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Poésie en prose
Raoul : Quadriptyque aux bêtes
 Publié le 19/10/16  -  14 commentaires  -  3498 caractères  -  137 lectures    Autres textes du même auteur

Une suite.


Quadriptyque aux bêtes



Le pigeon (cet) inconnu


C’est un rare parmi les volatiles, car il peut, lorsqu’il avance – tel un Hercule – roucouler.
Il se nourrit de petits pois et pourtant ne sait toujours pas qu’ils l’accompagneront par-delà la torsion de son cou, après son effeuillage intégral, dans son manchon de lard et jusque dans le bouillon des bulles de sa cuisson.
Curiosité de la nature, qu’il soit femelle ou qu’il soit mâle, il allaite son oison… d’où l’adjectif pigeonnant que l’on donne ou prête à certains décolletés nourriciers.



---


Le caïman à binocles


C’est un spécimen ! À ce jour, nul n’a su dire s’il était astigmate ou presbyte car on se perd en conjectures. Cela ne l’empêche aucunement d’être un prédateur redouté par ses voisins dont il s’empiffre à la première occasion tout en prenant des bains de soleil et d’eau saumâtre interminables.
Sa peau est si rêche, si dure, si raboteuse que nulle main ni pied ne le souhaite en sac en soulier en mule ou en bagagerie, c’est pourquoi il est bien moins chassé que le crocodile Dunhill ou le gavial.
Il existerait un [caïman à monocle] rarissime observé, un soir à la dérobée, par le chasseur de dahu bredouille Monsieur T., toutefois la véracité des propos du rapporteur reste à démontrer mais, comme cela implique trop d’investigations ingrates et de travaux préparatoires, il est couramment admis qu’il n’existe pas – ailleurs que dans les crudités de l’imagination de ce monsieur en outre tout à fait respectable puisque contrôleur de quelque chose de confidentiel dans une administration sans tâche.


---


Sigismond le héron


Son long cri qui n’est pas rond est un hameçon. Sa dégaine cacique de vieil avocat dégarni du parquet hésite entre l’émeu et le roseau des bords de Marne à bout de souffle ; d’ailleurs – bien que d’ici – la grenouille, tel l’éléphant dans les lentilles, ne s’y trompe : elle fait un large tour…
 Car oui, Sigismond, grand glouton, aime et se pique de déglutir le gluant le visqueux et le pouacre comme son compatriote Martin (pêcheur des mêmes lieux).

Son vol est lourd, son haleine vaseuse, son plumage maussade, son œil torve du strabisme sartrien à lunettes d’écaille. C’est le pourquoi de sa hautaine solitude.
Peu franc et végétatif, il épie, depuis sa cachette aux pieds dans l’eau – une garçonnière de derrière un rideau en cours de putréfaction – tout ce qui se passe ou ne se passe pas.
Un signe ne trompe pas, il est perchoir à mouches, aussi, n’y allons pas par quatre chemins : ce héron pue !


---


Grand lent baveux


Quand l'ombrageux grand lent baveux et ses quatre yeux imprudemment s'avance – ou progresse – dans le sec velu des herbes drues de Provence – ou de promesse –, la pluie, venue de quelque Valachie conglutineuse et qui reprend son souffle un instant sur l'orageuse épaule la plus proche, n'est jamais très loin.
C'est alors, quand la précipitation, la fuite vivifiante et le mousson crachin sont là répandus, que l'ombrageux grand lent baveux aux quatre yeux retrouve la verdeur et retrouve la vigueur.
On peut l'observer alors, dévorer les mètres lors de sa boulimie linéaire, en oublier sa trace – le fou-fou de l'enthousiasme – et laisser sa glaire lubrifiante derrière lui.
Il irait. Il irait, s’il ne s’écoutait pas tant.


---


 
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   Proseuse   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Déjanté et décalé comme j' aime bien !! :-)
rien à dire à part le plaisir que j' ai eu à vous lire !
est-ce que cela suffira comme commentaire ? non !
Alors, j' ajouterai , continuez vôtre bestiaire et pourquoi pas, faites-nous donc un "centdryptique" ! :-)
à bientôt de vous lire

   Johannes   
2/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je me suis bien amusé à la lecture de ces textes, dans la tradition, j'imagine, de Jules Renard. Peut-être également du Bestiaire de Guillaume Apollinaire.
C'est un plaisir de constater que la poésie peut s'aventurer en dehors des chemins - fort respectables par ailleurs - de la tristesse et de la complainte.
Ici, il y a pas mal d'ironie, voire de cynisme, mais tout cela passe très bien dans cet univers animal.
J'avoue ne pas avoir bien compris la dernière phrase. Peut-être l'auteur pourrait-il m'éclairer?
Merci pour ce partage.

