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Poésie en prose
Raoul : Nous marchâmes
 Publié le 05/08/24  -  5 commentaires  -  1569 caractères  -  119 lectures    Autres textes du même auteur

« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »
Leibniz


Nous marchâmes



En caravane nous marchâmes. Non. Pas sur la Mer de la Tranquillité, mais sur une de ces mers sans contour ni plage, une mer de cailloux polis, de galets inconnus, de gogottes affleurantes, figurées par un blanc à côte unique sur sa carte.
À perte de vue sous le ciel bas, ce vaste rien, presque néant, s'étendait, ponctué de points dont les ombres rêches étaient des virgules sèches.
Nous identifiâmes des billes fossilisées de granites bleus, du jade ovoïde, des stéatites à veinules ocre ou roses, des carapaces de larves noires, posées là – comme il s'en trouve à Stromboli – sur ce plateau de talc éblouissant et silencieux : un énigmatique Tanguy.
Peut-être y avait-il aussi des sangsues gelées ou statufiées de sel.
Au loin sur notre gauche, un drapeau – ou peut-être un épouvantail inerte – se dressait en campanile de mollesse, frappé par les rebonds vifs à trois bandes d'un soleil de magnésium.
Nous marchâmes si longtemps que nos chaussures se trouèrent, finissant par en bâiller, car nous espérions rencontrer les Sélénites que nos prédécesseurs, glorieux explorateurs*, avaient décrits, et c'en était merveille, dans un Devisement du Monde de contrées sans bornes.
Espérance déçue bien que nous nous sentions observés…
Un oiseau, un fennec, une gorgone têtue ?
Et puis il y eut la pluie, la pluie, la pluie, la pluie dégoulinante qui, en quelques instants, transforma la plaine en mer de pavots de Californie.


* Savinien de Cyrano dit de Bergerac (1619-1655)


 
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   Provencao   
5/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Raoul,

"Nous marchâmes si longtemps que nos chaussures se trouèrent, finissant par en bâiller, car nous espérions rencontrer les Sélénites que nos prédécesseurs, glorieux explorateurs*, avaient décrits, et c'en était merveille, dans un Devisement du Monde de contrées sans bornes.
Espérance déçue bien que nous nous sentions observés…
Un oiseau, un fennec, une gorgone têtue ?
Et puis il y eut la pluie, la pluie, la pluie, la pluie dégoulinante qui, en quelques instants, transforma la plaine en mer de pavots de Californie."

J'ai bien aimé cette abstraction du fini qui ne consiste pas à dire qu’il y a dans un premier temps un quelque chose qui ensuite s'échappe.
L’être de l’étant déterminé est de se transformer. Le cliché qui ronge l’étant dans son ensemble signifie bien l'incertitude de ce qui est en tant qu’il est.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   jfmoods   
6/8/2024
Ce poème, comme d'autres du même auteur ("Ce que nous entendîmes", "De ceux que nous observâmes", "Nous accostâmes"), s'apparente à un récit de voyage. À son origine, le récit de voyage n'est pas une œuvre de fiction, mais un rapport circonstancié de choses vues et entendues, d'événements vécus. Évidemment, le but premier a été maintes fois détourné. Les exemples les plus marquants sont ceux du "Robinson Crusoé" de Defoe et des "Voyages de Gulliver" de Swift.

Ici, par des allusions assez transparentes ("la Mer de la Tranquillité", "Sélénites", "Savinien de Cyrano dit de Bergerac"), le poète nous laisse bien entendre que nous sommes... sur la lune. Dans la lune ? Enfin bon... "N’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde !". La fascination exercée par le texte ("une mer de cailloux polis, de galets inconnus", "des billes fossilisées de granites bleus, du jade ovoïde, des stéatites à veinules ocre ou roses", "ce plateau de talc éblouissant et silencieux", "les rebonds vifs à trois bandes d'un soleil de magnésium", "la pluie [...] transforma la plaine en pavots de Californie") rappelle le monde onirique de Bradbury. De même que quelques éléments qui ne manquent pas de susciter une vague inquiétude ("les ombres rêches étaient des virgules sèches", "des carapaces de larves noires", "un épouvantail inerte", "nous nous sentions observés", "une gorgone têtue"). Ce jeu de contrepoints, qui tend à déstabiliser le lecteur, constitue bien l'un des éléments clés de l'univers poétique de Raoul.

