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Poésie libre
Luz : La télé noir et blanc
 Publié le 10/06/17  -  12 commentaires  -  1472 caractères  -  170 lectures    Autres textes du même auteur

Un peu de sport…


La télé noir et blanc



Je me souviens des dimanches après-midi,
Je prenais le vélo Raphaël Géminiani de mon frère
Et partais chez Tonton Julien.
Trop grand vélo, trop lourd pour mes dix ans,
Mais je l’arrachais, plus à force de bras et de reins,
Qu’avec mes longues jambes frêles.

La route de l’usine montait raide jusqu’à sa maison sur le plateau,
Mais au bout de l’effort il y avait la télé noir et blanc,
L’orangeade fraiche ou le chocolat chaud.

L’été on regardait le Tour de France ;
Raymond Mastrotto aux cuisses de taureau,
Jacques Anquetil aux cheveux peignés par les griffes du vent.
Puy-de-Dôme, Ventoux, Galibier ;
Les coureurs écrasaient l’asphalte fondant,
Leurs yeux de feu noyés dans la hargne et la souffrance.

L’hiver c’était le Tournoi des Cinq Nations,
Les frères Spanghero, les frères Cambérabéro.
Les « petits » de Roger Couderc jonglaient avec leurs mains et leurs pieds,
Voltigeaient, anticipaient la faille à travers les lignes adverses mouvantes.

Tonton avait le nez et le front parsemés de taches grises,
Incrustations d’huile et de mâchefer
Lorsque le souffle d’un train avait écrasé sa tête contre le ballast.
Lui, disait que c’était comme ça la boxe d’avant-guerre.

Je repartais le soir, soit en Mastrotto, soit en Spanghero,
Tous freins lâchés dans la descente folle
Entre les poteaux de sapins noirs.


 
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   Proseuse   
20/5/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Et quand bien même je ne suis pas une fana de sport comme le narrateur, il n' empêche que ce poème est bien attachant et vivant !
ce fut un petit plaisir que de lire ces souvenirs d' enfance !
Merci pour cet agréable moment

   David   
26/5/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Y'a un jeu de vers qui donne du relief aux mots en bouts de ligne, ou aux groupes de mots comme "noir et blanc" ou même "tournoi des cinq nations". Il y a un espèce de lyrisme, avec lequel les journalistes sportifs jouaient déjà, dans des noms comme Spanghero, Cambérabéro, qui semblent sortis d'un roman d'aventure. Je découvre d'ailleurs le "vélo Raphaël Géminiani". Il y a surtout cette petite histoire géométrique de monter et de descendre, l'écran évoquerait presque un "septième ciel" amoureux, fraternel ici, "frère" vient en deuxième en bout de ligne. Bref, sous une apparente simplicité, c'est comme une pièce de théâtre ou un tableau figuratif.

   Anonyme   
10/6/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
IL y a ici tout ce que j'aime en poésie, c'est-à-dire la vérité pure, pas d'arrangements avec les événements mais une peinture fidèle de cette enfance qui à l'évidence est contemporaine de la mienne si j'en juge par les noms célèbres semés au fil des vers. Vous me faites entendre la belle voix de Roger Couderc tellement reconnaissable entre toutes.

A propos de Roger Courderc, il me vient à l'esprit qu'un imbécile de haut-vol de France-Télévision interviewé récemment par une documentariste d'ArteRadio disait qu'il n'embaucherait jamais un journaliste avec un accent de terroir parce que personne ne comprendrait ce qu'il dit...fallait oser, il l'a fait!

   papipoete   
10/6/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Luz,
Nous voilà propulsés à l'époque où la couleur à la télé n'était pas pensable ; déjà, voir une retransmission en direct était tellement extraordinaire ! On allait chez le voisin en avance sur tout le quartier, avec sa " Ribet Desjardin " de 50 cm, avant de rêver à la notre qui viendrait un jour, quand le chauffage central serait remboursé !
Pas de télé-réalité, mais du vélo, du rugby, la piste aux étoiles en noir et blanc qui nous en faisait voir de toutes les couleurs !
NB votre récit dépeint un paysage que beaucoup d'entre nous connurent, et le vélo qui pesait une tonne dans la montée, mais au retour, olé !
J'aurais davantage imaginé votre texte en " prose ", mais ainsi rédigé, il me plait quand-même !

