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Poésie en prose
ikran : Maman
 Publié le 17/09/22  -  7 commentaires  -  4480 caractères  -  112 lectures    Autres textes du même auteur

Pourquoi il ne faut pas être mère poule.


Maman



« Mère est un parterre de fleurs, une lisière charnue où perle un soleil blanc habité de mon visage. Je suis l’onde et la ridule dans l’épiderme de ses ruisseaux : ce que je fais s’appelle partir. C’est un pont suspendu auquel mère tisse des bouquets de racines, seule dans un espoir d’orage, aveugle aux louvoiements de la mort sur la proche luzerne où s’accrochent nos brouillards intimes, ces larmes de crocodile.

Son haleine est chargée du pétrichor mousseux auquel m’éduquent ses pierres, immobiles gardiennes de rien. Il me semble qu’elle s’éveille ainsi mère, à tous les matins du monde, dans l’embrasure de mes fugues, cohorte de rouages tendres transformés malgré l’âge en phalanges de ronces. Dans un ruisseau tranquille, non loin du pays où repose sa tête, les grouillements fascinants de l’aube dessinent sur l’eau des ronds qui la dérangent dans ses besoins de figements. Ils lui rappellent qu’elle aussi, à la manière de l’onde, aurait pu se déployer vers l’infini, tendre ses bras aux ricochets de la douce folie, peupler son ventre de forêts riantes et d’étangs jaunes comme la mort.

Mais chaque fois que vous riez, belles lignes d'horizon vert, mère choisit l’euthanasie sauvage du périple qui m’habite. Et dans mes éclatements neufs mère s’interpose toujours. Elle m’interdit le destin bleu des sentiers. Sur vos jambes qui se touchent dans les premières confusions de l’amour elle jette une taie de mucus et d’herbe chaste. Elle me tient par la main, ses doigts s’enfoncent dans mes jointures. Ils fouillent mes territoires faibles, investissent mes cieux vaincus.

Je ne savais pas où mère m’emmenait quand soudain j’ai vu s’affaisser mon visage dans un siècle de ses regards, dans un miroir de son lait – et transférer mon ventre assoiffé au cœur de son empire, vers les lunes pastorales. Ce sont de ces royaumes lâches imprégnés du pollen reproduit, formes belles et rondes comme un ventre fertile et dont la voix fait jaillir sur la pénéplaine de ma conscience des arbres que je ne connaissais pas et qui me montrent que l’obéissance fait pousser les fleurs.

Alors fleurit le jardin de mes entrailles.

Ainsi est annoncé le temps des premiers remords. Car c’est toujours dans l’acceptation de notre famille que se logent nos dépendances contraires, notre nudité finale au sens de l’être ; cette nudité que pourtant l’obsession des racines déshabille encore.

Quand je lui dis qu'il y a des langages nouveaux qui trépignent au fond de moi, mère en appelle au réconfort des larmes. C’est à ces larmes incondamnables, ces larmes gluantes d’instinct que mes lunes non voulues s’abreuvent, juchées au sommet de leur tige, et je les vois grandir, se prêtant à mes bronches, m’offrant – pistil pourri avant même d’avoir chanté son premier printemps – à l’existence d’un souffle qui n’est même pas le mien.

Mon soleil me manquait : désormais je n’ai même plus un cœur pour déchiffrer son empreinte.

Je vis seul, petit électron noir grésillant dans l’espace condamné d’un lourd rideau de baisers rouges, aux pieds d’une chute énorme fermée comme l’ourlet de Son âme. Quitte à clore l’univers, quitte à fermer les étoiles et mettre la clé sous la porte, mère me nourrit des fruits de la poussière ; elle m’apprend la chimie discrète des feuillages paisibles, loin de l’incendie offert aux urgences béates des peaux jeunes, mais proche, toujours plus proche des réseaux macabres sous la terre où ses racines dessinent des villes qui portent mon nom.

Un jour je me soulèverai dans la lie lourde des jours passés. Je secouerai mes pétales habités de cernes ; mes doigts emberlificotés, je les plongerai dans tes poumons de sel (car je t’aurai trouvée, belle aux falaises lascives, dans la promenade d’un rêve) et j’y palperai tout un cosmos lové dans ta chair bouillante, accroché à tes ossements de récifs, et parce que j’aurai compris qu’après le cœur il y a le début de toutes choses, c’est à cet endroit que je nommerai la semence de mon amour. Et si tu le veux bien, je lui donnerai ton nom. Je ne me retournerai pas pour mordre au regard de ma dernière maman. À la place je crisperai mes deux mains dans les tiennes – je n’y mettrai pas des racines mais de profonds éclats de rire – et je t’écouterai m’apprendre – tout en embrassant ma sève – que j’étais un homme.

