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Poésie contemporaine |
Quidonc : 19 février 1926 |
Publié le 13/04/21 - 6 commentaires - 12717 caractères - 85 lectures Autres textes du même auteur
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Dans la nuit du 19 au 20 février, une goélette de Paimpol, la Surprise, vint se briser sur les rochers de l'enfer de Plogoff.
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19 février 1926
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************** Premier Tableau ****************
« Si jamais tu passes le Ras, si tu ne meurs tu trembleras. » Victor Hugo
« Si jamais tu passes le Ras, si tu ne meurs tu tremmmmm31 janvier « Si jamais tu passes le Ras« Capitaine ! Cap’tain, prêt à appareiller ! » « Si jamais tu passes le RasLibouban ordonna, savourant sa maîtrise ;(1) « Si jamais tu passes le Ras« Hissez haut, hissez haut et rentrons au foyer, « Si jamais tu passes le RasLe ciel est dégagé profitons de la brise. » « Si jamais tu passes le RasAprès avoir chargé du sel pour Saint-Malo « Si jamais tu passes le RasAu matin, la Surprise abandonnait Lisbonne. « Si jamais tu passes le RasCela faisait huit ans que, troquant leur calot, « Si jamais tu passes le RasIls avaient recouvré leur casquette bretonne.
Brodequins embourbés, baïonnette au canon, Il n’avait pas suffi de quatre années de guerre Pour transformer un homme en infirme sinon Survivant détroussé de son instinct grégaire. Il n’avait pas suffi, pourquoi, d’avoir offert L’un visage cassé, l’autre une âme meurtrie, Qu’on prescrive une loi, avec trois fils de fer, Pour que les vétérans pourvoient à la patrie. Lors issu de l’ignoble un texte cafouillis Disposa des martyrs obscurs des gaz moutarde, Facteur, champêtre et moi, la Vieille, j’accueillis Deux « emplois réservés » sans autre mise en garde ! L’État, lourd de champagne et léger de remords, Fit ainsi expédier, au fond du Finistère, Deux tristes subsistants, vivants à demi-morts, Dont je fus pour un temps, trop long, la geôlière, Charles Mandolini et Georges Terraci, Deux Corses, deux soldats, deux pauvres porte-poisse, Qui m’étaient affectés pour parer au gâchis, Deux spectres inconscients, déterrés de l’angoisse. À peine un pied posé sur le Gorlebella,(2) Je compris que ces deux, au branle aléatoire, N’étaient pas de ceux qui entrent dans la cella,(3) Mais s’étaient hasardés pour un amer déboire. Le premier, qui tenait pendu comme un jambon Un bras mort et suintait une peur criminelle, Longeant le cartahut sur le flot furibond, Macula de vomi son gilet de flanelle. Le second réchappé se trouvait un grognon Qui gardait une balle errant dans ses entrailles, Enkystée en sa panse, aigre comme un oignon, Comme un soleil souillé constellé de mitrailles.
(1) Guillaume Libouban : Capitaine de la goélette la Surprise. (2) Gorlebella : « La roche la plus éloignée » en breton. (3) Cella : Sanctuaire interdit aux profanes où était érigée la statue d'une divinité. La cella est fermée, nul n'y entre que le prêtre, l'initié.
************** Deuxième Tableau ****************
« Si jamais tu passes le Ras, si tu ne meurs tu tremmmmm11 février
« Si jamais tu passes le RasC’est un verre à la main que goûtant le repos, « Si jamais tu passes le RasFrancisco négociant en vin de La Corogne(1) « Si jamais tu passes le RasPrit en photo Léon devant son entrepôt.(2) « Si jamais tu passes le RasLa Surprise, avant de traverser le Gascogne, « Si jamais tu passes le RasAvait fait embarquer de ce vin espagnol « Si jamais tu passes le RasQui avait égayé les tranchées et la guerre, « Si jamais tu passes le RasLors qu’un poilu buvait en mimant ce guignol(3) « Si jamais tu passes le RasClamer « mourir n’est rien », un doigt levé, vulgaire.
