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Poésie libre
Jemabi : Stigmates
 Publié le 08/01/24  -  12 commentaires  -  535 caractères  -  247 lectures    Autres textes du même auteur

À l'ombre de ta crinière.


Stigmates



Longtemps j'étais enfant
dans les pattes de ta voix,
j’abritais ma vie
à l'ombre de ta crinière.

Tu hissais haut les paroles
quand s'agrégeaient mes mots
à ta langue de fer ou de feu,
selon la nature du blâme.

J'ai apaisé tes tempes de marbre
par le serment de mon silence,
mais le prix du sacrifice
a renforcé ton grondement.

Et toutes ces peines muettes
enterrées entre deux grimaces
ont façonné mes rides
en lieu et place du langage.


 
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   Gemini   
24/12/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
C'est sobre (comme voulu pour un taiseux). Tout est dit en quatre phrases.
On expose plus que ce que l'on dénonce, mais le reproche suinte du texte (sans parler du titre).

J'ai trouvé la métaphore excellente avec cette crinière qui couve un lion, roi, majesté, régnant (despotiquement) sur son (petit) monde. On (je) penche pour le père.
Pour avoir vécu à peu près la même chose (c'était le regard, pas la parole), je reconnais la situation et la trouve parfaitement dépeinte poétiquement. Presque avec tact, pour ne pas froisser.
J'ai seulement trouvé mal tourné le dernier vers, une histoire d'oreille ; il me semble casser le rythme du propos (ou ce "en lieu et place" sonne trop prosaïque). C'est peut-être voulu pour installer la fin. Ce qui n'enlève rien à l'excellence du dernier quatrain qui ramène bien au titre.

Il ne faut pas laisser trop longtemps les enfants à l'ombre.

   Cyrill   
8/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Salut Jemabi,

Un texte pudique où sourd la violence. Les références animales : crinière, grondement, grimaces, accentuent l’inaccessibilité au langage d’un narrateur comme ‘empêtré’ dans les « pattes de ta voix », encore du registre de langage de l’animal.
L’expression semble malaisée mais elle colle parfaitement à cette difficulté à dire, à la parole empêchée.
Le dernier quatrain montre bien la fonction du langage corporel, venu comme au secours des non-dits.
Une victime abîmée par ce silence obligé qui sillonne ses rides, son bourreau qui n’a plus grand-chose d’humain aux yeux de l’enfant qui pourtant s’adresse à lui pour essayer de dire. C’est un texte fort et brut pour dire la brutalité.

Merci pour le partage.

   jeanphi   
8/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Votre poème me rappelle cette citation dont j'ai oublié l'auteur :
Pour obtenir un bon poète, infligez à l'enfant toute la névrose et l'angoisse qu'il sera capable de supporter.
Hélas, ces paroles révèlent une réalité autrement abominable.
Un poème minimaliste qui va droit au but et touche sa cible.

   EtienneNorvins   
8/1/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
'Stigmate' est d'abord une 'plaie ouverte', puis une 'marque imprimée aux esclaves', avant de devenir l'une des blessures du Christ.

Le texte joue admirablement avec ces différents niveaux de sens.

Il y a l'enfant (sans doute un Fils) aux prises avec une terrible figure parentale - léonine (vers 2, 4 et 12), en même temps qu'elle rappelle le Dieu de Colère de l'Ancien Testament (vers 5 et 7) ou Zeus foudroyant (vers 7 et 9).

Toutefois, le 'sacrifice' quasi abrahamique (vers 11) est ici mené sans pitié jusqu'à son terme : ce dieu de colère est aussi cruel - nulle substitution d'un agneau au dernier moment - voire l'est de plus en plus : le sacrifice appelle le sacrifice (vers 11 et 12), laissant la plaie toujours plus béante, chez l'enfant devenu adulte (dernière strophe).

Dans le même mouvement, cette plaie s'est transformée avec le temps en une marque d'infamie. L'enfant resté esclave des volontés de son père (ou de sa mère, l'ambiguïté est maintenue) ne peut aller au bout de sa vocation : il reste 'en marge', défiguré (vers 14), et cette 'marque de servitude' est son seul langage...

J'ai longtemps tourné autour de votre texte en EL sans pouvoir ajouter un mot de commentaire, tant il me suffoquait - comme celui qui sera mis en ligne demain. Les grandes douleurs intimes sont pudiques.

