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Récit poétique
Pouet : Les hères-airs
 Publié le 05/04/22  -  12 commentaires  -  2887 caractères  -  134 lectures    Autres textes du même auteur


Les hères-airs



Les hères-airs ont tous la coupe au bol. Ils sont pourvus d'ailes invisibles dont le nombre varie selon l'hygrométrie.
Aux heures d'envol libre, ils se parent volontiers d'une tenue vert-de-gris, scaphandre aérisé soufflant les perspectives d'une plongée dans l'azur. Ils aiment à virevolter autour d'une vibration, se sustenter au pur d'un cœur aérobie, siffloter une ariette en compagnie d'un sylphe ou d'un lœss de lune ; mais l'aubade est rareté et l'évasion loisible.

Sous le joug diazoté du Compresseur Diaphane, détecteur bifron d'exhalaisons fortuites, les hères-airs sont parqués en couloirs insalubres serpentant sur les rives de lagons oxydés.

Ils sont alors contraints de créer des courants.

Pour les plus aguerris l'insufflation s'exerce en ballet condensé, les dogmes et les concepts flattent l'entendement en tourbillon sensible, l'albédo cognitif trouble la cécité, la conviction s'opère. La danse est réussie.
Mais, perpétuellement victimes de trous noirs, ils réitèrent l'ordre en bris de continuum.

Hagards, les néophytes se cognent aux parois d'abstraction, s'étiolent en conjectures, frôlent l'irrationnel, et aux prises avec d'oniriques turbulences s'éraflent aux millibars de l'imagination.
La lumière s'acclimate aux pensées asthmatiques et c'est en ce terreau que germent les étoiles.

Sans relâche les hères-airs doivent composer le sens, objecter l'espérance aux ferveurs du vide en un photosphérique menuet pulsatile.
Ils pratiquent le mouvement avec condescendance.

Sur quelque hyperplan, leurs enfants, chacun dans leur ozone, jouent à saute-nuage ou font du toboggan sur la traîne d'une comète. Si l'un d'eux s’égratigne contre une dimension, causant mini-cratère ou bien ultraviolet, il suffit d'appliquer un peu d'éther aux confins de la plaie. Les hères-airs choient leurs petits quasars sans précipitation et de leur voix lactée murmurent des berceuses constellant de penons les aires de jeux pneumatiques.

(Les bambins sont ici le reflet de quelque chose qui n'a de cesse de s'évaporer.)

N'allant jamais plus loin qu'eux-mêmes, les hères-airs ne font que des retours.
Ils évoluent en circonvolutions autour de lignes droites hérissées, plantant des esquilles de routes nonchalantes.
Ils démarchent le supposé en catapultes de reptation.

La chorégraphie du but – ce pour quoi ils s'agitent sans cesse – n'est sans doute que prétexte. Ils fluctuent, à l'orée de la noosphère, ne cherchant le rien qu'en particulier.
Les hères-airs appontent l'éphémère éternité, prennent pied, s'égarent en rase-mottes.
Sans bras, ils brassent.

Il se pourrait que, par ignorance ou distraction, nous en ayons écrasé un en refermant la fenêtre.
Qu'importe. Car pour eux, nous n'existons pas.


 
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   EtienneNorvins   
29/3/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Après la terre, l'eau et le feu, voici "bien sûr" venir l'air - et ses êtres 'RER' ?
Merci à l'auteur démasqué pour cette exploration sociale 'élémentaire' !

[En EL]

   Anonyme   
5/4/2022
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Cette fois, je n'ai même pas eu besoin d'ouvrir le texte en Espace Lecture, au titre je vous avais reconnu, Pouet.

Si je ne m'abuse, avec ce poème vous closez votre série élémentale. Je me dis deux choses :
- j'aurais préféré la découvrir entière plutôt qu'un récit poétique après l'autre, j'aurais sans doute cherché des correspondances, des va-et-vient ;
- de cette série, sans conteste c'est le feu que j'ai préféré, c'est lui qui m'a paru le plus intense, porter en lui autre chose que ce qu'il dit.

