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Poésie en prose
Pouet : L'art est sur l'image
 Publié le 25/09/21  -  18 commentaires  -  2383 caractères  -  313 lectures    Autres textes du même auteur


L'art est sur l'image



Il n'est pas devenu.

Errant parmi les mots là où suinte l'obscur, soupesant la lumière sur les bords de l'abîme, de jumelles jambes molles crissaient à son côté ; juste assez devant lui pour piétiner son ombre.

La respiration lourde enfantait des nuages.
Était-ce sur page blanche le pliage de l'aube, l'origami diaphane de l'air en repentir ?
Ou bien en suspension la menotte fluide d'un nourrisson d'opale ?
Il fut pair deux fois, se fit doubler par l'autre.

Depuis le surgissement de ce cri funambule effleurant la passion de la pointe des cils, il s'était enroulé la langue autour d'un fil qu'une souris mécanique s'imaginait ronger.
Quand fourbu il plongeait dans la gueule béante d'un éléphant de mer, sur son île de peau l'encre coulait des ports.
Aux abysses du verbe, l'écume sculptait l'y voir dans cette promiscuité du gouffre et de l'éclat.
Cécité de varech, transes et lucide perte.

Effritant son bagage en miroir de sable, il marchait à rebours, distribuant des horloges en retard sur ses leurres et traquait l'envolée la plume posée au sol ; il devait confronter la texture des songes au soluble du cœur.
Niant l'amble des jours il épointait l'instant, la statique courbure du réel imité.

L'unique effet du temps fut qu'un chêne minuscule lui poussa sur le crâne : il s'en soucia peu, la lisière de son front le protégeait du croire.

Il connaissait le mur.
Sa taille inaltérable et les lambeaux de ciel glissant sur sa paroi, le soleil plastique, la rondeur de l'attente.

Pourtant, rien.

Après avoir foulé l'ire nue de la terre, senti sous ses pieds sourds les spasmes de l'espoir, déroute et des chemins se tapissèrent blêmes des brindilles de la quête.

Sans doute manquait-il un barreau à son âme.
Pour gravir ou pour emprisonner, retenir le souffle d'étoiles muselées.

Face à son regard de stalactite rose ne se dressait en vain qu'une si mince ruine vaguement horizontale, embruns mythologiques, ridicule mémoire d'une splendeur de granit. Rempart désuet. Véritable frontière.

Exposé au mirage d'une insigne complétude, de la désespérance d'un vers luisant aphone, il éteignit son chant en vide infranchissable.

Il n'est pas devenu.

Encore fallut-il n'être.


 
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   Corto   
15/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Objectivement je n'ai pas compris grand chose à ce texte qui pourtant m'a captivé.
Les mots adjoints ou utilisés dans un sens qui me reste mystérieux ont créé un halo aventureux dans un monde inconnu mais attirant.
La logique n'est pas requise ce qui frustre le lecteur qui voudrait ne pas perdre l'équilibre.
Le titre pourrait bien être la clef de ce texte avec la transformation qu'on pourrait lui imposer en "arrêt sur l'image". Ma rationalité serait alors rassurée et ma curiosité attisée.

Les deux dernières lignes jouent bien leur rôle de renforcement du mystère, du moins à mes yeux.

Bravo.

   Donaldo75   
16/9/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Dire que j’ai tout compris dans ce poème en prose serait un bien grand mot ; cependant, je l’ai apprécié comme un auditeur francophone dont les connaissances en anglais dateraient du lycée écouteraient une chanson des Beatles du genre « strawberry fields forever » en sachant pertinemment qu’il ne capte pas toutes les subtilités du texte voire qu’il est à côté de la plaque parfois mais en se laissant emporter par la musique. Ici, la musicalité est celle de la poésie et le sens ne m’empêche pas de lire ces mots enchâssés dans des phrases elles-mêmes embarquées à bord de strophes. Les images déployées sont quelquefois presque animées et donnent encore plus de matière à ma lecture.

Enfin, bravo pour le choix du titre, surréaliste à souhait.

   Anonyme   
25/9/2021
Jeux de mots ou jeux de maux ???

