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Poésie libre
Stephane : Pacific blues
 Publié le 22/01/22  -  10 commentaires  -  2805 caractères  -  107 lectures    Autres textes du même auteur


Pacific blues



I

J’ôte à la devanture
Ses prunelles arrimées
À la houle pénétrante
Que les pleurs et les peines
Suffisent à mon malheur
Bien qu’il n’ait en ce lieu
Plus qu’une âme perdue
Si faible et misérable
Mes doutes et mes tortures
Harnachés au comptoir
Tout s’effondre d’un coup
Aux tintements des voix
Les verres à moitié pleins
De frissons et d’ardeurs
Que j’étalais jadis
Comme une œuvre dantesque

L’empreinte du silence
Cette croix ulcérée
Je la tiens de mon ombre
Infâme séductrice
Malgré mon dénuement
J’ai le sourire impie
Du divin sacrilège
Je l’imagine encore
Expier sur le comptoir
Le tourment qui m’accable
Dans le miroir occulte
Du néant qui s’affiche
Sous des néons sanglants
L’Univers à genoux
Triste comme un pendu
Je me traîne en victime

Bien plus qu’il n’en fallait
J’ai nagé en ces ondes
Bleutées du Pacifique
Prisonnier des rouleaux
Cruels et sans espoir
Tout là-haut mornes et faibles
S’extasiaient les chimères
Déversant corps et âme
Les flots de mon ivresse
Le vide éberlué
A l’attache invisible
Tenant encore la laisse
Dans un torrent d’abîmes
La plainte enivrée du foyer qui s’éteint
J’aimais tant sa caresse
Là-bas où tout m’émeut



II

Le soir sur la lagune
Par-dessus le regard
Qui s’étale à la brune
Une fine lumière paressait au-dehors
Suave et délirante
Exhalant sa dorure
En une brume légère
Et les senteurs de malt
S’enlisaient doucement
À la faveur des verres
Qui tintaient jusqu’au ciel
Consumant le sommeil
D’un octobre paisible
Luisant à contre-jour
D’une bouffée de cigare
Emprunte de Havane

C’était l’ombre maudite
Perdue dans le cognac
Sur un bar de misère
Fuyant la nostalgie
Des solstices alanguis
La demeure du passé
Et des sentes marines
Qu’on déploie à toute heure
La mémoire exfoliante
Qui masque les visages
Casinos de l’époque
Les chemises à manchettes
Le croupier gominé
Derrière un tapis vert
Une femme aux yeux d’absinthe
Qui vous tue dès l’instant

Le reflet du cadran
Consumait le miroir
D’une flûte sans tain
Enfouie depuis des lustres
Sous la cendre des murs
L’office d’une horloge
Aux aiguilles pendantes
Tournoyant au hasard
Au milieu des grelots
La plaie des candélabres
Qui s’éteignent aux couchers
Humides des matins
Sur fond curaçao
Je resterai ici
Jusqu’à ma dernière heure
À écumer le lit des langueurs océanes


 
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   Pouet   
7/1/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Salut,

Ambiance Caraïbes pour ce Pacific blues qui nous emporte bien, qui nous emporte loin. Sur fond de rhum ambré, de cendres de Cohiba ou de Roméo y julieta qui aura perdu sa Juliette et qui erre par là bas peut être en cherchant l'être qui n'a pas existé dans la fumée du monde et les vapeurs de l'âme. Y a de l'ambiance musquée et le spleen des steel drum, ça sonne dégingandé, chic et désespéré... J'ai pu un peu penser à un personnage ou une quête d'Alvaro Mutis et c'est un compliment.
Une écriture d'une grande qualité.

Pouet

   Donaldo75   
16/1/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Même si ce poème est long et s’étend sur la feuille comme une série de vers courts, il est impactant. Il raconte au lecteur sans se noyer dans la narration car les vers restent rythmés, évocateurs, directs, visuels. C’est cette impression de voir la scène qui rend la narration intéressante en termes de poésie car elle associe les mots aux images et inversement. L’ambiance qui en découle donne de l’allant à la lecture et permet d’absorber la longueur du texte, longueur dont je précise qu’elle résulte de l’étirement de la page elle-même, en format vertical, ce qui est un choix risqué mais payant.

   Provencao   
22/1/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Stéphane

J'ai bien apprécié ces évocations subtiles, avec votre phrasé, et cette façon si particulière d'exprimer les états d'âme de cette empreinte du silence.

On est passionné par la lecture, vous avez ce talent de conteur avec des détails forts, qui nous entraînent tout le long de votre poésie...

Très agréable, malgré la longueur qui n'est nullement un frein, pour moi.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Cyrill   
22/1/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Stéphane,

J’avoue pour commencer que ce découpage en vers trop courts à mon goût ne m’a guère emballé. M’a même contrarié.
Quel dommage, me dis-je, ce poème aurait tout pour me plaire, à commencer par le titre, avec cet imaginaire débordant, ces métaphores qui font mouche et l’ambiance exotique qui se déroule tout au long du poème.
Traîner sa désespérance et ses tourments avec une classe certaine, voilà ce que je lis, ce que je vis dans ce texte. La deuxième strophe est ma préférée !
J’ai retranscrit le poème dans d’autres formats, plus linéaires, qui me conviennent un peu mieux, mais sans plus, donc ...