Je serai l’orphelin trop tardif.

Le mangeur d’étoiles. »


 
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   Anonyme   
17/9/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Voilà, me dis-je, un superbe portrait de mère castratrice, où je lis un foisonnement d'ambiguïté, une pléthore soufflante d'images mêlant luxuriance (luxure ?) et dessication. Les sentiments sont paysages, tout est allusif et pourtant aveuglant de clarté. Je ne vais pas tout citer, ce fragment m'apparaît représentatif :
cohorte de rouages tendres transformés malgré l’âge en phalanges de ronces.

Cela me perturbe un peu, malgré la triste logique de la chose, que le narrateur (j'ai du mal à imaginer une narratrice ici même si je n'ai pas remarqué de marqueur grammatical masculin) n'échappe au Charybde de la mère que pour s'abîmer dans le Scylla de l'amante, mais tel est votre choix d'auteur ou d'autrice, amen. Un texte puissant à mon avis, en tout cas, très bien écrit, à la manière originale.

   Anonyme   
17/9/2022
Bonjour

On trouve dans votre poésie en prose pêlemêle des mots complexes comme le petrichor qui désigne l’odeur de la terre après la pluie (là, il faut quand même que môman fasse attention à son hygiène dentaire). Pénéplaine qui décrit une région faiblement onduleuse que vous associez à la conscience. Quelques belles associations d’idées et d’autres qui ne fonctionnent pas pour moi comme « l’embrasure de mes fugues » ou qui ne veulent carrément rien dire pour ma compréhension telles « l’euthanasie sauvage du périple qui m’habite » ou le « destin bleu des sentiers ».

Je vous fait grâce de tout détailler. Il y a de la poésie, c’est indéniable, mais je trouve que vous avez tellement chargé la mule au détriment d’une cohésion de l’ensemble que c’est quelque peu inextricable et même un peu long car sur la fin on arrive à la céphalée.

Je me passerai de mettre une note, je n’y arrive pas.

Merci pour cette lecture gratuite et le temps que vous avez passé dessus.

Anna

   papipoete   
17/9/2022
bonjour ikran
Maman me semble être ici la " Terre-Mère ", comme l'appellent les indiens d'Amérique du Sud ?
Eux, la respectent, la vénèrent même en prélevant d'elle, juste ce dont ils ont besoin pour vivre.
Mais, j'ai la faiblesse de vous avouer que votre texte me dissuade, par son épaisseur, à le lire et analyser à sa juste valeur !
NB nul en la matière, toutes ces lignes ne purent-elles pas, faire l'objet d'un Nouvelle ?
Je ne donne pas d'appréciation, pour ne pas compromettre vos espoirs de réussite ; d'autres que moi viendront sans doute en savourer l'essence...

   Quistero   
17/9/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un portrait multi-croisé complexe dans les ramifications qu'il propose et foisonnant d'images qui germent à l'instant de les lire. L'écriture audacieuse entremêle délicatesse et sauvagerie avec aplomb le tout en un style très poétique, jusqu'à en être saoul. Mon nez creux n'a pas capté toutes les associations présentes mais je vais laisser reposer la chose et relire ce texte dans quelques temps, tant il me plaît. Merci.

   Vincente   
18/9/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément
Quel univers… ontologique !
Fantastique voyage que nous offre ce texte dans les entrelacs structurant la conscience singulière du narrateur, dont la mère, qui ici présente tous les fondements d'une matrice, bien au-delà de la génitrice aimante et généreuse auquel se réfère l'appellation reprise dans le titre, Maman, est un monde procréatif dans un sens large, quasi absolu.

J'ai trouvé très originale l'ambition d'écriture, avec une sorte de "parlance" qui déborde constamment les présupposés que l'on attendrait, et avec bonheur, d'autant plus que l'expression "fonctionne" bien, avec une qualité liant bien les différentes occurrences.
Je n'ai lu qu'une fois et dès les premiers instants, il m'a semblé que le terrain d'écriture me parlait alors qu'il n'avait de cesse de m'étonner, comme s'il m'offrait des réponses implicites avant que j'ai le besoin d'en formuler l'interrogation. Très plaisante découverte donc !