   Annick   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Si les encyclopédies étaient aussi savoureuses, les élèves en feraient leur livre de chevet. J'ai adoré toutes ces définitions, bien plus évocatrices que toutes celles des différents dicos, neutres, sans saveur, ni odeur !
Continuez votre bestiaire, faites en une encyclopédie avec force illustration.
Quel portrait ! "Son vol est lourd, son haleine vaseuse, son plumage maussade, son œil torve du strabisme sartrien à lunettes d’écaille. C’est le pourquoi de sa hautaine solitude."
;-)

   Anonyme   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Plus condensé que sur Wiki mais avec bien plus d'humour ce mini bestiaire est amusant.

" Il existerait un caïman à monocle rarissime observé, un soir à la dérobée, par le chasseur de dahu " drôle et déjanté.

   jfmoods   
21/10/2016
Pourquoi Jules Renard a-t-il écrit "Histoires naturelles" ? Pourquoi Francis Ponge a-t-il écrit "Le parti pris des choses" ? Pour tordre notre perception usée du monde qui nous entoure. Ce bestiaire en quatre tableaux n'a pas d'autre ambition que de porter ce regard neuf, différent, original, un brin déjanté.

Ainsi l'idée, présente dans les deux premiers portraits, de montrer l'animal décrit dans la perspective d'une fin culinaire programmée ("la torsion de son cou, après son effeuillage intégral, dans son manchon de lard et jusque dans le bouillon des bulles de sa cuisson.") ou, au contraire, d'une destination utilitaire inimaginable ("nulle main ni pied ne le souhaite en sac en soulier en mule ou en bagagerie").

Sur l'ensemble du quadriptyque, l'élément le plus marquant, le plus savoureux, est le jeu des personnifications (le pigeon : "tel un hercule", le caïman : "en prenant des bains de soleil et d’eau saumâtre interminables", le héron : "Sa dégaine cacique de vieil avocat dégarni du parquet", "son œil torve du strabisme sartrien à lunettes d’écaille. C’est le pourquoi de sa hautaine solitude.", l'escargot : "l'ombrageux grand lent baveux" x 2, "sa boulimie linéaire").

On peut également mentionner la manière dont le poète tourne autour du sens propre et figuré des mots. Par exemple, "pigeonnant" s'impose comme une extension allant de soi. Le caïman à lunettes (rebaptisé "caïman à binocles") est évidemment "astigmate ou presbyte", puis un glissement tout naturel s'impose vers de bouffonnes élucubrations sur l'existence d'un "caïman à monocle". L'escargot, qui aime l'ombrage, devient logiquement ombrageux. Présenté sous la forme d'une périphrase, il est prétentieux, aime se mettre en avant, s'écouter parler : il est donc baveux... à double titre.

Le poète prend un malin plaisir à dénigrer certains animaux de son bestiaire, à provoquer une sensation plus ou moins vive de rejet, voire de dégoût ("Sa peau est si rêche, si dure, si raboteuse", "déglutir le gluant le visqueux et le pouacre", "son haleine vaseuse", "en cours de putréfaction", "ce héron pue !", "quelque Valachie conglutineuse", "sa glaire lubrifiante").

Ces divers procédés, en éveillant l'attention du lecteur, assurent la réussite d'un bestiaire que l'on souhaiterait voir s'étoffer.

Merci pour ce partage !

   MissNeko   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Très drôle et original. J aime lire ce genre de textes un brin déjantés.
Merci pour ce partage

   Pouet   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bjr,

Très ludique ce "quadriptyque aux bêtes" (encore un! Vous auriez mieux fait d'écrire un octoptyque direct :)

Le pigeon qui "roucoule" et qui avance est bien sympa même si le jeu de mots sert déjà pour une portugaise qui guide son mari pour rentrer la voiture dans le garage.

Je crois que mon préféré est le caïman: caïman bien .

Mais j'ai bien aimé aussi Sigismond avec "son œil torve du strabisme sartrien à lunettes d'écaille"...

Avec le "grand lent baveux" on est dans le lyrisme!

   plumette   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
un très bon moment de lecture, qui fait surgir des images.
pourquoi ne pas trouver un illustrateur un peu déjanté et inspiré pour faire un petit recueil illustré de votre bestiaire drolatique!

il y a des trouvailles très savoureuses dans vos descriptions.