Merci.

   papipoete   
8/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Jemabi
" un beau jour... l'aigle noir... "
J'ai dû me taire, et subir de toi l'infamie alors que j'étais un enfant ; je t'ai juré silence contre un rêve d'oubli ; hélas, tu es toujours là dans les ténèbres de ma vie.
NB être vieux bien avant l'âge, quand un martyre du corps dure, et éteint le coeur pour toujours.
Un sujet tellement illustré, depuis que le monde engendra des monstres, dont l'âme est roncier dans une enveloppe de chair sale, hideuse, répugnante.
Sans doute que cette attirance pour la torture, de qui ne comprend pas, à qui l'on susurre
- c'est pour ton bien
ou hurle
- tais-toi ! mais tais-toi !
durera tant que sur Terre la " bête immonde " guettera..
la 3e strophe est particulièrement horrible

   Vincente   
8/1/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
C'est étonnant comme j'ai senti dans l'écriture une sorte de fragilité un peu raide, un peu à la manière de ce qu'une cicatrice impose à la peau, avec ce manque de souplesse qui pourtant permet de contenir la chair, la vie… Une lecture qui ainsi peut se superposer sur les inductions d'une narration bien elliptique.

Il y a l'enfant qui parle depuis l'adulte qu'il est devenu pris dans cet écheveau originel de souvenances diffuses, confuses mais lourdes.
Il y a la forte présence du parent, du "maître", du protecteur, enfin de cette figure si tutélaire qu'elle en est devenue étouffante, blessante… d'où ces "stigmates" très parlants du titre.
Ce personnage déborde du poème, tant aujourd'hui encore il inonde l'espace de sa "grandeur", de la majesté de son influence sur l'enfant locuteur – car ici l'adulte se revit si fort enfant que ses mots peinent à se soustraire au regard qui le surplombe encore. Toute la force du texte se trouve dans cette opposition, une omniprésence de l'un contre un conditionnement, quasiment un asservissement de l'autre. Naît ainsi malgré tout une sorte d'équilibre où les "peines muettes / [s'enterrent] entre deux grimaces" jusqu'au creux des "rides" en guise de langage qui offre ce texte de "peines muettes"…

J'aime bien l'idée qu'évoquent ces expressions animales à la fois puissantes, contraignantes mais aussi protectrices contre les adversités éventuelles extérieures au couple tuteur/enfant :
"les pattes de ta voix" (gros félin, ours,…) – "à l'ombre de ta crinière" (lion) – ta langue de feu (dragon) – "ton grondement"
J'aime bien aussi ce que dit "tes tempes de marbre" qui ne vibreront même pas du "serment de mon silence".

   Marite   
8/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Ce poème renforce ma perception de la poésie qui arrive à mettre en mots, de façon équilibrée, parfois harmonieuse, les profondes douleurs subies ou vécues trop souvent pendant l'enfance et en silence. Si difficile d'en guérir car ce que la volonté arrive à taire, le corps en manifeste souvent les marques indélébiles.

   Eskisse   
8/1/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Jemabi,

Un poème émouvant tout en retenue mais doté d'un fort pouvoir de suggestion.
C'est la violence du père qui est dite à demi-mots. C'est aussi d'une perte dont il est aussi question : celle du langage parlé (marque du traumatisme) Seule la médiation du langage écrit permettra à l'adulte de dire l'indicible.
Ceci est souligné dans la dernière strophe par l'opposition rides / langage comme si ces rides étaient les stigmates annoncés par le titre. C'est ce qui reste à vie sur la peau.

   Cristale   
8/1/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Que c'est poétiquement exprimé !
La douleur sous-jacente a la politesse du désespoir et la pudeur de ne pas nommer la violence, la cruauté d'un être immonde.
L'indicible en vos mots hurle en silence.
Je suis ébahie de votre façon de formuler la maltraitance. J'ai lue dans ces vers une poésie à fleur de peau dont j'oserai dire l'immense beauté de l'expression.

   M-arjolaine   
8/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'aime les images évoquées par ce poème ; "les pattes de ta voix", "ta langue de fer ou de feu", la violence sourde qui bat aux tempes et le prix du silence, qui vient chercher des échos chez moi. J'ai aimé le rythme des mots, avec à chaque fois cette impression d'un quatrième vers dont la mélodie retombe avec fatalité.

   Eki   
9/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Poésie libératrice d'un traumatisme enfantin mais dont l'adulte garde les indicibles stigmates...
Comment continuer le chemin de la vie avec ce trop plein d'émotions douloureuses ? comme un bagage trop lourd pour un enfant...
Derrière chaque mot de ce texte, je ressens une peur, une angoisse et les symptômes du stress post-traumatique.
J'ai beaucoup de mal à commenter ce texte que je suis venue lire plusieurs fois...

Mais je suis là et j'emporte un peu de vos maux...