   Robot   
10/6/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte pétulant, plein de vivacité. Une lecture dont les noms propres sont à la base de la verve poétique et de la rythmique.

Il faut dans ce texte mesurer toute la qualité de l'agencement des références pour ne pas alourdir le récit.

   Anonyme   
10/6/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
La relation d'une certaine époque où la " télé noir et blanc " était plus attirante.
Des grands noms du sport présentés avec un humour bon enfant.
Sans oublier" Les « petits » de Roger Couderc".

Une lecture bien agréable.

   Anonyme   
10/6/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Luz... Un retour bien argumenté et bien documenté sur ces années 60 où la télé Noir et blanc nous faisait voir le monde d'une autre façon...
A mon avis ce texte avait plutôt sa place en prose.

   Raoul   
10/6/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime beaucoup ces entrelacs de sports, de souvenirs qui font appel aux sens, d'images gravées - ici-même mouvante, voir en noir et blanc - dans la mémoire de l'enfance.
Très équilibré, très juste et sans trop de ( cette plaie pouétique) nostalgie.
Je me demande, juste, comment peuvent ressentir ou comprendre les lecteurs de moins de vingt, trente, quarante ans.
Un beau texte plein d'humanité.

   Anonyme   
10/6/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Le titre m'a attiré, je suis de cette époque, alors je ne pouvais passer à côté.

Un texte très sympathique narré, sans "fanfreluche", c'est tout ce que j'aime retrouvé, la sincérité, le vrai, le vécu. Ce retour en arrière m'en rappelait d'autres tout aussi chaleureux et qui paraitraient bien désuets maintenant. Cela fait un bien fou, ces retours sur image télévisuelle, ponctués d'anecdotes.

J'ai fait une très très bonne lecture, fluide, agréable et rythmée.

   jfmoods   
10/6/2017
Ce texte magnifique - à l'imparfait des habitudes douces - retranscrit, comme une parenthèse enchantée du quotidien ("des dimanches après-midi", "Le soir"), le sel de l'enfance, ce qui en constitue la part la plus précieuse pour un jeune garçon : le souffle incomparable de l'épopée.

La tonalité héroïque du propos se traduit d'abord par la disproportion des forces en présence (le vélo est celui du frère aîné : "Trop grand vélo, trop lourd") et par le défi, relevé haut la main, de cette première épreuve. Le narrateur ne soulève pas le cycle : du haut de ses dix ans, comme le ferait un titan d'un chêne millénaire, il l'arrache du sol.

La seconde épreuve représente la victoire du courage et de la volonté (expression : "au bout de l'effort") sur l'exigeante et continue adversité de la pente ("La route de l'usine montait raide jusqu’à sa maison sur le plateau"). Cette victoire, obtenue de haute lutte, est assortie de deux fabuleuses récompenses ("la télé noir et blanc, / L’orangeade fraiche ou le chocolat chaud").

S'approfondit alors, par le biais du poste de télévision, un processus de modélisation. Selon l'époque de l'année ("L'été" / "L'hiver"), un spectacle différent, mais toujours impressionnant, s'offre aux yeux émerveillés de l'enfant : une épreuve sportive où l'individu va au bout de lui-même pour remporter une étape (cyclisme : "le Tour de France") ; une autre où il se fond, pour vaincre, dans la solidarité indéfectible d'une équipe (rugby : "le tournoi des Cinq Nations").

À l'évocation de ces deux événements grandioses, le poème se pare d'une tonalité fantastique ("Raymond Mastrotto aux cuisses de taureau, / Jacques Anquetil aux cheveux peignés par les griffes du vent"), lyrique (encouragements restés célèbres d'un journaliste sportif surnommé "le seizième homme du XV de France" : "Allez les petits" de Roger Couderc) et épique (figures légendaires de la petite reine et du rugby : "Géminiani", "Anquetil", "Les frères Spanghero, les frères Cambérabéro", cols de haute montagne sanctionnant durement, tels des juges de paix, la moindre défaillance physique : "Puy-de-Dôme, Ventoux, Galibier", image prodigieuse des forçats de la route : "Les coureurs écrasaient l’asphalte fondant", métonymie vigoureuse : "Leurs yeux de feu noyés dans la hargne et la souffrance", habileté technique et stratégique sans égale de l'équipe de France : "jonglaient", "Voltigeaient", "anticipaient la faille"). Dans l'esprit de l'enfant s'inscrit durablement l'image flamboyante des héros.

