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Poésie contemporaine
Pouet : Je suis mon historien
 Publié le 15/11/21  -  12 commentaires  -  1737 caractères  -  212 lectures    Autres textes du même auteur


Je suis mon historien



Nous avions déposé les armes sans nous rendre
car nos cœurs ne battaient que pour l'insoumission.
Demeure en mon esprit ce matin de novembre
où sous un pont de pluie nous nous réconfortions.

Les autres nous tenaient au bout de leurs fusils,
ils paraissaient bien jeunes pour porter l'uniforme.
Pourtant ils nous lançaient des regards durcis
par les éclats d'obus d'une souffrance monotone.

Je me souviens du Ciel, de sa teinte étrangère
et des nuages pourpres postés en sentinelle,
d'un troupeau qui passait, d'une simple bergère
qui de loin nous salua d'un geste maternel.

Ma mémoire est intacte, je suis mon historien,
certainement le pouvoir travestira les faits
et le gouvernement chantera son refrain,
la mélodie de poudre des heures maquillées.

Quand la Lune survint, nous étions toujours là
sous ce vieux pont de pluie de construction sincère.
On s'observait encore mais le jour déclina,
de nos yeux grands ouverts s'envolaient des prières.

Puis ceux qui s'endormirent reçurent des coups de pied,
on nous plaça en rang dans un pré caillouteux.
Tous avaient entendu l'ordre de l'officier,
ils allaient nous tuer mais seulement un sur deux.

Quand le premier tombait, le suivant s'effondrait,
de douleur, de rage, de peur, de soulagement…
En recevant parfois sur sa face de craie
les esquilles spongieuses d'un crâne sanguinolent.

Nous avions déposé les armes sans nous rendre
car nos cœurs ne battaient que pour l'insoumission.
De l'Homme il ne me reste plus grand-chose à apprendre,
quant à Dieu il ne m'a pas confié de mission.


 
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   Anonyme   
5/11/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Je regrette qu'aucun contexte historique ne soit donné pour expliquer les circonstances du poème ; peut-être avez-vous pensé qu'ainsi sa portée universelle était plus grande, mais à mon avis c'est une fausse bonne idée : tout le récit demeure suspendu dans le vide, "hors sol", et je trouve que cela affaiblit beaucoup son impact.

J'ai bien aimé les quelques notations concrètes qui me permettent de ressentir l'événement, cela se passe un matin de novembre, les prisonniers se réconfortent sous un pont de pluie, la bergère passe avec son troupeau. Les dodécasyllabes coulent assez bien à mon avis, les rimes ne me paraissent pas trop pesantes sauf la "construction sincère" du pont, qualificatif auquel je ne vois pas d'autre utilité que rimer avec "prières".

J'ai remarqué un vers impossible selon moi à scander sur douze syllabes :
Pourtant ils nous lançaient des regards durcis

   papipoete   
15/11/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
bonjour Pouet
Un récit de guerre, non sur le front mais dans une clairière peut-être, du côté du Mont Valérien où le peloton d'exécution mettait une " touche finale," avec ce raffinement ( tuer un condamné sur deux ) que peut caractériser toute guerre, ici ou ailleurs ! " Ils avaient déposé les armes sans se rendre ", fait penser qu'ici on fusilla des " déserteurs ", après avoir été jugés par un tribunal " tout ce qu'il y a d'impartial... "
NB l'auteur nous montre qu'il fait partie de ces " grands ", capables de versifier sous toute forme, libre ou en vers à pieds !
certes, au 6e vers un treizième pied s'ajoute
et son suivant en perd un ( mais c'est peut-être délibéré ? )
la 3e strophe, la plus douce est ma préférée dans ce scénario d'horreur mais c'est la guerre, elle n'est jamais belle !
la dernière strophe, où le héros pourrait haïr hommes et Dieu, est d'une si grande générosité !