Je dois être complètement analphabète car j’avoue n’avoir rien du tout compris à ce texte abstrus … pour moi. Mais que l’auteur se rassure car j’ai dans l’idée que beaucoup de commentaires vont venir fleurir ce qui est sûrement un chef-d’œuvre.

Merci quand même pour m’avoir torturé les méninges dès le début du W-E.

NB. Je ne noterai pas afin de ne pas vous faire perdre de votre audimat.

   papipoete   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Pouet
J'interprète ( à ma manière )
Sur une plage, un enfant à la démarche hasardeuse, s'avance alors que devant lui son ombre est foulée par ses deux jambes " molles "...
Le film se déroule dans la tête de l'auteur, avec pour moi la chanson " toi le frère que je n'ai jamais eu... ", jusqu'à ce que le réveil étale sa réalité, cet enfant jamais ne crût...
NB l'art de la métaphore coule de source sous la plume de l'auteur, mais en l'absence de prosaïsme, je m'égare sûrement sur " le sable abandonné, coquillages et crustacés... "
Mais malgré tout, devant si gracile plume, je reste admiratif et noterai sur le tableau qu'elle dessine.

   Cyrill   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Pouet,

Je reste un peu comme deux ronds de flan devant votre texte ( mais deux beaux ronds de flan ), je me représente cet être qui ne semble ni tout à fait un humain ni tout à fait autre chose.
Mais ce moitié vivant qui ne deviendra pas, je l’imagine dans des limbes où flotte votre pensée.
Ultra poétique que celle-ci, qui manie les mots et les tord, leur fait rendre tout leur signifiant, dans un cadre rythmé et une atmosphère clair-obscur de tristesse contenue, toujours relevée par la beauté des métaphores.
On laisse aller son propre imaginaire en découvrant le votre, la porte est ouverte.
À relire, même si ça me plonge dans des affres d’inquiétude !

Merci

   Annick   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je commence par le moins difficile, des jeux de mots qui ont retenu mon attention : l'art est sur l'image, l'y voir, encore fallut-il n'être...

Pour ma part, j'y vois une naissance et une mort avant d'avoir vécu.

Les mots semblent avoir une vie propre et évoquent les limbes de ce qui entoure une naissance et une mort.

Il m'a fallu ensuite me détacher de ces mots, ces phrases pour ressentir l'aura de ce poème, comme on regarde une peinture abstraite pour que chaque forme ou couleur devienne une impression fugitive où le sens est accessoire.

Ce texte est beau mais je ne saurais dire exactement pourquoi. Cette poésie doit garder son mystère.

C'est une communion d'âme à âme. La mienne me cache bien des choses. Je la laisse se débrouiller avec celle du narrateur.

Un grand bravo pour ce que je suis incapable d'écrire.

   Malitorne   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Il va falloir avouer Pouet quel type de ganja vous fumez. De l'Acapulco Gold, de la Girl Scout Cookies ou de l'AK-47 ? P'têt bien de l'Orange Bud voire de la Skunk à 90% de THC (appellations véridiques). Quoi qu'il en soit courageux le mec, tout ça cartonne méchamment dans la tête !
Sérieux je vous charrie car j'ai beau m'accrocher je n'y pipe rien à votre poésie. Sorte de surréalisme à hyper transcendance interposée sous influence moléculaire. Sans doute...
Quand on ne cherche plus à comprendre c'est mieux, accumulation de mots qui s'entrechoquent pour nous emporter dans un maelström d'émotions et d'images. Un défilé de sensations, m'enfin tout ça est un peu gratuit quand même. Où est le sens ? Je vous entends déjà : "Y'a pas de sens !"

   Anonyme   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Salut Pouet,

Du parfait absurde, de l'incompréhensible, de la difficulté à suivre vos idées. Est-ce trop hermétique ? C'est en tout cas comme ça que j'aime m'exprimer. Je ne sais pas d'où ça vient mais je me plais à le mettre par écrit. Vous lire m'apporte donc des moyens plus savants, des tournures de phrases beaucoup plus recherchées. On sent le supérieur, l'écrivain de talent, je vous en félicite. J'ai un peu l' impression d'écrire comme vous en me trainant derrière en essayant de suivre. Et je vais de ce pas relire une autre fois votre texte mystère pour essayer peut-être de le rendre plus clair.

