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Poésie néo-classique
Ramana : As-tu vraiment vécu ?
 Publié le 12/01/23  -  10 commentaires  -  2065 caractères  -  178 lectures    Autres textes du même auteur

As-tu vraiment vécu ? En fait, la question n'a pas lieu d'être, chaque vie étant impossible à jauger par les autres, mais on ne peut s'empêcher de parler de « vie intense, vie plate, vie riche, vie de misère… » alors que nous vivons peut-être tous à intensité égale, et que chacun est peut-être rétribué à la mesure qui lui convient.
Mais la question ainsi posée permet, en se penchant sur la dalle « d'ici gît un tel », de méditer sur sa propre vie.


As-tu vraiment vécu ?



Entre ton premier lait et ta dernière bière,
Avant que la nuit tombe, as-tu vraiment vécu ?
Conte-moi tes chemins de pluie et de lumière,
Appariés ils sont les faces d'un écu.

Debout devant la pierre où passent les nuages,
Je te parle ici-bas, peut-être m'entends-tu ;
Ouvre ton livre d'or aux mille et une pages,
Et mêlons à présent nos ondes, in situ.

Enfant as-tu connu ces ombres fugitives
Qui, entre chien et loup, dansent dans l'air du soir,
Spectres silencieux surgis de l'autre rive
Charmant tes jeunes ans si prompts à s'émouvoir ?

As-tu jamais maudit les hommes et le monde
Pour n'avoir su vraiment comprendre ton malheur
Quand, devant ton miroir, la colère et la fronde
Envahissaient ton âme et déchaînaient tes pleurs ?

Devant tant de beauté au front d'une ingénue,
As-tu vécu ce trouble à nul autre pareil,
Cette implacable faim de ta chair contenue
Comme on couvre le feu pour le mettre en sommeil ?

Pour la veuve et l'enfant, as-tu sorti le glaive
Et tranché le démon échappé de ton corps
Afin que jamais plus il ne hante les rêves
Où tu fus chevalier sans cœur et sans remords ?

Dessus la mer jolie, as-tu bordé tes voiles
Et tenté le destin avec pour seul credo
Le désir d'inconnu et l'amour d'une étoile
Amenant ta folie à croître crescendo ?

As-tu su t'évader de la prison terrible
Dont tu fus le geôlier intraitable et cruel,
Et cueilli cette fleur à la robe indicible
Offrant à l'air léger son suc intemporel ?

Mais dis-moi, quand tu vis s'approcher la faucheuse,
L'as-tu bien regardée et tenu son regard ?
Lorsque, jusqu'à la lie, on a vidé sa gueuse,
Ne doit-on pas sans peine acquiescer le départ ?

À t'invoquer, j'ai cru ressentir ta présence
En ce havre où les os chuchotent des récits.
Je ne sais rien de toi, ni de ton existence,
Seul un nom sur le marbre… et le mien en sursis.


 
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   Miguel   
30/11/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
De fort beaux vers, ma foi, et un classicisme rigoureux (cette histoire d'hiatus est une sotte règle). Des questions qui évoquent les moments intenses de la vie, et les autres, de belles images, une musicalité et un souffle à la fois lyrique et épique.
J'aime bien la symétrie du premier vers, et le jeu de mot sur "bière". La dernière bière est suivie d'une autre ; bière qu'on boit, bière de bois. La fin nous ramène à la commune condition.

   Marite   
12/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Dévorés d'une seule traite ces alexandrins m'ont séduite. Sans ignorer le travail intense et sérieux que représente l'écriture en néo-classique, ces vers paraissent évidents et simples, ce qui, je crois, est un gage d'une certaine qualité dans le domaine. Difficile de préférer l'un ou l'autre des quatrains car chacun porte en lui une réelle authenticité sur les choses de la vie que nous traversons. Sans remplissage inutile la simplicité des mots choisis transmet intégralement le message proposé par l'auteur à savoir : "... que chacun est peut-être rétribué à la mesure qui lui convient."

   Myndie   
12/1/2023
Bonjour Ramana,

voici posée, avec beaucoup d'élégance, une belle et profonde introspection sur l'existence, à travers les évènements que tout un chacun traverse ou provoque, bons ou mauvais.
Comme vous le dites en exergue, chacun de nous peut prendre ce questionnement à son compte.
Cette suite de quatrains témoigne d'une belle maitrise de la prosodie. Les vers sont fluides, délicatement travaillés, les images sont belles et le message est clair.
J'ai trouvé très fin le cheminement pris par votre plume, qui m'a d'abord fait m'interroger sur l'identité de la personne évoquée, puis me dire qu'il s'agit d'un(e) disparu(e) et d'un deuil impossible, pour enfin m'amener à ce final magistral
"En ce havre où les os chuchotent des récits.
Je ne sais rien de toi, ni de ton existence,
Seul un nom sur le marbre… et le mien en sursis."