L'oncle ("Tonton Julien", "Tonton") participe, à sa manière, à cette mythologie. Marqué par une épreuve particulièrement douloureuse ("le souffle d’un train avait écrasé sa tête contre le ballast"), son corps en a gardé les séquelles ("le nez et le front parsemés de taches grises, / Incrustations d’huile et de mâchefer"), mais l'homme, à l'image des sportifs adulés, est particulièrement dur au mal (discours indirect : "Lui, disait que c’était comme ça la boxe d’avant-guerre").

De tels modèles, de tels exemples de courage et d'abnégation donnent au jeune garçon toutes les audaces, une sidérante intrépidité face au danger qui le menace à chaque instant sur le redoutable chemin du retour ("Je repartais le soir... / Tous freins lâchés dans la descente folle").

Merci pour ce partage !

   Pouet   
11/6/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bjr,

J'avais lu ce texte en EL et ne savais pas trop quoi en dire, toujours pas vraiment d'ailleurs.

Si j'en reconnais la qualité d'écriture, j'avoue demeurer un peu en retrait de ces souvenirs probablement très personnels. Le ton très prosaïque n'est pas forcément pour me déplaire mais je demeure un peu en dehors de la chose, cela ne me parle pas trop, sans vraiment pouvoir vous l'expliquer. L'impression de lire un morceau de mémoire en prose. Peut-être une question de génération, mais pas forcément, je sais pas. Ou alors il me manque un côté "universel"?

Seule la cinquième strophe me plaît vraiment, j'y ressens, de façon toute personnelle, beaucoup de poésie.

Voilà, un texte qui ne m'emballe pas plus que cela mais mon avis est loin d'avoir valeur de vérité universelle.

PS: détail mais pour rester dans le prosaïque, le titre fait bizarre, plutôt "la télé EN noir et blanc" non?

   aldenor   
14/6/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Il manque peut-être une certaine musicalité dans cette évocation nostalgique, mais j’ai beaucoup aimé la simplicité du ton, l’émotion de ces petits riens, ces noms égrenés de gens et de lieux légendaires.
La description des cyclistes est puissante. Par contre je trouve celle des rugbymen plus prosaïque. Deux beaux vers en conclusion.

Je me permets d’insérer ici un poème auquel le votre m’a fait penser. L’auteur est égyptien (inconnu ; le poème avait circulé en arabe sur le net) et ceci est ma traduction (assez libre, dans la mesure où j’ai tenu à conserver les rimes en ine-im)

« Il était une fois Sham-el-Nessim (a)

En l'année soixante cinq j’imagine,
Vêtu d'une djellaba en gabardine
Et buvant Pepsi, Ca-Cola ou Sinalco mandarine,
Avec des pistaches, des pépins ou des cacahuètes pralines,
Je hume ce parfum qu'on appelle le miel des assassines.
Du port des amoureux (Agami !) au quartier de Nahassine
Et du Max jusqu'à Attarine,
Les citoyens ont tous heureuse mine.
Je mange un sandwiche de fèves chez Benjamine

Sur le trottoir de Pastrodis le vendeur de colliers de jasmin chemine.
Le phare et la bibliothèque s’illuminent.
Je vais en carrosse à Ras-el-Tine
Farouk, Gamal et le pasha Nour-el-Dine
Chantent Gloire Gloire Gloire aux amours alexandrines
Les chrétiens entrent dans l'église Sainte Catherine,
Les musulmans disent Besm Allah el Rahman el Rehim

A la radio les chants de Abd-el-Halim
Au cinéma les films d'Ismail Yassine,
« Lutte dans la vallée » ou « Raya et Sekkine »,
Avec Negmat Ibrahim et Zouzou Hamdi Elhakim.
A la télévision le joueur du Ahly Saleh Selim

Au lycée Saint Marc frère Antoine chef des cuisines
A préparé le réfectoire : fourchette, cuiller et couteau lame fine
Frère Gilbert le frère des causes enfantines
Est assis dans le préau tenant un morceau de Kamareddine
BON SHAM-EL-NESSIM !!!»

a) Le Sham el-Nessim (« senteur de la brise ») est une fête égyptienne d'origine pharaonique, le premier lundi après la Pâque copte, célébrée par tous les Égyptiens (musulmans et coptes).


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