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Poésie libre
Pouet : Cœur de terre
 Publié le 23/09/19  -  18 commentaires  -  1903 caractères  -  378 lectures    Autres textes du même auteur


Cœur de terre



Quand l'ailleurs tangue
au rythme
des spasmes de l’automne
le masque des saisons
est mon unique horloge

autour de moi s’échouent
tels des totems d'encre
les coques parcheminées
de navires démolis

une petite fille-nuit


les saules aux capes tristes sont ma seconde peau
leurs racines empruntent le delta de mes veines
sourire en chapelet de mousses écarlates
je connais cette forêt
bien mieux que mes douleurs

tient à bout de prunelles


le soleil vient de naître et cela me suffit
le jour ne tient jamais ses promesses diaphanes
étourdi par la toux des tocsins de l’éveil
je tresse les nervures de l'écume sylvestre

un panier perforé


Debout !

mon âme fixe le destin accroupi

les souvenirs se mêlent aux épaves azurées
ritournelle d'un brisant en mon esprit défait
les sentiers mènent tous au départ pourrissant
et je crois que jamais
je ne fus un enfant

chaque étoile qu'elle ramasse


les ressacs du silence cisèlent mes pensées
l'écluse d’un nuage modèle mes regrets
d’une flaque de vent jaillissent mes mouvements
je traîne derrière moi
le cadavre du Temps

chaque étoile qu'elle ramasse...


juché en fossoyeur sur une bouée de brume
nostalgie souterraine aux rivages célestes
les bouteilles hurlantes se sont trompées de port
...





comme un oiseau de rouille pleurant des cages ouvertes
je me pare
d'embruns de liberté fortuite
parmi les feuilles mortes et l'étale de l'aube

l'espoir ne suffit plus pour que brille l'osier.


 
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   Myndie   
6/9/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Vos vers portent en eux des sensations fortes, des images pas toujours limpides, qui se refusent au bon sens mais qui éveillent l’imagination.
C’est bien de laisser tout cela transgresser et de s’émanciper des carcans.
C’est laisser librement filer l’émotion poétique et la donner à recevoir : ce qui est écrit n’est ni triste, ni gai, c’est le lecteur qui l’est et ce que vous lui offrez à partager reflète tout ce qu’il porte en lui. C’est un exquis plaisir.
Sur la forme, je suis un peu plus partagée :
Le plus : j’y vois une peinture toute en mouvement. La structure stylistique donne toute sa saveur à la personnalisation avec ses vers en contraste qui décrivent une scène unique : la petite fille nuit qui ramasse des étoiles dans son panier.
La 1ère strophe est une jolie accroche.
J’ai aussi apprécié ces vers qui sont un choc de trouvailles, de lueurs ou d’harmonie musicale :

« sourire en chapelet de mousses écarlates »
« le jour ne tient jamais ses promesses diaphanes »
« étourdi par la toux des tocsins de l’éveil
je teste des nervures de l’écume sylvestre »
ou encore
« les ressacs du silence cisèlent mes pensées »

A l’inverse, j’ai regretté l’emphase, le côté ampoulé des vers 10-11, et de la 5ème strophe (« les souvenirs se mêlent aux épaves... »)

Dans l’ensemble, j’ai trouvé votre poème très séduisant et j’en salue l’originalité.

   Ioledane   
8/9/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
De très belles images dans cet écrit :
"le masque des saisons est mon unique horloge"
"le jour ne tient jamais ses promesses diaphanes"
"je traîne derrière moi le cadavre du Temps"
J'aime beaucoup également les "embruns de liberté fortuite".

J'ai moins accroché avec "nostalgie souterraine aux rivages célestes", je ne sais trop pourquoi, peut-être parce que ce vers semble assez plat en comparaison du reste si original et recherché.

Il se dégage de ce poème une âpre tristesse, mais pas seulement, il y a aussi quelques étincelles ténues, celles auxquelles on a envie de croire.

Je précise aussi que j'ai dû me "forcer" pour lire les vers en italique, trop loin à droite à mon goût, d'autant que le reste se suffisait très bien à mes yeux. Cela dit, isolément, cette phrase en italique bien qu'un peu bancale comporte elle aussi de très jolies images.

