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Poésie en prose
Raoul : Nomenclature
 Publié le 20/10/23  -  8 commentaires  -  2003 caractères  -  161 lectures    Autres textes du même auteur


Nomenclature



N'y a-t-il donc rien qui n'existe pas ?
Les machettes nous frayaient un chemin.
Nous en avions vu, déjà, des bêtes terribles et solitaires, des hordes, des cohortes, des venimeuses fourbes et stratèges à la patience sans limite, des agiles et ambidextres qui frôlaient l'ubiquité, des infréquentables malpropres comme des désirables parfumées, des couvertes de puces de larves ou de poux, des nocturnes, des baveuses lentes mâchant de jeunes pousses aux couleurs changeantes, des brindilles, des ovipares égarées et niaises, des perchées prêtes à fondre sur tout distrait herborisant, des créatures hésitantes à nombreuses pattes à situer entre le cloporte et la scolopendre… mais celle-ci.
Blottie dans une giboyeuse vallée verte, elle ne connaissait ni disette, ni carême, ni famine.
Sous un masque placide et bonhomme elle s'avérait visqueuse, purulente, proliférante, affamée telles métastases, suçant l'âme et la cervelle de ses proies variées, captant l'énergie, la force, la moelle et la pulsion de vie jusque dans les anfractuosités du squelette ; elle était terrifiante. Avait-elle seulement un nom.
Elle ne jeta pas, Dieu merci, son dévolu sur nous.
Invisible, elle ne bougeait pas, respirant à peine, déguisée en fleur pour mieux leurrer son monde, en fleur attirante et charnue, elle attendait le moment parfait – comme une langue de caméléon happant un escarbot ou un lucane – pour l'embrasser goulûment, le vampiriser pour que, gagné par la langueur, il s'offre et s'abandonne aux bruits de mastication et d'os broyés.
[Au-delà du terrible, être mangé vivant, il y a l’inexprimable, être bu vivant.]*


Fourmis, crabe, cormoran, chat errant,
champignons, tortue, autruche, éléphant,
phasme, homme, cabri, zèbre, pipistrelle,
belette et petit lapin…
Vorace, elle n'était pas gourmet, et comme disait mon grand-père, ceci n'est pas un chapeau, c'est un boa qui digère un veau.


* Victor Hugo


 
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   fanny   
20/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
J'aime particulièrement l'écriture de cette prose évocatrice à l'épopée destructrice très bien rendue et dont les énumérations garantissent l'aspect poétique.

On peut prendre le texte tel quel : il y a longtemps j'ai vu au Sénégal dans un vague parc vaguement protégé un boa, c'était très impressionnant, correspond assez à la description qui en est faite, bien contents que les Dieux (majuscule pluriel, très fort) nous aient protégés.

On peut aussi y voir différentes métaphores telles des maladies mentales ou physiques par exemple.
Personnellement j'opte pour un féroce omnivore goulu qui nous rappelle étrangement une créature cachée derrière un masque que nous connaissons bien :
"Captant l'énergie, la force, la moelle et la pulsion de vie...... vampirisant le monde pour que, gagné par la langueur, il s'abandonne aux bruits de mastication et d'os broyés".
Pas gourmet pour un sou, il avale à peu près tout du moment que ça rapporte, rien ne lui échappe, il a bientôt tout mangé, il s'apprête à tout boire.
La fin est truculente, miam-miam.

Édit du 20/10
J'ajoute que votre bestiole peut aisément détrôner le loup : "l'homme est un boa pour l'homme".

   Gemini   
28/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Entre la rose et le boa, on pense au Petit Prince (avec un éléphant à la place du veau). Mais je n'ai rien vu de plus s'y rapportant, et je n’ai pas deviné si la morale de cette histoire s’approchait d’une des morales de Saint-Ex.