Merci pour ce partage !

   hersen   
6/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
J'aime beaucoup cet univers de l'auteur; et s'il n'y a pas rien, ce quelque chose dans lequel nous évoluons s'anéantit dès qu'on le touche, le foule, et se transforme.
C'est de mon point de vue un thème philosophique : notre obsession que ce ne soit pas "rien" nous pousse, c'est notre quête. Et quand on cherche, on trouve... au prix de ce qu'il y avait avant.
La quête ne vaut donc que pour la quête, elle assouvit notre intranquillité, mais nous subirons les changements annoncés en continuant la route.
Ceci est mon interprétation, j'aime quand un poème me donne du grain à moudre.
Comme les autres textes, la poésie ici se fait, tranquille, à son pas, mais en même temps percutante. j'aime particulièrement comme un choc, par ex les sangsues gelées (car quel lecteur a déjà vu des sangsues gelées ou statufiées en sel) puis un drapeau. Ah ça, on sait ce que c'est. on voit qu'il est en berne, et on revient à la molesse d'une sangsue, telle qu'on la connaît, bien molle et visqueuese, et non pas dure, gélée ou statufiée.
Alors l'esprit se promène et se remplit d'images, elles se heurtent ou se complète.
merci Raoul, pour ce moment de lecture.

   Cyrill   
7/8/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Raoul,
Un carnet de voyage que je lis déjà depuis quelques temps. Nous sommes sur les pas d’autres illustres explorateurs et pourtant l’impression de découvertes inouïes demeure, bien que les espérances soient déçues. Peut-être parce que les mots de la poésie, ou les mots faisant poésie sont sans cesse à découvrir, quand bien même serions-nous suivis.
Merci pour cette lecture et bonne continuation.

   David   
13/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Raoul,

J'ai été intrigué par la référence à Cyrano et j'ai trouvé ça : L'Histoire comique des États et Empires de la Lune. Un récit présenté comme une satyre de son temps, des années 1650 de Cyrano. Cela m'a rappelé un préjugé que j'ai eu sur le titre : nous marchâmes -> en marche -> Emmanuel Macron. Un peu comme si le poème allait être une nostalgie, ou un remords, projeté depuis un futur imaginaire.

Mais je n'irai pas plus loin par là, par manque de matière déjà. Une particularité du récit de Cyrano est qu'il invente un monde sélénite où "l'on se paie de vers" et du coup, la métaphore politique laisse la place à une métaphore plus proche d'Oniris -Et le nom de ce site a déjà quelque chose de sélénite d'ailleurs je trouve - une métaphore poétique, ouverte, je pourrais imaginer une angoisse de la page blanche, à laquelle la dernière phrase donnerait une perspective très joyeuse :

depuis "À perte de vue sous le ciel bas, ce vaste rien, presque néant, s'étendait, ponctué de points dont les ombres rêches étaient des virgules sèches."

jusqu'à "Et puis il y eut la pluie, la pluie, la pluie, la pluie dégoulinante qui, en quelques instants, transforma la plaine en mer de pavots de Californie."

Un poème de surfeur !!!

Le Devisement du Monde est aussi une référence que j'ai découverte à l'occasion de cette lecture, ce qui la rend d'autant plus large et profonde, sans rien enlever à sa fantaisie.

L'altérité, la distance et la proximité, la liberté, toujours bonne à chanter !

L'énigmatique Tanguy et la Gorgone têtue sont aussi de curieux personnages, des symboles d'immobilisme, à l'inverse d'une devise de Némo : immobile dans le mobile.


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