   Anonyme   
23/9/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Chaque fois que Pouet poétise, je me laisse embarquer vers ses contrées tissées d'une douceur infinie. De cette douceur qui pince de toute sa tristesse au creux de l'âme.

Je ne décrypterais pas l'histoire, elle est mon jardin secret, mais si toutes les strophes viennent à la suite l'une de l'autre comme si elles ne pouvaient faire autrement, une me touche plus particulièrement :

''les saules aux capes tristes sont ma seconde peau
leurs racines empruntent le delta de mes veines
sourire en chapelet de mousses écarlates
je connais cette forêt
bien mieux que mes douleurs''

En pendant, j'aime beaucoup l'autre poème qui se dessine comme pour encadrer et soutenir l'autre... Celui "d'une petite fille-nuit, qui tient au bout de ses prunelles un panier perforé, et chaque étoile qu'elle ramasse, et cet espoir qui ne suffit plus pour que brille l'osier " parce que j'aime bien le langage des petites filles, je crois...

Désolée de ne savoir dire mieux que j'aime passionnément.


Cat

   Vincente   
23/9/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Deux existences avancent en parallèle. L'une, paternelle, lancinante et incertaine, précèdent la première de deux strophes, le temps de sa jeunesse qui lui a délivré la magique "petite fille-nuit", elle sera l'autre qui portera "à bout de (ses) prunelles" ce papa qui doute entouré de "ces totems d'encre / les coques parcheminées / de navires démolis", lieu de son enfance aux référents(ces) endommagés.

Les incises en italiques, comme des touches d'espérance, viendront jusqu'à la fin apporter par touches discrètes mais vitales leur forme inclinée, signifiant une propension à l'envol et au mouvement. Cet ensemble en italique est un poème en soi (l'on peut le lire séparément), son intégrité apparaît comme une évidence, celle la vie de l'enfant, qui assoit la nécessité de vivre de l'adulte. L'un et l'autre sont donc ici interdépendants, dans une perspective de continuité ; le paradoxe semblant poindre par contre est comme une inversion des besoins premiers, le père paraît ici porté par l'enfant. Mais les parents ne sont-ils pas de simples passeurs pour leur progéniture comme le suggère Christian Bobin ?

Terriblement, le doute de l'expression paternelle semble avoir gagné celle de l'expression italique, l'enfant devenu adolescent aurait-il des états d'âme en errance ? Sa brillance perdrait-elle de son éclat fabuleux ? Le poème laisse au temps l'écriture de la suite dans une sorte d'espoir vertigineux.

Dans le parcours des états de pensées du narrateur, beaucoup d'images veulent accroire l'impression de malaise existentiel, elles sont riches, comme par exemple ici,
" leurs racines empruntent le delta de mes veines
sourire en chapelet de mousses écarlates
je connais cette forêt
bien mieux que mes douleurs
"
(d'ailleurs, je trouve un peu "bizarre" le vers précédant, "saule" au singulier serait plus probant, mais encore mieux, il faudrait remplacer par "la robe du saule à la cape triste est ma seconde peau" ; par exemple)

J'aime beaucoup : " le soleil vient de naître et cela me suffit". Très beau ce soleil/enfant ! Essentiel ce petit être autant que le majeur et immense générateur de lumière et chaleur.
J'aime aussi beaucoup, sans être exhaustif : " mon âme fixe le destin accroupi" et " les sentiers mènent tous au départ pourrissant". Ce départ pourrissant pouvant exprimer la vie qui dès son entame réserve son lot de désaffections, l'arrivée dans l'âge adulte où les visions exaltantes de la jeunesse commencent à se pervertir, à se révéler mirages, encore et surtout, la mort qui est à la fois une fin et un départ pourri par l'impériosité du néant.

La dernière strophe est superbe.

