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Poésie en prose
Louis : Histoire d'A
 Publié le 09/01/15  -  15 commentaires  -  5965 caractères  -  227 lectures    Autres textes du même auteur

Ce que dit Amélie.


Histoire d'A



Longtemps, Amélie ne sut pas lire ; longtemps elle ne sut pas écrire, à l’exception d’une lettre, une seule.

A pour acquis
A c’est d’accord
A pour appui
a dit Amélie.

Des années, Amélie ne sut lire que l’A , ne sut écrire que lui. Juste l’A.
En majuscule de sa vie : A ; elle savait la minuscule, mais préférait l’écrire en lettre capitale, c’était plus joli.

A d’abord
A d’Ali Baba
Abracadabra
a dit Amélie.

Elle connaissait bien son nom : Amélie, Amélie… qu’elle écrivait : A. Et celui de sa maman : A A ; et celui de son papa, qu’elle écrivait : Aa ; et quelques autres de sa famille, « Tata » mais pas tonton, pas même Toutoune, son toutou fidèle tout en peluche. Elle aurait préféré pourtant se nommer « Barbara » pour écrire : AAA. Mais non, son nom c’était Amélie. Et si on lui demandait où elle était née, toujours elle répondait : « Je suis née en Acadie, à l’ouest de Paris. » Et si on lui demandait quand elle était née, elle répondait : « Tout à l’heure. » Et si on ne lui demandait rien, elle répondait : « Ho là là ! Arizona anaconda Annapurna. »

« Ah ! cette Amélie, c’est une anomalie » : qu’on disait parfois. Elle ne comprenait pas, mais elle répliquait : « A ! A ! A ! »

On tenta en vain de lui faire acquérir le b.a.-ba ; mais tout ce qui n’était pas A se ramenait à des lalalas et des tralalas, quand il ne s’agissait pas de blablablas.

On dit qu’une maladie, un jour, lui fit perdre toutes connaissances, qu’elle tomba dans un coma, et que depuis, elle n’en était jamais vraiment sortie.

Elle chantait fa et la, jamais do ré mi ; criait à… hurlait A.

A pour attente
A d’abandon
A pour amorti
a dit Amélie.

« Adorable Amélie », disait sa mamie, mais si seule, Amélie. Elle n’avait pas vraiment d’amies, et surtout pas Annie, sa voisine, non elle ne pouvait pas s’entendre avec Annie.

Elle baissait toujours la tête, mais jetait parfois vers le ciel un coup d’œil furtif par les voyelles de ses yeux, comme en attente dans l’a de ses prunelles de ce reflet des sillages blancs laissés par les avions de passage qui s’en vont si loin, ou de cette vibration de l’air, infime éphémère, quand s’est envolée de grand matin la gentille alouette.

A comme aérien
a dit Amélie.

Ses yeux brillaient, quand assise dans un rayon de lumière, elle contemplait les grains infimes de poussière, dans leurs tourbillons, dans leurs trajectoires irrégulières ; ses mains tentaient de les saisir, ses mains dansaient dans la lumière, ses bras voulaient enlacer les points d’univers en suspension, minuscules, mais ses mains embrassaient le vide et brassaient l’air en produisant des turbulences au sein des granules légers et volatils.

A pour aéré
A pour agiter
a dit Amélie.

Amélie allait où l’emportaient les aléas.
Mais ne manquait pas un détour, quand on l’emmenait en promenade, pour cueillir les lilas.

Affable Amélie, elle résistait à l’apprentissage des mots que l’on écrit. Elle ne voulait pas d’abc, elle voulait bien grimper sur l’échelle, sur l’escabeau, tout en haut de l’A , mais ne voulait rien savoir de l’eau.

Elle entendit un jour ces mots-là, ce qui la troubla : « Amélie, c’est une autiste. »
« Autiste », ce mot elle ne le connaissait pas, alors elle comprit : « artiste ».
Amélie est artiste, oui, alors elle dessina. Un gros ananas et un melon. Elle ajouta une bouche à chacun, elle ajouta un chapeau et une moustache au melon. Elle leur donna la parole :

— Tu manques d’A , dit l’ananas, t’es pas bon.
— Ça va pas, répondit le melon, je suis très bon, et très mûr, et très savoureux. Toi, sans E , t’es sans eux, t’es pas goûteux, même pas délicieux, même pas savoureux.
— Oh là là melon ronchon, tout rond, espèce de cucurbitacée, laisse-moi en paix.
— Tu t’enfermes derrière ton écorce, l’ananas, allez, hop là, ouvre-toi, sors de là. Mets-toi à jour, y a un soleil qui brille, on va s’offrir une tranche de vie.

A d’amadouée
A pour amazone
A c’est accueilli
a dit Amélie.

Amélie s’offrit un ami discret, un petit e muet, comme celui qu’on n’entend pas quand on crie, qu’on n’entend pas quand on appelle : « Amélie. » Elle s’appliqua pour lui donner vie sur ses cahiers tout blancs, une vie avec un e muet.
Elle forma ensuite les L. Amélie, dit-elle, « c’est elle », et ajouta : « Amélie, c’est moi. »

A, comme appel.

