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Poésie classique
pieralun : Sursis
 Publié le 22/10/14  -  16 commentaires  -  1494 caractères  -  318 lectures    Autres textes du même auteur


Sursis



Pas de Lune au couchant. Une vague lumière,
Froide et bleue, et pleuvant du haut d'un réverbère,
Dévoila, se dressant au milieu du trottoir,
La Dame en oripeaux ondoyants dans le soir.

Tout son être exhalant la pâleur des chloroses
Semblait se découper sur fond de toutes choses.
Plus près de la lueur, la voyant au travers,
Je sus qu'elle mangeait le pain de ses hivers.

Ses yeux ! deux puits sans fond, l'iris couvert d'un voile,
S'enfonçaient où la ride avait ouvert sa toile
Et sa bouche, un sourire en dedans replié,
Racontait tous les maux de l'émail oublié.

Son habit n'avait pas le lustre des soieries,
Point de nacre aux boutons, ni blanches broderies ;
Loin des robes d'un soir, sa chemise en lambeaux
Était faite au burin pour le bal des tombeaux.

Elle me regardait avec un air étrange
Où le diable userait de la douceur de l'ange
Et, laissant résonner sa ténébreuse voix,
Me dit : "Il va falloir que vous fassiez un choix ;

Soit prenez le chemin que longe la pelouse,
Soit voyez ce qu'aucun des hommes ne jalouse :
Un corps meurtri par l'âge et qui dort sous ces draps !"
Ce pauvre corps, pourquoi ? je le pris dans mes bras

Et baisais le contour estompé de sa bouche ;
Puis, quittant pas à pas la froideur de sa couche,
Je vis, me retournant à ses cris triomphaux,
Sur le gazon la Mort qui ramassait sa faux.


 
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   Anonyme   
29/9/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
"Et sa bouche, un sourire en dedans replié,
Racontait tous les maux de l'émail oublié."
Ces vers pour moi expriment bien l'ambiance qui me plaît dans ce poème, d'effroi et de prosaïque mêlés.

Le thème me rappelle "Oncle Archibald" de Brassens.
"Si tu te couches dans mes bras
Alors la vie te semblera
Plus facile
(...)
Et les voilà bras-d'sus bras-d'sous
Les voilà partis je n'sais où
Fair' leurs noces"
... mais en moins net dans le propos : pourquoi ce "chemin qui longe la pelouse" et permet apparemment d'échapper au sort commun ? J'avoue que je n'ai pas compris, pour moi cette précision a embrouillé les choses.

Sinon, quelques vers ressortent pour moi, sont un cran au-dessus à mon avis ; outre ceux cités ci-dessus :
Je sus qu'elle mangeait le pain de ses hivers.
sa chemise en lambeaux
Était faite au burin pour le bal des tombeaux.
Ce pauvre corps, pourquoi ? je le pris dans mes bras (touchant, à mon avis)

Un regret sur la répétition de "tout", "toutes" en deux vers :
"Tout son être exhalant la pâleur des chloroses
Semblait se découper sur fond de toutes choses."
Je trouve que cela fait un peu cheville.

Les rimes m'ont paru soignées et solides.

   Anonyme   
22/10/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonsoir... Une prosodie classique parfaitement respectée et un baiser de la mort qui fait un peu froid dans le dos...
J'ai fait le rapprochement avec l'Ankou, ce serviteur de la Mort toujours craint en Bretagne.
Je n'ai pas très bien saisi où l'auteur veut en venir pas plus que le Sursis qui sert de titre à ce poème mais j'espère que ce texte paraitra et que nous aurons l'occasion d'en reparler...
Un bon poème classique malgré cette incompréhension... provisoire

Edit... Merci poète ! Tout est clair !

   Anonyme   
22/10/2014
Bonjour Pieralun
J'imagine que tu as choisi les rimes plates pour éviter toute fantaisie de nature à nuire au funèbre de la situation.
Sois rassuré, ça fonctionne.
Sinon le texte est fluide et les alexandrins bien balancés. Mais n'est-ce pas le minimum syndical ?
Quelques très beaux vers ont le charme des fleurs du mal.

"Son habit n'avait pas le lustre des soieries,
Point de nacre aux boutons, ni blanches broderies ;
Loin des robes d'un soir, sa chemise en lambeaux
Était faite au burin pour le bal des tombeaux."

J'ai cru deviner l'alternative un peu floue de l'avant dernier quatrain
la camarde te laisse le choix de vieillir ou de décéder sur le champ (ou plutôt sur la pelouse ^^)

Comme le confirme le titre, tu as fait le bon choix. Pour l'instant ^^

Merci Pieralun.

   pieralun   
22/10/2014
Pour Alex et tous ceux qui ne comprennent pas le titre.
Le narrateur croise La Mort.
Elle lui donne le choix entre passer son chemin en prenant le sentier que borde la pelouse, ou affronter la vieillesse en la contemplant.
Il fait mieux, s'en va, et en se retournant vois La Mort qui ramasse la faux: cette dernière était posée dans le gazon, au bord du chemin qui aurait pu être la solution de son choix.........
Comme le narrateur est mortel, il s'agit donc d'un sursis.