Ce poème est une œuvre libre, l'enfermement psychique du narrateur en devient relatif, la "cage reste ouverte" à tel point que le regard a pu apporter la respiration et l'inspiration au geste d'écriture. Libre et original, riche et très impliqué, l'ensemble est criant de vérité, et très émouvant.
Je me suis étonné de ne pas y voir poindre la maman ?!...

   leni   
23/9/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
BSR CAMARADE

je traîne derrière moi
le cadavre du Temps
C'EST Superbe AMI poète de ton temps


ET tout est à l'avenant
les saules aux capes tristes sont ma seconde peau
leurs racines empruntent le delta de mes veines
sourire en chapelet de mousses écarlates



je connais cette forêt
bien mieux que mes douleurs

oui tu es en grande forme

les ressacs du silence cisèlent mes pensées
l'écluse d’un nuage modèle mes regrets

juché en fossoyeur sur une bouée de brume
je cesse de citer je relis



je traîne derrière moi
le cadavre du Temps



MERCI pour la beauté LENI

   troupi   
23/9/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bien sûr avec Pouet on ne peut pas s'attendre à du banal et les expressions, idées, images originales sont partout.
C'est ce qui fait l'intérêt de ce poème assez hermétique pour moi malgré plusieurs lectures attentives.
Je n'ai pas réussi à créer un lien entre les deux parties.
Heureusement que la poésie ne demande pas à être comprise pour être appréciée.
J'espère Pouet que tu éclaireras un peu ma lanterne en forum.

   Anonyme   
24/9/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Edit : avec un titre tel que "Complainte de la terre" le voile se dissipe.
La petite fille est la nuit.
Reste "je ne fus un enfant, totems d'encre,Quand l'ailleurs tangue au rythme des spasmes de l’automne" à expliquer.
Captivé par la mélodie, je me suis appliqué à comprendre, sinon à envisager un sens logique. A la énième lecture, jaillit l'étincelle. La mienne.

   Davide   
23/9/2019
Bonjour Pouet,

J'ai rarement autant lu et relu un poème avant de tenter un commentaire. Le lyrisme de ce poème m'a séduit tout de suite, j'y ai senti le ton de la confidence, une histoire qui vient du "cœur" (de terre). Mais voilà... quel est ce narrateur qui se dévoile et cette petite fille-nuit qui accompagne ses tourments ?

La vastitude de la mer porte la complainte d'un narrateur désabusé, traînant derrière lui le "cadavre du Temps". Je l'ai tout d'abord pensé vieux, à l'orée de la mort, lorsque l'horloge n'est plus que "le masque des saisons", mais je me suis vite ravisé. J'ai voulu alors le voir enfant, petit "soleil" venant de naître, à l'époque où l'horloge n'est encore que "le masque des saisons"... Mais ça ne collait pas.

J'ai ensuite regardé plus attentivement le cheminement intérieur dessiné par le poème. Et là, j'ai ressenti la présence d'un père - furtivement arraché à sa mélancolie - dont l'enfant (petite fille-nuit) venait de naître : "Debout !" Quel beau "destin accroupi" s'il est celui qui réunit un père et son enfant !
Mais la noirceur revient vite, nuages et canopée occultant le soleil, où l'oiseau libre de l'enfance n'est qu'un "oiseau de rouille pleurant" sur son sort.

N'oublions pas, il y a cette petite fille au "cœur de ciel" dont les rêveries se meurent aussi dans la triste réalité du monde. Il semblerait que même la magie de l'imaginaire enfantin ne puisse y survivre.
Ces "embruns de liberté fortuite" ne sont-ils que des moments de grâce volés à l'espoir, celui d'une vie heureuse, celui d'une enfance qui n'est plus, qui n'est pas, et qui n'a peut-être jamais été ?
En effet, ces vers en italiques, concis, presque laconiques, nous font tellement sentir la détresse d'aimer, dans une rencontre suggérée entre la vie et la mort. Et que dire de cette image : "au départ pourrissant" ? Tout est-il couru d'avance ?

Pour moi, ce poème immensément touchant, d'un intriguant pessimisme larmoyant, a pourtant un défaut : sa complexité.
Il en faut de l'audace pour tenter autant de mariages improbables de mots et saturer son écriture d'adjectifs épithètes, sans parler de la longueur du poème et du petit parallèle en italique... Même si l'on sent la sincérité tout au long de la lecture, il se dégage une emphase qui flirte avec l'artifice. Et c'est dommage !

Je n'ai sans doute pas tout compris, peut-être suis-je à côté de la plaque, mais je trouve ce poème beaucoup trop ambitieux. Pour cette raison principalement, je m'abstiendrai de donner une appréciation.

