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Poésie en prose
Saturne : Expériences
 Publié le 15/05/20  -  5 commentaires  -  2764 caractères  -  80 lectures    Autres textes du même auteur

Naissance, vie et mort d'une personne. Le temps est représenté sous différentes formes, le chat n'est qu'un repère.


Expériences



Rien, le noir. Puis tout. Un blanc accru, d'une cavité au monde une fleur vient d'éclore. Seul, dans un tourbillon de cris et d'inconnus, ses genoux et ses paumes s'abîment sur le sol pour la première fois. La caresse d'un félin encore flou vient accompagner la mise en marche d'une aiguille infatigable. Et tout s'ensuit.

Tout est immense, rien n'est atteignable. La brume s'estompe, et par instants ses iris discernent des formes plus manifestes. Des feuilles qui chantent, quatre cents roues sur un bitume proche qui grincent, une porte qui claque, voilà donc ses tympans vierges qui dansent. Et dans le ciel, une forme jaune s'élance.

Le cri du chat le réveille, proche, trop proche. Maintenant debout, son monde prend sens. Coincé entre deux murs blancs, tachetés de volets de couleur et parsemant des lieux d'échanges, son nez assume l'odeur d'une ville maintenant pleine de vie. Non loin, le bus du quart d'heure passe, mais le quai vide illumine l'enfant gris.

Le charme d'un parfum de pain frais, qui vient transpercer le froid du matin jusqu'à ses narines avides, le guide. Dépassé le violet d'un parterre de fleurs minables, sa main innocente s'empare d'une miche farinée, sous le regard d'un merle accusateur sur son câble perché. Mais le temps s'échappe, et sa faim coupable se contiendra jusqu'au déjeuner.

Faisant fuir le regard de passants propres, cent pas de trotte le mènent jusqu'au-devant d'une boutique intrigante. L'un dit « rentre » et le voilà plongé dans un cabinet de curiosités, où du lundi au dimanche défilent toutes sortes de dimensions en silence.

Lassé par ses va-et-vient, celui-ci s'en sort de justesse, et part fouler les pavés de son innocente croissance. Fort de son premier vice, celui-là s'esclaffe en plantant des dents d'un lait jauni dans son pain, laissant derrière lui, décroissante, cette île aux sens. Ceux-ci s'émoussent, à mesure que son regard s'élève, instruit par tout ce qu'il maintenant aperçoit.

La queue du chat s'enroule autour d'un coin de mur, tandis que l'adulte poursuit ses idées claires. Son esprit s'embrase quant à ce mélange de sentiments, visibles ou pas, épiderme d'un monde souterrain où la colère orage humidifie les plaies des inachevés. Celui-ci manche, l'autre vend, celui-là vole, le dernier achète. Le temps, lui, passe, et ni l'un ni l'autre n'arrivera à l'enfermer.

Rassasié de tous ces mondes auxquels il aura pu goûter, son regard maintenant faible discerne le bout de son histoire. Les klaxons se font lointains, la lumière s'éteint, et ne reste qu'un chat boiteux et le poids de ses remords. Le mouvement de l'aiguille devient l'unique, ni dorée, ni ornée, puis celle-ci s'efface dans le noir, insouciante.


 
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   papipoete   
15/5/2020
bonsoir Saturne
Si votre prose figure ici, c'est qu'à des lecteurs votre texte plut ? Je vous ai lu à 14 heures 30, et après m'être déconfiné devant ma tondeuse à gazon, je reviens sous " expériences " où les commentaires ne se bousculent pas !
Je dois vous avouer que la teneur de l'intrigue me laisse songeur, et que j'aurais bien du mal à dire ce que je pense des héros, et tirer la morale de votre inspiration !
Cependant, je vois une écriture agréable, un français comme l'on voudrait que beaucoup parlèrent aussi bien ! En outre la forme " prose " est si peu usitée, qu'il faut en encourager les auteurs !
Ma note n'aurait aucune valeur, aussi ne fais-je que passer, et vous dire " continuez ! "

   Stephane   
16/5/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une sacrée expérience tout de même avec cette représentation du temps par le biais d'un chat. L'atmosphère est sombre et on n'a pas envie d'y être, mais alors pas du tout. C'est justement ce qui m'a plu, merci.

