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Poésie contemporaine
noyan : Déjeuner sur l'herbe [Sélection GL]
 Publié le 07/08/14  -  8 commentaires  -  2030 caractères  -  176 lectures    Autres textes du même auteur

Tous ces fruits gorgés d'eau dont le nectar explose
Dans la bouche goulue où les lèvres s'exposent
À l'ivresse infinie des repas en plein air
On discute souvent en reprenant un verre


Déjeuner sur l'herbe [Sélection GL]




Alors qu'un vent léger traverse nos maisons
Dans l'aube de juillet où le matin se lève
Deux ou trois passereaux dès les premiers rayons
S'envolent de leur arbre en évitant la sève

Ils s'en vont repérer brindilles et nourritures
Pas loin d'une rivière où chante la verdure
Vers un prunier sauvage ils se posent un instant
Sur un carré de lin aux mets appétissants

Des tomates cerises attendent qu'on les goûte
Dans un panier garni transpirant de soleil
De rosé parfumé, le pain du casse-croûte
Du jambon de pays, la gelée de groseilles

Tous ces fruits gorgés d'eau dont le nectar explose
Dans la bouche goulue où les lèvres s'exposent
À l'ivresse infinie des repas en plein air
On discute souvent en reprenant un verre

Une prune tombée gît dans l'herbe flétrie
Elle est comme fondue dans sa chair tendre et molle
Son suc alambiqué envoûte nos chéries
Nos amies enivrées ont la tête un peu folle

Des pommes déformées se meuvent sur le lin
Qui éponge nos corps et les fruits et le vin
Nos mouvements sont lents sous le soleil aride
Notre démarche hagarde et nos pensées putrides

Et l'on peut voir éclore au fond de la mixture
Des larves scintillantes et champignons poudreux
Un marron métallique aux sinistres dorures
Une chair déformée par un abcès goitreux

Mais le pus qui en sort entre dans le cerveau
Allume sa cuillère où fleurit le pavot
Notre champ de vision s'éteint pendant sa dose
Dans ce coma blindé l'existence est en pause

Et tandis que nos corps s'habituent à la mort
Dans ce linceul de lin déposé sur la terre
Des passereaux hardis près du panier picorent
Les fruits doux délaissés soi-disant délétères

Les oiseaux de l'été déjeunent à foison
Ils décollent ils s'envolent volent volent volent
Dans une farandole folle folle folle
Qui donne vie à l'horizon


 
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   Myndie   
24/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une réussite que ce déjeuner champêtre qui s'ouvre sur une scène bucolique, tout en gourmandise et en gaieté un peu saoule, et se termine dans le sordide et l'ivresse empoisonnée.

Une première partie très visuelle, suggestive et généreuse comme une corne d'abondance qui laisserait déborder sur l'herbe ses couleurs, ses sons et ses saveurs.
La première strophe est à elle seule un souffle de fraîcheur et de légèreté.
Et puis la nourriture, les fruits : on les voit, on voudrait y mordre dans ces « fruits gorgés d'eau dont le nectar explose ».
Habile transition, le fruit justement, qui, de mûr devient lourd puis blet, guetté par la décomposition.
Comme les fruits, le champs lexical change et se corrompt. On parle d' « herbe flétrie », de « mixture », de « larves scintillantes », de « pensées putrides » et d' « abcès goitreux ».
Et s'ouvre le chapitre des paradis artificiels et de la déliquescence avec cette image très forte :
« mais le pus qui en sort entre dans nos cerveau »

Je trouve ce passage :
« Et tandis que nos corps s'habituent à la mort
Dans ce linceul de lin déposé sur la terre
Des passereaux hardis près du panier picorent
Les fruits doux délaissés soit disant délétères »

vraiment très beau et très parlant.

Les répétitions de la dernière strophe scandent le rythme de la dernière phase poétique et rendent bien cette impression de vision comateuse et délirante.

Il y a enfin, comme un fil rouge qui serpente à travers tout le poème, ce fameux « carré de lin » qui, à l'image de tout le reste, se dégrade petit à petit, et qui, d'abord garni « de mets appétissants », devient « le lin qui éponge (les) corps », pour finir en « linceul blanc » .