Merci du partage,

Davide

   krish   
24/9/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Étape ultime de la vie avant une expérience d'un changement d'état. Se détacher semble le meilleur moyen de s'y préparer.
Je l'ai trouvé ce détachement et cette fusion originelle avec la nature ce retour aux sources même de l'Humanité. Subsiste encore la crainte, les regrets, une forme de nostalgie envers ce qui fut ou qui aurait pu être et dont il ne reste que des vestiges et les vertiges.
Certaines images sont magnifiques, d'une grande beauté. Merci pour ce magnifique cadeau qui n'aurait pourtant pas pu exister sans la magie du temps...

   Marite   
24/9/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Séduite dès la première lecture par les images évoquées dans ces vers ... Tout particulièrement par les deux premières strophes qui ouvrent le chemin vers un ressenti poétique réel que je peine à formuler.

   hersen   
24/9/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Il y a un aspect "ambitieux" à ce poème. je ne trouve pas d'autres mots qui sonneraient plus juste.

Je ne prends pas ce mot dans un sens négatif, bien au contraire. Je ressens une intention très forte et le complexe est accompagné d'un panier d'osier sans espoir que tient la petite fille.
C'est cette opposition surtout qui me parle, que je trouve forte. Cette opposition crée d'elle-même une image, j'irais presque jusqu'à dire peu importe les mots (du coup, c'est une image, tu comprends ce que je veux dire, je pense)
je regrette cependant une certaine complexité générée par une richesse trop voyante, qui jure pour moi avec l'idée.
je lis de très beau passages, mais d'autres me donnent l'effet d'être un peu engoncé pour rejaillir pleinement sur le lecteur.

Si je ne cite aucun passage pour expliciter, c'est parce que mon impression reste diffuse et que dans ce poème, qui je pense a été pas mal travaillé, les supports du texte, de l'idée de fond, ne sont peut-être pas là où je les vois. Ce fait même, du coup, est aussi un avantage, car j'ai pu m'y promener à diverses reprises, m'interroger.

merci pour cette lecture qui ne laisse pas indifférent.

   Recanatese   
24/9/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Pouet,
j'ai hésité à commenter tant il m'est impossible de me hasarder à une quelconque exégèse de ce texte. Et pourtant, vos vers me sont arrivés à l'âme sans détour, ainsi que peut le faire une musique dont on ne saurait dire pourquoi elle nous émeut.
La beauté de certains vers, pour moi, se suffit à elle-même :
"Je tresse les nervures de l'écume sylvestre"
"Les ressacs du silence cisèlent mes pensées"
"Je traîne derrière moi
le cadavre du Temps"
entre autres...
Au final, peu m'importe le sens général du texte (je n'en reviens pas d'écrire ça !) tant l'émotion fut grande.
Merci pour ce très beau moment de poésie, Pouet.

Recanatese

   papipoete   
24/9/2019
bonsoir Pouet
" c'est du lourd ! " pourrait dire Fabrice Luchini, et vos vers ne font pas dans l'ordinaire !
Comme j'essaie de commenter le plus possible, je me suis arrêté sur votre poème, l'ai lu attentivement, mais la profondeur de votre écriture m'égare " sous les capes tristes des saules ", et assis sur la mousse à leur pied, je bredouille " où suis-je ? je crois que je suis perdu ! "
Une voix semble pourtant me dire " tu n'es pas si loin de ton nid ; rendors-toi, et demain tu reprendras ton chemin ! "
Je suis " demain ", et je repars à l'assaut de votre texte ; j'ai lu et relu.
Comme devant une toile où le maître aurait peint le beau, je suis ébahi, mais ne puis en dire davantage ! si, les petits " entrefilets " me parlent...

   Lulu   
26/9/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour Pouet,

J'ai d'emblée été séduite par ce titre "Coeur de terre" dont le choix m'a parlé, ne sachant absolument pas où le poème allait m'emmener…

Et quel enchantement de découvrir ce texte d'une poésie et d'une résonnance fortes dès la première lecture.

La mise en page est intéressante, car elle permet de poser un rythme qui nous empêche de lire trop vite, tant le texte est fluide. Ce pas régulier accentue le lyrisme dans une tonalité douce et profonde où tout semble essentiel, le chemin du poète et la fillette, tous deux ancrés dans ce Coeur de terre.