   Eskisse   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Pouet,

Un personnage, une créature qui ne parvient pas à être.

Peut-être une création qui n'aboutit pas, qui reste prisonnière des mots de son auteur.
Ce "il" qu'on ne peut nommer et qui peine à trouver une existence me fait penser au Meidosem de Michaux, tout en sensibilité et doté d'une âme, même fragmentée.

J'aime bien "son regard de stalactite rose" qui le pétrifie et en fait une image de la condition souffrante de l'homme.
Je trouve peut-être un peu trop solennel " le protégeait du croire".

Mais j'adhère aux éléphants de mer, aux chênes minuscules et aux jeux de mots translucides...

   Provencao   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
" Encore fallut-il n'être. "

J'ai bien aimé l'illusion et l'errance parmi les mots que vous nous livrez qui produisent un effet presque littéraire, où votre écrit s'ouvre comme une chimère avec des phrases exposées à la fantasmagorie, aux métaphores , inconstance et mues des mirages.

L'art est peut-être de façon implicite une transmission comme un don de....

En attendant avec un vif intérêt vos explications.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   EtienneNorvins   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Comment dire l'impossibilité de dire... Ce qu'on croit avoir vu, à portée de main, et qui échappe pourtant, jusqu'à s'évanouir dans le non-sens... Et l'art reste sur l'image enfuie ?
Une anti-épiphanie donc ? Où résonnent Michaux en effet, ou Jaccottet (je pense à la Dure Nuit) - mais aussi Artaud avec ces dédoublements quasi schizophrèniques ("Il fut pair deux fois, se fit doubler par l'autre"), et le Mallarmé de la Nue Accablante Tue, et son "flanc enfant d'une sirène avarement noyé", ici "dans la gueule béante d'un éléphant de mer" à la "Cécité de varech" ?
Dans l'attente d'un plus ample commentaire (mais le sais-tu, écume ?)
Respectueusement

   Luz   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour Pouet,

Moi, j’ai tout compris (ou pas…)
Par exemple, le passage : « Effritant son bagage en miroir de sable, il marchait à rebours, distribuant des horloges en retard sur ses leurres et traquait l'envolée la plume posée au sol ; il devait confronter la texture des songes au soluble du cœur. Niant l'amble des jours il épointait l'instant, la statique courbure du réel imité.», je sais que c’est de la poésie, et ça me fais du bien.
J’ai longtemps cherché la définition de la poésie et je viens de la trouver.
Alors, merci infiniment pour cet éclair qui encore fallut-il n'être...

Luz

   ferrandeix   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
L'erreur serait probablement de considérer ce texte sur le plan du signifiant strict et de lui trouver une logique. Description d'un être mystérieux dont on ne peut même espérer discerner les contours tant il se perd dans l'ineffable. C'est pourtant l'ineffable écrit, un exploit sur le plan de l'écriture et de l'expression. C'est un affect sans objet, un récit (presque) sans sujet. L'expression est toujours recherchée. Et précisément, c'est (peut-être) cette absence de sujet, cette absence de récit discursif compréhensible qui communique son cachet à ce texte, et pour tout dire... sa poésie.

   Anonyme   
26/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
De l'arrêt sur l'image, j'en retire l'obscur des mots magnifiés d'une lumière boréalo-surréaliste, par où suinte la respiration lourde enfantant des nuages en s'enroulant la langue autour du fil d'une souris mécanique qui croit grignoter la quintessence suprême. (Merci Pouet ^^)

Je connais bien « ce cri funambule effleurant la passion de la pointe des cils »...
Tu l'éveilles ici en images oniriques pour qui ne connaît cette échappée belle aux mirages flamboyants.

Une parmi les suprêmes : « quand fourbu il plongeait dans un éléphant de mer, sur une île de peau l'encre coulait des ports. », même si le surréalisme des ports (et quelques autres broutilles parsemées de ci delà tout le long du poème) me plombe un peu les ailes, empêchant le total lâcher-prise en pays conquis d'office. À trop vouloir atteindre la griserie des sommets, il faut se méfier de ce trop qui peut faire vaciller les plus belles images dans des profondeurs insondables. Tenir ferme la barre, ni trop, ni pas assez, est un exercice de haute-voltige. Tu sais la manier avec bonheur.