Je ne ferai qu'un tout petit reproche à ce texte bien construit et dont j'ai apprécié la richesse et la puissance d'évocation : dommage que certains vers soient composés de 13 pieds et cassent la belle fluidité du rythme :
« ils d'en vont repérer brindilles et nourritures »
« vers un prunier sauvage ils se posent un instant » (sur un prunier plutôt?)
entre autres, défaut qui pourrait facilement être corrigé.

Bravo vraiment et merci pour m'avoir fait emprunter ces chemins inaccoutumés.

   margueritec   
25/7/2014
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Manet revisité, une peinture d'un mauvais "trip" ou d'un "trip" qui débouche sur la mort ?

Je ne sais que penser ....

En revanche le basculement d'un déjeuner champêtre, joyeux, léger, vers un monde où notre esprit s'assombrit peu à peu sous l'emprise de ... est intéressant : le changement de registre (du léger, presque badin, on entre dans un monde mortifère : larves, sinistres dorures, abcès goitreux etc.) ôte à ce poème la "mièvrerie" qui le débutait.

De même la dernière strophe qui rejoint les premières clôt le poème comme si cette triste histoire n'était qu'une parenthèse dans le cycle de la vie.

Poème bien construit mais qui n'arrive pas à m'émouvoir.

   Anonyme   
25/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

Hé bien un poème surprenant, dès les premières lignes je m'attendais lire un poème très convenu et au fur et à mesure de ma lecture j'ai été bluffé par la vision peu ragoutante et surtout très descriptive de fruits en décomposition et cette dernière strophe est pour moi splendide, j'aime entendre cet écho:

"Ils décollent ils s'envolent volent volent volent
Dans une farandole folle folle folle "

Ce passage apporte un grain de folie, c'est agréable à lire.

A partir de la 6ème strophe il n'est pas que question de pourriture, à croire qu'il y a eu un truc nocif, du poison dans les fruits.
Bien que le passage:

"Les fruits doux délaissés soit disant délétères"

Le "soi disant délétères" me pose question, et apporte alors du mystère à cette petite hécatombe.

Il y a juste le 2éme vers de la 8ème strophe que je ne comprends pas mais c'est un détail.

Vraiment ce déjeuner sur l'herbe est un triptyque mettant en scène la vie, un joli décor: passereaux, prunier, mets appétissants... qui vire au tragique, à la mort.

C'est très visuel, c'est ensoleillé, coloré, vivant. Une lecture très intéressante.

   David   
26/7/2014
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Il y a un basculement du poème au niveau de la strophe qui sert de préambule. Avant, tout semble décrire un tableau joyeux et bucolique, puis ça tourne à quelque chose que j'imagine un tableau de cauchemar, un empoisonnement peut-être, ou alors j'ai pensé que le narrateur était outré des discussions des personnes qui suivaient ce si charmant pique nique (à causes de "pensées putrides", les strophes 7, 8 et 9 qui pourraient être allégoriques) dont il fait peut-être partie.

Mais bon, je recompose un peu après coup. Le début est chantant, mais le dernier couplet est lui tomber vraiment à plat pour moi, comme s'il revenait sur la joie du début peut-être. Je trouve qu'il faudrait cerner un peu mieux l'ambiance glauque de milieu de poème, si c'est bien ça, ou alors choisir des images plus en accord avec un "charmant pique nique" même s'il me semble que ce n'est pas exactement l'intention.

   Anonyme   
7/8/2014
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Pour le fond, j'aime le sujet de ces fruits, qui, comme tout ce qui vit, ne dure qu'un temps.

L'histoire est bien menée. On est pénétré par cette ambiance estivale où la nature offre sa chaleur pour un moment de joie simple, mais tellement agréable.

L'organisation des quatrains en rimes croisées et suivies un quatrain sur deux est du bel ouvrage.
Pour la dernière strophe, je n'ai pas compris pourquoi, elle ne suivait pas ce schéma.

Par contre, pour l'écriture, Les rimes F et M sont mélangées, sans ordre précis. Certains quatrains sont en rimes féminines, d'autres en féminines/masculines.

Certains vers demanderaient selon moi, et cela n'engage que moi, un peu plus de réflexion, tel celui-ci :

"Vers un prunier sauvage ils se posent un instant"

Pourquoi ne pas l'écrire ainsi pour mieux l'assoir et l'imposer ce prunier ?

Près d'un prunier sauvage ils se posent un instant

De même pour

Quelques rimes sont riches, mais avec ce mélange de singulier et pluriel en diminue la qualité.