Elle lut, Amélie, elle eut des amis. Dessina longtemps un âne, et des abeilles.

Je suis pas bêta, je suis pas alphabête, a dit Amélie.

Ne fut plus seule quand les mots, ça lui parla ; quand elle leur écrivit des lettres.
Elle les entassa, fit des tas, fit des collines de mots.
Les noms l’effrayaient qui courent à l’horizon, parce qu’ils sortent toujours des pages et courent sans fin, et ça n’en finit pas, avec le A qui s’accroche, qui s’accroche, et mille liaisons.
Elle préférait tous les tas, et les amas, parce qu’elle pouvait, sous ce fatras, cacher des trésors et ses merveilles, ces âmes d’Amélie.


_____________________________________________
Ce texte a été publié avec un mot protégé par PTS.


 
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   Myndie   
21/12/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai eu en lisant ce texte une curieuse impression de "déjà-vu" ou plutôt devrais-je dire de "déjà-lu"
Cette histoire d'Amélie me plaît infiniment pour les trésors de douceur, de tendresse et de poésie qu'elle renferme.
C'est joli, inventif, cela donne parfois l'impression d'entrouvrir la boîte magique de Raymond Devos.
On est promené entre douce fantaisie et troublante observation du réel (je pense notamment à ce paragraphe:

"Ses yeux brillaient, quand assise dans un rayon de lumière, elle contemplait les grains infimes de poussière, dans leurs tourbillons, dans leurs trajectoires irrégulières ; ses mains tentaient de les saisir, ses mains dansaient dans la lumière, ses bras voulaient enlacer les points d’univers en suspension, minuscules, mais ses mains embrassaient le vide et brassaient l’air en produisant des turbulences au sein des granules légers et volatils"

si évocateur qu'on la "voit", la petite Amélie)

C'est plein de jolies trouvailles, comme cet ami discret, le e muet...

J'ai aimé ce texte que je trouve brillant et émouvant à la fois.

   Curwwod   
23/12/2014
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Quelle verve, quelle fougue, quelle fantaisie, quelle science du jeu, avec les mots, les sons et les sentiments, dans cette histoire simple d'une découverte du monde merveilleux des lettres, véhicules de toutes pensées, de tout amour avoué donné ou reçu. Et de l'amour vous en avez, pour votre personnage bien sûr, mais aussi et surtout pour cette lyre magnifique qu'est la langue française quand elle chante comme vous savez le lui inspirer. Il émane une profonde poésie, une profonde tendresse et une puissante invitation à méditer, de ce conte pour très grands enfants qui puise ses racines chez Lewis Caroll et dans le monde des merveilles. Quand vous aurez le temps, dessinez-nous un mouton!
Chapeau bas.

   fugace   
25/12/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Pleine de fraîcheur, de poésie; l'histoire d'Amélie m'a ravie.
Le cheminement de cette éclosion est une vraie ballade. Et surtout, "ne plus être seule quand les mots lui parlent, leur écrire des lettres, des collines de mots". C'est purement génial!
Comment mieux faire comprendre que les voies de l'éveil ne suivent pas toutes les mêmes chemins, qu'il n'y a de "norme" pour trouver son âme.

   laralentie   
9/1/2015
Commentaire modéré

   Anonyme   
9/1/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
mAgnifique, fAntAstique, éblouissAnt, bien sûr qu'Amélie est une Autiste, une Artiste, comme tous ceux qui ont vu dans les lettres l'essence des mots, l'émotion, le sens, l'inconscience qui devient conscience.
brAvo pour ce texte étrAnge... être Ange, est ce ainsi que va finir Âme...élie.
Merci pour ce délicieux moment après cet aperçu de l'enfer durant ces derniers jours honteux.

   Alice   
9/1/2015
Je ne noterai pas, la brièveté de mon commentaire ne le justifie pas. Je me contenterai de dire que pour une fois, je commente la poésie que je lis, même passé quatre heures du matin, parce qu'il m'était impossible de faire autrement. C'est absolument magnifique. Et je n'ai aucune raison à donner, ni aucune envie de chercher des raisons. C'est magnifique, et je vous dis merci, et je vous demande de continuer.

Alice

   leni   
9/1/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Louis
époustouflant à vous couper le souffle Une trouvaille d"une tendresse infinie Chacun a son destin et celui d'Amélie aurait pu être
présenté tristement Louis a choisi de l'écrire en nous faisant sourire J'ai pensé à Saint EXLa simplicité du propos en augmente la portée du bel art ET en plus cela semble facile à écrire Et pourtant!! Merci
MONSIEUR LOUIS
Salut amical Leni

   Deorune   
9/1/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
J'ai trouvé l'AmAlgAme sur les autistes tellement réel, quand quelqu'un sort de l'ordinaire on le montre souvent du doigt. Moi même je suis autiste et je n'ai jamais entendue quelqu'un dire que j’étais autiste a ma façon de parler, c'est souvent les idiots que l'ont insulte ainsi. C'est d'autant plus vrai dans le texte que vous écrivez (attention je ne dis pas que Amélie est idiote), le fait d’être différent, on est souvent rejeté par la société.
Il y a une réel leçon dans votre texte, félicitation, j'adore.