Tu le sais comme moi, ne devient pas qui veut, Ne s'improvise pas, qui veut, gardien de phare En été comme hiver, tous en feront l’aveu, Les embruns de la mer s’y boivent fût-et-fare.(4) Cent vingt marches pour ces deux anciens fantassins Étaient un châtiment plus âpre que le bagne. Les hurlements du vent, la chaussée de Sein, Rien n’est plus éloigné de Corse que Bretagne. Loin de Porto-Vecchio, de ses marais salants, Loin des pitons abrupts, saillants d’un maquis sombre, Sur lesquels d’insoucieux cabris s’en vont bêlant, Loin de son golfe calme où les bateaux en nombre Déchargent leurs ballots de liège sur les quais, Loin des grands châtaigniers, des rires des mouettes, Des cistes embaumeurs et du chant des criquets, Les vagues désormais, blanchâtres silhouettes Dans le pré d’Asphodèle, attestaient de l’enfer Loin de toute espérance et forts de certitudes Qu’aujourd’hui, que demain, seront pires qu’hier, Que le bonheur jamais ne prend des habitudes. Et précédent pluviôse, aux vents de mi-janvier, Lors que les vives-eaux empêchaient toute approche, Englobant l’horizon jusqu’à l’en-murailler, La brume interdisait qu’on accoste la roche. Ahès cheminait, fille du roi Gradlon, Dans un grincement de fers rouillés et de chaînes, Venant pour embrasser, sur un brisant félon, Les marins incarnant la cible de ses haines. Ainsi les flots furieux, escaladant le bloc De la tour, lui crachaient toute leur amertume, Tant dure était la vague et tant battait le roc Que le vent arrachait des tourbillons d’écume.
(1) Francisco est le seul personnage fictif. (2) Léon Leguen : Matelot sur la Surprise. (3) «... Il n’y aura pas un enfant de notre sol qui ne soit pas de l’énorme bataille. Mourir n’est rien. Il faut vaincre… » Georges Clemenceau. (4) Fût-et-fare (Le Mans) : Adverbe. Le contenant avec le contenu. « Vendre le cidre fût-et-fare : vendre le cidre en barrique. »
************** Troisième Tableau ****************
« Si jamais tu passes le Ras, si tu ne meurs tu tremmmmm16 février
« Si jamais tu passes le RasContinuellement le vent avait forci « Si jamais tu passes le RasObligeant l’équipage à descendre le flèche, « Si jamais tu passes le RasRéduire la grand-voile à deux ris, mais aussi « Si jamais tu passes le RasLa barre se montrait de plus en plus revêche. « Si jamais tu passes le RasTous le savaient que de l’étrave à l’étambot, « Si jamais tu passes le RasLa Surprise souffrait de la coque à la voile, « Si jamais tu passes le RasComme ses compagnons Jean chaussa ses sabots(1) « Si jamais tu passes le RasProlongés d’une gaine et sa veste de toile. « Assaillis par les vents, le feu nous fait tenir, Le brouillard enténèbre et le Sein se réveille, Sentinelle des mers je ne peux les trahir Car je suis le salut, le phare de la Vieille. » Depuis trente-trois jours, depuis trente-trois nuits, Kerninon Jean-Noël était resté sur terre, Depuis trente-trois jours, depuis trente-trois nuits, Le ravitaillement se faisait lacunaire, Sans plus de pain, sans eau, privés du moindre rat, Pour étancher leur soif ils pourléchaient les vitres. Les reclus relisaient, sur le chemin du raz, De saint Paul aux Romains et d’autres épîtres,(2) Durant toutes les nuits leurs grognements porcins Gravissaient l’escalier, désespérés de rage, Dans le colimaçon les efforts assassins Sifflaient de leurs poumons, pourrissant leur courage. S’abattant sur les murs au rythme du tambour, Avec la même ardeur que le diable leur maître, Les vagues déferlaient jusqu’en haut de la tour Haute pourtant de plus de trente-quatre mètres, Conservant largement de force pour briser En mille et un morceaux la baie de vitre épaisse Qui entourait le feu, sans jamais s’épuiser. Rompu Charles hissa le signal de détresse. Minuit était passé quand Georges Terraci Trouva son compagnon couché dans la lanterne, Près du fanal éteint. Georges dit « me voici » Et dans un même élan mit ses espoirs en berne. Mandolini, brisé, de son unique bras N’avait pas achevé les charges centenaires, Le phare s’éteignit par un sort scélérat, Noirs démons en lambeaux les deux amis pleurèrent.