"Sa peau est si rêche, si dure, si raboteuse que nulle main ni pied ne le souhaite en sac en soulier en mule ou en bagagerie"

c'est le héron qui a ma préférence! Le pauvre, le voilà bien arrangé!

"Sa dégaine cacique de vieil avocat dégarni du parquet"
"Sigismond, grand glouton, aime et se pique de déglutir le gluant le visqueux et le pouacre comme son compatriote Martin (pêcheur des mêmes lieux).
"
"Son vol est lourd, son haleine vaseuse, son plumage maussade, son œil torve du strabisme sartrien à lunettes d’écaille."

je vous souhaite de poursuivre ce bestiaireet de nous le faire partager, pour notre grand plaisir!

Plumette

   Anonyme   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
En toutes circonstances, une écriture à part, un style, bravo!
J'aime beaucoup le héron ( et patapon!).

   Anonyme   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Raoul

J’avais été surpris lors de votre dernière publication par le décalage entre la poésie et vos jeux de mots. Je m’étais planté, vous jouez subtilement avec le vocabulaire qui se rapporte aux bébètes. Cette fois votre pigeon ne m’a point pigeonné même s’il est le fiston d’un pigeon niais. Le caïman me semble un cas dont il convient de se méfier du langage,le héron du parc est tellement rond qu’il hésite, ça va de soi. Le grand lent baveux aux doubles binocles voit la pluie arriver, avec une telle vue le contraire semble impossible et pour mieux s’en protéger il ne sort que d'un pied de sa cabane.

A quand la suite, la cane sans canetons car elle cherche sa boite à œufs, euh ! pas très sympa
La dinde un peu bécasse, le chien qui fusille, la couleuvre paresseuse pour un coup à l’œuvre...

Bon j’arrête, c’est votre fil mais j’attends la suite

   Ora   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai trouvé votre univers vraiment très sympa à mi chemin entre infos instructives et traits d'humour bien vus. Je suis passée outre les termes trop techniques ou opaques pour moi grâce à ces adorables rencontres. Oui, adorables mêmes rêches visqueuses et puantes ;). Oseerai-je avouer qu'il m'a fallu un certain temps avant d'identifier le dernier… :) Merci pour ce texte qui m'apporte de la légèreté

   archibald   
20/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien
C’est vrai que cela m’a fait penser au “Parti pris des choses” de F. Ponge. Avec quand même un petit côté farce assez plaisant. Je crois que le dosage en quadriptyques est une bonne idée car l’accumulation finirait par être pesante. Mais j’attends le prochain, dans un mois ou deux.

   Robot   
25/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je rattrape mon retard de lecture.
Je suis content de n'être pas passé à côté de ce bestiaire certes éloigné des descriptions de Buffon... quoiqu'à y regarder de plus près ?
Sous l'humour et le décalé il y a une véritable observation des mœurs.

   hersen   
27/10/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Evidemment, j'arrive un peu tard pour un commentaire qui sans doute ne servira pas à grand-chose.

Mais voilà, à force d'avancer et de roucouler, le temps passe et je me dis zut, c'est bête de ne pas dire que finir un poème sur les traces glaireuses de l'escargot, c'est appétissant à souhait, surtout quand ça vient après le héron qui pue !

Mais allez comprendre les mystères sado-maso : c'est bien pour ça que votre texte me plaît, rien pour nous y attacher et cependant on s'y colle à la super- glu !

Alors plus j'avance dans le poème et plus je roucoule de plaisir d'une lecture qui me met en joie, qui me donne l'impression d'être au milieu de l'étang avec le caïman tandis qu'un pigeon va sans doute lâcher un petit caca sur mon vieux chapeau, et que malheureusement je suis sous le vent par rapport au héron dont je profite des effluves. Alors le petit escargot de la fin me semble tout mignon, bien qu'un peu collant...

Un com' doit être constructif, n'est-ce pas ? alors j'envisage de me construire une petit cabane sur pilotis au milieu de l'étang, dans un but très égoïste de profiter de votre texte un peu plus.

je ne suis pas sûre à 100% d'avoir capté tous les jeux de mots, traits d'esprit et tout ça. Mais je ne demande rien car, voyez-vous, ce sera tout l'intérêt d'être tranquille dans la cabane à me délecter de tout ça. Et si un truc qui m'avait échappé tout à coup apparaît à mon esprit lent, ce sera un instant de pur bonheur. Mon gros soupir d'aise alors clapotera doucement à la surface de l'eau, allant tranquillement mourir sur la berge, se fondre dans la nature qui m'environne.

Bien à vous,

hersen


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