Je suis cette feuille blanche, posée là sous tes yeux Et prête à accueillir le moindre de tes aveux. J’attends que tu me donnes une confession plus qu’osée Ou bien n’importe quoi, même juste une pensée.
Tu peux faire de moi ce que tu veux, rien ne t’est imposé, Sauf de me donner une quelconque raison d’exister. Pour cela, tu as toute ma surface à transformer, Alors désinhibe-toi et laisse ton crayon aller.
Timidement, tu griffonnes quelques traits succincts. Ils s’entremêlent, les petits sont absorbés par les grands, Puis tout doucement, des formes prennent leur élan. Le dernier trait meurt, et de ta main, naît alors un dessin.
Maintenant, je ne suis qu’un personnage sans destin, Un croquis en noir et blanc, qui ne demande qu’un peu de couleurs, Pour estomper les contours trop noirs et incertains. En espérant que chacun de tes traits saura faire battre mon cœur.
Il faut que tu t’appliques et que tu ne dépasses pas ! Commence donc par mes cheveux, allez : Peigne-les doucement d’un marron glacé sournois Et irise mes boucles de reflets délicatement ambrés.
Laisse courir le crayon le long du cou, Pour enrouler les mèches de cheveux fous, Comme si le vent s’amusait à les dompter En sachant qu’il ne parviendra qu’à les emmêler.
Après, donne à ma peau une couleur ensoleillée, chocolat au lait, Avec un grain digne de celui d’une poupée. Il faut que tu aies une envie folle de la caresser Et que son odeur vienne presque enivrer ton nez.
Fais ensuite de mes yeux les plus profonds qui soient, Épaissis mes cils et mes contours de noir, pour me donner un regard de soie Juste, pour que quiconque puisse voir mon âme sans effort. Puis enfin, transperce mes iris d’un vert lagon d’or.
Descends ton crayon jusqu’à ma bouche ronde et pleine, Remplis les moindres recoins de mes lèvres. Donne-leur l’éclat d’un rouge immaculé Qui saura m’illuminer d’un sourire des plus parfaits.
Tu as achevé mon visage et en t’éloignant du papier, Tu te dis que tu pourrais certainement m’aimer. Mais il reste encore la suite, Ne prends donc pas encore la fuite !
Tu prolonges la couleur chocolatée de ma peau En descendant doucement dans le cou, Tu t’attardes sur les formes de mes pectoraux Et sous ton crayon, mon corps prend un aspect ferme et doux.
Tu recouvres de couleur mes bras croisés, Et ce, jusqu’au bout de mes doigts entremêlés. Ma peau est comme veloutée, Elle te donne presque envie d’y goûter.
Lentement, ton crayon descend encore le long du ventre, Les ombres où tu t’attardes, laissent apparaître Mon ventre d’un profil, à peu près bien dessiné. Enfin, de ton crayon noir tu approfondis mon nombril enfoncé.
Il te faut maintenant continuer la route sinueuse, Descendre un peu plus sans que ta main semble vicieuse. Laisse courir le crayon marronné, Pour achever ma peau à ta volonté.
La teinte recouvre la blancheur du papier, Mes cuisses retrouvent leur tonicité, Puis c’est au tour de mes mollets, de mes chevilles et de mes pieds. Voilà, ton œuvre est presque terminée.
Il faut maintenant que tu trouves un décor À ta créature hors du commun. Tu écoutes tes envies les plus profondes et colore Mes contours, d’une forêt aux senteurs de pins.
Tu peaufines les détails du dessin en sourdine Cette page, qui au départ était blême, N’a plus aucune trace de sa couleur d’origine, Tu l’as recouverte de bonheur et d’un peu de ta vie même.
Tu m’as imaginée tellement souvent, Aujourd’hui tu m’as donné la vie sur un bout de papier. Il n’en faudrait pas beaucoup pour que je sois ce que tu attends, Juste un peu de fantaisie, de rêve et de volonté.
Pour que de ce papier, mon cœur se mette à battre, Pour que de ce papier, mon esprit se mette à penser, Pour que de ce papier, je réveille mon être, Il faudrait que tu aies le pouvoir de me propulser hors de l’éternité.
Maintenant que j’existe, je ne demande qu’à respirer Mon rêve le plus cher serait de t’aimer. Puisque tu m’as créée suivant ta volonté, Tu ne devrais pas avoir trop de mal à m’accepter.
Je suis ce que tu es, une partie de toi défendue, Je pense ce que tu penses, nous avons le même esprit saugrenu. Je respire ce que tu respires, une odeur d’amour, J’aspire à ce que tu aspires, vivre et être aimée en retour.
Ce soir-là, tu m’as créée de ta propre main, Tu m’as presque donné la vie avec trois fois rien, Mais comment me donner ces tant convoités volumes, Pour qu’enfin mon corps ne soit plus celui d’une plume ?
Ta main m’a donné l’immortalité sur ce papier, Mais tout ce que je veux au plus profond, c’est… …Être. Pourvoir sentir, ressentir bouger et vivre, C’est paradoxal j’en conviens, mais de la vie, je veux être ivre.
L’homme peut créer, innover, inventer, Mais avec son stylo, il ne peut donner que l’éternité. Moi je rêvais d’une vie, pas forcément celle que j’aurais choisie, Mais pas non plus celle de finir mes jours, accrochée au-dessus de ton lit.
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