(1) Jean Fichou : Novice sur la Surprise. (2) Épître de saint Paul aux Romains : « Le thème central est la fidélité de Dieu manifestée dans le salut par la foi. Tous les humains sont coupables devant Dieu et méritent sa colère, mais il y a une bonne nouvelle : la promesse de salut en Christ pour qui croit. »
************** Dernier Tableau ****************
« Etre enez hag er beg, eman berred ar goazed » ou « Entre l’île et la pointe, c’est le cimetière des hommes ». Proverbe breton
« Si jamais tu passes le Ras, si tu ne meurs tu tremmmmm19 février 1926
« Si jamais tu passes le RasPierre et Emmanuel, novices, matelots,(1) « Si jamais tu passes le RasÉdouard, Louis, Bever, tous étaient aux manœuvres.(2)) « Si jamais tu passes le RasLe pont s’emplissait d’eau, sous le vent aux dalots, « Si jamais tu passes le RasLa coque se tordait et fissurait les œuvres « Si jamais tu passes le RasVives, mortes, partout l’eau faisait irruption. « Si jamais tu passes le RasLa seule évocation de l’enfer en débauche « Si jamais tu passes le RasProjeta Jouannet hors de l’embarcation,(3) « Si jamais tu passes le RasUne ombre se dressait dans le brouillard, « Ar Groac'h » !(4)
Ar-Men, à toi qui m’as vu naître,(5) Toi qui des enfers es l’enfer,(6) Ahès est rentrée chez son maître Remportant ses chaînes de fer,
Justice garde haut ton glaive, Ar-Men, c’est pourquoi je t’écris, Ces corps rejetés sur la grève, Ne sont pas du fait des conscrits.
Ils étaient huit, mon capitaine, Huit que la mer a démembrés, Ils étaient huit, mon capitaine, Lorsque la Surprise a sombré.
Ils étaient cent, ils étaient mille, Deux cent mille à être embauchés, Ils étaient cent, ils étaient mille, Deux étaient seuls sur mon rocher.
(1) Pierre Le Chevert : Matelot – Emmanuel Jouannet : Novice. (2) Édouard Gueguen : Maître d’équipage – Louis Le Trocquer : Matelot – Bever : Matelot. (3) Emmanuel Jouannet : Novice de Plouézec. (4) Ar Groac'h : Phare de la pointe de Sein ; « La vieille » ou « la sorcière » en breton. (5) Ar-Men : Phare de la pointe de Sein ; « le rocher » ou « la pierre » en breton. Ar-Men et la Vieille sont deux phares de l’île de Sein. (6) Les enfers, phares isolés en mer qui impliquent en plus des relèves dangereuses. Les purgatoires, phares situés sur une île, les paradis, phares situés à terre.
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inconnu1
28/3/2021
a aimé ce texte
Beaucoup
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Quels travail. J'avoue que je n'ai pas été au bout car, en EL, on se doit d'être rigoureux sur chaque vers et là, c'est compliqué.
Malheureusement, vu le travail, il était compliqué de respecter toutes les règles du classique, catégorie que vous revendiquez. Et rapidement, on se rend compte que vous ne respectez pas la concordance visuelle des rimes (Saint Malo- calot ; offert -fer...) Nous sommes donc d'emblée hors du classique et malheureusement, vous avez une façon non homogène de respecter des diérèses (parfois oui mou...ette ; parfois non "pluviôse" et toutes les rimes en tion...) et cela, suivant les règles d'Oniris pourrait vous faire basculer en contemporain. Parfois vous comptez les e muets (chaussé..e de Sein) mais parfois non (tranchées) et rarement, la césure ne se fait pas à l'hémistiche.
Mais en dehors du fait que les règles du classique sont très strictes et qu'il est difficile de toutes les respecter sur un poème aussi long, le texte a du chien. Le passage des dodécasyllabes aux octosyllabes de la dernière partie est bienvenue et nous fait encore mieux vibrer à la mort des marins.
Bien à vous
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papipoete
13/4/2021
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bonjour Quidonc je ne vais pas mentir ; je n'ai fait que survoler votre texte, saga épique d'un long voyage par delà une mer déchaînée, qui verra l'équipage de la Surprise réduit à deux pauvres matelots, après un apocalyptique naufrage. NB j'aurais vu ce titanesque texte, plutôt en " récit poétique ", mais le pari de rimer et faire de ces lignes des dodécasyllabes, me rend admiratif et dubitatif face à l'ampleur de la tâche ! je commente rarement les " nouvelles ", à cause de leur taille justement ; aussi, lire à la loupe cet Everest de poésie m'a semblé gageure que je n'ai point tenue. Bien sûr, ne puis-je donc noter, mais si je pouvais multiplier mes mains par X, j'applaudirais à tout rompre ! Bravo !
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hersen
13/4/2021
a aimé ce texte
Bien ↑
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Il faut vraiment prendre le temps de lire ce texte, mais on n'est pas déçu. Un poème épique marin, dont l'écriture m'a beaucoup plu, en ce sens qu'elle nous transporte dans ce monde, cette historique, et qu'il y a en même temps une très belle fluidité.