Merci donc de nous faire partager ce bonheur.

Salut, Pouet !


Cat

   Vincente   
28/9/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
L'image fait-elle l'artiste, l'imaginaire rend-il ses "arrêts sur images" comme autant de preuves de la véracité des onces de talent du poète qui ici se débat. Il tente l'écriture, il élucubre "soupesant la lumière sur les bords de l'abîme", il se cambre, se cabre, puis "piétine son ombre".
Oh qu'il ne fait pas bon être celui auquel manque "un barreau à l'âme" ! Chercher au-delà de soi-même, alors que déjà en soi la chose n'est pas simple. Et il y a ce "mur", cette ambition qui le taraude, de devenir par le dépassement, "mur" à n'en plus finir de s'accomplir ; à la fois "rempart désuet" et "véritable frontière". Il le fit ainsi creux, dans un geste incommensurable, "un vide infranchissable". N'était-ce pas là sa meilleure geste poétique, le chant désespéré qui s'approprie la "complétude" ultime ?

Il n'était pas poète, incise finale réaffirmant la faille originelle par la phrase en forme de vers "Encore fallut-il n'être", car même cette négation doute d'elle-même, doute de sa négativité.
"Il n'est pas devenu", il faut lire il n'est pas "advenu". Et s'il sait qu' "il fut pair par deux fois, se fit doubler par l'autre", il sait que l'autre lui "suinte de l'obscur" qui l'accable, dans un perpétuel jeu de cache-cache, d'ombres et de lumières, il fait sa vie. Ainsi d'une vanité exploitée, il aura fait vaniteuse révélation, comme ça pour exister.

J'ai beaucoup apprécié ces atermoiements très poétiques. Le personnage profite des en-maillages de l'écriture, il s'offre ainsi au lecteur dans un vol textuel "aux abysses du verbe" où "l'écume sculpt[ait]e l'y voir dans cette promiscuité du gouffre et de l'éclat"… superbe "imagerie" ! Puissante évocation.

En creux, dans ce mur qui à la fois le concerne, le concentre, et le transforme, le personnage réussit un tour imaginaire aux multiples facettes dont peut-être la plus touchante est celle dont chaque poète, plus généralement l'artiste, peut interroger la brillance ; comme si ce que le créatif se racontait était voué à être intemporellement remis en question, comme si là était d'abord le ferment de la créativité…

   emilia   
28/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte étrange, singulier, créatif, aux antipodes du convenu et de la banalité, dont le style surréaliste cultive l’énigme, à l’image de ce « il », ce « cri funambule/errant parmi les mots là où suinte l’obscur… » et se composant en deux parties, un avant et un après cette charnière centrale reposant sur un constat négatif : « Pourtant, rien » avec un lexique en rapport à l’écriture (mots/page blanche/langue/souris mécanique/l’encre/aux abysses du verbe/la plume…) où la « quête » entre clair-obscur semble se jouer « à confronter la texture des songes au soluble du cœur », effectuant différentes tentatives « il s’était enroulé la langue autour d’un fil/plongeait/marchait à rebours/traquait l’envolée/connaissait le mur…, se confrontant aux obstacles « ombre piétinée/se faire doubler/cécité/perte/bagage effrité/horloges en retard/réel imité… », en proie au gouffre, aux leurres, aux mirages… tant et si bien que « ce rien » se confirme/n’est pas devenu », à cause d’un « barreau manquant à l’âme/d’un souffle perdu/d’une si mince ruine ayant pour conséquence « d’éteindre le chant en vide infranchissable »…
Le lecteur fourbu à son tour par sa quête aux indices, s’il a en mémoire le poème de Desnos « Une fourmi de 18 m, ça n’existe pas ! » Et pourquoi pas ? nous dit le poète ! À la mode POUET cela devient : « un chêne minuscule lui poussa sur le crâne… », une façon peut-être, à l’instar de Magritte, de rejeter la finalité et l’utile, de juxtaposer des objets insolites comme « miroir de sable » pour obtenir une image, un art qui résiste à toute explication, dans le vertige d’un univers tortueux et torturé, déroutant, difficile à partager car hanté de désespérance et conduisant à une impasse, la non advenue espérée d’un enfantement (homonymie pair/père) ; s’il n’est pas encore devenu, les possibilités restent ouvertes et virtuoses pour continuer la quête d’écriture…