   Corto   
22/1/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Stephane,
Ce poème d'ambiance enveloppe le lecteur de souvenirs, de nostalgie, d'expérience, tout cela réel ou imaginaire. C'est ce flou que j'ai aimé, ce qui a été, ce qui aurait pu être, ce qui est rêvé, ce qui n'est qu'invention mais si cohérente avec un vécu qui ne cherche pas à convaincre.
Des impressions, des impulsions, des évocations, des regrets, qui sait si les verres étaient pleins ou "à moitié pleins"?

De temps à autre vient un moment plus fort "Triste comme un pendu
Je me traîne en victime", puis on s'envole encore vers le ressenti "Le vide éberlué A l’attache invisible".

L'attaque de la seconde partie est joliment formulée:
"Le soir sur la lagune
Par-dessus le regard
Qui s’étale à la brune"
et rencontre les points de repère qui éclairent un peu la scène:
"une bouffée de cigare Emprunte de Havane"; "Le croupier gominé"; "Une femme aux yeux d’absinthe Qui vous tue dès l’instant"...

Le final est à l'unisson, annonçant une immersion définitive dans ce monde, et chacun sait que ce qui est définitif quand "les pleurs et les peines Suffisent à mon malheur" ne demande qu'à bifurquer lorsque viendra la lassitude du "Prisonnier des rouleaux Cruels et sans espoir".

Je crois que même Paul Gauguin ne me contredirait pas.

Merci pour ce voyage intime si richement décrit.

   Lebarde   
22/1/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Stéphane

J’ai toujours du mal avec les poèmes très longs surtout quand la ponctuation inexistante comme c’est le cas ici, m’oblige pour comprendre à un effort d’attention et de réflexion que je suis de moins en moins enclin à faire.
J’ai besoin d’une structuration, d’une organisation qui me manquent ici pour aider mon cerveau engourdi.

Oui je sais, c’est de ma faute et vous n’y pouvez pas grand chose.

Je retiens l’ambiance, la musicalité, qui se dégagent au fur et à mesure de la lecture, mais je regrette le rythme en hexasyllabes trop souvent cassé par des vers « infirmes « et claudiquants.
Je ne cherche pas à me triturer l’esprit et je me laisse simplement prendre par l’atmosphère et le ton.
C’est déjà ça.
Lebarde pas trop dans son élément.

   Stephane   
24/1/2022

   Cristale   
25/1/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Un long poème qui mériterait un long commentaire pour lequel je n'ai matériellement pas assez de temps mais celui que je vais prendre sera pour souligner la qualité de l'écriture, de la syntaxe, la richesse des images et du langage.

"Le tourment qui m’accable
Dans le miroir occulte
Du néant qui s’affiche
Sous des néons sanglants
L’Univers à genoux
Triste comme un pendu
Je me traîne en victime"

Et c'est ainsi tout au long sans que je puisse choisir tel ou tel groupe de vers mais le final m'a submergée, j'ai pensé au célèbre tableau de Dali "Les montres molles" :

"Le reflet du cadran
Consumait le miroir
D’une flûte sans tain
Enfouie depuis des lustres
Sous la cendre des murs
L’office d’une horloge
Aux aiguilles pendantes
Tournoyant au hasard
Au milieu des grelots
La plaie des candélabres
Qui s’éteignent aux couchers
Humides des matins
Sur fond curaçao
Je resterai ici
Jusqu’à ma dernière heure
À écumer le lit des langueurs océanes"

Voilà Stephane c'est super beau, extrêment vivant, (j'aime un peu moins, en libre, les majuscules en début de chaque vers d'où ma note) la prochaine fois pourrais-tu publier un tel opus en deux fois...tant que je ne serai pas à la retraite ? ^^

Cristale
hyper bookée

   Queribus   
25/1/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Curieuse impression que me fait votre écrit; d'une part, je le trouve très (trop) long mais 'y trouve aussi une très belle écriture avec de superbes images poétiques (je ne saurai les compter toutes) qui s’enchainent harmonieusement. Je pense que vous n'avez pas choisi la facilité et que votre poème a dû vous demander un très gros travail. Malgré sa longueur, le bilan est positif en ce qui me concerne.

Bien à vous.

   hersen   
25/1/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'apprécie beaucoup le rythme de ce poème, régulier presque partout, qui rend la sensation d'une vie tranquille des îles, et puis soudain, un vers plus long, qui traînent comme une vague plus paresseuse sur la plage, comme s'il y avait du regret à quitter la tristesse, les souvenirs... Une vague à la traîne, attendant leurre.
le ton nonchalant est à la tristesse dans la première strophe, tristesse amplifiée par le souvenir dans la deuxième.
J'aime cette construction qui ne quitte pas d'un poil le doux ressac.

Une petite réserve pour "langueurs océanes". Depuis Brel et son Amsterdam, je situe ces langueurs plus au nord, mon esprit me surprend à toujours y revenir. Mais c'est naturellement très subjectif.


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