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Poésie contemporaine
Lotier : Désenchantement
 Publié le 13/10/22  -  8 commentaires  -  1056 caractères  -  163 lectures    Autres textes du même auteur

Virelai.


Désenchantement



Les lourds poteaux sont rongés par la marée,
Mais la jetée tient debout. L’homme imagine
Un îlot noir au-delà des nues sanguines.
Il monte à bord du bateau, voile serrée.

L’œil de ta proue me devine,
Je suis la fée Mélusine !

L’étrave fend l’eau glaciale. Il est campé,
Son manteau gris claquant vif sur sa poitrine.
Il chante bas, regard dur, et se destine
À rassasier sa vengeance et son épée.

Ton chant de mort tambourine,
Je suis la fée Mélusine !

La nef s’échoue sur la plage de rochers,
L’homme s’ébroue puis s’avance vers l’ondine.
Elle est couchée, toute bleue. Son corps décline.
Il veut ravir le collier qu’elle a caché.

Ton noir désir me lamine,
Je suis la fée Mélusine !

Il la malmène, il ne peut que triompher !
Elle se tait, devant lui, dresse l’échine,
Alors il sort du fourreau son épée fine,
Assassinant d’un seul coup l’ultime fée.

Ta cruauté m’assassine,
J’étais la fée Mélusine !


 
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   Anonyme   
3/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
J'ai eu un peu de mal à m'adapter aux hendécasyllabes mais, passé la surprise initiale, j'ai trouvé vraiment intéressant votre choix rythmique appuyé par les distiques d'heptasyllabes. Le rythme 4/7 des vers leur convient bien à mon avis.
La métrique traduit un profond désordre annoncé du monde d'où disparaît la dernière fée, l'ultime enchantement. C'est bien vu, me dis-je, mais le titre au parfum de résignation me semble en décalage avec le propos violent, actif ; il eût été mieux approprié selon moi à la découverte du cadavre de Mélusine assassinée qu'au récit de l'assassinat. Par ailleurs, à mon avis, le retour des distiques est trop fréquent, il brise la tension dramatique et les deux derniers vers m'apparaissent vraiment de trop, insistant inutilement.

En résumé, pour moi le titre annonce un poème différent dans son approche, et le poème en soi par moments force la note. Mais j'ai apprécié la vivacité du récit et les rimes « débraillées » qui, je crois, participent de cette vivacité.

   Cyrill   
7/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Lors de ma deuxième lecture j’ai eu envie d’accompagner de roulements de tambour les paroles de Mélusine, qui d’annonciatrice de la mort, en devient ici la victime, dernière de son espèce. La fin d’un monde ? Et c’est le chevalier-marin qui va réduire à néant l’enchantement.
Il y a un vrai ton dans ce poème, de la fraîcheur et du mouvement. La plume de l’auteur a trempé joliment dans les croyances médiévales sans que l’écriture en paraisse surannée.
Bravo et merci pour cette lecture.

   Myndie   
13/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Lotier,

C'est drôle d'arriver après deux premiers commentaires et d'avoir l'impression que tout est dit !
Je partage les ressentis de Socque et de Cyrill.
D'abord, la métrique particulière des vers a pour effet de désorienter la lecture. C'est bien de bousculer notre perception et d'éviter à nos sens l'engourdissement de l'habitude.
D'autant que – là aussi je répète – le rythme insufflé sert parfaitement la dureté du récit.
Dureté des scènes, nerveuses : verbes au présent et ponctuation sèches.
Dureté des images, intenses, rageuses:les poteaux qui se battent et résistent à l'assaut des vagues, l'étrave qui fend l'eau, le manteau qui claque au vent, il la malmène, il l'assassine...
Comme pour faire équilibre ou alors par contraste, pour surenchérir cette violence, la fée, « l'ondine » (quel joli terme!) ne bouge pas, ne parle pas, elle semble déjà morte.
Dureté des couleurs, tantôt sombres, tantôt crues :  « Un îlot noir au-delà des nues sanguines ».
Tout cela sonne une atmosphère de « fantaisie » au sens cinématographique du terme : un mélange d'épique, de merveilleux, d'héroïque et de chevaleresque.

Pour terminer, l'adepte des cyclanelles que je suis ne peut qu'apprécier la répétitivité très musicale des deux vers qui tournent comme un refrain.

C'est vraiment innovant et très réussi.