On trouve aussi quelques beaux alexandrins.

La ponctuation aussi n'est pas toujours au rendez-vous et pourtant sans elle, la compréhension, la musicalité du poème n'est et ne peut être la même.

Bien amicalement

Labelryme

   Anonyme   
8/8/2014
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Noyan,

J'ai hésité à commenter votre texte.
Ce basculement rapide, brutal me heurtait. Je suis donc parti lire vos autres textes (hors chansons) et y ai découvert quelques constantes : la décomposition physique, la putréfaction.
Je vous cite :
"Pénétrez en moi, serpents venimeux,
Crotales et cobras, couleuvres et vipères !
Mon corps est un nid dont je suis le père :
Chérubins putrides des enfers brumeux.

Mon corps donne vie à des asticots.
Reposez sur moi, vermines écarlates !
L'éternel sommeil dans un lit de blattes
Dévore un par un mes nerfs cervicaux."
http://www.oniris.be/modules/poesies/comment_new.php?com_itemid=4430&com_order=1&com_mode=flat

et ici :
"Et l'on peut voir éclore au fond de la mixture
Des larves scintillantes et champignons poudreux
Un marron métallique aux sinistres dorures
Une chair déformée par un abcès goitreux

Mais le pus qui en sort entre dans le cerveau"

Les oiseaux et leur vie indépendante de celle du narrateur qui les observe, les envie peut-être ?

"Dans la nuée enchanteresse
Une voix
Une voix qui a fait florès
Nous envoie
Nous envoie d'attrayants ramages
De pinsons
De pinsons libres qui voyagent
En chanson"
http://www.oniris.be/modules/poesies/comment_new.php?com_itemid=5416&com_order=1&com_mode=flat

et ici :
"Les oiseaux de l'été déjeunent à foison
Ils décollent ils s'envolent volent volent volent
Dans une farandole folle folle folle
Qui donne vie à l'horizon"

Comme si le narrateur, dès qu'il se trouve dans un environnement paisible, idyllique, coloré, sucré,... ne pouvait, presqu'à la seconde, et de manière récurrente, s'empêcher de créer des visions pour le moins grouillantes de vermines, de reptiles se tortillant dans ses pensées, de décomposition de lui-même et des belles choses qui l'entourent.
Avec fascination tant pour le "beau"
("Pas loin d'une rivière où chante la verdure
Vers un prunier sauvage ils se posent un instant
Sur un carré de lin aux mets appétissants")
que pour sa "destruction"
(Sur le cadavre puant d'un crapaud.)...


Ce sont des textes bipolaires en tout cas. Bien écrits, comme l'est celui-ci.
Avec quelques suprises en termes de contenu (rime oblige sans doute) :
"Deux ou trois passereaux dès les premiers rayons
S'envolent de leur arbre en évitant la sève"

"Son suc alambiqué envoûte nos chéries"

Vous me chahutez un peu mais on ne peut nier votre travail.


Surprenants

   Cox   
8/8/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Ouf !

J'ai cru qu'on allait vraiment avoir droit à un mièvre pique-nique sous les frondaisons riantes avec pour seule incartade le sourire béat de "nos amies enivrées [qui] ont la tête un peu folle".

Au lieu de ça, le rebondissement est assez intéressant quoi qu'un peu extrême.
Si j'avais deux reproches ce serait d'avoir laissé traîné le pique-nique jovial un peu trop longtemps à mon goût (j'ai failli arrêter de lire, lassé, avant d'arriver aux dégueulasseries grouillantes; c'eût été dommage !), ainsi qu'un revirement un peu trop brutal; tant de violence et d'horreur qui naissent d'un seul coup dans vos mots après un début si sucré, ça fait apparaître les deux comme assez artificiels, et ça vous empêche d'être pleinement convaincant. Si ça avait été fait dans un but de second degré, ça aurait été intéressant, mais il aurait fallu forcer le trait ou nous donner plus de pistes.


Sinon, pour le reste, c'est un sacré "bad trip", assez réussi dans le genre poésie macabre, et j'ai trouvé la fin très réussie.
Ca m'a fait penser à une fin toute cinématographique où, après avoir filmé la mort des héros, la caméra tombe de travers sur le sol et laisse voir ses oiseaux qui s'échappent et s'envolent.

   noyan   
9/8/2014


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