   Miguel   
15/11/2021
 a aimé ce texte 
Bien
La force des mots crée les images dans l'esprit du lecteur. Mais la grandeur tragique de ce récit, avec sa dimension à la fois épique et lyrique, eût mérité une forme plus rigoureuse que ces strophes parsemées de vers sans mesure et sans rythme, qui heurtent la lecture ; une bonne prose aurait fait l'affaire, ou le vers classique.

   Cyrill   
15/11/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Impossible de ne pas entendre chanter L’affiche rouge d’Aragon, dans ton premier quatrain, ça sonne pareil, j’ai la belle voix de Léo en tête :
« Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans »

Et pourtant tu nous parles d’autre chose et je ne situe pas l’évènement, sauf qu’ensuite on m’a soufflé une proposition.
Mais peu importe.
Je prends ce poème avec son souffle puissant, et je me régale de belles trouvailles comme le premier quatrain qui clôt aussi, avec une variation qui fleure bon l’indiscipline, ce beau lamento.
Ceci aussi :

« Je me souviens du Ciel, de sa teinte étrangère
et des nuages pourpres postés en sentinelle »

« sous ce vieux pont de pluie de construction sincère. »

Ça se lit d’une seule respiration, bien que certains passages m’aient laissé un goût d’inachevé. Non pas dans le respect d'une métrique, plutôt dans l'expression, par exemple :

"par les éclats d'obus d'une souffrance monotone."

J’ai l’impression d’une écriture sans lever le stylo de la feuille, si toutefois tu utilises encore ces moyens désuets.

J'aime beaucoup l'idée et le titre : je suis mon historien.
Ça pose sa rébellion !

   Vincente   
15/11/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Dans cette poésie mémorielle, deux nœuds sont formés par le regard sur la ligne temporelle qui relie le passé, cet événement, et l'aujourd'hui de l'écriture. Mais le passé est achevé seulement retenu dans les affres du souvenir, alors elle tente et tend ce fil, pont d'invitation au lecteur à emprunter sa tension…

Et le transfert opère. Le lecteur est guidé mais très vite l'auteur lui lâche la main ; le propos est expressif, presque factuel ; mais les faits ne sont pas le message du poème, il s'agit d'abord de revivre l'événement, de le partager, de survivre de lui, d'en réchapper avec le narrateur.
Cet angle d'objectivation de l'intention, cette manière d'obliger à accepter que l'horreur de la situation entre en nous, "utilise" le mode poétique qui nous pénétrer par des chemins détournés, parallèles. L'horreur crue de la situation dans laquelle les prisonniers se trouvent serait sinon si rebutante que nous nous cacherions les yeux, fermerions nos oreilles, cesserions de respirer.

L'auteur propose un mode d'investissement historicisant plus supportable et plus "productif". Les incises poétiques apportent leurs révélations manifestes, je pense à ce très inspiré "pont de pluie" qui réconforte, puis s'avoue de "construction sincère". Je pense également à ces "éclats d'obus" qui éclairent de par leur double sens mornement, monotonement le visage endurci, inhumanisé des jeunes soldats. Je pense à la "poudre" qui "maquille les heures". Je pense à ces "yeux grands ouverts" d'où "s'envolaient des prières" ; très belle image digne d'une peinture iconique allégorique…

La langueur de la forme participe à la lancinance et à la lourdeur du propos.

   Robot   
15/11/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai supposé qu'aux alentours du 11 novembre le récit avait comme référence les fusillés pour l'exemple du conflit de 14/18. J'ai en mémoire ce beau film tragique "les sentiers de la gloire".

Mais plus qu'une certitude sur l'origine de l'histoire, j'ai beaucoup apprécié ce texte pour sa vision profonde, son humanité et son inhumanité posées avec lucidité. Le lyrisme est bien présent dans ce récit dramatique, ce qui conforte mon idée que même dans la laideur des faits il est possible de les exprimer poétiquement.