Merci pour ce très beau moment de lecture

Myndie

   Catelena   
12/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
« Entre ton premier lait et ta dernière bière », « Debout devant la pierre où passent les nuages », et le questionnement qui s'ensuit, tout m'entraîne avec une facilité déconcertante dans une introspection maintes fois rejouée lors de mes passages sur le boulevard des allongés.

Il y a une belle force dans votre lyrisme. Par le fait de la justesse dans le propos, jumelée à une poésie présente sur chacune de vos lignes.

J'ai aimé la ballade « En ce havre où les os chuchotent des récits ».
Merci Ramana.


Elena,
en sursis sur le marbre

   papipoete   
12/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Ramana
Un texte fort long, mais qui se lit si facilement et évoque notre passé, présent et futur... et même juste après !
Pouvoir se dire, alors que les obsèques sont finies, les anéantis et les curieux partis pleurer, ou potiner " t'as vu comment elle était habillée celle-là ? /// pi le mort au funérarium, tu l'as trouvé comment ? " quelle vie ai-je eue ?
Ai-je profité de tout ? Suis-je digne de ceci, cela ? Ai-je fait le maximum dans tel ou tel domaine ? Aujourd'hui que je ne suis plus, mérité-je ce chagrin ou ces " y parait que : si vous saviez... "
NB et l'auteur vaillamment retrace du " premier lait à la dernière bière " tout une vie de celui qui sous le marbre gît, qu'il ne connait pas mais pourrait lui narrer " je naquis voilà 80 ans... " une vie qui put être celle-ci... imaginaire où toute phase est abondamment illustrée de brillante façon !
Moi-même qui ne crois pas aux fantômes, parle souvent à ces gens, sous leur pierre tombale, qui parfois même me répondent...
Il est hélas des êtres qui ne peuvent parler de :
- jeunesse ; ils n'en eurent pas
- de leurs amours ; ils le perdirent ou on leur interdît
- de bonne santé ; ils connurent tous les maux
- de leurs passions ; ils ne trouvèrent pas de centre d'intérêt
S'il me faut choisir un passage dans ce long parchemin, difficile gageure : la dernière strophe peut-être ?
techniquement, je crois que vous partîtes pour écrire des alexandrins classiques ( mètre, césure, diérèse et puis... un singulier/pluriel à " fugitives/rive "..... ce hiatus au 10e vers " qui/entre ) c'est vraiment dommage !
Mais cela n'est sûrement qu'inattention ( ou un appel pour panneau solaire ) et le vocabulaire très courant est employé à bon escient !

   fanny   
12/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Un poème qui revient sur les jalons de l'existence à l'heure des bilans et dont l'échelle de l'auteur est celle des émotions et non des réalisations.

J'aime beaucoup cette réflexion sur la perception de l'intensité du vécu rétribué à la mesure qui nous convient.

Je pourrais réciter ce poème lorsque je traverse le Père Lachaise afin qu'il se mêle aux ondes des ombres et que leurs récits chuchotés se racontent en quatrains et en alexandrins ; pour leur plus grand plaisir.

   Jemabi   
13/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un poème existanciel parfaitement maîtrisé sur la forme et qui, sur le fond, tend indirectement au lecteur un miroir qui l'interroge sur son propre destin. Toutes les vies ont en commun le même début et la même fin, et l'important sera de remplir cet entre-deux de la meilleure façon possible. Questionner ceux qui nous ont précédés, cela permet de réfléchir à nos existences présentes tout en redonnant un semblant de vie à ce qui paraît irrémédiablement figé dans l'éternité du marbre.

   senglar   
14/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Ramana,


La réflexion est intéressante, sensée avec des bonheurs d'expression qui ne sont peut-être pas ceux de la formule car ils restent cachés, subtils, diffus et ce sont eux qui me semblent faire la qualité de ce poème profondément humaniste. Ici l'on rencontre le coeur et pour cela on dépasse les effets pour entrer dans l'essence.

   RuedeC   
21/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Conte-moi les chemins de pluies et de lumière
Appariés ils sont les faces d'un écu

J'ai beaucoup aimé ces vers. C'est un beau poème qui invite à l'introspection et à la conscience d'une condition commune puisqu'il faut que l'humain se souvienne de ces morts et n'oublie pas que la sienne viendra.

   inconnu1   
29/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Nous sommes ici dans du néo classique. Vous faites donc volontairement fi de certaines règles classiques qui n'ont peut être pas lieu d'être. Vos hiatus ne m'ont pas écorché l'oreille (Qui, entre... ; beauté au... ; inconnu et ...) et vous ne respectez pas le pluriel des rimes. Mais c'est un choix assumé, donc pas de soucis. Ce serait mieux avec mais bon.

Sur le fond, je trouve l'histoire intéressante de cet homme qui visiblement s'interroge sur le vécu d'un autre dont il ne voit que la pierre tombale. Qui était-ce? A t-il eu une vie riche et intéressante ou pas? Ce qui le fait s'interroger sur la sienne.

Bien à vous


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