   Robot   
9/1/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
S'il fallait dire pourquoi une prose est poétique ou non, je me réfèrerais à ce beau travail. Car dans ce texte il y a la poésie de l'histoire racontée, la poésie des mots, la poésie des images, la poésie de la composition, la poésie qui nous sort de l'ordinaire. Je ne ferai pas une analyse de fond, simplement j'ai parcouru les phrases une à une avec délectation et je reprendrais bien encore un plus en dessert avec le plaisir d'un péché de gourmandise.

   papipoete   
9/1/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Louis; on dirait un texte écrit par Stéphane de Groodt qui aurait trempé sa plume dans une encre aux boutons de rose. C'est savant comme du calcul, riche de français, ouvragé et chantant comme en éducation musicale et arts plastiques.
C'est une jolie façon de peindre au crayon un sujet triste; on suit le cheminement d'Amélie avec le sourire, sur le chemin qu'est le sien pour qu'un jour enfin, ses lèvres s'ouvrent; s'animent et laissent, voyelle après voyelle, puis unie à une consonne, s'échapper un mot, le langage...

   molitec   
9/1/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
L’idée de traduire des A criés « banalement » par Amélie, et qui peuvent sembler dénués de sens pour des oreilles sourdes, ou lasses de comprendre, en des A pleins de vie et de sensibilités, et éclaircir ainsi toutes les nuances cachés des A qui sont très loin d’être identiques ou insignifiants, me ravit.
Ce sont les A DITS par Amélie, en non pas les A ENTENDUS par les autres, qui sont abordés avec subtilité et admirablement racontés dans ce beau texte poétique, cette lecture ne peut qu’accroître mon intérêt récent pour la poésie.

   Francis   
10/1/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
Quelle douceur ! Quelle poésie ! Que de belles images : le melon et l'ananas, le tourbillon des grains de poussière, collines de mots...
Quelle belle voyelle qui commence les mots Amour, Amitié et qu'on retrouve blottie dans tolérAnce.
Merci pour cette évasion dont j'avais tellement besoin ! Dessinez moi encore des voyelles !

   Michel64   
11/1/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bravo Louis. Voici un beau voyage dans un univers bien connu d'Amélie et si difficile à concevoir pour nous, dits "normaux".

Vous nous en donnez un aperçu de manière très poétique.

On a (A) d'emblée envie d'aimer cette fillette et c'est grâce à cette sensibilité bienveillante qui transparait tout au long de votre texte si original et très bien écrit.

Merci Louis

Michel

   Pepito   
11/1/2015
Hello Louis,
Que voilA un texte délicAt, papillonnant de A en A sans jAmais se poser sur quoi que ce sOIt.

L’histOIre, mi-triste mi-raisin, d’Amélie mélo disant à l’AnAnAs, comme à ces âmes, ouvre tOI.

En espérant qu’Amélie et son Ami, le e muet, continuent à jAmais ce joli menuet.

Merci pour cette délicieuse lecture.

PepitOI

PS : C’est fou comme certains prénoms peuvent être une source d’inspiration ;=)

   Anonyme   
25/1/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
C'est un voyage dans le léger, le tendre, l'aérien, le délicat, auquel vous nous conviez sur votre aiLe, Louis.

Un bain de douce poésie au pays des bulles irisées tendues sur les A d'Amélie qui lit sa vie comme personne.

Je ne peux que rester bouche bée devant l'Autiste Artiste et ses grains de poussières dansant dans la lumière.

Merci infiniment

Cat

   Pussicat   
6/2/2015
Ah, les anomalies de la belle Amélie !
« Ah mais lis toi, faut bien ! » dit la mère affolée
tendant à son mari la feuille désolée    
que le docteur rendit aux parents d'Amélie.

Ah, les anomalies de la belle Amélie !
« Après maints examens et confrères conviés
à se pencher bien droit, je peux vous assurer
de la bonne santé de la belle Amélie. »

Ah, les anomalies de la belle Amélie !
« En revanche je dois de vous bien mettre en garde
Et de vous demander de passer sans tarder

à mon cabinet pour vous recommander
de prendre rendez-vous avec Monsieur Labarde
Docteur en psychiatrie... sans la belle Amélie. »

Superbe texte Louis d'une grande force poétique.
Je suis une fan, une groupie, que puis-je ajouter d'autre.
C'est puissant et doux à la fois et cela vous laisse sans voix.
à lire et à relire... rien d'autre à dire,
A bientôt de vous lire

   Anonyme   
1/4/2015
Commentaire modéré


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