Comme chez l’aviateur, cette rose dans la peau d'un serpent a bien des airs de Mort. Plante carnivore avec quelques détails bien sanguinolents, elle surgit au milieu d’une "Nomenclature" (qui symbolise à mes yeux la diversité et la puissance de création de la nature), comme la créature la plus terrifiante du lot.
Aussitôt, on songe, bien entendu à une comparaison avec l’Homme ("masque placide et bonhomme") et ses capacités destructrices, ainsi qu’avec cette "Nomenclature" de bêtes dans laquelle nous serions en tête de liste (avec les pires au sommet).
Mais j’avoue que j’ai du mal à suivre l’idée jusqu’au bout. Non pas que le tableau de ses compétences létales soit exagéré : "suçant l’âme" (on est en poésie, c’est permis), mais son art de la chasse me semble assez sommaire (aguets, camouflage) pour ne pas dire préhistorique. Surtout si l’on doit comparer avec la brutalité de nos talents de dévastation actuels. Il y a aussi le fait que le narrateur me semble être un homme (bien que ce pourrait être un extra terrestre…) et on retrouve l’homme dans la liste de proies (bien que s‘entre-tuer rentre dans nos compétences). Enfin, on découvre cette créature au beau milieu de la jungle, comme créée ex nihilo, semblant vivre en autarcie, seule et sans apparente volonté d’expansion.
Alors, avec ses airs de trou noir (invisible) qui gobe tout ce qui passe dans ses parages, cette bête étrange (Prédator ?) garde, pour moi, un mystère que je n’ai su percer. Je subodore que le message est plus subtil.

J’ai bien aimé l’entame avec ce : "N’y a-t-il donc rien qui n’existe pas ?", le très impie "Dieux merci" (majuscule, pluriel), et la citation de Hugo, avec ce "bu vivant" qui fait froid dans le dos.
Au milieu de cette "Nomenclature" j'ai trouvé un peu trop d’adjectifs pour épicer la faune de cette jungle.

Mais le texte est bien écrit et assez mystérieux pour qu’on s’y arrête.

   Donaldo75   
2/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Voici une poésie en prose tonale, réussie, riche. Elle n’est pas univoque et encore moins uniforme. La première phrase démarre en mode question puis la suivante amène les images dont la troisième décline la richesse dans un flux de mots que je trouve particulièrement coloré. Il y a presque du tableau naturaliste dévié par un Jérôme Bosch sous acide dans cette longue phrase. Puis le rythme ralentit et la forme se met à changer, sans altérer la tonalité du poème. La prose montre sa diversité stylistique. Les trois points marquent la dernière rupture, le dernier changement de style. Et cela se termine par une énumération ubuesque et puis une phrase qui fait penser à un tableau de Magritte. Et c’est fini. Déjà. Snif.

   hersen   
20/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
C'est toujours un plaisir de lire de telles images qui frappent l'esprit.
Tout est proie. La vraie bête, c'est la faim, la survie.

Une écriture toujours aussi inventive qui nous ferait gober n'importe quoi (un chapeau, peut-être pas) , un vocabulaire si riche que nous en avons l'eau à la bouche, de tout ce "giboiement" (je sais, ce mot n'existe pas, mais je l'aime bien quand même.

Merci pour ce texte qui me procure un réel plaisir de lecture.

   Provencao   
20/10/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Raoul,


Moi, aussi j'y ai vu du Magritte....avec cette forme de pensée de "peintre penseur", donnant le sens aux oeuvres picturales....Redon disait: " l'art n'emprunte rien à la littérature " et Magritte de dire" ce que je donne â penser par la peinture, ne peut pas se dire avec les mots...."

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   David   
20/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Raoul,

J'aime bien ce ton de conteur avec son histoire-à-faire-peur à la veillée. C'est une vieille charge de poète de devoir amener gentiment, doucement, cette émotion là. Et la citation de Victor Hugo fait pinacle, je ne connaissais pas cette terreur-là d'être bu vivant.

C'est aussi un écho à la toute première phrase, et j'ai bien peur qu'elle soit de toute actualité.

   Geigei   
25/10/2023
trouve l'écriture
convenable
et
n'aime pas
J'ai lu cette phrase :
"[...] pour l'embrasser goulûment, le vampiriser[...]" Qui ? Quoi ? Les pronoms "l" et "le" sont là pour qui ?

Puis : "[...] pour que, gagné par la langueur, il s'offre et s'abandonne aux bruits de mastication et d'os broyés." Qui est "il" ? J'ai mal lu, désolé.

Les serpents ne mâchent pas leurs proies. Aucun bruit de mastication, donc.

Mais c'est une poésie, pas un documentaire. La longue phrase du début peut emballer.

   Quistero   
29/10/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Très loin d’être imbuvable, cette prose me fait penser au récit après coup d’un très gros délirium tremens. L’écriture singulière et reconnaissable est précise et le tout est bluffant. Un style, quoi... Merci.


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