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Poésie en prose
Meaban : RC4
 Publié le 09/07/13  -  3 commentaires  -  2608 caractères  -  89 lectures    Autres textes du même auteur

L’insaisissable qui nous ronge, les chiens gras, les hommes rubiconds.


RC4



Indochines

Quand le vieux racontait l’Indochine, il fallait la fermer. Toujours le même rituel, il allumait une gauloise (celles en paquet bleu à l’effigie de Jacno, non plastifié). Il cherchait en grommelant son briquet, tirait une longue bouffée qui ressortait en volutes vers le ciel de ses souvenirs.
Cao Bang, la RC4, les calcaires de Dong-khê, on était tous partis assis autour de la nappe en toile cirée. Il avait gardé de là-bas un goût immodéré pour l’anisette qui avait le pouvoir inattendu de le rendre bavard.
Ce besogneux flegmatique ; précis dans le geste, mais d’une lenteur exaspérante lorsqu’il réparait nos vélos, sans desserrer les dents et nous fixant le regard cinglant ; devenait une sorte de conteur désabusé, sans effets de voix, un peu comme le témoignage d’un coupable passant aux aveux qui soulage sa conscience.
Ses yeux bleus se délavaient un peu comme s’il allait pleurer à l’évocation de son Viêt-Nam : l’avenue Paul Doumer, le ballet des tractions parfumé à l’essence, les cahots du Transindochinois en route pour Saïgon, le pont sur le fleuve jaune encombré de charrettes et de jeeps empressées…
Il y avait quelque chose d’insaisissable dans ce regard que je comprendrais plus tard. De cet insaisissable qui nous ronge souvent lorsque seul on retourne aux contrées insolites où il fait toujours beau, où germent des amours aux destins avortés.
De ce jour où je vis, aux vieilles ruses d’Hanoï, le pas des longues filles qui portaient l’áo dài. En ce jour de mousson aux ineffables poisses au milieu des étals et de ces vieilles portant chapeau conique en latanier, je compris à mon tour, qu’à cette heure, il flanchait…





Rivière des parfums elle s’épanche sereine, frôlant de vieux palais aux ocres décatis.
Préfectures désuètes en Asie déportées

Antipodes de routes menant vers Cao Bang, frontières indochinoises
Fièvre en pays de Chine

Ces filles magnifiques qui vont en áo dài avenue Paul Doumer
Le froissement des jambes

Indicibles taxis vont comme petits bộ độis aux discours d’oncle Hô
Foncent les tractions noires

Échoppes de guingois où de vieilles bancales aux rires édentés crochètent quelques đồngs, délivrant aux passants des morceaux de chien gras qu’on élève pour ça.
Gestes parcimonieux

Puanteurs d’essence et de soupe mêlées
S’égrènent lentement aux miroirs étamés
Alignés en parade sous les ventilateurs

S’y mirent des hommes graves, visages rubiconds


 
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   Anonyme   
9/7/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Comme d'habitude, ayant identifié l'auteur en Espace Lecture, je me suis abstenue de commenter ; mais je m'étais bien promis de le faire à la parution.

On reconnaît en effet votre "petite musique", cette manière bien à vous de transmettre des instantanés, comme de vieilles photos sépias, mais là vous changez de perspective, évoquez l'exotisme par l'intermédiaire d'un "vieux" d'ici.
C'est cette double détente que je trouve particulièrement intéressante ici : vous rendez comme familière l'étrangeté du monde. Par cette mise à distance (passage par un intermédiaire) qui se révèle rapprochement (c'est au milieu du quotidien qu'est évoqué le pays étranger), vous parvenez, à mon avis, à convoyer l'idée que le lointain est proche et le proche lointain, tous les hommes à la fois frères et irrémédiablement inconnus. Voilà du moins ce que je lis dans ce poème, "quelque chose d’insaisissable". Une très belle réussite, pour moi.

   Pimpette   
9/7/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Sans le com de Socque je n'aurais rien pigé!
Pourtant c'est fameux cette façon de rendre familier un pays inconnu, des femmes jamais rencontrées, des noms de pays du bout du monde où je n'irai jamais...
Tout devient proche et familier et m' émeut comme si vos souvenirs faisaient partie de mon passé!
Assez magique ce talent là!

   Elmousikas   
10/7/2013
Commentaire modéré

   brabant   
11/7/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Meaban,


Et voilà Meaban que vous nous menez aussi sur les routes indochinoises, avec leçon d'histoire en plus, la RC 4, la "Route du Sang" qui vit la défaite française. J'ai eu moi-aussi mon légionnaire au substitut de pastis (pour ne pas se dépayser. lol) qui lui faisait raconter les têtes coupées de ses frères d'arme fichées sur des pieux comme des lotus dans une clairière. Il avait fini comme le tien (tutoiement oblige ;) ) par avoir les yeux tellement délavés qu'il n'avait plus de regard !

J'ai appris "ao dai" : quelle élégance dans ce vêtement ! Et quelle poésie à lire : "..., aux vieilles rues d'Hanoï, le pas des longues filles qui portaient l'ao dai...
Ces filles magnifiques qui vont en ao dai...
Le froissement des jambes"
Quelle sensualité !
Voilà qui donne envie de faire, comme toi, sa valise pour les pays de la soie :)

Les Indochinois mangent du chien mais j'ai appris que pour rien au monde ils ne mangeraient du lapin. "Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà..." professait mon Maître.


Je suis bien certain que chacun trouvera son bonheur dans ce riche poème, ris complet. Lol :)))


p s : la répétition de "un peu" l. 7 et 9 est-elle voulue ?


Au plaisir d'autres voyages !


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