J'ai été séduite par la tonalité, comme je le disais, qui participe aussi de ces vers libres qui me semblent parfaits. La longueur des vers est portée par ce choix d'expression libre, presque aérienne, quand les mots enracinent la présence au monde et sur Terre "autour de moi s'échouent / tels des totems d'encre / les coques parcheminées / de navires démolis" ; et plus loin "les saules aux capes tristes sont ma seconde peau / leurs racines empruntent le delta de mes veines"... C'est absolument magnifique ! Je pourrais citer tout le poème.

La poésie n'est pas que la joie, mais la beauté et comme vous nous l'indiquez par ce poème, la surprise de cette beauté que l'on trouve au bout d'un vers, ou au coeur d'une image… "chaque étoile qu'elle ramasse"... si évocateur.

"je connais cette forêt / mieux que mes douleurs" ; cette forêt de "saules aux capes tristes" qui nourrissent tant le coeur avec toutes ses nuances essentielles "le soleil vient de naître et cela me suffit". J'adore aussi cette façon dire ce sentiment.

Le locuteur dit : "Debout ! / mon âme fixe le destin accroupi". Le nom "âme" me semble bien choisi. S'il n'avait pas été exprimé clairement, je l'aurais tout de même ressenti, car le lyrisme a cette force ici. Il touche profondément… Puis, "Debout !" seule ponctuation autorisée dans ce libre sans majuscules et autres signes (ou presque), à l'exception de "Temps" un peu plus loin et que l'on peut rapprocher d'un niveau d'écriture et/ou de lecture qui dépasse le seul impératif du présent. "Debout !" ; un impératif qui fait sens et écho à - pardon si je me trompe, je dis mon ressenti - "et je crois que jamais / je ne fus un enfant".

Si au début du poème, on ressent une force dans le poids des mots posés, réfléchis dans leur portée et leur résonnance poétique, leur force est aussi exprimée dans une dimension très vive "les ressacs du silence cisèlent mes pensées / l'écluse d’un nuage modèle mes regrets / d’une flaque de vent jaillissent mes mouvements". Sans compter, ce parallèle avec la "petite fille-nuit"

La progression de ma lecture de ce poème ne dément pas ce plaisir d'un tel partage, car indépendamment de ce qui inspire ici le locuteur, ce texte a une portée universelle qui nous fait voir cette "petite fille-nuit" en nombre de fillettes de par le monde.

Il y a cette lucidité d'un monde où la douceur de l'espoir n'est pas toujours "l'espoir ne suffit plus pour que brille l'osier." Pourtant, c'est la poésie qui est ici la plus forte et qui semble donner du sens à l'existence.

Bravo, Pouet, pour ce texte absolument magnifique !

   emilia   
27/9/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Sous le masque triste de l’automne, comme une « seconde peau » une atmosphère mélancolique se confronte à l’usure du temps, affleure à travers le lexique choisi, entre ce qui « tangue », ce qui « s’échoue », et ce dont témoignent « les navires démolis », les « épaves azurées » et le signal d’alarme des « tocsins de l’éveil » qui parvient à la conscience quand la douleur prend racine et se diffuse dans les veines… ; les termes brisant/défait/pourrissant/fossoyeur… accentuent l’image d’une désagrégation liée aux « feuilles mortes » et renforcée par l’emploi à deux reprises de l’adverbe de négation « jamais » (le jour ne tient jamais ses promesses…/ jamais je ne fus un enfant…) ; la détresse ressentie culmine dans cette strophe où se mêlent assonances et allitérations illustrées par ce vers magnifique et si parlant : « les ressacs du silence cisèlent mes pensées »…, avec en toile de fond « le cadavre du Temps » traîné derrière soi…, image saisissante, tel Sisyphe portant son rocher, et cet aspect de « vainitude » qui trouve un parallèle dans le « panier perforé », ce temps des « regrets » d’un « destin accroupi »…, lorsque la « liberté » n’est que « fortuite » et que « l’espoir ne suffit plus », un destin grippé par la « rouille » du temps, en errance, alors que « les bouteilles hurlantes se sont trompées de port… », mais qui invite le narrateur à ce sursaut d’énergie, à rester « Debout ! » malgré tout… : un message sans doute très complexe pour le lecteur mais qui laisse apprécier l’expression très poétique et profonde de la pensée…, quand les mots « totems d’encre » deviennent « passants mystérieux de l’âme » ainsi que l’a écrit Victor Hugo…

   Robot   
29/9/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Bonjour Pouet,

Je suis épaté par la souplesse poétique donnée aux images et métaphores de ce texte. Une belle réussite expressive et émotionnelle. Je ne disséquerai pas entre ce que j'ai le plus apprécié tant pour moi ce poème est une entité à prendre dans son entier.