   Davide   
15/5/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Saturne,

Cette réflexion poétique ne manque pas d'intérêt, car en amont des multiples "expériences" du narrateur sur le chemin de la vie, il est aussi des expériences d'écriture comme celle-ci, car le langage poétique, lui, ne connaît pas les limites d'une existence entière, ici en concrétion, dessinée en de brefs paragraphes.

J'ai beaucoup aimé le début, le premier paragraphe notamment, le deuxième aussi, l'écriture alerte (en phrases courtes), haletante, comme cette vie - immense - qu'il faut respirer à pleins poumons. Qu'il faut vivre intensément.

J'ai (un peu) regretté par la suite que les images hésitent entre sens propre et sens figuré, à tel point que le chemin(-ement), bien que délimité, m'ait paru parfois obscur. En ce sens, les paragraphes 4, 5 et 6 m'ont semblé manqué de clarté à la lecture. Quelle est, par exemple, cette "boutique intrigante" ? Est-elle une métaphore du monde et de ses mille et une potentialités, expériences à tenter ? Sans doute.

Au début, j'ai bien aimé l'image allégorique du chat, "câlin" de l'enfance d'abord, tendre témoin de la croissance ensuite, mais j'aurais préféré que l'image soit plus crédible sur la durée (tout le monde sait qu'un chat dépasse rarement les 20 ans d'existence !).

Mais sur l'ensemble, j'ai apprécié la justesse du regard, éclairée par un lyrisme en subtiles petites touches dépeignant une vie en parabole inversée, entre croissance et décroissance. Triste et beau à la fois. J'ai bien aimé.

   Queribus   
16/5/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

De la poésie en prose qu'on voit rarement et qui m'a fait penser à Saint-John Perse. Le récit est habilement mené mais mérite plusieurs lectures. C'est là aussi qu'on s'aperçoit que la belle langue française a encore des adeptes.De toute façon, ce genre de poème s'adresse à une élite.Il ravira certains mais en découragera d'autres mais on ne peut pas plaire à tout le monde.

Bien à vous.

   Vincente   
16/5/2020
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
J'ai eu du mal à sortir de l'aspect descriptif, chronologiquement ordonnancé, pour me laisser aller à simplement ressentir le plaisir du chargé des mots, voire la poésie de l'écriture attentive, aimable, aimante de ce déroulé de vie. Je dirais que l'ensemble m'a porté à une sympathie envers la main écrivaine et son intention, mais peu envers sa façon de l'exprimer ; c'est-à-dire sa manière d'extérioriser sa vision de ces advenues. Je suis resté dans une perception réaliste de ce qui me parvenait, je dirais que les termes ne m'ont pas invité à une sublimation ou à quelque déconstruction, dévoiement ou même à une contemplation.

Le récit m'est apparu ainsi assez linéaire. Seules deux "ruptures" formelles sont venues apporter un peu de piment, laissant imaginer (espérer…) quelque improbable sujétion. Dans celle du premier paragraphe, introduisant une certaine expectative, je me suis étonné de ce bébé qui à peine mis au jour dans ce "blanc accru" se retrouve à quatre pattes, "genoux et paumes s'abîmant sur le sol". J'ai cru alors que la progression apporterait quelques aléas "affriolants". Mais non rien, si ce n'est ce "chat" qui se réinvite dans l'avant dernier paragraphe par sa "queue s'enroulant autour d'un coin de mur" (amusant d'ailleurs cette idée d'un enroulement autour d'un angle, comme si la queue se virtualisait à l'intérieur du mur pour achever son tour…), et poussant à éviter la focalisation excessive de ce que voit l'œil du personnage. Considérant celui-ci, l’œil, je dirais qu'il est le pan le plus séduisant de l'évocation, il réussit une distanciation montrant une belle capacité à voir l'extériorité, recalée selon l'échelle des âges, sans prise au sérieux, dans une humilité effective.

Le titre annonçait un certain prosaïsme, j'ai cru, à tort, qu'il se dissiperait plus sensiblement dans l'expression.


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