   Agueev   
22/10/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
On est très vite plongé dans l'atmosphère de ta ténébreuse histoire. Et pourtant je ne suis pas fan de ce classicisme dans la forme. Mais les formules sont efficaces et certaines m'ont touché :
"Loin des robes d'un soir, sa chemise en lambeaux
Était faite au burin pour le bal des tombeaux" ou
"Elle me regardait avec un air étrange
Où le diable userait de la douceur de l'ange".
Jolie dernière strophe.

   Robot   
22/10/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Voilà un texte à l'écriture soignée dont il reste quelque chose au lecteur après l'avoir lu. La rédaction crée l'ambiance de l'histoire qu'elle nous conte. Cela m'a rappelé cette légende persane du cavalier qui aperçoit la mort à Bagdad, fuit à Téhéran. Il croit lui avoir échappé définitivement, mais elle est là devant lui et lui dit:
"à Bagdad nous faisions seulement connaissance, mais ton heure ultime était prévue ici à Téhéran."
J'ai bien aimé la description de la faucheuse ! Et le dernier quatrain est une réussite.

   Anonyme   
23/10/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Pieralun
Fidèle à mon habitude, je ne m'attarde pas sur la forme.
Je trouve le sujet traité de façon subtile avec de belles images. Et j'apprécie encore plus ce texte après avoir lu votre explication.
Merci.

   Pimpette   
22/10/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Pieralou

Joli titre...

Tu as l'art, avec des vers parfaitement classiques de pondre une poésie parfaitement libre!

le sujet de la vieille pute sous un réverbère noyé de pluie métaphore de la Mort! renouvelle bien la scène de mort...comme il existe des scènes de crime!

Loin des robes d'un soir, sa chemise en lambeaux
Était faite au burin pour le bal des tombeauxé

mais d'autres sont aussi bons...
"

   leni   
22/10/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Pieralun
La faucheuse nous tient en sursis Quelles que soient les propositions
qu'elle nous fait si on la rencontre Elle aura le mot de la fin Merci du com qui m'a aidé

j'ai beaucoup aimé ce quatrain:

on habit n'avait pas le lustre des soieries,
Point de nacre aux boutons, ni blanches broderies ;
Loin des robes d'un soir, sa chemise en lambeaux
Était faite au burin pour le bal des tombeaux.


Merci pour cet excellent moment

Salut cordial Leni

   David   
22/10/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Pieralun,

C'est comme un cauchemar, une angoisse de la mort résolue par une idée du "moins pire" et rien n'y prépare pendant la majeure partie du poème, c'est en quelques vers que le tour se joue. Peut-être la majuscule à "Dame" au tout début annonçait le personnage de la mort sous les traits de cette vieille femme, plus loin il y aura aussi l'évocation du "bal des tombeaux", mais je lisais plutôt une incarnation d'une profonde misère la première fois je crois dans ces descriptions.

Bref, c'est le poème érotique le plus morbide que je n'ai jamais lu, le ton pourrait faire croire à un récit d'un Allan Poe, un ton de vieux conte fantastique très bien réalisé.

   Francis   
22/10/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai pensé au poème : la mort et le bucheron de La Fontaine en lisant vos vers d'une grande beauté:
"s'enfonçaient ou la ride avait ouvert sa toile
point de nacre aux boutons ni de blanches broderies
était faite au burin pour le bal des tombeaux..."
Accepter de vieillir n'est pas chose facile mais ....!

   Michel64   
22/10/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Voilà de beaux alexandrins comme je les aime aux rimes et césures impeccables servant un propos original et à la chute que je n'ai pas vu venir.

Mes vers préférés :

"Loin des robes d'un soir, sa chemise en lambeaux
Était faite au burin pour le bal des tombeaux."

Peut-être à "la pâleur des chloroses" qui fait un peu produit chimique à cause de ce chlore j'aurai préféré "une pâleur morose"
Mais bon.

Bravo Pieralun

   jfmoods   
23/10/2014
Ta camarde m'en rappelle une autre, commentée il y a peu. Sept quatrains également, mais en octosyllabes. Plus provocatrice, plus baudelairienne. La tienne est... plus philosophe, en quelque sorte. Ce que ton poème perd en soufre, il le gagne en virtuosité.

Plusieurs procédés confèrent à ton texte un relief particulier. Les majuscules ("Lune", "Dame", "Mort") mettent en lumière les éléments clés du récit. La gradation anaphorique qui s'étend sur les vers 5 et 6 ("Tout son être", "toutes choses") matérialise une contamination de la perspective. Les incises, construites sur des participes présents ("pleuvant du haut d'un réverbère", "la voyant de travers", "laissant résonner sa ténébreuse voix", "quittant pas à pas la froideur de sa couche", "me retournant à ses cris triomphaux") et sur un participe passé ("un sourire en dedans replié"), ménagent autant d'effet d'attentes particulièrement efficaces. En contraste, les enjambements (vers 5-6, vers 15-16, vers 17-18, vers 24-25) accélèrent le rythme de la narration. Le recours au discours direct dramatise le propos.

