J’aimerais revoir l’échafaudage originel fait d’ânonnements, de chair contre chair et recouvrir le vocable premier, ce cri primal du père pithécanthrope, phonème rare, premier signifiant tout cru. Je voudrais entendre la première vocalise du sinanthrope sous la voûte du ciel, quand tombe la neige pour faire broderie aux festons blancs des arbres. Je désirerais d'un vif désir, trouver de nouveau les premiers mots, au faîte des arcs-en-ciel voutés, et d’arcs-boutants engendrés par le pli du rein créateur, des jets ahanés dans un grand effort cosmique par un Univers en pleine gestation.
Avec des ouille et des aïe Combien d’interjections exprimant la douleur L’enfantement des préhominiens L’effort la surprise l’ennui l’amour Pour procréer ensemble les premiers mots Pour dire à terre les premiers vers
Quand les poètes étaient nus et vêtus de bêtes Et quand les animaux mangeaient les premiers poètes Avant qu’ils ne prennent la peine de calligraphier L’avenir au mur d’un Facebook rupestre
J’aimerais revenir sur les lieux des prémots Remonter les prés jusqu’à la création du monde Pacage où l’herbe se mêlait aux corps À pleines mains à pleines cordes vocales En des bouches démiurges relatant la vie Naissante d’un sein pur donnant son miel
Que je voudrais respirer le Temps retrouvé Remonter la pendule jusqu’aux premiers mots D’amour celui d’une cosmogonie déployée Comme parchemin au fil des termes Des archaïsmes fripés par d’antiques combats
Je voudrais retourner au Principe Retrouver l’esprit même des mots Remonter à contre-courant Ramant jusqu’à la source initiale Où nagent les Diodons hystrix Et les holocanthus colorés du sang Des tout premiers vivants Hominidés de tous cris
Remontant le cours des eaux violentes Jusqu'aux lieux de provenance De tous les balbutiements de l’animalité Basique et préalable au langage parlé Onomatopées de tous poils Pour dire la lune l’arbre et le soleil
Mots nés d’une première boutade D’un premier pet D’une pierre lancée au vent D’un rot libérant des voracités D’un bruit de la nature Des premiers mots croisés avec la terre Le fer la vague et l’air Mots volés aux mâchoires des prédateurs Bredouillement de sons inarticulés Entre deux regards échangés
Combien d’interjections d’interrogations D’exclamations au sein du clan Combien de noms donnés aux bruits Aux fruits au feu à l’orage et à l’eau Aux cris de l’aigle dans les nuages Depuis la nuit des temps Paradis aux lagons de la nature
Combien de mots dans l’inquiétude de la nuit Combien de mots clés pour dire le tout nouveau
Combien de bruits nommés par l’homme De ronflements entre cochons et chiens D’appels de cris de questions Pour nommer les pleurs du bébé La colère et la rage de survivre
Avec quels mots bénir et maudire Avec quels signaux d’amour Ou de détresse dire exprimer Avec quels gestes quels mots Marquer les peurs et les bravos Nommer l’innommable L’inconnu la nouveauté l’autre L’ennemi le sacré l’invisible L’absence et la présence aimées
Comment décoder les mots D’une inarticulation Des espaces primitifs Des plages muettes Retrouver la page immaculée Toute sauvage des premiers mythes Et des écrits vacants
Comment expliquer les mots Depuis la création du monde Comment démonter l’abc du verbe Jusqu’au vide du parler Comment la voix se fit voie Élocution sensée et capacité d’être Comment expliquer les mots Jusqu’au néant de la langue Et retrouver l’innocence toute nue D’un premier langage à vif Des premières tentatives maladroites Preuve de l’homme À l’épreuve de la préhistoire
Là où les mots sont la preuve de l’épreuve Les premiers essais de dialogue et d’échange Grossiers comme un silex Gauches comme un accouplement Au temps où « communiquer » N’était fait que de silence et de chair Ponctués d’entre-mots
Je voudrais remonter les mots Les uns dans les autres Jusqu’à cet espace vide Du verbe mécano Où la parole peut se dire
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