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Poésie contemporaine
Hiraeth : La bibliothèque
 Publié le 06/08/24  -  7 commentaires  -  1691 caractères  -  181 lectures    Autres textes du même auteur

I met a traveller, from an antique land…
(Shelley)


La bibliothèque



Il était autrefois, dans mon pays lointain,
Une bibliothèque, antique et gigantesque,
Dont les mille couloirs se déployaient sans fin ;
Vaste comme l’esprit, comme lui dédalesque,
Ses murs d'or abritaient des millions d’oiseaux
De toutes les couleurs sur leurs perchoirs d’ébène,
Qui, puissants de nos chants immortels et si beaux,
Attendaient d’étancher une soif trop humaine.

Là les âmes volaient jusqu’aux plus hautes tours,
Consommaient la science au fond des alvéoles
De cette ruche d’art d’où les savants, toujours,
S’en allaient butiner maintes riches paroles ;
Là nos plumes creusaient un grand rêve commun,
Rêve de vérité, de pouvoir et de gloire,
Rêve de repentance et de bonheur, pour un
Peuple qui désirait s’écrire une autre histoire.

À travers les carreaux, chaque jour, chaque soir,
Des rayons éclairaient la poussière des songes,
La poussière du monde – ô rayons de savoir,
Ô lucides témoins de nos têtus mensonges –,
Tandis qu’on entendait, dehors dans les jardins,
Murmurer ou gronder la rivière sacrée
Sous le mystère sourd de ses maîtres ondins ;
Mais l’homme ignore tout de ce que l’homme crée.

Aujourd’hui le désert
a tout enseveli.
Ne reste que la mort, qui souffle sur
le sable
et les débris épars
d’un espoir
aboli.
Si quelqu’un retournait
dans ce lieu misérable,
que pourrait-il trouver sous la dune
et le vent ?
Un livre calciné ? Les
éclats de sculpture
de quelque roi sans nom ?
Ou le ricanement
des diables que ne peut subjuguer la culture ?


 
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   Robot   
25/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Même s'ils ne respectent pas tous la structure classique j'ai trouvé dans l'ampleur de ces alexandrins une emphase hugolienne qui m'a rappelé, dans sa diction des échos de la légende des siècles.
Même dans la dernière partie on retrouve une construction alexandrine.
Un plaisir d'oraliser le déploiement de ces vers.

   Cristale   
6/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
J'ai vu, en suivant le tracé de ces lignes, sortant du sable, s'ériger les murs de pierre de l'énigmatique bibliothèque d'Alexandrie.

Un flot d'alexandrin bien emboîtés rend l'image idyllique du temple gardien du riche et précieux Savoir d'une époque lointaine et puis, des alexandrins brisés, destucturés, schématisent la catastrophe, quand tout est broyé, calciné, détruit par les flammes. Adieu papyrus, livres de bord, travaux des érudits.

Joli jeu de sonorités sur les rimes de chaque huitain. Un enjambement "culotté", dans la deuxième strophe, qui s'intègre parfaitement.

L'agencement des rimes auraient pu se faire comme préconisé dans les traités en ce qui concerne le huitain : ababbcbc (comme dans "Epigrammes" de Marot).

Qu'importe, l'ensemble est auditivement et visuellement agréable et, surtout, nous raconte une histoire dans l'Histoire.

Bravo et merci !

   Corto   
6/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Belle impression après la lecture de ce poème. Le thème est porteur pour l'amateur de pensée, d'histoire, de l'Humanité.
Dès le première strophe on mesure l'ampleur de la richesse d'un vécu ignoré pour beaucoup, et surtout dépassé (à jamais ?) par l'acharnement du temps. Le dernier vers "Attendaient d’étancher une soif trop humaine" est à lui seul porteur d'urgence, de vie et de combat pour l'avenir.
La seconde strophe garde la même ampleur, avec un regret néanmoins sur l'enjambement en final, disgracieux à mes yeux, et qui aurait pu être facilement évité.
La troisième strophe joue un peu le rôle de transition avec l'apparition habile de la "poussière" complétée par ce vers réaliste et nostalgique (?) "Mais l’homme ignore tout de ce que l’homme crée".