Étant donné que l'implicite et ses "évidences" m'ont rassasié, je pourrais éviter de retranscrire mes perceptions et conformations m'ayant atteint. Dans l'absolu, à mon niveau, je n'en aurais pas besoin.

Mais tout de même, je suis intrigué par ce qui s'est opéré entre ce texte et moi-même. Alors si je tentais en quelques mots d'en comprendre l'enjeu littéraire, je dirais que celui-ci demeure principalement dans le dernier paragraphe, mon préféré par ce qu'il révèle, mais aussi parce qu'il justifie l'ensemble et relie les deux paradigmes maternels, celui de la mère procréative et celui de la matrice biologique la terre-mère ; en fait le lieu qui accueille et nourri, presque par opposition à la mère qui porte, enferme et délivre (dans la délivrance de l'accouchement et à terme dans celle de l'indépendance de l'entrée dans l'âge adulte ; mais nul doute que dans le cas qui nous est conté, les liens sont si forts qu'il n'y a pas de dissociation achevée entre la "Mère" et le narrateur, dans aucun des deux domaines paradigmatiques). Je dirais ainsi que le propos est construit autour de ce non achèvement d'une séparation, réaffirmation du lien indéfectible entre les trois entités. Ainsi que le partage ou la superposition des deux espaces maternels qui par la force de la poésie fusionnent l'un dans l'autre et l'autre dans l'un avec beaucoup de réussite.

Edit : Je n'ai pas résisté à un retour sur ce texte habité aujourd'hui, il m'a confirmé ma première impression, originalité, écriture affirmée qui retombe sur ses pieds malgré de nombreuses suggestivités enchevêtrées et autres "arguments" pleins de poésie, et cette force dans la prégnance du propos.
C'est par et au-delà de celle-ci que s'appuie et s'étend mon sentiment d'un "attachement" dont le contexte avoue l'excès sur-affectif à sa mère par le narrateur. Une sorte de lien si fort que toute son enfance ne semble avoir été dédiée qu'à le contenir, le retenir, le lier à la matrice originelle, au point de lui interdire une libération, une réalisation singulière dans son âge adulte.
Il est touchant de comprendre combien dans ce dernier paragraphe, l'échappée se produit malgré tout, même si elle ne semble à ce stade ne se produire que grâce à l'échappatoire du rêve et la virtualité de l'espérance.
Détachement tel qu'il en devient "orphelin".
Dépassement savouré en "mangeur d'étoiles".

   hersen   
17/9/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Voici un poème qui me semble être une base à la maternité, à la Terre mère, à son nourrissement et qui transite par la mère-mère, et de savoir, finalement, lors de la délivrance, la mère se délivre-t-elle, où délivre-t-elle un être pour le proposer au monde ?

C'est un texte qu'il me suffit de lire une fois pour être imprégnée de sa poésie, mais c'est un texte qu'il me faudra relire pour être imprégnée de cette maternité écrasante, qui suit l'objet de cette délivrance, objet qui a des remords, des remords d'être sensible à des langages nouveaux. la mère tentaculaire gluante, comment faudra-t-il s'en débarrasser ? en "reproduisant" un même schéma après une rupture, une autre "mère" toujours surgira, qui laissera le narrateur orphelin, toujours, de n'avoir été propulsé par lui-même.

une lecture riche, merci !

   Anonyme   
17/9/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Ikran,

J'ai apprécié ma lecture, pas en tête, mais oralisée.
Les sonorités glissent et roulent sous la langue, dans un melting pot de sons durs alternant avec des sifflantes, on a un peu l'impression d'entendre bruisser un serpent. L'effet est bon. Le rythme aussi du coup.

Personnellement le choix des mots ne m'a pas déstabilisée, mais il m'a des fois fait hausser un sourcil comme le pétrichor mousseux (j'adore cette odeur) ou l'euthanasie qui habite le narrateur...
Je trouve aussi que les comme sont inutiles en prose, mais voilà, ils sont là...

Fermée comme l'ourlet de son âme, j'aime beaucoup.
Le mangeur d'étoiles aussi, je le vois bien en titre. Je suis pas fan du titre actuel. Mais c'est un ressenti individuel.

Merci en tout cas pour le partage, et au plaisir !


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