Parce que, sur l'air, me reste une impression générale de gratuité. Un jeu, comme ça, qui ne va guère au-delà de la dimension ludique. Agréable bien sûr, habile, mais que je ne parviens pas à "imprimer" dans mes circonvolutions cérébrales.
Du coup, ne parvenant pas vraiment à m'attacher au propos, mon attention se focalise sur les endroits assez fréquents où sévit ce rythme d'hexasyllabes et dodécasyllabes cachés qui, en prose, me paraissent tenir du procédé. Alors je les guette, ces endroits, et le sens et les réseaux de signification me deviennent opaques. Exemples :
les hères-airs sont parqués en couloirs insalubres serpentant sur les rives de lagons oxydés.
Ils sont alors contraints de créer des courants.
Pour les plus aguerris l'insufflation s'exerce en ballet condensé, les dogmes et les concepts flattent l'entendement en tourbillon sensible, l'albédo cognitif trouble la cécité, la conviction s'opère. La danse est réussie.
(Et là, vous voyez, c'est dur : ces extraits se suivent ! Impossible pour moi de ne pas remarquer ce rythme obsédant.)

Dommage, je suis sûre que m'échappent plein d'astuces et de joliesses, j'ai tout de même noté
Les hères-airs choient leurs petits quasars sans précipitation
qui m'a attendrie.

Mais en ce qui me concerne, le récit poétique cette fois n'atteint pas son but. Son rythme me rend sourde.

   papipoete   
5/4/2022
bonjour Pouet
Ne serait-ce que pour la gymnastique des mots, je dois aller jusqu'au bout de ce chemin de votre plume, qui faut-il le dire divague à tire d'aile !
Je ne noterai pas, laissant cette tâche aux amateurs, que nul terme n'aura égaré, mais régalé !
Pardonnez d'avance ce que je crois voir ; de pauvres hères se shootant à l'air aromatisé d'un sac plastic gonflé...
Si j'ai juste, je ne peux m'empêcher de penser à " Moi, Christiane F... " ou à plus intime pour moi... un chemin de croix

   Anonyme   
5/4/2022
Bonjour Pouet

Autant j'avais adoré les Pêcheurs d'Aiguilles, mon élément étant l'eau ça doit jouer, qui fourmillait de trouvailles poétiques et de petites pétulances délicieuses, autant sur les hères-airs, c'est un calme presque plat comme si à la fin de votre tétralogie vous étiez épuisé ou lassé (ce que je ne crois pas)... Mais comme vous êtes archi-doué vous savez finir en beauté :

"Il se pourrait que, par ignorance ou distraction, nous en ayons écrasé un en refermant la fenêtre.
Qu'importe. Car pour eux, nous n'existons pas."

Absolument magnifique...

je ne note pas, ça serait indigne de vous

Anna

   StephTask   
5/4/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je n’ai rien compris à ce poème écrit à la fois avec un manque d’oxygène et porté par un courant d’air qui ressemble à un furvent.
Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Damasio.
Je me réjouis que ce texte, telle une bouteille à la mer, s’arrache à la singularité d’un trou noir pour échouer sur ma tablette.
Grâce à mes lunettes infrarouges, en néophyte, j’ai lu et relu chaque mot de manière pulsatile, comme un quasar frénétique et si l’albédo cognitif a fini par ouvrir mon esprit, mes yeux ont été brûlés par un talent évident.
N’attendez donc aucune rationalité de ma part pour commenter ce qui échappe à mon hyperplan. Je m’affranchirais juste du joug diazoté pour crier d’une voix lactée : bravo Pouet !
Désolé, je m’éclipse, j’ai 3 autres éléments à découvrir…

   pieralun   
6/4/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je n’ai pas l’habitude de lire les récits poétiques, le temps me manque.

Bonjour Pouet, mais ici je me suis laissé entraîner par les premières lignes.
Que dire? J’ai d’abord pensé à une bd de ces dessinateurs qui nous font rêver sur le cosmos, les galaxies…, je ne sais pas pourquoi j’ai vu des couleurs, le vert d’une aurore boreale par exemple.
J’ ai imaginé des petits êtres translucides ayant un rôle important dans l’oxygénation des galaxies.
Bref j’ai rêvé et c’est beaucoup, merci

   Cristale   
6/4/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le dernier tableau (avant le prochain?) d'un quadriptyque aux couleurs qui dépassent mon entendement tellement terre-à-terre mais qui me fait voyager dans l'univers de l'auteur comme dans une autre dimension. Un regard hors du commun sur le monde et les êtres qui me laisse les yeux écarquillés et les oreilles toutes ouïes devant cette richesse syntaxique et cette incroyable musique - c'est pas possible que de tels sons existent et pourtant, si - qui n'appartiennent qu'au narrateur; mais comment lui dire avec mon verbiage si prosaïque ?