   Louis   
7/10/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Le poème présente un sujet impersonnel : « il ».
Impersonnel et anonyme, « il » se cherche. Et pour cela s’exprime. On ne saurait devenir qui l’on est sans ce retour que nous renvoie la parole.
Dans "l’ex-pression" écrite, qui le projette hors de soi, comme le mot l’indique, pourra-t-il se trouver en tant que personne, se représenter tel qu’il est, dans ses pensées, dans son être intime ? Pourra-t-il retrouver ses im-pressions dans son ex-pression ?

Il se reconnaît d’abord bohème du langage, « errant parmi les mots », vagabond dans les contrées du verbe.
Dans cet allant à parcourir les mots, s’effectue la quête de soi, dans une projection de soi dans l’extériorité d’un double : en quels termes est-on chez soi ? Quelles paroles nous dédoublent ? Lesquelles nous représentent, produisant une image de soi ? Lesquelles nous font exister pour soi, et pour autrui ?

« Il » constate qu’une ombre est projetée parmi les mots, qui portent un sombre reflet, son double obscur. Constat que les mots n’éclairent pas son intériorité, ne la rendent pas transparente.
Il découvre, de plus, que cette ombre est piétinée par un « autre », constitué d’une dualité : « de jumelles jambes ».
Ces jambes « crissent » comme des plumes de stylo sur du papier. Cette paire de jambes, « plume posée au sol », marchent à l’écriture. Ces pattes de mouche piétinent le double d’ombre, et le masquent, le recouvrent sous la trace des marques écrites. Un double peut en cacher un autre. Et cette écriture en double, ces mots qui enveloppent une ombre, sont le fait d’un « autre ».
Or cet autre semble bien être le même.

Deux jambes pour marcher, et pour écrire, un pied dans les mots, un pied dans la vie, deux jambes qui écrasent l’immédiat reflet de soi, et le multiplient, le diffractent et l’irisent, le font miroiter dans l’éclat du langage, cette dualité à côté de soi et de son ombre constitue l’image même de soi, un double de son être déjà double : lui et l’autre, « pair deux fois ».
Mais comment s’y reconnaître, comment s’y retrouver dans ce jeu de miroir et d’ombre ?

Tout semble, en effet, se dédoubler, se redoubler, en plis, en replis.
Jusqu’au temps lui-même ; jusqu’à « l’aube » comme un pli, comme un dédoublement, le jour se recourbant sur lui-même, origami du temps plissé.
Plus que jamais, comme l’avait pensé Héraclite, le temps est un enfant qui joue : « menotte fluide d’un nourrisson », mais ne joue pas au tric-trac, pas même au tic-tac, mais au "pli-age", courbures et pliures du premier au dernier âge, de l’aube « page blanche » au soir sur feuillet noir.

Dans le repli du temps, « il fut pair deux fois » en un double sens : deux fois pères, et deux fois doubles dans l’écriture et la quête de soi.
Il se fit ainsi « doubler par l’autre ». Le père des enfants rattrapé par le père des écrits.
Bien sûr, il est doublement doublé, redoublé d’une part, lui et son langage écrit, et « doublé » d’autre part au sens de trompé, illusionné. Son langage ne le reflète pas vraiment, et les mots se jouent de lui. Jeu du temps, et jeu du langage ; jeu des mots, qui ne cessent de se jouer de nous.

Les mots se redoublent, en effet, en couples d’homonymes ou d’homophones, nombreux dans le texte du poème : pores et ports ; encre et ancre, par exemple.
Ils sont à l’image du sujet « il » et son « autre » : à la fois les mêmes et différents.

