C’est la fête et les rires, qui emportent les cœurs, De tous ces danseurs ivres, de musique et de vin. Ils marient aujourd’hui, une fille, une sœur, Une nièce, un ami, un frère ou un cousin. Pour célébrer ensemble, cet immense bonheur, Ils danseront ainsi jusqu’au petit matin, Puis, devant la fatigue, un peu à contrecœur, Ils rentreront chez eux, épuisés et sereins.
Sur la piste de danse, un couple se déchaîne, Virevolte, s’enlace, sur un rythme effréné, Oubliant un instant qu’ils ont la quarantaine, Qu’ils ont une famille et qu’ils sont mariés. Leur bonheur éclabousse, illumine la scène, Ils rient et tourbillonnent, tels des jeunes premiers, Mais leurs regards complices, nous révèlent la chaîne, Qui les lie à jamais, dans cet affreux secret.
Car malgré leurs sourires, il n’y a dans leurs yeux, Pas la moindre lueur, ni la moindre étincelle, Et cette ombre maligne, qui s’est posée sur eux, Les prive de lumière, comme une triste ombrelle. Leurs épaules supportent, le poids vertigineux De l’absence, du vide et la plaie éternelle, Imprimée dans leurs chairs, par ce matin brumeux, Quand tout a basculé dans cette mort cruelle.
Plus rien n’est comme avant, leur fille a disparu, Emportant avec elle tout ce qu’était leur vie. Chaque rire est coupable, chaque larme est un dû, Le bonheur et la joie sont à présent bannis. Et les minutes posent des questions incongrues : Que serait ce moment si elle était ici ? Que serait maintenant, s’il n’y avait pas eu Ce terrible malheur, l’affreuse tragédie ?
Ils sont seuls à connaître, cette détresse immense De savoir dans une urne leur enfant de vingt ans, Et personne ne peut mesurer la souffrance, Qui chaque jour les ronge, inexorablement. En instable équilibre, au bord de la démence, Accrochés l’un à l’autre face à ce trou béant, Ils savent qu’ils sont seuls, et que ni dieu, ni transe, Ne fera revenir leur trésor, leur enfant.
Mais ce soir il ne faut aucune ombre à la fête, Alors ils font semblant, il faut donner le change. Ils fabriquent ce masque dont ils couvrent leurs têtes, Et cachent leur misère, par ce sourire étrange. Ils font bonne figure, et dociles ils se prêtent, À ce jeu convenu où ils boivent et ils mangent, Où les gens autour d’eux, poussent la chansonnette, Où ils dansent éperdus en pensant à leur ange.
Et quand ils seront seuls, dans leur chambre, enfermés, Loin de toute musique, loin des chants et des cris, Elle devant sa glace, à se démaquiller, Et lui, chemise ouverte, assis au bord du lit. Ils laisseront couler, de leurs yeux fatigués, Des larmes silencieuses, pour leur enfant partie, Puis ils se coucheront, tous deux bouleversés, Car leur fille, jamais, n’aimera un mari.
|