   Louis   
12/1/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
« Longtemps j’étais enfant » : déclare le premier vers.
Dans le contexte du poème, "enfant" se comprend dans son étymologie latine : "infans", qui signifie : « celui qui ne parle pas ».
Être « enfant », c'est alors être sans langage.
Ainsi le premier vers est-il l’affirmation d’une situation d’un manque de parole.
Cet état sans langage, ce quasi-mutisme, s’avère l’effet, la conséquence sur le locuteur, non d'une inaptitude au langage, mais d’une force exercée par un être tout puissant.

Ce poème se présente comme l’effort de sortir d’une « enfance ». Ses mots sont en quête d’un "locuteur", s’efforcent de l’affirmer ; ils sonnent comme un défi au silence imposé par celui auquel ils s’adressent, l’allocutaire, l’être tout puissant, qui pourrait bien être le père.

L’ « enfance » fut un silence « dans les pattes de ta voix ».
Une voix dominante s’est imposée. Une voix exclusive, qui a fait taire toute autre voix.
Mais la parole de cette voix est sans doute à comprendre, non pas seulement comme celle d’un "dire", une parole seulement représentative, mais encore celle d’un "faire", une parole constituée d’injonctions, d’ordres impératifs ; une parole "performative" comme disent les linguistes depuis John Austin.
Cette parole impérieuse est celle qui fait "marcher", d’où les « pattes de la voix », marcher "à la baguette" comme on dit, mais ici plutôt, marcher au "mot d’ordre" sans réplique.

Cette autorité fut comme une protection, un « abri », lors de la toute petite enfance : « J’abritais ma vie / à l’ombre de ta crinière ».
Le terme « crinière », comme déjà le mot « pattes » et celui de « grondement » qui suivra, se référent surtout au monde animal. L’être tout puissant qui laisse sans voix tient donc plus de l’animal que de l’humain. Et l’animal « roi » par sa puissance est figuré dans l’imaginaire collectif par le lion. Mais le « prince » est sans voix ; prince d’un silence.

La nature de ce silence se comprend mieux dans l’éclairage que lui donne la deuxième strophe du poème.
« Tu hissais haut les paroles » : dit le premier vers, ce qui pourrait paraître élogieux pour cette voix royale, mais il s’agissait de paroles qui visent le « blâme », est-il révélé dans le dernier vers de cette strophe. La "hauteur" de parole se comprend alors comme celle du cri, du "rugissement". Parole qui s’impose par sa tonalité, à rendre sourde toute autre voix.
Et c’est bien à ce mur de son que se heurte l’enfant qui cherche une voix :
« quand s’agrégeaient mes mots
À ta langue de fer ou de feu »

La parole, parce qu’elle signifie le pouvoir, l’autorité, l’ordre ne peut être que celle du roi et père. Elle ne supporte pas le partage. Elle ne s’ouvre ni au dialogue ni à l’échange. Elle n’a pas d’allocutaires, mais des subordonnés, des sujets soumis.
Toute tentative de parole est donc soumise au blâme, sous le pouvoir d’une langue dure, sévère, « de fer » ; une langue blessante par ses brûlures à l’égo, par ses brûlures affectives, langue « de feu ».
Or la parole fait l’humain. Si la "langue" acquise introduit dans le collectif, la "parole" constitue plutôt l’individu dans sa singularité. Ainsi donc fermer l’accès à cette parole, c’est empêcher l’enfant de s’affirmer, de s’épanouir, de se libérer. C’est l’empêcher de devenir soi-même.

L’être tout puissant n’est plus vivant :
« J’ai apaisé tes tempes de marbre »
Et le marbre ici semble bien se rapporter à celui funéraire d’une sépulture.
La soumission au père subsiste pourtant, malgré sa disparition.
Elle se traduit par un « serment de silence ».
Un « serment » douloureux, tout autant un "serrement" du cœur, et un resserrement qui étiole et n’épanouit pas.
Sans doute, ce silence s’adresse-t-il aussi au père. Ce qui explique son « grondement » supposé par-delà sa disparition. « Grondement » expressif d’une réprobation.
Celui qui ne supportait pas la parole autre que la sienne, ne supporte pas non plus le silence. Un silence trop parlant, peut-être.

L’ "étiolement" se confirme dans la dernière strophe.
« Les peines muettes » ont fait passer de l’enfance sans parole au vieillissement. La parole sans voix orale s’est écrite sur le corps, mais sous forme de « rides ».
Et ces rides sont autant de « stigmates », à la fois des plaies qui ne se sont pas refermées, et des signes d’une soumission à l’autorité toute puissante, qui n’a pas pris fin.
Un beau poème, sobre ; un poème donc du silence, qui se dit comme peine et comme souffrance, comme pour sortir de lui-même, non seulement pour être voix du silence, mais voix libre... Quand un
prince du silence cherche une entrée dans le royaume de la parole.

Merci Jemabi pour ce beau poème.


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