Lorsque le « pair » a trouvé une mer, « il plongeait dans la gueule béante d’un éléphant de mer », et le voilà tel le capitaine Achab avalé par Moby Dick, la baleine blanche. Comme Achab, des deux «jambes molles », il ne lui en reste qu’une, l’autre est faite « d’y voir», celle « sculptée par l’écume ».
Or les « jambes » sont de plumes, dont l’une blanche comme l’écume de mer permet d’y voir, de se voir, et l’autre de se perdre, clairement, lucidement. Ce que l’on saisit dans l’écriture, de la réalité ou de soi, n’est qu’une écume de surface, mais un aveuglement des profondeurs :
« Cécité de varech, transes et lucide perte »

Si le même se confond avec l’autre, le proche, lui, se distingue de son autre au maximum : « promiscuité du gouffre et de l’éclat » ; «lumière sur les bords de l’abîme ».
La clarté jouxte la profondeur ( « gouffre » ; « abîme ») sans l’illuminer. Lumière et obscurité s’avoisinent donc dans une «promiscuité ».
La lumière qu’offre l’écrit sur soi et sur la réalité est contiguë des profondeurs insondables, de l’énigme indéchiffrable ; ce qui est saisi dans le jour s’échappe dans les profondeurs grises d’une nuit sans fond, dans les « abysses du verbe ». Rien n’est translucide, on écrit dans une « transe », mais ce qui est lucide, c’est la « perte » et non les dessous du dire et de la pensée.

Il ne réussit donc à accéder qu’à une image de soi, émiettée, pulvérisée, désagrégée ; la page s’est faite plage en « miroir de sable ».
Il est possible pourtant que toute image de soi ne soit qu’une illusion.
On est victime de bien des « leurres » sur soi.
Il convient donc de remonter au soi d’avant les leurres, de devancer l’heure des leurres.

Inutile de poursuivre d’intarissables commentaires, qui n’épuiseront pas les images produites par les mots du poème.
Juste quelques mots encore pour la conclusion.
« Deviens ce que tu es » : le précepte fut énoncé par Nietzsche, emprunté au poète grec Pindare.
Le sujet impersonnel du poème est-il devenu lui-même, dans les replis origamiques du temps ? Sa quête de soi a-t-elle abouti, après une tentative de connaissance sur soi-même ?

La réponse est nette, mais pas si claire : « il n’est pas devenu ».
Le verbe « devenir » est utilisé de façon absolue, sans attribut du sujet. L’accent est donc mis sur le processus du devenir et sa négation. Devenir pourtant, c’est changer, se transformer, devenir autre, même dans un « devenir soi-même ».
Or l’autre, dans le texte, se confond avec le même, si bien que « il » est resté le même tout en étant autre. L’écriture s’est avérée une approche, une lumière avoisinant l’abîme, et non une révélation. Le chemin vers soi fut une « déroute ».
Mais le « devenir » est traditionnellement opposé à « l’être ».
Et l’auteur écrit, pour clore le texte : « Encore fallut-il n’être ». Ce qu’il faut entendre aussi : « Encore fallut-il naître » ?
Pas de devenir, pas de naissance, pas d’être. « Pourtant rien » ?

Le poème semble aboutir à une vérité paradoxe : c’est en réalisant que nous ne comprenons rien que nous pouvons accéder à la «connaissance » ; c’est en réalisant que nous ne sommes rien que nous pouvons véritablement « être ».
Lautréamont avait détourné la célèbre formule de Rimbaud, en écrivant : « Si j’existe, je ne suis pas un autre ».
C’est à la condition d’exister que le ‘’Je’’ peut être un autre ou le même, peut devenir ou pas. Mais le « je » n’est pas devenu, le « Je» n’a pas trouvé le chemin de l’existence, chemin barré par « un mur » d’une « taille inaltérable », par un « rempart désuet », « une véritable frontière ». « Il » est resté « il ».
« Là où ça était, je dois advenir » : dit une affirmation fameuse de Freud. Mais « je » n’est pas advenu. "Rien" demeure ? "Ça" demeure? Non, il y a les mots, et « Je » n’est pas advenu d’entre les mots. « Je » n’est qu’un « mythe ». Un mythe personnel exprimé en images.

   zoug   
29/10/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
beaucoup imagine que la langue la plus difficile à comprendre pourrait être le maltais ou le chinois, mais non l'idiome le plus complexe est sans nul doute interprétée par le poète.
Cela dit, aprés une lecture à voix haute, on apprécie la recherche...et le mariage des mots


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