Cité par la plupart des commentateurs, le vers 16...

"Était faite au burin pour le bal des tombeaux."

… m'apparaît comme le plus imagé de ce poème, notamment par son allitération en "b". Il mériterait d'être étudié avec une particulière attention.

Merci pour ce partage !

   deep   
23/10/2014
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un très beau poème qui s'inscrit dans les traces des "fleurs du mal".
C'est avec des rimes "haute couture" que tu habilles une situation qui glace le sang, que tu déshabilles une grande faucheuse en la regardant en face et que tu maintiens le suspense sur ton sort jusque dans le dernier quatrain.
Le troisième quatrain est particulièrement réussi, la description du visage de la mort vue en face.
Ses yeux ! deux puits sans fond, l'iris couvert d'un voile,
S'enfonçaient où la ride avait ouvert sa toile
Et sa bouche, un sourire en dedans replié,
Racontait tous les maux de l'émail oublié

"les maux de l'émail oublié", image très évocatrice

L'effroi du début cède peu à peu la place à un semblant d'espoir d'échapper à l'inéluctable. Mais très vite l'étau se resserre à nouveau et la mort qui paraissait presque sympathique rappelle à ce mortel qu'il n'obtiendra tout au plus qu'un sursis en faisant le choix de la "petite mort", celle qui laisse suffisamment de temps pour que l'on supplie de l'abréger.

A la roulette russe, tu t'en sors bien, tu as pris le chemin qui borde la pelouse. Le narrateur reste lucide.

Merci pieralun pour ce beau poème qui fait froid dans le dos

   Pussicat   
24/10/2014
Bonjour,
Je suis entrée sans difficulté dans ce décor, il faut dire que la porte était ouverte ; quelqu'un, quelqu'une, quelque chose était passé(e) par là, peut-être était-il, elle, encore présent(e)...
Je pense que que la répétition du son "an" (participe présent, adjectif, nom) dans les deux premiers quatrains nuise à la musicalité des vers : "couchant, pleuvant, dressant, ondoyants, exhalant, voyant..." pas trop n'en faut.
Vous avez choisi de l'écrire au passé. Je voyais bien l'entame au présent :
"Pas de Lune au couchant. Une vague lumière,
Froide et bleue, et pleuvant du haut d'un réverbère,
Dévoile, se dressant au milieu du trottoir,
La Dame en oripeaux ondoyants dans le soir."
En parlant d'entame : "Pas de Lune au couchant" est une merveille.
J'en viens à ces deux vers :
"Tout son être exhalant la pâleur des chloroses
Semblait se découper sur fond de toutes choses."
Vous mêlez deux sens, l'odorat et la vue : "exhalant la pâleur" pour construire un tableau naturaliste. C'est très beau.
Je passe sur les facilités comme "Ses yeux ! deux puits sans fond,..."
Je retiens :
"Loin des robes d'un soir, sa chemise en lambeaux
Était faite au burin pour le bal des tombeaux."
il y a du Hugo là-dedans.
Et puis, vous reprenez le pli : "laissant résonner, quittant pas à pas, me retournant à..." du son "an" dans les derniers vers.
Mais je me demande si cela a réellement beaucoup d'importance et fausse autant ma lecture, parque je suis sur le point de vous dire que j'ai passé un bon moment à vous lire.
Une poésie classique sur un thème usé certes mais bien réalisée.
Les rimes volontairement recherchées passent très bien.

Une dernière remarque :
"Et baisais le contour estompé de sa bouche ;"
Le baiser de la mort ? un hommage ? sinon n'est-il pas déplacé, ce baiser?
A bientôt de vous lire

   senglar   
13/11/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Salut Pieralun,

Que voilà un étrange poème - aux accents baudelériens assurément - qui émeut et effraie à la fois !

ll y a ici toute la pauvreté, et la désespérance, et la mort - babélienne, inéluctable - de la prostituée ; la pitié aussi du citadin qui veille ; où triomphe cependant le diable du suaire de l'ange vêtu.

Oh la ville n'a toujours que des lambeaux de nature, et les artifices se dissolvent dans leur froideur policée.


Quelques observations dont tu feras ce que tu voudras :
- "se dressant" n'est-il pas trop positif, péremptoire, appuyé pour une dame certes allégorique ("D") qui ondoie ?
- de même exhaler n'est-il pas trop fort pour chloroses ?
- un bouton est de nacre ou pas... ceux-ci sont-ils d'os ou de bois ?


Pour l'ensemble : une atmosphère remarquable, très bien rendue. Des passages qui résonnent, impressionnent et intimident.

La canne ici retentit au pas du dandy frappé d'une grâce manifestement cérémonielle.


brabant


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