"Aujourd’hui le désert a tout enseveli" nous extrait du passé et du rêve, un peu brutalement et sans concession pour ne nous laisser que "le ricanement des diables que ne peut subjuguer la culture".
Cette alternance de beauté, de savoirs, d'excellence s'engouffre dans un abîme dont on n'imagine pas comment sortir.

Un très beau texte. Merci.

PS: l'auteur ne nomme pas une bibliothèque en particulier, ce qui laisse au lecteur toute liberté. Personnellement je me suis vu à Chinguetti en Mauritanie. Mais là n'est sans doute pas l'essentiel.

   Annick   
6/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Ce poème narratif et descriptif commence comme un conte.
Comparaisons et métaphores sont riches d'images grandioses, puissantes, qui créent une atmosphère onirique, presque sacrée.

La grandeur passée et la désolation présente forment un contraste saisissant et mettent en avant la fragilité d'une culture ou d'une civilisation.
(Dans les temps anciens, antiques, lorsque des pays se faisaient la guerre, ils commençaient par détruire les bibliothèques, les œuvres d'art. Car l'âme d'un pays est dans sa culture.)
Dans le poème, il se peut que ce soit simplement le temps qui ait fait son œuvre.
Et pourtant, le dernier vers semble relancer l'idée d'une destruction volontaire achevée par l'érosion et le sable du désert qui ensevelit les vestiges :

"...Ou le ricanement
des diables que ne peut subjuguer la culture ?"

Le récit se termine par une note pessimiste et le ton est mélancolique.
C'est un contemporain de bonne facture.

La lecture de ce beau poème est un enchantement.

   papipoete   
6/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Hiraeth
Comme vous parlez bien du savoir ; ce savoir à jamais disparu sous le sable du désert.
Qui pourrait croire qu'en ces lieux, l'homme écrivit, peint, construisit des merveilles... que nous parvenons à atteindre aujourd'hui, mais avec engins mécaniques, ordinateurs supersoniques, et comme nous nous servons de leurs connaissances ( mathématiques, rhétorique, hydrologique, politique... )
NB tout comme d'autres civilisations fameuses ( Angkor, Inca... ) celle d'Alexandrie si je ne m'abuse, un jour s'écroula ; par la force de séismes naturels ou sataniques, elle s'endormit jusqu'à ce que le monde contemporain, trouvant quelques signes de vie antérieure, morde à l'hameçon de l'archéologie, et soit ébahi...
la seconde strophe est particulièrement merveilleuse " là, nos plumes creusaient un grand rêve commun..." est l'un de ses meilleurs vers !
la conclusion où ricanent les diables, me confortent dans cette idée, que SATAN est intemporel, sous son masque d'homme de chair...
je ne vois pas ce qui s'oppose à la forme néo-classique, pour ces dodécasyllabes aux rimes, diérèses respectées ?
très belle ode à ce qui fut
un jour, quand depuis au moins 100 ans, l'homme aura disparu de la planète Terre, on trouvera un petit morceau de fer, serti dans une médaille dorée... mais qu'est-ce que cela pouvait bien être ?

   Provencao   
7/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Hiraeth,

"Là les âmes volaient jusqu’aux plus hautes tours,
Consommaient la science au fond des alvéoles
De cette ruche d’art d’où les savants, toujours,
S’en allaient butiner maintes riches paroles ;
Là nos plumes creusaient un grand rêve commun,
Rêve de vérité, de pouvoir et de gloire,
Rêve de repentance et de bonheur, pour un
Peuple qui désirait s’écrire une autre histoire."

Mon passage préféré où vous soulignez fort bien cette lecture de l'histoire dans l'histoire avec cette évidence, cette conviction et cette cohérence.

Le passé, l'histoire passionne.
Sublime écriture!

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Dian   
19/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
C'est un chapelet d'images profondes au rythme baudelairien. On perçoit cette bibliothèque en forme d'infini, aussi vieille que le Temps, témoin d'une civilisation qui devait être immortelle.


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