Cristale
qui erre dans vos aires sans en avoir l'air...

   Vincente   
6/4/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Même si je ne suis pas conquis par la présentation "descriptive" de ces derniers êtres découverts, j'ai aimé sentir la gestation de leur réalité au gré des entrelacs de la pensée du poète. De la sorte leur naissance m'est apparue fruit de conjugaisons incertaines, insoupçonnées, mais pourtant conséquentes et intéressantes en ce qu'elles ouvrent à d'insolites mais compréhensibles conceptions.
Agrégés de ce qui nous constituent, ces hères-airs nous reconstituent mais d'une autre manière, un peu comme s'ils étaient une autre déclinaison d'une hypothétique évolution de nous-même gagnés depuis notre origine par d'autres conditions, d'autres priorités… Cela me semble plus sensible avec eux qu'avec leurs trois congénères précédemment évoqués par l'auteur, qui me sont apparus moins "humanoïdes" ; mais c'est sûrement très subjectif.

Mes préférences parmi les concepts évoqués :
" Aux heures d'envol libre, ils se parent volontiers d'une tenue vert-de-gris, scaphandre aérisé soufflant les perspectives d'une plongée dans l'azur. Ils aiment à virevolter autour d'une vibration, se sustenter au pur d'un cœur aérobie,…"

"Hagards, les néophytes se cognent aux parois d'abstraction, s'étiolent en conjectures, frôlent l'irrationnel, et aux prises avec d'oniriques turbulences s'éraflent aux millibars de l'imagination.".
Ça c'est très bon ! Là nous, hommes, sont bien leurs frères, assez touchants…

De même ici :
"Sans relâche les hères-airs doivent composer le sens, objecter l'espérance aux ferveurs du vide…"

Et peut-être encore plus ici ! :
"N'allant jamais plus loin qu'eux-mêmes, les hères-airs ne font que des retours.
Ils évoluent en circonvolutions autour de lignes droites hérissées, plantant des esquilles de routes nonchalantes.
"

Et j'ai beaucoup aimé le final, que "nous en ayons écrasé un en refermant la fenêtre.
Qu'importe. Car pour eux, nous n'existons pas.
".
D'une vanité, voire vacuité, assumée qui nous va, je le crains, si bien ! même si elle ne nous justifie pas quand nous sommes en vie, mais mort par contre…

   Cyrill   
6/4/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Dès la première ligne j’ai vu, désolé, ces hères-airs comme des playmobils, à cause de leur coupe au bol (d'air bien sûr), et mon impression s’est accentuée en découvrant des accessoires qu’on trouve dans la boîte avec ces petits bonshommes : scaphandre et tenue vert-de-gris, compresseur diaphane. J’étais parti pour sourire à cette image sans vraiment savoir où j’allais.

Par la suite, ces êtres m’ont paru beaucoup plus éthérés, mais l’excès de vocabulaire scientifique, ou du moins savant (loess, bifron, albédo ), m’a obligé à consulter un dico trop souvent pour que ces hères me soient imaginables.

Je retire de l'ensemble une sensation d’éphémère, qui n’est pas sans résonance avec notre propre insignifiance, et aussi un plaisir de lecture, grâce à un texte bien rythmé et de belles sonorités.
Je n’irais pas jusqu’à parler de gratuité de certains passages, car c’est sans doute moi qui suis resté sur la touche, mais j’en parle tout de même. Peut-être est-ce plutôt que la forme semble parfois prévaloir, par exemple ces sortes d’oxymores : « ne cherchant le rien qu’en particulier », « l’éphémère éternité ». De belles formules comme des friandises mais un peu systématiques.

Question : ces hères-air prennent-il le RER ?