Le quatrain final rejoint des sentiments que je partage.

   wancyrs   
16/11/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Salut Pouet,

Il manque l'émotion dans ce poème... Je vois un soldat, sûrement un dur à cuire, car le propos est froid, et calculé ; on dirait le rapport rédigé d'un évènement qui se déroule, un évènement qui aurait dû être traumatisant, mais que le narrateur prend avec beaucoup de sang-froid. Il était peut-être célibataire ? Sans enfant ? sans famille ? Il me semble qu'en des moments où on ne sait si on doit vivre l'instant d'après on pense à ceux qui nous sont chères... Je trouve l'écriture belle, mais le narrateur ne m'a pas donné l'occasion d'être empathique à sa situation.

Merci pour le partage !

Wan

   Queribus   
18/11/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

J'ai tout d'abord trouvé le texte très courageux de par son sujet (Aragon était déjà passé par là). Je l'ai trouvé aussi très long avec toutefois une poésie néo-classique bien maitrisée et des images très parlantes; je pense quand même que vous auriez pu dire la même chose en plus court(ce qui aurait eu, à mon avis, encore plus d'impact). Bravo une fois de plus pour votre courage et votre gout du travail bien fait.

Bien à vous.

   Doute   
18/11/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je n'ai que deux remarques "négatives" à faire à propos de ce poème que j'ai particulièrement apprécié.
Premièrement, la "construction sincère" du pont ne semble être là que pour la rime ce qui, de fait, gâche l'harmonie du poème.
Deuxièmement, et c'est ici que j'ai honte de pinailler pour une petite chose comme ça : pour moi, "faits" et "maquillées" ne riment pas (par ne pas rimer, j'entends au niveau des sons : faits se prononce normalement "è". J'imagine que vous avez un accent qui vous fait prononcer ce mot "é"). Même si la faute ne vient absolument pas de vous, cela m'a perturbée.

Sur ce, après ce pinaillage en règle, je termine en déclarant que ce poème m'a véritablement transportée, j'ai vu les images comme si j'y étais. Bravo pour la mention de la bergère, qui rajoute une dimension supplémentaire "je ne veux pas mourir, regarde, la vie continue sans nous et personne ne semblera nous regretter".
Merci pour ce poème.

   Myo   
18/11/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une fois n'est pas coutume, je suis allée lire sur le forum votre sujet sur cet écrit espérant un repère de temps et de lieu.
Mais vous avez préféré nous laisser à nos suppositions et c'est tant mieux.
Le décor est planté, l'angoisse se fait d'autant plus pesante et douloureuse.
Il y a celle de ceux qui seront tués et celle de ceux qui survivront avec les miasmes d'une culpabilité qui remontera de temps en temps à la surface.
Une violence difficile à regarder en face.

J'ai un peu tiqué aussi sur cette " construction sincère" , je pense qu'on peut trouver mieux.

   Raoul   
20/11/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir,
J'aime beaucoup ce poème, pour son sujet d'abord, même si je me demande si la mémoire ne joue pas des tours a l'histoire et a l'Histoire, pour le choix d'une écriture distanciée (objectivité historique ?) et précise.
J'ai pensé à la guerre d'Algérie (la bergère... [dont le geste "maternel" m'a gêné à la lecture et pour chipoter])... puis au mutin de 14 (mais vous ne me semblez point centenaire ;)), bref je crois que c'est d'une guerre universelle dont il s'agit.
J'ai été embarrassé par les nombreuses syllabes du vers 7, pour continuer à chipoter.
Je trouve l'image du "pont de pluie" absolument superbe, et m'est revenu le "Celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas" à la lecture.
Bref, j'aime beaucoup ce texte pudique et d'une grande dignité, ce qui sur un tel thème...
Bravo !

   Virou64   
20/11/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Comme souvent dans la section contemporain, j'ai trébuché sur tous ces e non élidés qui demandent à relire des vers bancals pour en trouver le rythme qu' a voulu lui donner l'auteur.
Cette difficulté étant surmontée , j'ai eu accès à un texte intéressant, poignant et empreint d'une grande humanité.
J'y ai lu le drame de tous ceux qui, allergiques à la guerre et à la violence, déserteurs, insoumis, objecteurs de conscience,, pensant pouvoir faire entendre leur voix autrement que par les armes , se sont retrouvés broyés dans la folie des grands conflits.
Merci pour le partage


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