Il est rare que nous ayons sur le site des poèmes versifiés aussi longs, mais c'est un avantage du site, il offre une grande diversité.
Je regrette un peu tant de notes. Car on ne peut s'empêcher de les lire, et elle coupent un élan de lecture. Je pense que bien souvent, et pas seulement ici mais de façon générale, il est toujours bon de chercher à donner une compréhension de ce qui est moins abordable directement dans le texte, d'une façon ou d'une autre. De l'intégrer.
Merci de cette lecture !
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Anonyme
14/4/2021
a aimé ce texte
Passionnément
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Bonjour Quidonc,
Quelle belle surprise ! Cette composition est vraiment intéressante. À l'œil déjà, l'auteur a su réaliser une mise en page attractive pour pallier au premier sentiment suivant "Je ne pourrai jamais lire ce trop long texte"
Ensuite l'exergue,précieuse information pour éviter que le lecteur ne se noie dans le poème (ou pire, avant de lire)
Premier tableau :
La citation renseigne tellement bien sur la nature de ce récit. Ce n'est pas un hasard que Quidonc cite Victor Hugo,auteur de la "Légende des siècles". Je me régale d'avance de ce que je vais découvrir. Le renvoi au glossaire final est une super idée surtout sur la forme retenue : mettre des petits numéros aux renvois, c'est du domaine de l'édition, ça fait pro. Ensuite la lecture commence par un dialogue et j'avoue que c'est ce matin que je réalise ce que veut dire lle titre de laa chanson de Hugues Aufray "Hisse et ho ". J'avoue que ma lecture a été perturbée par cette idée : que c'est fabuleux de parvenir à offrir un tel poème au Oniriens.
"Obligeant l’équipage à descendre le flèche," (3ème tableau ligne 2)je me suis demandé si "le", allait bien devant "flèche"
[mon commentaire est fait au fil du texte, mes excuses à l'auteur pour son côté fouillis]
Le choix du format pour le dernier tableau est ""fabuleux" :Ffinir sur des octosyllabes permet au lecteur sonné par la taille et la qualité des 3 premiers tableaux de se sentir plus à l'aise, plus retenu par ce léger changement de rythme.
Je ne suis pas fan de Victor Hugo (un ami me disait : " si tu ne peux pas dormir, lis Victor Hugo, le rythme de ses alexandrins te fera plonger dans un bon sommeil"), donc je ne peux guère commenter la forme, ce n'est pas mon domaine de prédilection, juste dire que je n'ai pas été arrêtée par un vers "boiteux" (moins bien, ou moins harmonieux, ou moins clair. (p.s., tout va si vite sur les sites de poésie, je préfère vous offrir le brouillon d'un commentaire construit que rien du tout, ne sachant pas si je suis capable de ressortir cette perle des archives lorsqu'elle ira rejoindre les 2 poèmes publiés par jour tous les jours de l'année.)
Chapeau bas ! Éclaircie Je "n'aime pas passionnément" ce poème mais sa lecture, sa qualité m'ont passionné ce matin. Merci
[Ps 2 : excusez les coquilles, je ne suis pas en mesure ces jours d'offrir mieux, bras dans le plâtre]
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Malitorne
15/4/2021
a aimé ce texte
Un peu
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Une poésie originale mais je ne peux pas dire que je l’ai vraiment appréciée, dans le sens du plaisir pur de lecture. Pour deux raisons essentielles. D’abord je trouve que sa place aurait été plus judicieuse en nouvelle, vous aviez matière à faire une histoire tragique. Votre style prouve que vous en étiez largement capable. Ensuite c’est compliqué à lire, beaucoup de références à connaître et une disposition des strophes assez pesante. Je salue le travail de documentation, toujours appréciable chez un auteur, mais ne suis pas arrivé à pleinement rentrer dans le souffle épique de cet hommage aux marins.
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Cyrill
21/4/2021
a aimé ce texte
Passionnément ↓
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La longueur ne m'effraie pas quand on me raconte une histoire, une histoire de marins qui plus est, et quelle histoire !
Il fallait être fichtrement bien renseigné pour conter par le menu cette aventure, avec ses protagonistes habilement brossés. Le champ lexical de la mer me réjouit, et les quelques mots bretons itou.
La mise en page est aérée et l'alternance de blocs de vers de différentes longueurs permettent une lecture aisée.
Le dénouement m'a chaviré si j'ose dire.
Pour la forme un petit reproche pour quelques rares vers au rythme un peu ardu, peut-être.
Merci pour ce voyage à travers le temps et sur ces eaux tempétueuses.
Cyrill
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