   Vert-de-Gris   
6/4/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
A l'évocation de mon nom, je ne pouvais pas passer sans dire un petit bonjour ;-P

Nan plus sérieusement, ce que j'aime ce type d'imaginaire ! Le petit développement sur l'oxydation m'a bien plu naturellement, et comme j'ai apprécié de voir mentionnée la noosphère ! Concept si rare d'habitude...

Après lectures de tes autres textes, j'en viens à me dire que j'ai un certain mal avec ce style en fin de compte. Pas mal dans le mauvais sens. Mal dans le sens ardue. Je ne comprends pas ce que je lis, mais des images me viennent en trombes, des sensations. La succession et la surenchère de mots précis donne vie à une sorte de gemme aux contours finement taillés. Le tout est anguleux mais très plaisant à tenir dans ses mains.
Bref ! Très sympa, y a un mystère qui m'attire :)

PS : inspiration consciente d'origine damasienne ou convergence artistique due au hasard ? ;)

   hersen   
7/4/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément
Quatre éléments.
LES quatre éléments.

Ce quadriptyque, de la façon dont il est écrit, me fait penser que l’auteur veut dire bien autre chose. Que l’on pourrait ajouter bien d’autres tableaux, que ces quatre éléments, si vitaux, indispensables, aboutissent à une vie sur Terre cruelle. Je me base sur le ‘Il se pourrait que par ignorance ou distraction nous en ayons écrasé un en refermant la fenêtre. Qu’importe, car pour eux, nous n’existons pas. » final.
Cette fin est admirable dans sa cruauté, dans l’éclair de lucidité, c’est translucide comme un être
hère air.
Je ne sais pas franchement jusqu’où tu as voulu aller, avec toi je me méfie car tu réponds toujours par une pirouette, du genre une pipouette, et comme quand on m’ouvre une boîte avec plein de questions existentieslle dedans, je me jette dessus, j’en ai pour un bout de temps à « supposer ».

Ce quadriptyque est très riche, il a ta marque talentueuse indéniable. Pour autant, je pense que j’aurais préféré l’aborder dans son entier la première fois, car je vois une ouverture à tant d’autres « iptyques » puisque que de ma lecture, je retire qu’il serait réducteur de penser n’être que les fils et filles de l’eau, de la terre, du feu et de l’air, puisque en quelque sorte ils nous ont façonnés. Pour le meilleur et pour le pire. Et que découvrir d’emblée l’immensitude (c’est top, ça, non?) de la réflexion, je me serais plongée dedans sans masque ni tuba. Alors que là, j’avais trop mon temps pour respirer entre les coups.
Tout ceci n’est qu’une réflexion personnelle, que t’as fait comme t’as voulu et qu’au final, seul ce dernier point compte vraiment.

Il y a un côté "lecteur méritant" à s'engouffrer dans un tel texte. et c'est tout ce que j'aime en littérature, avoir l'impression qu'en tant que lectrice, je me casse encore plus la tête à lire que l'auteur à écrire.

c'est valorisant :))) Donc un com pour le tout, ça le fait, non ?

Merci de nous avoir offert cette lecture.

   Eskisse   
9/4/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Salut Pouet,

Donner vie et "épaisseur"" à des êtres inconsidérés, des "hères", est pour moi toujours touchant et attrayant.

L'homonymie du titre vous accroche et vous invite à l'empathie.
Et ces êtres ont partie liée avec les " courants de pensée" qu'ils frôlent ou cognent avec opiniâtreté, ou créent en " résistance" à leur sort, on retrouve là l'humour et la profondeur de l'auteur.

Ces " agités" sont attachants ( pour moi qui aime la danse) aussi par leur chorégraphie fluctuante, non intentionnelle et forcément aérienne...A la première lecture, j'ai cependant regretté l'abondance d'un lexique technique qui leur donnait selon moi un peu de pesanteur. Mais celui-ci contribue sûrement à les rendre " visibles" et son absence aurait peut-être crée une vision idyllique qui n'est pas celle voulue par l'auteur.

Le final très réussi, et qui constitue un pied-de-nez au lecteur, m'a fait penser à un roman jeunesse de JC Mourlevat, La rivière à l'envers , dans lequel on n'existe plus pour les autres dès lors qu'on traverse la forêt de l'oubli.

Un bien bel ouvrage
Merci du partage


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