J'avouerai qu'en première lecture j'avais estimé que le passage en italique rompait avec l'ensemble et me paraissait moins utile. Je tempère cette impression en me disant que pour moi, la lecture qui convient, c'est de prendre ces six vers comme une conclusion, de les lire regroupés en fin du poème comme si tu avais tendu une main amicale vers un petit chaperon rouge égaré.

   Cristale   
29/9/2019
Bonsoir Pouet,

Au risque de paraître ridicule, mais j'assume, je dois vous faire un aveu : je n'ai strictement rien compris, ni aux tenants, ni aux aboutissants de ce poème.

Ce n'est pas faute d'avoir insisté sur ma lecture depuis la publication.

J'espère que vous me pardonnerez malgré tout.

Cristale
qui s'en retourne tête basse et traînant les pieds de dépit...

   Louis   
2/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte hanté par l'obsession de la perte et de la chute, de la séparation et du déchirement ; par le manque.
Le poème s'organise, semble-t-il, dans la mise en rapport de trois pôles, en une trilogie de réalités naturelles et symboliques : la terre, la mer, et le ciel.

La terre
La titre pointe vers le pôle central : la terre. « Coeur de terre » : s'intitule le poème, et dans cet intitulé, le cœur est lié à la terre et non, comme dans l'expression commune, à la pierre.
Distinguée par sa nature, la terre n'a de la pierre ni la dureté, ni la froideur, ni l'insensibilité.
La terre se confond avec le sol sensible sur lequel prend vie le locuteur, qui s'est identifié aux arbres, et s'est mis dans la peau des saules, beaux et pleureurs : « les saules aux capes tristes sont ma seconde peau ».
Dans la peau qui est celle des saules, on sent le locuteur si solitaire.
Comme les saules et comme tout arbre, il s'enracine dans la terre, et va chercher en elle la sève, son sang : « leurs racines empruntent le delta de mes veines ».
Au sein de la terre, le locuteur trouve son origine. Il trouve un fondement à son être, un socle vital dans un cœur palpitant ; une source dans un cœur sensible qui lui donne corps et vie, qui le remplit d'affection, une affection qui ne peut être que pour la « petite fille-nuit ».
L'homme-saule n'est pourtant pas de bois, pas plus qu'il n'est de pierre. Et le bois de saule, c'est aussi l'osier avec lequel on fabrique les paniers. La fille-nuit tient un panier tressé avec l'osier. Le lien étroit entre l'homme-saule et la fille-nuit se confirme.
Le terre nourricière donne aussi à l'arbre son élan vers le ciel ; elle le fait grandir à vouloir frôler l'azur. La terre cherche à s'unir au ciel, par l'intermédiaire de l'arbre à qui elle donne son élan vers les hauteurs.
La terre est une mère, Terra Mater, toujours dans les représentations symboliques traditionnelles ; elle est une mère génitrice de l'homme-saule, et lui a donné un cœur de mère, qui se confond donc avec le « cœur de terre ».
L'homme-saule est donc un ''terrien'', au cœur tendre et aimant ; au cœur vaillant, plein d'élévation, prêt à s'élancer vers le ciel.
Un sort malheureux contrariera pourtant ses aspirations.