Myndie

Bon, j'ai bien eu aussi une approche plus psychanalytique du texte, la symbolique, tout ça tout ça mais ce n'est peut-être pas l'endroit idoine pour développer^^

   papipoete   
13/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien
bonjour Lotier
L'homme prend la mer, pour un voyage au goût amer, où le sang coulera de lui-même ou de celle qu'il a juré anéantir ; son épée est prête dans son fourreau, à trancher cette queue de serpent chez qui elle pend... la Fée Mélusine !
NB je ne suis pas maître en matière de fées et dragons, aussi cette odyssée marine à la poursuite de cette étrange créature, ne m'éclaire guère mais la construction de ce poème me plaît, et les distiques sonnent comme autant de cors. ( des hendécasyllabes plutôt rares en poésie, entrecoupés d'heptasyllabes... )

   Miguel   
13/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien
"Il sort du fourreau son épée fine" ... on ne peut s'empêcher de penser à une métaphore, mais j'aime mieux l'interprétation au premier degré (d'autant que "fine" ne serait pas valorisant). La légende de la mort de Mélusine (une légende parmi d'autres).On a là l'hendécasyllabe de Verlaine, qui "préfère l'impair"
(Dans un palais soie et or, dans Ecbatane,
Des jeunes gens, des satans adolescents ...)
Il faut s'y habituer mais on y trouve vite un certain charme, d'autant que les distiques sont aussi constitués de vers impairs et que cela donne une cohérence très musicale.

   Ornicar   
14/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Lotier,

La légende de Mélusine revisitée sous votre plume. Sirène plutôt que femme serpent, voilà qu'elle prend des couleurs marines comme votre poème.
Le ton est donné dès le départ et la couleur générale est sombre. On sait que l'histoire va mal se finir, à la façon d'une tragédie antique. L'assassin de Mélusine n'est pas nommé mais seulement désigné par "il" ou "l'homme" ce qui rend sa figure plus inquiétante et maléfique et renvoie le lecteur dans la situation du spectateur impuissant.
Dans la légende, si j'ai bien compris, Mélusine est la dernière des fées. Le titre de votre poème est donc tout à fait justifié, puisqu'en la tuant, le monde perd ainsi la faculté d'être ré-enchanté.

J'apprends en lisant les commentaires qui me précèdent ( Socque, Miguel ), qu'il s'agit d'hendécasyllabes. Quitte à passer pour un inculte, j'avoue ne pas en avoir beaucoup rencontrés jusque là et j'ignorais même que cela puisse exister. Je comprends un peu mieux le malaise, le léger désagrément ressentis à la lecture de vos vers. Parfaitement adaptés ici pour évoquer cette course irrésistible et chaotique vers la mort. On est loin du balancement régulier et harmonieux de l'alexandrin. Les heptasyllabes des distiques me sont en revanche plus familiers.
Pour en finir, Socque précise que le rythme de ces vers particuliers est en 4/7. J'ai pu le constater effectivement. Il me semble aussi qu'on peut les lire en 7/4. C'est vraiment très étrange et curieux. Si c'est volontaire, cela tient du prodige.

J'aime beaucoup les variations autour du distique, comme un refrain, qui structure le poème et participe à l'intensité dramatique.
Un grand coup de chapeau pour n'avoir utilisé que deux rimes. Trés belle chute avec le dernier vers à l'imparfait.
J'émettrais juste un léger bémol à propos de ce qui ressemble malgré tout à une répétition : "assassinant" - "m'assassine".

Voilà un poème original par ses choix assumés, très travaillé, et qui me paraît injustement récompensé au vu du peu de commentaires qu'il a suscité.

Ornicar

   Lotier   
15/10/2022

   Yannblev   
17/10/2022
Bonjour Lotier,

Je n’ai d’abord pas bien saisi ce que cette brave et poitevine fée Mélusine venait faire dans cette aventure plutôt marine a priori. Mais en acceptant, bien qu’on ne soit pas samedi, la présence et la tragédie de cette belle, potentiellement mi femme-mi serpent, je dois convenir que l’allégorie tient la vague. La description est rigoureuse et sur un ton, un rythme, parfaitement raccord avec ce qu’elle veut évoquer. On oublie presque que dans la légende pour tuer la belle il suffit de refuser de l’épouser. Vous préférez la couper en deux ; soit, ça reste médiéval dans le geste et donc dans la geste? Comme vous le faites bien c’est poétiquement plutôt réussi.

Merci de cette histoire


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