/2018
 a aimé ce texte 
Un peu
La chaise est solide
Elle nous survivra.....vers d'Abdellatif Laâbi

En découvrant ce texte, je pensais à ce vers.

La chaise voudrait-elle oublier ?
Elle n'a rien vu, ne sait rien, ne veut rien entendre...se redonne du gonflant !

Etrange texte où la chaise semble occuper une position instable, c'est le comble d'une chaise !!

J'ai lu plusieurs fois...ce texte a le mérite de ne passer inaperçu, il apporte des questionnements...et c'est déjà un ressenti !

Eki inspecteur Gadget

   Adienog   
13/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La compassion, l'humanité par le biais de l'objet.
J'aime beaucoup ce poème dans lequel je retrouve ma position de lectrice face à certains poèmes de Prévert.

Merci Hersen, au plaisir de vous lire.

   BlaseSaintLuc   
14/8/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Si , moi, je là trouve la poésie , celle que l'on ne crois pas, que parfois certain agresse à la croire toute nue , quand la poésie interpelle , quand elle ne ressemble pas à la conformité morale , quand elle l porte une jupe trop coloré.
Moi, je l'aime, ce dossier 436, il pose des questions, il fait se demander.
C'est elle la victime, la poésie qui se promène, n'est pas coupable d'être ingénue.

merci adienog d'avoir grâce à ton post fait remonter cette perle

   Anonyme   
21/6/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Il n'est jamais trop tard pour commenter un poème et j'aime tout de celui-ci.

C'est un court-métrage, l'écriture très cinématographique m'évoque Duras ; comme chez cette autrice tout s'anime au fil des mots et les images ont une évidence immédiate et percutante.

Tout est pesé avec talent et j'aime vraiment ce texte d'autant qu'avec un sujet "casse-gueule" il serait assez aisé de se planter. Il n'en est rien et je ne regrette pas d'être "tombé" par hasard sur ce texte pas si ancien finalement.

Bravo et merci !

H.


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