La mer
Ce qui est associé au terrestre va ainsi dans le sens de l'affirmation de la vie, dans le sens des affects aimants, et celui de l'élévation vers le ciel, mais il n'en est pas de même pour ce qui est associé au domaine marin et plus généralement aquatique.
Si la terre est associée à la puissance de l'envol, la mer au contraire est liée à un mouvement de chute, et d'échec, ainsi : « autour de moi s'échouent /tels des totems d'encre / les coques parcheminées / de navires démolis. » 
Les navires démolis, échoués sont l'image de ce qui ne prend plus la mer, de ce qui ne va plus sur ses rivages. Ces épaves se sont éloignées de la mer ; sont en rupture avec elle, posées sur la terre ferme au voisinage de l'homme-saule. Il y a divorce entre la mer et ces navires ; nette séparation, dislocation du couple qui unit la mer et les vaisseaux qui la sillonnent.
La mer : signifiant si flottant qu'on ne peut éviter d'y entendre la « mère ». Et cette mère n'est pas cette fois, à l'évidence, la Terra mater, mais la mère de la fille-nuit.
Les navires en bois naufragés sont comparés à des « totems », ils sont comme des arbres symboliques, des arbres qui ne sont plus des saules vivants, mais des arbres morts évoquant l'origine commune d'un clan ou d'une famille, arbres morts d'une généalogie détruite, d'une famille en naufrage. Mais à l'ancre des vaisseaux s'est substituée l'encre des écrits, et la coque des navires est « parcheminée », à la fois flétrie, et support d'une écriture.
Partout autour de lui, le locuteur discerne les marques de l'échec d'une liaison, les signes naturels d'une séparation douloureuse dans les épaves d'un passé plus heureux, quand les navires allaient en mer, quand ils pouvaient prendre le large pour les grandes traversées de l'existence.
À la mer encore, sont associés les états d'âme du locuteur, ceux du désarroi, ceux-là qui le rendent amer :
la « ritournelle d'un brisant en mon esprit défait », obsession d'un écueil, d'un « brisant » sur lequel sans cesse se brise la houle, se brise la vague de vie, le courant de l'existence. Le brisant ne serait-il pas de pierre, et non de terre ? Le locuteur ne culpabilise t-il pas ? N'a-t-il pas eu un passé de pierre, de rocher dans la mer ? N'-a-t-il pas été trop dur ?
Référence marine encore dans : « les ressacs du silence cisèlent mes pensées ».
Toute image d'une étendue d'eau participe de l'affliction du locuteur :
« l'écluse d'un nuage modèle mes regrets » 
« d'une flaque de vent jaillissent mes mouvements »
mouvement, sentiments, pensées sont marqués par l'eau. À l'eau aussi est associée une origine, mais celle de ce qui est douloureux.
À cet élément aquatique sont associés plus particulièrement la chute, l'élan brisé : les saules qui font la seconde peau du locuteur ont des « capes tristes ». Ces capes évoquent, par les branchages de l'arbre, ce qui retombe, l'élan ainsi brisé vers le ciel, et elles évoquent l'eau des pleurs tristes, puisqu'à l'évidence, il s'agit de saules pleureurs.

le ciel
En retrait des paragraphes du texte, un autre poème s'écrit en italique. Il est à l'écart, ne se confond pas avec le texte. Il évoque « la petite fille-nuit », il la révèle en quête des étoiles du ciel. Cet écart par lequel il est présenté suggère une séparation avec l'homme-saule, le père, comme si leurs histoires et leurs vies ne se confondaient plus, ne se mêlaient plus.
L'homme-saule est resté rivé à la terre, son élan brisé vers le ciel, qui désigne ce qu'il y a de plus élevé et de meilleur, les réalités lumineuses et idéales, brillantes quand le soleil se couche.
La petite fille-nuit s'y élève ; elle était un astre lumineux : «  le soleil vient de naître » s'exclame le locuteur dans un retour en arrière temporel, mais désormais elle est de « nuit », parce que, toujours décevant, « le jour ne tient jamais ses promesses diaphanes ».
La petite fille-nuit « tient à bout de prunelles / un panier perforé ». Les yeux de la petite fille, et ceux du père-saule auraient-elles le même regard ? N'est-elle pas la ''prunelle de ses yeux'' ?
Leur regard vers un soleil en éclats de myriades d'étoiles ?
Le panier est en osier, don, héritage du père-saule : un père noué, tressé, coupé de lui-même. Mais il est un panier percé, et la petite fille-nuit, comme une Danaïde, « ramasse » en pure perte les étoiles dans le ciel. Le soleil, brisé à jamais, jamais ne sera restauré. Le panier percé ne brillera plus, il ne sera jamais plénitude de soleil.
Comme il voudrait offrir à sa fille un panier rempli de lumière, décrocher un soleil pour lui redonner jour, elle qui est « nuit », et la faire renaître en un nouveau printemps perpétuel, mais il n'est qu'une étoile filante, en chute, tombante.
Elle « ramasse » les étoiles, ces moments clairs et lumineux, dans un ciel pareil à un sol, une terre ; le ciel est la terre d'en haut. Cœur de terre, cœur de ciel. Elle « ramasse », elle ne cueille pas ; elle ramasse les étoiles comme l'on ramasse les coquillages au bord de la mer. La fille-nuit se tient symboliquement sur une plage, à la limite entre la terre et l'eau, entre père et mère.

… et le temps
Le temps s'écoule entre eau, terre et ciel. Son écoulement le rapproche de l'élément liquide, il est donc douloureux.
Le temps est marqué par un tangage : « Quand l'ailleurs tangue ». Un balancement au risque de la perte, de l'échouage, dans un vocabulaire de nouveau marin, de nouveau associé à la chute et la déperdition. Et que pourrait être cet « ailleurs », sinon le monde d'origine marine, alors que '' l'ici '' de l'homme-saule est la « forêt », où se côtoient, solitaires, des arbres fixés en terre.
« le masque des saisons est mon unique horloge » : conclut le locuteur.
L'homme-saule vit au temps de l'automne, quand tombent les feuilles des arbres. Il perd quelque chose de lui-même, ses feuilles, caduques ; il se sent en perdition, comme les navires, comme les étoiles tombantes.
À « l'aube étale », lui s'étale « parmi les feuilles mortes »
Se retrouve sans cesse ce thème de la chute, de la perte. Ces pertes sont autant de morts, de non-vie. Les pertes de temps sont des temps morts.
« je traîne derrière moi
le cadavre du Temps ».
Toutes ces pertes, ces pertes de temps à vivre dans le ciel d'un enfant, ne lui donnent plus ni passé ni présent, ni avenir. Le Temps, dans toutes ses dimensions n'est plus qu'un cadavre.
Le passé n'est plus que « souvenirs » sans vie, mêlés aux « épaves azurées », un passé sur lequel rien ne se construit, surtout pas un échafaudage tant désiré pour gagner un ciel illuminé.
Il n'est plus que « regrets », morts et remords.

Le présent se ramène à un laisser aller au gré du vent : « d'une flaque de vent jaillissent mes mouvements ». Mouvements et non « actes » ; agitations sans but et non volonté en action avec projets et réalisations en vue.
Des sursauts : « debout ! » Injonction sans suite à se relever quand tout tombe, chute et se perd.

L'avenir ne s'annonce pas debout, mais « accroupi » : « mon âme fixe le destin accroupi ».
La destinée de l'homme-saule ne tient pas debout, et l'avenir tourne en rond, revient au passé, enferme dans un cycle infernal du temps : « Les sentiers mènent tous au départ pourrissant ». Tous les voies futures reviennent au point de départ, ce début « pourrissant » quand tout a commencé à chuter, quand tout a commencé par aller mal, par se déliter, se réduire en poussière sous l'action de l'eau.
Au point que l'homme-saule s'exclame :
« Et je crois que jamais
je ne fus un enfant »
L'enfance, c'est l'innocence et l'insouciance. Le locuteur a l'impression d'avoir été privé d'enfance, de n'avoir jamais connu l'état qui la caractérise, tant il est tourmenté, tant ses tourments ont commencé très tôt dans sa vie.
Il lui reste parfois quelques instants de « liberté », de brefs moments pendant lesquels il réussit à s'évader de ses obsessions, de cette omniprésence de l'angoisse d'une séparation.
« je me pare
d'embruns de liberté fortuite »
Les « embruns de liberté » sont sans doute les seuls aspects non négatifs du langage et de l'origine de ce qui est marin. Mais c'est pour se comparer aussitôt à «un oiseau de rouille pleurant des cages ouvertes ». Oiseau rouillé sous l'effet de l'humidité marine, il « pleure » les « cages ouvertes », la liberté permanente, lui qui, « rouillé », affaibli, sans élan, peine à trouver quelques instants délivrés du boulet qui le rive à ses obsessions.

Entre terre, ciel et mer, le poème exprime ainsi, dans le langage de la nature, les tourments d'un homme en proie au manque, à la perte, à l'absence d'un soleil, affres d'un père séparé de son enfant, à qui il ne peut donner le meilleur. Un homme qui se sent brisé, en perdition, par une situation dont la responsabilité se trouverait en grande partie du côté de la mère.


Merci Pouet pour ce beau texte, aux images fortes.


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